Manga Retour sur la conférence de Kamome Shirahama à Livre Paris 2018
L'édition 2018 du salon Livre Paris fut marquée par le venue de plusieurs mangaka. L'une d'entre-eux était particulièrement attendue : Kamome Shirahama. Autrice de L'Atelier des Sorciers, dont le simple premier tome a émerveillé de nombreux lecteurs, la mangaka a même droit à une exposition temporaire à la librairie parisienne Bulles en tête. Outre plusieurs séances de dédicace, Kamome Shirahama fut à l'honneur au cours d'une conférence publique durant laquelle elle a pu revenir sur son œuvre et son travail. Le tout fut animé par Flavien Appavou de Manga.tv, qui a préparé de nombreuses questions pour l'occasion.
Sur fond de plusieurs planches du manga, l'histoire de L'Atelier des Sorciers fut brièvement évoquée. C'est sur un dessin fait en direct de Coco, l'héroïne du récit, que s'est déroulée la conférence.
Qu'est-ce qui vous a inspiré le monde de L'Atelier des Sorciers ?
Kamome Shirahama : Un jour, je discutais avec mes amies illustratrices. On parlait de dessin d'une manière générale. On s'est dit que l'illustration, c'est un peu comme une magie. On part d'une feuille blanche qui ne représente rien, puis tout un monde apparaît. C'est ça qui m'a donné l'envie de raconter une histoire sur la magie.
Comment avez-vous travaillé les concepts de magie ? Vous êtes-vous documentée ? Dans votre manga, la magie est expliquée, ses côtés positifs comme négatifs...
Kamome Shirahama : C'est vrai que j'ai fait pas mal de recherches dans la création du manga. Mais curieusement, elles n'étaient pas sur la magie. Je me suis beaucoup documentée sur les designs des produits artisanaux, car j'ai un grand respect pour le travail des artisans. J'ai fait des recherches sur les programmes informatiques, aussi. C'est plus la notion de création qui m'a demandé de la documentation.
On remarque aussi que les villes et villages sont superbement représentés. Cela vous a-t-il demandé beaucoup de recherche ?
Kamome Shirahama : J'aime beaucoup voyager, et je vais souvent à l'étranger. Tout ce que je vois dans ces pays et leurs cultures m'inspire. Dans chacune de mes destinations, j'observe les paysages et leurs composantes. Par exemple la pierre, la terre... C'est ces inspirations que j'utilise dans L'Atelier des Sorciers.
On peut voir que vous dessinez vite (rapport au dessin effectué par Mme Shirahama en parallèle, ndt), est-ce que vos études en art décoratif vous ont apporté ces compétences de dessin ? Comment cela vous a influencée dans votre travail ?
Kamome Shirahama : A l'université, j'ai étudié le design de produits industriels. J'aime beaucoup l'idée de mélanger l'art et l'industrie. J'ai particulièrement aimé la création de motifs dans les arts décoratifs. C'est ce type de motifs que j'ai mélangé et repris dans mon manga.
Est-ce pour cela et par amour de l'artisanat que vous mettez un point d'honneur à représenter tous les objets du quotidien ?
Kamome Shirahama : Pour moi, les artisans qui parviennent à créer ces magnifiques objets sont des magiciens.
Pour vous, tous les artistes sont des magiciens ? C'est ce que nous disait hier une autre mangaka, Taro Samoyed... (L'autrice d'Artiste, dont la conférence s'est déroulée la veille, ndt)
Kamome Shirahama : Oui, pour moi tous les créateurs sont des magiciens. On peut dire que les chefs cuisiniers en sont, de même pour les danseurs, les musiciens... les artistes de toutes les disciplines confondues, car ils arrivent à s'exprimer à travers différentes techniques.
Est-ce que vous vous considérez comme une magicienne ?
Kamome Shirahama : Maintenant, vous le savez... ! (rires)
Pouvez-vous nous parler du concept de « sorciers » utilisé dans votre série ? Il diffère de ce qu'on peut voir ailleurs...
Kamome Shirahama : Très souvent, les histoires de magiciens et de sorciers montrent des personnages nés dans des familles de sorciers, ou qui ont des pouvoirs dès la naissance. Dans L'Atelier des Sorciers, ce n'est pas tout à fait ça. Tout le monde peut devenir sorcier s'il travaille !
Oui, la magie est omniprésente, et chacun peut devenir un sorcier. On voit même les aspects négatifs de la magie. Est-ce important de montrer que cette magie n'est pas entourée que de positif ?
Kamome Shirahama : Ce n'est pas juste la magie qui a ses bons et mauvais côtés, mais toutes les choses de la vie. Par exemple, les pouvoirs. Quand on en a, il faut faire attention à leur utilisation tout comme on doit être vigilant quand on conduit une voiture.
Qu'est-ce que cet aspect Ying et Yang implique dans votre récit ?
Kamome Shirahama : L'une des idées de mon manga est de trouver la bonne utilisation des pouvoirs qu'on possède. Il n'y a pas une seule réponse, une seule méthode. Chacun doit trouver la réponse à travers ses expériences, et je pense que c'est l'éducation qui nous apprend à utiliser correctement les pouvoirs acquis. C'est un thème que je développe surtout après le premier tome.
Je vais rebondir un peu là-dessus : Pensez-vous que la magie puisse être utilisée par n'importe qui dans votre œuvre ?
Kamome Shirahama : Dans L'Atelier des Sorciers, tout le monde peut utiliser les outils magiques, mais seuls les sorciers peuvent les fabriquer. C'est un peu comme le téléphone portable : on en utilise tous, mais on ne les fabrique pas.
En parallèle, Kamome Shirahama commente son dessin. Après avoir posé les esquisses de son illustrations, elle entame les détails. Pour cette étape, elle utilise sa plume habituelle qu'elle juge plus confortable. Mais pour cette réalisation, Mme Shirahama essaie de varier les outils pour en montrer un maximum à son public. Elle souligne néanmoins qu'il est rare qu'elle applique cette méthode de travail et qu'elle sorte ses outils de dessin de chez elle. Les outils apportés constituent l'essentiel de son matériel de travail.
La réalisation d'une planche vous prend-elle beaucoup de temps ?
Kamome Shirahama : C'est toujours difficile de dire combien de temps je passe sur une planche. Je dessine un chapitre par mois, je peux dire que je fais entre 3 et 4 pages par jour pour la conception des personnages, puis je reviens sur d'autres planches pour la réalisation des décors. Là, tout va dépendre de ces décors. Mais par rapport à d'autres mangaka, je dessine vite.
Toutes vos pages ressemblent à des peintures. Quelle démarche avez-vous pour la réalisation d'une page ?
Kamome Shirahama : Je commence en dessinant les grandes lignes de la planche, avec un très assez épais. Je pars du principe que dans mon manga, il y a une histoire à raconter. Vous avez parlé de peinture, j'essaie de rendre cet aspect sur chaque planche, même si elles sont divisées en plusieurs cases. Si je travaille autant sur les cadres et les bordures des cases, c'est que je les considère comme des peintures.
J'aime penser que les mangas sont de vraies œuvres d'art. Quand je regarde la bande-dessinée européenne ou les comics américains, c'est ce à quoi je pense.
Vous avez aussi illustré des couvertures de comics. Comment utilisez-vous les compétences acquises sur ces travaux dans votre manga ? Comment avez-vous intégré le comics à L'Atelier des Sorciers ?
Kamome Shirahama : La particularité des comics américains, c'est qu'on dessine toujours les mêmes personnages, des personnages historiques, et ce sont les auteurs et illustrateurs qui changent. On est obligé de s'adapter, mais on remarque les caractéristiques de chaque personnage. Ça m'oblige à développer mon propre style à partir de figures existantes. J'apprends énormément sur les couvertures de comics, sans oublier le travail de la couleur qui est très important. J'utilise ses acquis dans mon manga, par exemple dans le découpage avec les différentes formes de cases. Dans le comics, il y a des formes de cases qu'on ne retrouve pas dans le manga. Le découpage de comics est très libre, et c'est ce que j'essaie de faire dans mon manga.
Comment se passe une journée dans la peau de Shirahama-sensei ?
Kamome Shirahama : En réalité, je mène une vie extrêmement libre. Je me lève vers midi, alors que tout le monde est déjà au travail. Je mange, puis je me met à dessiner. Dès que j'ai envie de dormir, je fais une sieste avant de me remettre au dessin. Vers minuit, en pleine nuit, je commence à être réveillée et je démarre Skype. Avec quelques amis illustrateurs, nous avons un groupe de conversation et nous discutons sur Skype la nuit. On a l'impression de travailler ensemble comme ça. Évidemment, juste avant la date de rendu de chapitre, je travaille à fond car je n'ai plus beaucoup de temps.
Avez-vous des assistants ?
Kamome Shirahama : Oui, deux assistantes.
Comment se déroule le travail avec elle ?
Kamome Shirahama : Mes assistantes ne viennent pas travailler tous les jours, elles sont là une semaine avant la date de rendu. Je fais la majorité du travail, elles travaillent plutôt sur les trames ou d'autres détails.
Mais il y a une autre raison pour laquelle je travaille presque seule. Je dessine une histoire fantastique, une fiction totale. J'ai du mal à expliquer à mes assistantes l'univers que j'ai en tête. Si je leur dit que je veux des montagnes qui ont la forme de globes et qui flottent dans le ciel, elles ne vont pas comprendre... (rires)
Le personnage principal de l’œuvre s'appelle Coco. Comment vous est-il arrivé en tête ?
Kamome Shirahama : Je voudrais vraiment que les lecteurs de l'âge de Coco lisent L'Atelier des Sorciers. Quand j'ai pensé à ce personnage, j'ai pensé à ces jeunes dans l'optique qu'ils considèrent Coco comme leur meilleur amie.
Dans un shônen et un seinen, il est rare d'avoir un protagoniste féminin. Pourquoi ce parti-pris d'avoir choisi une fille ?
Kamome Shirahama : C'est justement parce qu'on voit peu d'héroïne dans le shônen et le seinen que j'ai choisi une fille comme personnage principal de l'histoire.
Quelle est la recette pour créer un bon personnage ?
Kamome Shirahama : Pour moi, de bons personnages sont des personnages qui ont des défauts tout en ayant du charme. Lorsque je créer un personnage, je pense d'abord aux défauts. Si malgré ça il reste attachant, alors il plaira aux lecteurs. Par exemple, quand quelqu'un dit du mal de mon meilleur ami, je ne suis pas contente et j'essaie de le défendre. C'est comme ça que je conçois mon personnage principal : j'aimerais que mes lecteurs le défendent si on dit du mal de lui.
C'est pour ça que vous malmenez un peu Coco au début ?
Kamome Shirahama : Coco est tellement fidèle à son rêve qu'elle est très maladroite. C'est pour moi son défaut au début de l'histoire.
Au début de l'histoire, la mère de Coco est présente, ce qui est très rare dans les mangas. On voit souvent les papa... Est-ce aussi une envie de vous démarquer ?
Kamome Shirahama : Nous n'en sommes qu'au premier tome, c'est donc normal qu'on voit assez peu la maman de Coco, elle apparaîtra davantage plus tard dans l'histoire. Je pense que tout le monde a la même expérience, celle d'une maman protectrice qui dit à son enfant ce qu'il doit faire et ne pas faire. Je voulais éloigner Coco de sa mère pour qu'elle apprenne la vie par elle-même, c'est pour cela que la mère n'est pas très présente.
Dans la majorité des mangas, le lien entre le père et son enfant est très mis en avant, mais la maman est moins mise en avant. Pourquoi avoir choisi cette corrélation ?
Kamome Shirahama : Je ne suis pas d'accord, beaucoup de mangas parlent de la mère et de ses enfants. Peut-être que certains titres populaires parlent du lien entre le père et ses enfant. C'est ce qui est intéressant dans le manga : on voit tous types de relation.
Votre manga est un seinen qui reprend les codes du shônen, pourquoi ?
Kamome Shirahama : C'est vrai que ces types sont assez distincts. Mais je trouve que les frontières sont de moins en moins nettes, beaucoup de filles lisent du shônen tandis que des adultes prennent plaisir à lire du manga destiné aux enfants. C'est pour ça que j'essaie de mélanger les genres, aussi mon manga peut être considéré aussi bien comme un shônen que comme un seinen.
Vous abolissez les genres et vous apportez du comics dans votre manga... Est-ce qu'il y a une définition pour L'Atelier des Sorciers, ou est-ce un genre à part entière ? Comment définiriez-vous l’œuvre ?
Kamome Shirahama : C'est compliqué, parce que je ne pense jamais aux genres. C'est un manga d'aventure et d'heroic-fantasy, mais je ne pense à rien de plus.
L'Atelier des Sorciers est donc une œuvre intemporelle... Quelle message aimeriez-vous porter avec votre manga ?
Kamome Shirahama : Je voudrais transmettre le plaisir d'apprendre à travers mon manga. Je me souviens que dans ma jeunesse, je ne comprenais pas vraiment ce plaisir. Aujourd'hui, je me rend compte à quel point les études sont importantes. Plus on étudie, et plus on aura de chance plus tard. Je ne veux pas être une maman qui fait la morale aux enfants, mais j'aimerais leur transmettre ce plaisir.
Votre manga a donc des vertus pédagogiques ?
Kamome Shirahama : Oui, j'aime beaucoup les mangas pédagogiques, moi-même j'aime beaucoup étudier aujourd'hui, ça peut apporter des opportunités dans la vie.
Kamome Shirahama a ensuite commenté de nouveau son dessin : l'étape de l'encrage. Elle venait de finit les grandes lignes du décor tout en essayant d'améliorer certains détails. Elle explique aussi qu'avec le traque, elle avait déjà réfléchi à la composition du dessin avant sa venue à la conférence. Mais lorsqu'elle dessine son manga, elle commence par le storyboard avant de passer à l'encrage.
Votre dessin présente la mascotte, le petit ver mignon. Est-ce important d'avoir une mascotte dans un manga ?
Kamome Shirahama : Je n'ai pas d'animal de compagnie, j'aimerais en avoir un. C'est pour cette raison que j'ai créé cette mascotte.
Je pense ressembler à un chat qui vit de manière très libre : je peux disparaître un long moment pour aller faire la sieste quand j'en ai envie. (rires)
C'est votre éditeur qui doit être content ! (rires)
Kamome Shirahama : Il est là mais ne m'écoute pas, donc tout va bien. (rires)
On parlait de la création du manga. Les poses des personnages sont sympathiques, est-ce grâce à vos travaux sur les comics que ces poses vous sont inspirées ?
Kamome Shirahama : Oui, on peut dire que ça vient des couvertures de comics américains. Aussi, j'aime beaucoup les illustrations religieuses, et je pense qu'il y a cette influence dans les poses de mes personnages.
Pouvez-vous nous parler de ces inspirations d'illustrations religieuses ? Ce qu'elles vous apportent ?
Kamome Shirahama : Je les aime beaucoup car elles représentent toujours une scène d'une histoire. Elles symbolisent beaucoup de choses sur l'histoire qu'elles racontent. De plus, les motifs sont dessinés par beaucoup d'artistes. Je peux ainsi comparer les illustrations religieuses de beaucoup d'artistes quand elles sont sur le même thème.
On peut donc dire que le comics, les peintures religieuses et les arts décoratifs influencent votre manga... Cela représente beaucoup d'inspirations.
Kamome Shirahama : Tout ce que je vois et j’entends m'inspire. La notion de transmission est extrêmement importante, j'apprends beaucoup des travaux des générations précédentes. J'aimerais transmettre aux générations futures ce que j'ai appris.
En japonais, le titre du manga est Tongari Bôshi no Atelier, ce qui veut dire l'atelier des chapeaux pointus. Pourquoi se référer à ces chapeaux pointus ?
Kamome Shirahama : Le chapeau pointu est un peu le symbole du sorcier, je voulais donc que les gens se rendent compte qu'on fait référence aux sorciers. Aussi, beaucoup de manga ont « sorcier » dans leur titre, je voulais éviter d'utiliser ce terme.
Est-ce que la transition du dessin manuel au numérique a été difficile ? Pour certains mangaka, il faut un temps d'adaptation.
Kamome Shirahama : Je mélange plusieurs méthodes. Je travaille mieux manuellement pour tracer les lignes, tandis que je me sens plus à l'aise pour la couleur avec Photoshop. Tout dépend des artistes, certains préfèrent totalement le manuel et d'autres les outils informatiques. Pour certains auteurs, les programmes comme Photoshop peuvent être utilisés comme des outils de peinture.
Avez-vous un conseil à donner aux artistes en herbe ?
Kamome Shirahama : Je pense que c'est important de voir et essayer beaucoup de choses, même ce qu'on n'aime pas trop. Trouver du positif dans tout, aussi. Quand je regarde mes travaux, je ne vois que les défauts, je suis sévère avec moi-même. Mais quand je regarde les travaux d'autrui, je vois beaucoup de positif. Il faut regarder un maximum le travail des autres. Par exemple, je trouve que plus on accumule les expériences, moins on voit ses défauts. C'est pour ça qu'il faut être sévère avec soi-même.
S'en est suivi une session de questions-réponses avec le public, durant les dernières minutes restantes.
Est-ce qu'un nombre de tomes a déjà été défini, ou est-ce improvisé pour cette histoire ?
Kamome Shirahama : J'ai les grandes lignes de l'histoire et de la narration dans ma tête. Mais dès que je commence à m'intéresser à chaque personnage, il évolue de manière inattendue, si bien que même moi suis surprise du développement parfois. Je connais donc les grandes lignes du manga, mais je n'en sais pas plus.
Avec quels outils travaillez-vous la couleur de vos illustrations, que ce soit le manga ou le comics ?
Kamome Shirahama : Photoshop ! Avant, j'utilisais les outils manuels. Mais c'est tellement simple de corriger avec Photoshop... ça me permet de revenir en arrière.
Avec quel outil dessinez-vous l'illustration en ce moment ?
Kamome Shirahama : Un stylo à plume, avec une encre japonaise de marque Pilot. C'est connu pour sécher très vite.
La conférence s'est terminée sous les applaudissements du public.
Compte-rendu écrit par Takato.
Sur fond de plusieurs planches du manga, l'histoire de L'Atelier des Sorciers fut brièvement évoquée. C'est sur un dessin fait en direct de Coco, l'héroïne du récit, que s'est déroulée la conférence.
Qu'est-ce qui vous a inspiré le monde de L'Atelier des Sorciers ?
Kamome Shirahama : Un jour, je discutais avec mes amies illustratrices. On parlait de dessin d'une manière générale. On s'est dit que l'illustration, c'est un peu comme une magie. On part d'une feuille blanche qui ne représente rien, puis tout un monde apparaît. C'est ça qui m'a donné l'envie de raconter une histoire sur la magie.
Comment avez-vous travaillé les concepts de magie ? Vous êtes-vous documentée ? Dans votre manga, la magie est expliquée, ses côtés positifs comme négatifs...
Kamome Shirahama : C'est vrai que j'ai fait pas mal de recherches dans la création du manga. Mais curieusement, elles n'étaient pas sur la magie. Je me suis beaucoup documentée sur les designs des produits artisanaux, car j'ai un grand respect pour le travail des artisans. J'ai fait des recherches sur les programmes informatiques, aussi. C'est plus la notion de création qui m'a demandé de la documentation.
On remarque aussi que les villes et villages sont superbement représentés. Cela vous a-t-il demandé beaucoup de recherche ?
Kamome Shirahama : J'aime beaucoup voyager, et je vais souvent à l'étranger. Tout ce que je vois dans ces pays et leurs cultures m'inspire. Dans chacune de mes destinations, j'observe les paysages et leurs composantes. Par exemple la pierre, la terre... C'est ces inspirations que j'utilise dans L'Atelier des Sorciers.
On peut voir que vous dessinez vite (rapport au dessin effectué par Mme Shirahama en parallèle, ndt), est-ce que vos études en art décoratif vous ont apporté ces compétences de dessin ? Comment cela vous a influencée dans votre travail ?
Kamome Shirahama : A l'université, j'ai étudié le design de produits industriels. J'aime beaucoup l'idée de mélanger l'art et l'industrie. J'ai particulièrement aimé la création de motifs dans les arts décoratifs. C'est ce type de motifs que j'ai mélangé et repris dans mon manga.
Est-ce pour cela et par amour de l'artisanat que vous mettez un point d'honneur à représenter tous les objets du quotidien ?
Kamome Shirahama : Pour moi, les artisans qui parviennent à créer ces magnifiques objets sont des magiciens.
Pour vous, tous les artistes sont des magiciens ? C'est ce que nous disait hier une autre mangaka, Taro Samoyed... (L'autrice d'Artiste, dont la conférence s'est déroulée la veille, ndt)
Kamome Shirahama : Oui, pour moi tous les créateurs sont des magiciens. On peut dire que les chefs cuisiniers en sont, de même pour les danseurs, les musiciens... les artistes de toutes les disciplines confondues, car ils arrivent à s'exprimer à travers différentes techniques.
Est-ce que vous vous considérez comme une magicienne ?
Kamome Shirahama : Maintenant, vous le savez... ! (rires)
Pouvez-vous nous parler du concept de « sorciers » utilisé dans votre série ? Il diffère de ce qu'on peut voir ailleurs...
Kamome Shirahama : Très souvent, les histoires de magiciens et de sorciers montrent des personnages nés dans des familles de sorciers, ou qui ont des pouvoirs dès la naissance. Dans L'Atelier des Sorciers, ce n'est pas tout à fait ça. Tout le monde peut devenir sorcier s'il travaille !
Oui, la magie est omniprésente, et chacun peut devenir un sorcier. On voit même les aspects négatifs de la magie. Est-ce important de montrer que cette magie n'est pas entourée que de positif ?
Kamome Shirahama : Ce n'est pas juste la magie qui a ses bons et mauvais côtés, mais toutes les choses de la vie. Par exemple, les pouvoirs. Quand on en a, il faut faire attention à leur utilisation tout comme on doit être vigilant quand on conduit une voiture.
Qu'est-ce que cet aspect Ying et Yang implique dans votre récit ?
Kamome Shirahama : L'une des idées de mon manga est de trouver la bonne utilisation des pouvoirs qu'on possède. Il n'y a pas une seule réponse, une seule méthode. Chacun doit trouver la réponse à travers ses expériences, et je pense que c'est l'éducation qui nous apprend à utiliser correctement les pouvoirs acquis. C'est un thème que je développe surtout après le premier tome.
Je vais rebondir un peu là-dessus : Pensez-vous que la magie puisse être utilisée par n'importe qui dans votre œuvre ?
Kamome Shirahama : Dans L'Atelier des Sorciers, tout le monde peut utiliser les outils magiques, mais seuls les sorciers peuvent les fabriquer. C'est un peu comme le téléphone portable : on en utilise tous, mais on ne les fabrique pas.
En parallèle, Kamome Shirahama commente son dessin. Après avoir posé les esquisses de son illustrations, elle entame les détails. Pour cette étape, elle utilise sa plume habituelle qu'elle juge plus confortable. Mais pour cette réalisation, Mme Shirahama essaie de varier les outils pour en montrer un maximum à son public. Elle souligne néanmoins qu'il est rare qu'elle applique cette méthode de travail et qu'elle sorte ses outils de dessin de chez elle. Les outils apportés constituent l'essentiel de son matériel de travail.
La réalisation d'une planche vous prend-elle beaucoup de temps ?
Kamome Shirahama : C'est toujours difficile de dire combien de temps je passe sur une planche. Je dessine un chapitre par mois, je peux dire que je fais entre 3 et 4 pages par jour pour la conception des personnages, puis je reviens sur d'autres planches pour la réalisation des décors. Là, tout va dépendre de ces décors. Mais par rapport à d'autres mangaka, je dessine vite.
Toutes vos pages ressemblent à des peintures. Quelle démarche avez-vous pour la réalisation d'une page ?
Kamome Shirahama : Je commence en dessinant les grandes lignes de la planche, avec un très assez épais. Je pars du principe que dans mon manga, il y a une histoire à raconter. Vous avez parlé de peinture, j'essaie de rendre cet aspect sur chaque planche, même si elles sont divisées en plusieurs cases. Si je travaille autant sur les cadres et les bordures des cases, c'est que je les considère comme des peintures.
J'aime penser que les mangas sont de vraies œuvres d'art. Quand je regarde la bande-dessinée européenne ou les comics américains, c'est ce à quoi je pense.
Vous avez aussi illustré des couvertures de comics. Comment utilisez-vous les compétences acquises sur ces travaux dans votre manga ? Comment avez-vous intégré le comics à L'Atelier des Sorciers ?
Kamome Shirahama : La particularité des comics américains, c'est qu'on dessine toujours les mêmes personnages, des personnages historiques, et ce sont les auteurs et illustrateurs qui changent. On est obligé de s'adapter, mais on remarque les caractéristiques de chaque personnage. Ça m'oblige à développer mon propre style à partir de figures existantes. J'apprends énormément sur les couvertures de comics, sans oublier le travail de la couleur qui est très important. J'utilise ses acquis dans mon manga, par exemple dans le découpage avec les différentes formes de cases. Dans le comics, il y a des formes de cases qu'on ne retrouve pas dans le manga. Le découpage de comics est très libre, et c'est ce que j'essaie de faire dans mon manga.
Comment se passe une journée dans la peau de Shirahama-sensei ?
Kamome Shirahama : En réalité, je mène une vie extrêmement libre. Je me lève vers midi, alors que tout le monde est déjà au travail. Je mange, puis je me met à dessiner. Dès que j'ai envie de dormir, je fais une sieste avant de me remettre au dessin. Vers minuit, en pleine nuit, je commence à être réveillée et je démarre Skype. Avec quelques amis illustrateurs, nous avons un groupe de conversation et nous discutons sur Skype la nuit. On a l'impression de travailler ensemble comme ça. Évidemment, juste avant la date de rendu de chapitre, je travaille à fond car je n'ai plus beaucoup de temps.
Avez-vous des assistants ?
Kamome Shirahama : Oui, deux assistantes.
Comment se déroule le travail avec elle ?
Kamome Shirahama : Mes assistantes ne viennent pas travailler tous les jours, elles sont là une semaine avant la date de rendu. Je fais la majorité du travail, elles travaillent plutôt sur les trames ou d'autres détails.
Mais il y a une autre raison pour laquelle je travaille presque seule. Je dessine une histoire fantastique, une fiction totale. J'ai du mal à expliquer à mes assistantes l'univers que j'ai en tête. Si je leur dit que je veux des montagnes qui ont la forme de globes et qui flottent dans le ciel, elles ne vont pas comprendre... (rires)
Le personnage principal de l’œuvre s'appelle Coco. Comment vous est-il arrivé en tête ?
Kamome Shirahama : Je voudrais vraiment que les lecteurs de l'âge de Coco lisent L'Atelier des Sorciers. Quand j'ai pensé à ce personnage, j'ai pensé à ces jeunes dans l'optique qu'ils considèrent Coco comme leur meilleur amie.
Dans un shônen et un seinen, il est rare d'avoir un protagoniste féminin. Pourquoi ce parti-pris d'avoir choisi une fille ?
Kamome Shirahama : C'est justement parce qu'on voit peu d'héroïne dans le shônen et le seinen que j'ai choisi une fille comme personnage principal de l'histoire.
Quelle est la recette pour créer un bon personnage ?
Kamome Shirahama : Pour moi, de bons personnages sont des personnages qui ont des défauts tout en ayant du charme. Lorsque je créer un personnage, je pense d'abord aux défauts. Si malgré ça il reste attachant, alors il plaira aux lecteurs. Par exemple, quand quelqu'un dit du mal de mon meilleur ami, je ne suis pas contente et j'essaie de le défendre. C'est comme ça que je conçois mon personnage principal : j'aimerais que mes lecteurs le défendent si on dit du mal de lui.
C'est pour ça que vous malmenez un peu Coco au début ?
Kamome Shirahama : Coco est tellement fidèle à son rêve qu'elle est très maladroite. C'est pour moi son défaut au début de l'histoire.
Au début de l'histoire, la mère de Coco est présente, ce qui est très rare dans les mangas. On voit souvent les papa... Est-ce aussi une envie de vous démarquer ?
Kamome Shirahama : Nous n'en sommes qu'au premier tome, c'est donc normal qu'on voit assez peu la maman de Coco, elle apparaîtra davantage plus tard dans l'histoire. Je pense que tout le monde a la même expérience, celle d'une maman protectrice qui dit à son enfant ce qu'il doit faire et ne pas faire. Je voulais éloigner Coco de sa mère pour qu'elle apprenne la vie par elle-même, c'est pour cela que la mère n'est pas très présente.
Dans la majorité des mangas, le lien entre le père et son enfant est très mis en avant, mais la maman est moins mise en avant. Pourquoi avoir choisi cette corrélation ?
Kamome Shirahama : Je ne suis pas d'accord, beaucoup de mangas parlent de la mère et de ses enfants. Peut-être que certains titres populaires parlent du lien entre le père et ses enfant. C'est ce qui est intéressant dans le manga : on voit tous types de relation.
Votre manga est un seinen qui reprend les codes du shônen, pourquoi ?
Kamome Shirahama : C'est vrai que ces types sont assez distincts. Mais je trouve que les frontières sont de moins en moins nettes, beaucoup de filles lisent du shônen tandis que des adultes prennent plaisir à lire du manga destiné aux enfants. C'est pour ça que j'essaie de mélanger les genres, aussi mon manga peut être considéré aussi bien comme un shônen que comme un seinen.
Vous abolissez les genres et vous apportez du comics dans votre manga... Est-ce qu'il y a une définition pour L'Atelier des Sorciers, ou est-ce un genre à part entière ? Comment définiriez-vous l’œuvre ?
Kamome Shirahama : C'est compliqué, parce que je ne pense jamais aux genres. C'est un manga d'aventure et d'heroic-fantasy, mais je ne pense à rien de plus.
L'Atelier des Sorciers est donc une œuvre intemporelle... Quelle message aimeriez-vous porter avec votre manga ?
Kamome Shirahama : Je voudrais transmettre le plaisir d'apprendre à travers mon manga. Je me souviens que dans ma jeunesse, je ne comprenais pas vraiment ce plaisir. Aujourd'hui, je me rend compte à quel point les études sont importantes. Plus on étudie, et plus on aura de chance plus tard. Je ne veux pas être une maman qui fait la morale aux enfants, mais j'aimerais leur transmettre ce plaisir.
Votre manga a donc des vertus pédagogiques ?
Kamome Shirahama : Oui, j'aime beaucoup les mangas pédagogiques, moi-même j'aime beaucoup étudier aujourd'hui, ça peut apporter des opportunités dans la vie.
Kamome Shirahama a ensuite commenté de nouveau son dessin : l'étape de l'encrage. Elle venait de finit les grandes lignes du décor tout en essayant d'améliorer certains détails. Elle explique aussi qu'avec le traque, elle avait déjà réfléchi à la composition du dessin avant sa venue à la conférence. Mais lorsqu'elle dessine son manga, elle commence par le storyboard avant de passer à l'encrage.
Votre dessin présente la mascotte, le petit ver mignon. Est-ce important d'avoir une mascotte dans un manga ?
Kamome Shirahama : Je n'ai pas d'animal de compagnie, j'aimerais en avoir un. C'est pour cette raison que j'ai créé cette mascotte.
Je pense ressembler à un chat qui vit de manière très libre : je peux disparaître un long moment pour aller faire la sieste quand j'en ai envie. (rires)
C'est votre éditeur qui doit être content ! (rires)
Kamome Shirahama : Il est là mais ne m'écoute pas, donc tout va bien. (rires)
On parlait de la création du manga. Les poses des personnages sont sympathiques, est-ce grâce à vos travaux sur les comics que ces poses vous sont inspirées ?
Kamome Shirahama : Oui, on peut dire que ça vient des couvertures de comics américains. Aussi, j'aime beaucoup les illustrations religieuses, et je pense qu'il y a cette influence dans les poses de mes personnages.
Pouvez-vous nous parler de ces inspirations d'illustrations religieuses ? Ce qu'elles vous apportent ?
Kamome Shirahama : Je les aime beaucoup car elles représentent toujours une scène d'une histoire. Elles symbolisent beaucoup de choses sur l'histoire qu'elles racontent. De plus, les motifs sont dessinés par beaucoup d'artistes. Je peux ainsi comparer les illustrations religieuses de beaucoup d'artistes quand elles sont sur le même thème.
On peut donc dire que le comics, les peintures religieuses et les arts décoratifs influencent votre manga... Cela représente beaucoup d'inspirations.
Kamome Shirahama : Tout ce que je vois et j’entends m'inspire. La notion de transmission est extrêmement importante, j'apprends beaucoup des travaux des générations précédentes. J'aimerais transmettre aux générations futures ce que j'ai appris.
En japonais, le titre du manga est Tongari Bôshi no Atelier, ce qui veut dire l'atelier des chapeaux pointus. Pourquoi se référer à ces chapeaux pointus ?
Kamome Shirahama : Le chapeau pointu est un peu le symbole du sorcier, je voulais donc que les gens se rendent compte qu'on fait référence aux sorciers. Aussi, beaucoup de manga ont « sorcier » dans leur titre, je voulais éviter d'utiliser ce terme.
Est-ce que la transition du dessin manuel au numérique a été difficile ? Pour certains mangaka, il faut un temps d'adaptation.
Kamome Shirahama : Je mélange plusieurs méthodes. Je travaille mieux manuellement pour tracer les lignes, tandis que je me sens plus à l'aise pour la couleur avec Photoshop. Tout dépend des artistes, certains préfèrent totalement le manuel et d'autres les outils informatiques. Pour certains auteurs, les programmes comme Photoshop peuvent être utilisés comme des outils de peinture.
Avez-vous un conseil à donner aux artistes en herbe ?
Kamome Shirahama : Je pense que c'est important de voir et essayer beaucoup de choses, même ce qu'on n'aime pas trop. Trouver du positif dans tout, aussi. Quand je regarde mes travaux, je ne vois que les défauts, je suis sévère avec moi-même. Mais quand je regarde les travaux d'autrui, je vois beaucoup de positif. Il faut regarder un maximum le travail des autres. Par exemple, je trouve que plus on accumule les expériences, moins on voit ses défauts. C'est pour ça qu'il faut être sévère avec soi-même.
S'en est suivi une session de questions-réponses avec le public, durant les dernières minutes restantes.
Est-ce qu'un nombre de tomes a déjà été défini, ou est-ce improvisé pour cette histoire ?
Kamome Shirahama : J'ai les grandes lignes de l'histoire et de la narration dans ma tête. Mais dès que je commence à m'intéresser à chaque personnage, il évolue de manière inattendue, si bien que même moi suis surprise du développement parfois. Je connais donc les grandes lignes du manga, mais je n'en sais pas plus.
Avec quels outils travaillez-vous la couleur de vos illustrations, que ce soit le manga ou le comics ?
Kamome Shirahama : Photoshop ! Avant, j'utilisais les outils manuels. Mais c'est tellement simple de corriger avec Photoshop... ça me permet de revenir en arrière.
Avec quel outil dessinez-vous l'illustration en ce moment ?
Kamome Shirahama : Un stylo à plume, avec une encre japonaise de marque Pilot. C'est connu pour sécher très vite.
La conférence s'est terminée sous les applaudissements du public.
Compte-rendu écrit par Takato.
De Zeik [2187 Pts], le 01 Mai 2018 à 21h18
Beaucoup de supers infos ! ^^
De Yacine [1349 Pts], le 01 Mai 2018 à 15h51
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En japonais, le titre du manga est Tongari Bôshi no Atelier, ce qui veut dire l'atelier des chapeaux pointus. Pourquoi se référer à ces chapeaux pointus ?
Kamome Shirahama : Le chapeau pointu est un peu le symbole du sorcier, je voulais donc que les gens se rendent compte qu'on fait référence aux sorciers. Aussi, beaucoup de manga ont « sorcier » dans leur titre, je voulais éviter d'utiliser ce terme.>>
Ce qui rappelle bien que traduire c'est déjà un peu trahir. J'espère que la traductrice ne s'en veut pas trop si elle a appris cela après coup x)