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Manga Chronique Manga - Ayako

Samedi, 17 Novembre 2018 à 11h00 - Source :Chronique Manga

On connaît davantage Tezuka Osamu en France pour ses œuvres qui ont bercé notre enfance telles que Astro Boy et Princesse Saphir. Mais l'auteur ne s'est pas contenté de littérature enfantine. Il s'est aussi essayé aux chroniques historiques, notamment avec Ayako.
S'encrant dans un Japon d'après-guerre, colonisé par les Etats-Unis, il nous plonge dans les difficultés économiques et la crise identitaire subit par le pays, le tout sur fond de drame familial...


Tenge Jirou revient chez lui après avoir été libéré d'un camp de prisonniers américain. Bien qu'heureux de rentrer enfin au Japon, et dans sa famille, il n'en oublie pas ce qui a fait sa liberté : trahir son pays en devenant espion et homme de main pour les Etats-Unis. Et alors qu'il aurait pu se retrouver à devoir simplement gérer ce nouveau travail, il se découvre une petite sœur de quatre ans, Ayako, chose incongrue vue l'âge avancé de sa mère. C'est intrigué par l'arrivée de cette enfant qu'il va découvrir l'ignoble vérité et entraîner chacun des siens dans une lente et terrible chute...

Créé dans les années 70, ce manga est à grandement déconseiller aux âmes sensibles. Dur, violent et érotique il mélange faits historiques et romancés, nous égarant parfois. Bien que le mangaka se soit inspiré des dessins de Walt Disney, pour ce qui deviendra la base du manga, on est en droit de se demander si une certaine défiance envers le pays de son grand inspirateur n'aurait pas motivé cette création, au vu du comportement des Américains envers les insulaires à cette période ? Mais laissons les hypothèses de côté pour en venir au scénario.

Le titre est déjà par lui-même intrigant. Dans le premier volume, l'auteur nous invite d'abord à découvrir comment le Japon s'est reconstruit après sa défaite, incluant de vrais faits divers et des événements historiques à la fiction. On suit alors un personnage qui n'était pas revenu depuis des années au pays, car prisonnier de guerre, celui de Tenge Jirou, pensant qu'il sera le héros. Et étrangement, alors qu'il était prisonnier, il semble savoir où en est son pays, contrairement au lecteur qui patauge dans un univers qu'il ne connaît pas. On contourne d'ailleurs le côté pauvreté et famine, tel qu'il est dépeint dans le Tombeau des Lucioles. Ce qui intéresse Tezuka, c'est avant tout la partie politique avec ses intrigues, ses enjeux et les moyens utilisés par certains pour dominer le Japon, ainsi que l'influence qu'ils peuvent avoir sur le pays même. Il fait un parallèle entre l'éveil du Japon à la modernité et la famille Tenge qui intrigue pour conserver sa position dominante au sein de son village, qui n'est en fait que le résidu d'un fort sentiment de fierté alors qu'il a perdu la plupart de ses possessions terriennes.


Dans ce contexte, les Américains mènent définitivement le jeu, imposant leurs idéaux en se débarrassant d'opposants qu'ils considèrent comme trop dangereux à leurs plans. Jirou est alors le parfait instrument, n'ayant rien à perdre puisqu'il sait bien qu'il est non seulement une honte pour sa famille, ayant survécu, mais surtout qu'il n'héritera de rien compte tenu de sa position de cadet. Et tout le monde au sein de sa propre famille le lui fait bien sentir. C'est sans doute à cause de cela qu'il ne ressent aucun véritable remords à supprimer le petit ami de sa sœur Naoko, ou à violenter des femmes.
Mais alors, pourquoi donc nommer le manga Ayako et pas « Chroniques des Tenge », vu le peu de place que prend la petite fille ? Et bien il faut attendre la fin du tome 1 pour découvrir ce qui fera d'Ayako l'héroïne du manga. Totalement innocente, ne pesant pas la portée de ses paroles lorsqu'elle fait des révélations à la police, elle deviendra aussi encombrante que son frère. Elle symbolise ainsi le Japon de cette époque; un petit pays recroquevillé sur lui-même et dépendant de son entourage, mis sous tutelle. Et finalement, comme il a su le faire grâce aux avancées technologiques, il s'est imposé à tous, paradant dans ses jolis atours, faussement innocents. Pourtant, on ne parvient jamais vraiment à savoir si elle sait vraiment ce qu'elle fait ou si jouer les ignorantes l'arrange...Il reste que la tourmente dans laquelle se retrouve le pays du Soleil Levant et la famille Tenge est bel et bien la plus forte.


Le dessin, lui, paraît bien grossier pour un sujet aussi sensible. Pourtant, ça fonctionne parfaitement. Il n'est que le véhicule du récit, et tout comme dans Bouddha dont certains passages étaient tantôt mystiques, tantôt dramatiques, il sert à illustrer les événements. Pas besoin de visages sublimes, pas besoin de personnages dans les clous anatomiquement, et pas besoin de montrer une étreinte dans ses moindres détails pour expliquer ce qui se passe concrètement. Tout est ordonné de manière à conduire le lecteur vers l'épisode suivant.
On ressent la dureté de la vie, et celle de personnages comme Genrou ou Ichirou qui sont les dirigeants du clan Tenge, oeuvrant davantage pour leur satisfaction personnelle que pour leur entourage. Ils en imposent clairement, tandis que les femmes comme la mère ou Sué sont soumises, avec leurs vêtements traditionnels. Naoko et Jirou, eux, incarnent leur époque avec des tenues occidentales, s'étant ouverts sur l'extérieur. Leur apparence porte leurs idées. Quant aux plus jeunes, Shiro et Ayako, leur évolution est encore plus flagrante puisqu'on les découvre de leur enfance à l'âge adulte, leurs tenues suivant la mode.
Et le découpage, très proche de nos BD occidentales, donne un côté sérieux. Il n'y a pas de bulles éclatées, même lorsque des protagonistes manifestent leur mécontentement. Pourtant, il arrive à Tezuka de se permettre de défigurer ses héros dans des rictus ridicules et des expressions totalement cartoonesques afin d'appuyer la tension de la scène.


C'est en cela que le Dieu du manga parvient à passer d'un genre à l'autre. Côté édition, Delcourt-Akata propose la réédition en trois volumes compacts. En effet, même en 2003 on trouvait peu de mangas aussi épais. Cependant, il valait mieux proposer cette édition, évitant le risque de perdre le lecteur sur une histoire aussi compliquée avec un rythme de parution plus long et des volumes plus courts. Heureusement, il ne manque pas d'explications et de lexique. Cette période nous étant totalement inconnue, il est peu évident pour un français de saisir les enjeux sans que le contexte ne soit précisé. Dans le cas présent, il était plus que judicieux d'inclure tout cela.


Et le travail de traduction est plus qu'honorable, tout comme l'absence de fautes.
Dans la veine des Trois Adolf et de MW, Ayako est un récit historique empreint d'une narration fictive qui paraît crédible. Les sombres secrets de la famille Tenge, la trahison de Jirou pour servir les intérêts américains, le contexte d'après-guerre, tout est fait pour servir véritablement ce roman-fleuve...

L'avis du chroniqueur
Persmegas

Samedi, 17 Novembre 2018
16.5 20


AYAKO © 2003 by Tezuka Productions

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