Culture Rencontre avec les éditions Issekinicho
Les éditions Issekinicho se spécialisent dans la parution d’ouvrages visant à dépeindre le Japon sous un angle nouveau. A la tête de l’éditeur, Alexandre Bonnefoy et Delphine Vaufrey s’appuient sur leur vécu, leurs expériences d’illustrateurs mais aussi leurs relations. Deux ans après notre première entrevue en 2013, nous avons eu la chance de retrouver ces deux jeunes éditeurs emplis de passion afin de faire un bilan des débuts d’Issekinocho, une conversation riche et pleine de précisions sur les premiers ouvrages publiés.
Bonjour Delphine et Alexandre. Tout d’abord, est-ce que « Issekinicho » a un sens particulier ?
Alexandre : Oui, ça veut dire « d’une pierre deux coups ».
Vous vous êtes lancés fin 2012 en auto-édition, puis en juin 2013 avec un diffuseur-distributeur en librairies. Quels étaient vos premiers ouvrages ?
Alexandre : Il s’agissait de Nekoland et Tokyo Ohanami, mais c’était en auto-édition. Quand on est passés en librairie, on a sorti une version améliorée de Nekoland ainsi que l’œuvre de Jordy qui s’intitule « Nippon no Haikyo », c’est un livre sur les lieux abandonnés au Japon.
Depuis, Nekoland est sorti à l’étranger, y compris en Allemagne aux éditions Ross. Vous avez fait un second ouvrage avec Jordy, sur la Corée du Nord. Peux-tu nous en parler ?
Alexandre : En fait, Jordy est spécialisé dans l’exploration de lieux insolites. Il a visité pas mal d’endroits au Japon et c’est en cherchant de la documentation sur des lieux abandonnés qu’il est tombé sur la photo d’un hôtel gigantesque. Il a découvert que l’hôtel se trouvait en Corée du Nord, il s’est aussitôt dit « Il faut que j’y aille ». J’étais encore au Japon quand il m’a appelé pour me dire qu’il avait obtenu son visa touriste pour aller là-bas, qu’y aller avec son appareil photo ne posait aucuns soucis. C’est comme ça qu’il s’y est rendu deux semaines et est revenu avec beaucoup de photographies ainsi qu’un récit de voyage.
Il a d’abord fait son compte-rendu sur son blog et c’est lorsque nous sommes rentrés en France et que nous avons monté Issekinicho que je lui ai proposé d’en faire un livre sachant qu’il y avait énormément de choses à raconter.
Le livre est d’ailleurs sorti en 2014, il fait 148 pages et comprend une couverture cartonnée et de nombreuses photos, c’est un bouquin de luxe.
Peux-tu aussi nous parler de Saisons du Japon par Nancy ?
Alexandre : On lui a proposé le projet l’année dernière. On connait Nancy depuis une bonne dizaine d’années sachant que Delphine et moi sommes illustrateurs à la base. C’est une personne qu’on connaît par notre métier et notre blog, on la suit depuis très longtemps. Je connaissais son travail personnel depuis un moment, on a ensuite voulu travailler sur le livre de coloriage sur l’Asie sachant que ce qui était proposé en librairie dans ce domaine était assez médiocre. Le livre a en fait été fait sur mesure pour Nancy, c’est-à-dire qu’on ne l’aurait pas fait si ça ne l’avait pas intéressée. Quand je lui ai proposé le sujet, elle a été ravie car c’est ce qu’elle attendait qu’on lui propose. Elle a ensuite travaillé dessus pendant quatre mois.
Le livre de coloriage est en fait un marché très compliqué parce qu’il y a un monopole de la part de Hachette, c’est difficile de s’implanter.
Delphine : C’est parce que c’est difficile de s’implanter sur ce marché qu’on a tenté d’avoir une valeur ajoutée, c’est pour ça que le livre est aussi un recueil de haïkus. Beaucoup de lecteurs nous disent qu’ils n’osent pas colorier mais qu’ils apprécient les poèmes. C’est pour ça que Maisons du Japon n’est pas forcément qu’un livre de coloriage, c’est aussi un bel ouvrage.
Vous pouvez expliquer ce que sont les haïkus ?
Alexandre : Ce sont des poèmes très courts, en trois phrases. Dans le livre, ils sont en version japonaise, en version romaji et enfin en version française. Il s’agit cependant d’une nouvelle traduction vu que les traductions qu’on a trouvées initialement étaient approximatives, on a dû les retravailler.
Vous avez fait appel à quelqu’un pour ce travail de traduction ?
Alexandre : C’est moi qui m’en suis chargé. (rires) Je me suis rendu compte que certains détails avaient été éliminés sachant qu’à la base, les traducteurs français ont essayé de respecter la longueur des haïkus. Seulement, certaines subtilités ont été supprimées, on a donc préféré ne pas respecter la longueur des poèmes mais conserver ces subtilités.
Peux-tu nous donner un exemple ?
Alexandre : J’ai en exemple un haïku sur les fleurs : « Cette nuit, les fleurs sont devenues fruits ». Ce qui était indiqué par les kanji était que les fleurs étaient en réalité des fleurs de cerisier, ce qui avait été supprimé dans la traduction d’origine. C’est ce genre de nuances qu’on retrouvait.
Delphine : En fait, « sakura » avait été simplement traduit par « fleurs ».
Alexandre : J’ai commencé à lire les haïkus et me suis rendu compte de ces erreurs, c’est à ce moment qu’on a décidé de tout refaire. Effectivement, c’est ce genre de nuance pour mieux coller au style des haïkus que nous avons trouvé.
Est-ce que vous avez choisi les haïkus pour que Nancy fasse les dessins en fonction, ou est-ce l’inverse qui s’est produit ?
Alexandre : On est partis sur le répertoire de trois auteurs classiques puis on a sélectionné une quarantaine ou une cinquantaine de haïkus. Le principe était de coller aux saisons vu que le livre s’intitule « Saisons du Japon », on devait retrouver ces indications. On n’est, par exemple, pas obligés de parler explicitement de l’automne, mais les feuilles qui tombent rappelleront ce moment de l’année.
On a ainsi proposé ces poèmes à Nancy afin qu’elle choisisse ceux qui l’intéressent, cela a abouti à une première sélection afin de faire un essai de mise en page pour voir quelles illustrations pouvaient être faites en doubles pages ou en simples pages. C’est finalement un jeu d’allers et retours entre l’auteure et nous.
Combien de haïkus avez-vous gardé sur la sélection initiale ?
Alexandre : Il me semble que nous en avons choisi vingt-cinq ou trente. Il y a beaucoup de doubles pages, tout en sachant qu’on a veillé à ce qu’il n’y ait pas une autre illustration derrière une page à colorier afin d’éviter que ceux qui colorient au feutre ne transperce le papier.
Delphine : Le papier est aussi assez épais, on l’a choisi en fonction de ces critères.
Comment s’est déroulée la sélection du papier ?
Alexandre : On avait nos échantillons de papiers, on les a tous essayés au feutre et au crayon de couleur pour voir ce qui rendait bien ou non. Certaines fibres de papier n’étaient pas forcément adaptées.
Delphine : On travaille beaucoup avec le papier munken qui est très adapté, notamment pour les pages photographiques. Selon nos titres, on a testé différents papiers comme le non-couché, c’est-à-dire qui a un aspect assez mat et qui absorbe beaucoup l’encre. On l’a utilisé sur la première édition de Nekoland.
Alexandre : Il est très agréable mais il rend moins bien pour les photos. Les noirs sont moins profonds.
Delphine : C’est pour ça qu’on a testé un papier différent pour la réédition, on a choisi un papier couché sur lequel le noir et la profondeur de la photographie ressortent mieux. En revanche, c’est plus froid au toucher. Tout ça pour dire que dans l’édition, ça nous intéresse de travailler l’objet livre en lui-même.
Alexandre : Le choix du papier est l’une des premières choses à voir quand on fait un livre. Il faut vérifier le format, le papier et l’épaisseur.
Comment choisissez-vous le format ?
Alexandre : Ça dépend du contenu. Par exemple, pour un livra de photographies, on optera pour un format paysage afin d’avoir un meilleur rendu. Pour de la bande-dessinée, on sera sur un autre type de format. Tout est histoire de confort, on commencera par imprimer des planches, pour voir à 100% et 200% le rendu, ce qui est confortable et ce qui l’est moins… On joue vraiment sur le fait que le livre est un objet à manipuler, à toucher… Si c’est un album avec photos, il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de reflet. Pour un livre de coloriage il faudra qu’on puisse colorier de façon agréable etc.
On a un carnet de beaucoup de papetiers en Europe, on a demandé un échantillon de tout ce qui était possible sachant que le choix du papier est la première étape.
Comment vous répartissez-vous le travail ? Cela dépend du projet ?
Delphine : Tout à fait, ça va dépendre du projet. Pour ma part, je suis encore illustratrice. On va dire qu’Alexandre s’occupe à 80% du travail sur la maison d’édition et moi 20%. J’ai en charge le site internet qui est un site de vente en ligne, les réseaux sociaux, les relations presse et la communication en général puisqu’on fait tout sachant qu’on n’est que deux. Ce sont des choses qu’on apprend à faire au fil du temps sachant qu’on est illustrateurs de base.
Alexandre : Delphine intervient dans les choix. J’amorce en prenant quelques initiatives et elle me donne son retour. On est parfois enflammés sur un projet en pensant qu’on tient l’idée du siècle alors que finalement pas tant que ça et que les lecteurs ne seront pas forcément intéressés, les libraires non plus.
Comment on définit ce qui pourrait intéresser les lecteurs ?
Delphine : C’est compliqué. Ce n’est pas la première chose à laquelle on pense puisqu’on cherche d’abord à se faire plaisir.
Alexandre : On va d’abord se lancer sur un projet en essayant de faire des pages… On voit aussi quels auteurs nous intéressent.
Quelles sont les études que vous avez suivies pour devenir illustrateurs ?
Delphine : On sort tous les deux d’un BTS Communication Visuelle, cela nous a donné une vision assez globale sur la photographie, la vidéo, la typographie, les métiers du livre… J’ai ensuite fait l’école des arts décoratifs à Strasbourg avec une spécialisation illustration et majoritairement jeunesse pour nous deux. On a commencé avec les magazines chez Milan Presse, des documentaires, des livres de conte.
Alexandre : Au final, notre travail s’arrêtait au rendu des illustrations ce qui n’impliquait pas de maquette, ni de fabrication…
Du coup, comment avez-vous appris les techniques au-delà de l’illustration ?
Alexandre : On a fait beaucoup de mise en page durant le BTS. On travaillait très peu en graphisme et en illustration à ce moment, c’est après le diplôme qu’on s’y est mis. Durant le BTS, on a fait des stages en imprimerie et en agence de communication, on avait déjà des bases à partir de ces expériences. On a ensuite corrigé le tir au fur et à mesure des ouvrages. On est très exigeants, aussi on essaie de repérer nos erreurs à partir du livre qu’on reçoit pour les corriger.
Delphine : Concernant la communication et la comptabilité, on apprend au fur et à mesure. On apprend finalement d’autres spécialités auxquelles on ne pensait pas être confrontés un jour.
Il y a aussi l’amour de diriger son projet de A à Z, non ? Mis à part la diffusion/distribution…
Alexandre : C’est vrai qu’on ne savait pas trop comment la diffusion/distribution fonctionnait au démarrage. On a eu du mal à trouver un partenaire sachant qu’on est arrivés avec de tout petits tirages de deux ouvrages, de petits volumes, en précisant qu’on comptait sortir deux livres par an en 1500 exemplaires environ… Ce n’était pas vendeur et ça ne les intéressait pas alors que les libraires eux-mêmes nous conseillaient des diffuseurs qui nous avaient pourtant recalés pour des histoires de volumes.
Concernant l’ouvrage collectif Kokekokkô, comment s’est déroulée la sélection des auteurs ?
Alexandre : On les connait d’ailleurs depuis longtemps par le milieu de l’illustration parce qu’on a fait des salons ensemble. On a connu Remy, auteur de Café Salé chez Ankama qui va d’ailleurs être réédité, au TGS parce qu’on était ensemble pour des dédicaces. Il m’a recontacté pour qu’on fasse un projet ensemble mais vu qu’on est une petite structure, c’était difficile et j’ai dû me creuser la tête. L’idée n’était peut-être pas de faire un ouvrage complet de 100 pages avec un auteur mais de faire une tribune sur le Japon avec différents artistes.
Delphine : On avait deux ou trois idées d’auteurs au départ puis on en a contacté deux ou trois autres pour arriver à seize au final.
Vous avez réduit les auteurs à seize ou, au contraire, vous êtes partis de peu d’intervenants pour arriver à ce chiffre au final ?
Alexandre : J’ai au départ contacté douze personnes, toutes ont dit oui. Puis, au fur et à mesure, je me suis rendu compte que des personnes que je connaissais avaient déjà produit du contenu sur le Japon. Le temps de production de l’ouvrage était assez court, j’ai pourquoi j’ai contacté ces personnes pour leur demander si réutiliser leurs écrits, souvent pour leurs blogs, les intéresseraient. Il y a aussi le cas où certaines productions n’étaient pas assez mises en valeur sur ces blogs, c’est le cas de Yatuu qui a refait toutes ses planches, ce ne sont pas celles de son blog qui sont reprises dans Kokekokkô, et même chose pour Nini.
Le choix était tout de même très libre, les auteurs pouvaient soient réutiliser quelque chose de déjà fait, soit de partir dans une nouvelle idée complète.
Il n’y a donc pas de fil conducteur qui relie les histoires et les anecdotes ?
Delphine : Non vu qu’il y avait carte blanche donnée à chaque auteur. Le point commun est simplement le Japon même si tous n’y ont pas vécu, certains y sont simplement partis en vacances et racontent leur expérience.
Alexandre : C’est très intéressant parce que certains auteurs sont complètement émerveillés, et d’autres comme Remka sont là-bas depuis huit ans et ne voient plus que les éléments négatifs. (rires)
Au final, le rendu est intéressant puisqu’on passe de la joie au blues. L’idée est de proposer une multitude de points de vue pour ne pas simplement proposer des livres de promotion du Japon. C’est pareil pour Nekoland qui montre des chats pas toujours en bonne santé, il y a du beau et du triste. On aime justement le fait de ne pas faire quelque chose de trop lisse.
Kokekokkô est ressorti en septembre sous un format plus souple, pouvez-vous nous en parler ?
Alexandre : Ca ne tiendrait qu’à nous, on aurait sorti une belle version cartonnée. Le livre est réédité après un an, il fallait donc savoir si tous les publics avaient été touchés et si les libraires étaient encore intéressés. Il fallait donc faire un compromis par rapport à un livre plus petit et souple donc moins cher.
Delphine : Ce n’est plus une nouveauté, il lui sera donc plus difficile de trouver sa place en librairie.
Alexandre : On travaille sur peu de livres dans l’année, là était donc toute la difficulté. On ne pouvait pas s’imaginer que le livre fasse ses trois mois en librairie avant d’être pilonné, il faut faire vivre le stock et le livre doit donc être présent en librairies pendant une voire deux années. La version souple sonnait comme la bonne solution.
La première édition est tombée rapidement en rupture de stocks ?
Alexandre : Oui, au bout d’un an. Il y a eu une forte demande sachant que lorsqu’on a commencé à publier des livres photo, les gens nous demandaient quand on allait sortir notre blog en BD. On n’avait pas forcément envie de le faire, d’abord parce que certaines choses ont été publiées sur le blog sur le vif, il s’agissait de petites notes avec un commentaire donc des publications dynamiques et interactives. Publié simplement dans une BD et donc sorti du contexte, ça ne sonne pas si drôle que ça. Avec Kokekokkô, on a dont vu l’occasion de s’immiscer dedans à travers une petite partie entièrement réécrite pour la BD.
Delphine : On venait de créer la maison d’édition, on avait aussi envie de partager le travail d’autres auteurs, c’était donc le moment d’ouvrir notre projet à d’autres personnes.
Nous n’avons pas encore parlé de Destination Tokyo, avez-vous quelque chose à dire dessus ?
Alexandre : Delphine et moi nous chargeons de l’illustration de cet ouvrage. L’idée de base était de créer un livre sur le Japon un peu moins sérieux, avec des petits jeux. Le principe était par exemple de tuer l’ennui lors d’un voyage de douze heures en avion, de s’occuper avec un livre. C’était l’amorce de l’ouvrage, mais il faut retenir que c’est un livre de jeux pour parler du Japon, mais ça peut aussi être un livre intéressant à faire pour se plonger dans l’ambiance nippone en préparer son voyage, ou au contraire lors du retour pour se la remémorer.
On suit en fait deux personnes qui préparent leur voyage, puis les différentes étapes de leur parcours à travers des activités.
Delphine : Il y a des jeux de recherche et d’intrus, des sudoku, des points à relier… Le tout est ponctué par différentes anecdotes et informations sur le Japon.
Pour les illustrations, est-il possible de vous reconnaître ? Et vos deux styles sont assez proches ?
Delphine : On a peut-être des styles très proches parce qu’on sort tous les deux de l’illustration jeunesse, mais je pense que ceux qui ont suivi notre blog reconnaîtront qui a fait quoi.
Vous sortez donc deux ouvrages par an, mais combien de temps cela prend-il de publier un seul livre ?
Alexandre : Souvent, le travail sur les livres va se chevaucher. On pourra ainsi être sur la maquette et la relecture d’un ouvrage pendant qu’on commence à se pencher sur le suivant. C’est d’ailleurs assez compliqué parce qu’il faut s’occuper des relations presse d’un livre pendant qu’on en attaque un autre. On peut dire qu’il nous faut six mois pour finaliser un bouquin.
Quel est votre dernier projet en date ?
Alexandre : C’est un recueil de nouvelles destiné plutôt aux 13-14 ans. L’auteur est assez connu et s’appelle Lafcadio Hearn, il a consigné des nouvelles de fantômes japonais au début du siècle. C’est d’ailleurs l’un des premiers anglais à avoir été naturalisé japonais. Il est arrivé au Japon en tant que journaliste avant de devenir professeur de langues à Tokyo puis a épousé une japonaise et a pris la nationalité. C’est pendant la dernière partie de sa vie qu’il a consigné ces histoires du folklore japonais. On lui doit beaucoup, c’est notamment Kyoko Mizuki qui parle de Lafcadio dans ses livres et le cite. On a donc lu beaucoup d’histoires publiées par cet auteur.
Comment avez-vous découvert Lafcadio ?
Delphine : Un peu par hasard, à la bibliothèque en cherchant des contes japonais. On cherchait des thématiques dans les anciens contes où les yokai revenaient souvent. On est tombés sur cet auteur, notamment sur une histoire qui est restée inachevée intitulée « In a cup of tea », elle raconte l’histoire d’un samouraï qui voit son reflet dans un verre de thé et qui le boit.
Alexandre : Le samouraï avale en fait un fantôme et va être maudit. L’histoire s’arrête quand les vassaux du samouraï qu’il a avalé viennent lui dire que dans trois semaines, ils viendront se venger. L’histoire nous a beaucoup intéressée puisqu’on voulait une suite, d’autant plus qu’il est libre de droits car assez ancien. On a retrouvé la version anglaise de l’ouvrage puis on l’a traduit puisque la version française, elle, n’est pas libre de droits. On a ensuite proposé à trois romanciers rencontrés sur des salons d’écrire la suite.
Delphine : Ils avaient tous un rapport avec le Japon ou ont déjà écrit sur le Japon, il ne s’agissait donc pas d’un Japon fantasmé.
Alexandre : On n’a pas indiqué aux auteurs ce que les autres écrivaient afin qu’il n’y ait pas d’influences. On a eu vraiment de la chance puisqu’un auteur a expliqué ce qu’il s’est passé avant, un autre a raconté l’histoire et l’autre a inventé une suite dans un Japon contemporain. On a trois récits finalement différents, on est très contents du résultat. On avait peur car on ne savait pas ce qui pouvait être produit mais on est finalement satisfaits.
Il y aura quelques illustrations ?
Alexandre : Oui, en noir et blanc. Une nouvelle sera illustrée par Nancy qui fait aussi la couverture du livre, une autre sera illustrée par Rémi et une autre sera illustrée par Valder qui est un illustrateur aussi rencontré sur un salon. Le salons sont intéressants pour ça puisque c’est l’occasion de voir le travail des autres, leur univers et juger leur implication. Le but est de proposer un texte qui correspond à un univers, pas de donner des directives. Valder avait dessiné une BD sur Tokyo présentant un personnage passant de mondes réels à un monde fantasmé. La dernière nouvelle se passe dans un Japon contemporain, dans un univers de fantômes. Ca collait donc complètement à son univers, je l’ai d’autant plus remarqué quand j’ai reçu la dernière nouvelle de l’auteur.
On essaie ainsi de bien connaître les illustrateurs et leur travail personnel. Certains se plient aux demandes d’éditeurs mais ont finalement une personnalité et un style graphique différent, c’est ça qu’on va regarder.
Delphine : C’est vrai qu’en tant qu’illustrateurs, on connaît bien le travail de commande qui nous oblige à avoir un certain style qui n’est pas ce qu’on cherche à faire personnellement.
Alexandre : On essaie de voir ce que l’auteur a envie de faire afin de le laisser libre. Evidemment, on lui demande de corriger s’il y a une méprise par rapport au texte mais on ne touche en général pas au style de l’artiste. On connaît cette frustration en tant qu’illustrateurs, on a donc pas à intervenir sur le style. C’est aussi ce qu’apprécient les illustrateurs avec lesquels on travaille, on parle le même langage. Ca les rassure énormément.
Est-ce qu’il y a des artistes avec lesquels vous aimeriez travailler, mais vous n’en n’avez pas encore eu l’occasion ?
Delphine : Hmmm… Ça se fait au fur et à mesure, par le biais de rencontres. C’est difficile à dire…
Alexandre : Sur Kokekokkô, on a travaillé avec beaucoup d’auteurs mais on aimerait avoir des projets longs avec certains.
Est-ce qu’il y a un planning de plusieurs projets déjà en route ?
Alexandre : C’est compliqué parce qu’on doit travailler la promotion d’anciens titres et lancer de nouveaux projets en même temps. C’est parfois décidé au dernier moment, mais c’est difficile d’avoir un vrai planning.
Delphine : On essaie de ne pas trop s’emballer sur la production puisqu’on a maintenant un diffuseur/distributeur qui nous pousse à justement produire des livres. On est autour de deux ou trois livres par an, on préfère ça plutôt que d’éditer des livres à la chaîne et baisser notre qualité.
Alexandre : Par exemple, on sait qu’on aura un livre début octobre, donc dans un an. Les diffuseurs se sont tout de suite affolés en pensant qu’on ne publierait rien entre temps, ce qui serait associé aux retours, aux difficultés financières… Il faut que les livres soient bons car si c’est le cas, ils se vendront toute l’année. Notre objectif n’est pas de publier des livres au rabais. Si on en arrive là, c’est qu’on aura raté nos ambitions. A la rigueur, on fait ça en tant qu’illustrateurs pour d’autres éditeurs, mais c’est dommage de se lancer dans l’édition pour produire ce genre d’ouvrages.
Ou pourra-t-on vous retrouver prochainement ?
Delphine : On sera à Nancy à l’Anim’Est les 14 et 15 novembre, puis au salon du livre de Colmar les 20 et 21 novembre, et enfin au TGS les 28 et 29 novembre.
Alexandre : Novembre est un mois très chargé. L’année prochaine, Made in Asia nous est confirmé en mars, puis le salon du livre de Paris le week-end d’après. Pour ce dernier, le square thématique sera le voyage et le récit d’aventures.
Bonjour Delphine et Alexandre. Tout d’abord, est-ce que « Issekinicho » a un sens particulier ?
Alexandre : Oui, ça veut dire « d’une pierre deux coups ».
Vous vous êtes lancés fin 2012 en auto-édition, puis en juin 2013 avec un diffuseur-distributeur en librairies. Quels étaient vos premiers ouvrages ?
Alexandre : Il s’agissait de Nekoland et Tokyo Ohanami, mais c’était en auto-édition. Quand on est passés en librairie, on a sorti une version améliorée de Nekoland ainsi que l’œuvre de Jordy qui s’intitule « Nippon no Haikyo », c’est un livre sur les lieux abandonnés au Japon.
Depuis, Nekoland est sorti à l’étranger, y compris en Allemagne aux éditions Ross. Vous avez fait un second ouvrage avec Jordy, sur la Corée du Nord. Peux-tu nous en parler ?
Alexandre : En fait, Jordy est spécialisé dans l’exploration de lieux insolites. Il a visité pas mal d’endroits au Japon et c’est en cherchant de la documentation sur des lieux abandonnés qu’il est tombé sur la photo d’un hôtel gigantesque. Il a découvert que l’hôtel se trouvait en Corée du Nord, il s’est aussitôt dit « Il faut que j’y aille ». J’étais encore au Japon quand il m’a appelé pour me dire qu’il avait obtenu son visa touriste pour aller là-bas, qu’y aller avec son appareil photo ne posait aucuns soucis. C’est comme ça qu’il s’y est rendu deux semaines et est revenu avec beaucoup de photographies ainsi qu’un récit de voyage.
Il a d’abord fait son compte-rendu sur son blog et c’est lorsque nous sommes rentrés en France et que nous avons monté Issekinicho que je lui ai proposé d’en faire un livre sachant qu’il y avait énormément de choses à raconter.
Le livre est d’ailleurs sorti en 2014, il fait 148 pages et comprend une couverture cartonnée et de nombreuses photos, c’est un bouquin de luxe.
Peux-tu aussi nous parler de Saisons du Japon par Nancy ?
Alexandre : On lui a proposé le projet l’année dernière. On connait Nancy depuis une bonne dizaine d’années sachant que Delphine et moi sommes illustrateurs à la base. C’est une personne qu’on connaît par notre métier et notre blog, on la suit depuis très longtemps. Je connaissais son travail personnel depuis un moment, on a ensuite voulu travailler sur le livre de coloriage sur l’Asie sachant que ce qui était proposé en librairie dans ce domaine était assez médiocre. Le livre a en fait été fait sur mesure pour Nancy, c’est-à-dire qu’on ne l’aurait pas fait si ça ne l’avait pas intéressée. Quand je lui ai proposé le sujet, elle a été ravie car c’est ce qu’elle attendait qu’on lui propose. Elle a ensuite travaillé dessus pendant quatre mois.
Le livre de coloriage est en fait un marché très compliqué parce qu’il y a un monopole de la part de Hachette, c’est difficile de s’implanter.
Delphine : C’est parce que c’est difficile de s’implanter sur ce marché qu’on a tenté d’avoir une valeur ajoutée, c’est pour ça que le livre est aussi un recueil de haïkus. Beaucoup de lecteurs nous disent qu’ils n’osent pas colorier mais qu’ils apprécient les poèmes. C’est pour ça que Maisons du Japon n’est pas forcément qu’un livre de coloriage, c’est aussi un bel ouvrage.
Vous pouvez expliquer ce que sont les haïkus ?
Alexandre : Ce sont des poèmes très courts, en trois phrases. Dans le livre, ils sont en version japonaise, en version romaji et enfin en version française. Il s’agit cependant d’une nouvelle traduction vu que les traductions qu’on a trouvées initialement étaient approximatives, on a dû les retravailler.
Vous avez fait appel à quelqu’un pour ce travail de traduction ?
Alexandre : C’est moi qui m’en suis chargé. (rires) Je me suis rendu compte que certains détails avaient été éliminés sachant qu’à la base, les traducteurs français ont essayé de respecter la longueur des haïkus. Seulement, certaines subtilités ont été supprimées, on a donc préféré ne pas respecter la longueur des poèmes mais conserver ces subtilités.
Peux-tu nous donner un exemple ?
Alexandre : J’ai en exemple un haïku sur les fleurs : « Cette nuit, les fleurs sont devenues fruits ». Ce qui était indiqué par les kanji était que les fleurs étaient en réalité des fleurs de cerisier, ce qui avait été supprimé dans la traduction d’origine. C’est ce genre de nuances qu’on retrouvait.
Delphine : En fait, « sakura » avait été simplement traduit par « fleurs ».
Alexandre : J’ai commencé à lire les haïkus et me suis rendu compte de ces erreurs, c’est à ce moment qu’on a décidé de tout refaire. Effectivement, c’est ce genre de nuance pour mieux coller au style des haïkus que nous avons trouvé.
Est-ce que vous avez choisi les haïkus pour que Nancy fasse les dessins en fonction, ou est-ce l’inverse qui s’est produit ?
Alexandre : On est partis sur le répertoire de trois auteurs classiques puis on a sélectionné une quarantaine ou une cinquantaine de haïkus. Le principe était de coller aux saisons vu que le livre s’intitule « Saisons du Japon », on devait retrouver ces indications. On n’est, par exemple, pas obligés de parler explicitement de l’automne, mais les feuilles qui tombent rappelleront ce moment de l’année.
On a ainsi proposé ces poèmes à Nancy afin qu’elle choisisse ceux qui l’intéressent, cela a abouti à une première sélection afin de faire un essai de mise en page pour voir quelles illustrations pouvaient être faites en doubles pages ou en simples pages. C’est finalement un jeu d’allers et retours entre l’auteure et nous.
Combien de haïkus avez-vous gardé sur la sélection initiale ?
Alexandre : Il me semble que nous en avons choisi vingt-cinq ou trente. Il y a beaucoup de doubles pages, tout en sachant qu’on a veillé à ce qu’il n’y ait pas une autre illustration derrière une page à colorier afin d’éviter que ceux qui colorient au feutre ne transperce le papier.
Delphine : Le papier est aussi assez épais, on l’a choisi en fonction de ces critères.
Comment s’est déroulée la sélection du papier ?
Alexandre : On avait nos échantillons de papiers, on les a tous essayés au feutre et au crayon de couleur pour voir ce qui rendait bien ou non. Certaines fibres de papier n’étaient pas forcément adaptées.
Delphine : On travaille beaucoup avec le papier munken qui est très adapté, notamment pour les pages photographiques. Selon nos titres, on a testé différents papiers comme le non-couché, c’est-à-dire qui a un aspect assez mat et qui absorbe beaucoup l’encre. On l’a utilisé sur la première édition de Nekoland.
Alexandre : Il est très agréable mais il rend moins bien pour les photos. Les noirs sont moins profonds.
Delphine : C’est pour ça qu’on a testé un papier différent pour la réédition, on a choisi un papier couché sur lequel le noir et la profondeur de la photographie ressortent mieux. En revanche, c’est plus froid au toucher. Tout ça pour dire que dans l’édition, ça nous intéresse de travailler l’objet livre en lui-même.
Alexandre : Le choix du papier est l’une des premières choses à voir quand on fait un livre. Il faut vérifier le format, le papier et l’épaisseur.
Comment choisissez-vous le format ?
Alexandre : Ça dépend du contenu. Par exemple, pour un livra de photographies, on optera pour un format paysage afin d’avoir un meilleur rendu. Pour de la bande-dessinée, on sera sur un autre type de format. Tout est histoire de confort, on commencera par imprimer des planches, pour voir à 100% et 200% le rendu, ce qui est confortable et ce qui l’est moins… On joue vraiment sur le fait que le livre est un objet à manipuler, à toucher… Si c’est un album avec photos, il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de reflet. Pour un livre de coloriage il faudra qu’on puisse colorier de façon agréable etc.
On a un carnet de beaucoup de papetiers en Europe, on a demandé un échantillon de tout ce qui était possible sachant que le choix du papier est la première étape.
Comment vous répartissez-vous le travail ? Cela dépend du projet ?
Delphine : Tout à fait, ça va dépendre du projet. Pour ma part, je suis encore illustratrice. On va dire qu’Alexandre s’occupe à 80% du travail sur la maison d’édition et moi 20%. J’ai en charge le site internet qui est un site de vente en ligne, les réseaux sociaux, les relations presse et la communication en général puisqu’on fait tout sachant qu’on n’est que deux. Ce sont des choses qu’on apprend à faire au fil du temps sachant qu’on est illustrateurs de base.
Alexandre : Delphine intervient dans les choix. J’amorce en prenant quelques initiatives et elle me donne son retour. On est parfois enflammés sur un projet en pensant qu’on tient l’idée du siècle alors que finalement pas tant que ça et que les lecteurs ne seront pas forcément intéressés, les libraires non plus.
Comment on définit ce qui pourrait intéresser les lecteurs ?
Delphine : C’est compliqué. Ce n’est pas la première chose à laquelle on pense puisqu’on cherche d’abord à se faire plaisir.
Alexandre : On va d’abord se lancer sur un projet en essayant de faire des pages… On voit aussi quels auteurs nous intéressent.
Quelles sont les études que vous avez suivies pour devenir illustrateurs ?
Delphine : On sort tous les deux d’un BTS Communication Visuelle, cela nous a donné une vision assez globale sur la photographie, la vidéo, la typographie, les métiers du livre… J’ai ensuite fait l’école des arts décoratifs à Strasbourg avec une spécialisation illustration et majoritairement jeunesse pour nous deux. On a commencé avec les magazines chez Milan Presse, des documentaires, des livres de conte.
Alexandre : Au final, notre travail s’arrêtait au rendu des illustrations ce qui n’impliquait pas de maquette, ni de fabrication…
Du coup, comment avez-vous appris les techniques au-delà de l’illustration ?
Alexandre : On a fait beaucoup de mise en page durant le BTS. On travaillait très peu en graphisme et en illustration à ce moment, c’est après le diplôme qu’on s’y est mis. Durant le BTS, on a fait des stages en imprimerie et en agence de communication, on avait déjà des bases à partir de ces expériences. On a ensuite corrigé le tir au fur et à mesure des ouvrages. On est très exigeants, aussi on essaie de repérer nos erreurs à partir du livre qu’on reçoit pour les corriger.
Delphine : Concernant la communication et la comptabilité, on apprend au fur et à mesure. On apprend finalement d’autres spécialités auxquelles on ne pensait pas être confrontés un jour.
Il y a aussi l’amour de diriger son projet de A à Z, non ? Mis à part la diffusion/distribution…
Alexandre : C’est vrai qu’on ne savait pas trop comment la diffusion/distribution fonctionnait au démarrage. On a eu du mal à trouver un partenaire sachant qu’on est arrivés avec de tout petits tirages de deux ouvrages, de petits volumes, en précisant qu’on comptait sortir deux livres par an en 1500 exemplaires environ… Ce n’était pas vendeur et ça ne les intéressait pas alors que les libraires eux-mêmes nous conseillaient des diffuseurs qui nous avaient pourtant recalés pour des histoires de volumes.
Concernant l’ouvrage collectif Kokekokkô, comment s’est déroulée la sélection des auteurs ?
Alexandre : On les connait d’ailleurs depuis longtemps par le milieu de l’illustration parce qu’on a fait des salons ensemble. On a connu Remy, auteur de Café Salé chez Ankama qui va d’ailleurs être réédité, au TGS parce qu’on était ensemble pour des dédicaces. Il m’a recontacté pour qu’on fasse un projet ensemble mais vu qu’on est une petite structure, c’était difficile et j’ai dû me creuser la tête. L’idée n’était peut-être pas de faire un ouvrage complet de 100 pages avec un auteur mais de faire une tribune sur le Japon avec différents artistes.
Delphine : On avait deux ou trois idées d’auteurs au départ puis on en a contacté deux ou trois autres pour arriver à seize au final.
Vous avez réduit les auteurs à seize ou, au contraire, vous êtes partis de peu d’intervenants pour arriver à ce chiffre au final ?
Alexandre : J’ai au départ contacté douze personnes, toutes ont dit oui. Puis, au fur et à mesure, je me suis rendu compte que des personnes que je connaissais avaient déjà produit du contenu sur le Japon. Le temps de production de l’ouvrage était assez court, j’ai pourquoi j’ai contacté ces personnes pour leur demander si réutiliser leurs écrits, souvent pour leurs blogs, les intéresseraient. Il y a aussi le cas où certaines productions n’étaient pas assez mises en valeur sur ces blogs, c’est le cas de Yatuu qui a refait toutes ses planches, ce ne sont pas celles de son blog qui sont reprises dans Kokekokkô, et même chose pour Nini.
Le choix était tout de même très libre, les auteurs pouvaient soient réutiliser quelque chose de déjà fait, soit de partir dans une nouvelle idée complète.
Il n’y a donc pas de fil conducteur qui relie les histoires et les anecdotes ?
Delphine : Non vu qu’il y avait carte blanche donnée à chaque auteur. Le point commun est simplement le Japon même si tous n’y ont pas vécu, certains y sont simplement partis en vacances et racontent leur expérience.
Alexandre : C’est très intéressant parce que certains auteurs sont complètement émerveillés, et d’autres comme Remka sont là-bas depuis huit ans et ne voient plus que les éléments négatifs. (rires)
Au final, le rendu est intéressant puisqu’on passe de la joie au blues. L’idée est de proposer une multitude de points de vue pour ne pas simplement proposer des livres de promotion du Japon. C’est pareil pour Nekoland qui montre des chats pas toujours en bonne santé, il y a du beau et du triste. On aime justement le fait de ne pas faire quelque chose de trop lisse.
Kokekokkô est ressorti en septembre sous un format plus souple, pouvez-vous nous en parler ?
Alexandre : Ca ne tiendrait qu’à nous, on aurait sorti une belle version cartonnée. Le livre est réédité après un an, il fallait donc savoir si tous les publics avaient été touchés et si les libraires étaient encore intéressés. Il fallait donc faire un compromis par rapport à un livre plus petit et souple donc moins cher.
Delphine : Ce n’est plus une nouveauté, il lui sera donc plus difficile de trouver sa place en librairie.
Alexandre : On travaille sur peu de livres dans l’année, là était donc toute la difficulté. On ne pouvait pas s’imaginer que le livre fasse ses trois mois en librairie avant d’être pilonné, il faut faire vivre le stock et le livre doit donc être présent en librairies pendant une voire deux années. La version souple sonnait comme la bonne solution.
La première édition est tombée rapidement en rupture de stocks ?
Alexandre : Oui, au bout d’un an. Il y a eu une forte demande sachant que lorsqu’on a commencé à publier des livres photo, les gens nous demandaient quand on allait sortir notre blog en BD. On n’avait pas forcément envie de le faire, d’abord parce que certaines choses ont été publiées sur le blog sur le vif, il s’agissait de petites notes avec un commentaire donc des publications dynamiques et interactives. Publié simplement dans une BD et donc sorti du contexte, ça ne sonne pas si drôle que ça. Avec Kokekokkô, on a dont vu l’occasion de s’immiscer dedans à travers une petite partie entièrement réécrite pour la BD.
Delphine : On venait de créer la maison d’édition, on avait aussi envie de partager le travail d’autres auteurs, c’était donc le moment d’ouvrir notre projet à d’autres personnes.
Nous n’avons pas encore parlé de Destination Tokyo, avez-vous quelque chose à dire dessus ?
Alexandre : Delphine et moi nous chargeons de l’illustration de cet ouvrage. L’idée de base était de créer un livre sur le Japon un peu moins sérieux, avec des petits jeux. Le principe était par exemple de tuer l’ennui lors d’un voyage de douze heures en avion, de s’occuper avec un livre. C’était l’amorce de l’ouvrage, mais il faut retenir que c’est un livre de jeux pour parler du Japon, mais ça peut aussi être un livre intéressant à faire pour se plonger dans l’ambiance nippone en préparer son voyage, ou au contraire lors du retour pour se la remémorer.
On suit en fait deux personnes qui préparent leur voyage, puis les différentes étapes de leur parcours à travers des activités.
Delphine : Il y a des jeux de recherche et d’intrus, des sudoku, des points à relier… Le tout est ponctué par différentes anecdotes et informations sur le Japon.
Pour les illustrations, est-il possible de vous reconnaître ? Et vos deux styles sont assez proches ?
Delphine : On a peut-être des styles très proches parce qu’on sort tous les deux de l’illustration jeunesse, mais je pense que ceux qui ont suivi notre blog reconnaîtront qui a fait quoi.
Vous sortez donc deux ouvrages par an, mais combien de temps cela prend-il de publier un seul livre ?
Alexandre : Souvent, le travail sur les livres va se chevaucher. On pourra ainsi être sur la maquette et la relecture d’un ouvrage pendant qu’on commence à se pencher sur le suivant. C’est d’ailleurs assez compliqué parce qu’il faut s’occuper des relations presse d’un livre pendant qu’on en attaque un autre. On peut dire qu’il nous faut six mois pour finaliser un bouquin.
Quel est votre dernier projet en date ?
Alexandre : C’est un recueil de nouvelles destiné plutôt aux 13-14 ans. L’auteur est assez connu et s’appelle Lafcadio Hearn, il a consigné des nouvelles de fantômes japonais au début du siècle. C’est d’ailleurs l’un des premiers anglais à avoir été naturalisé japonais. Il est arrivé au Japon en tant que journaliste avant de devenir professeur de langues à Tokyo puis a épousé une japonaise et a pris la nationalité. C’est pendant la dernière partie de sa vie qu’il a consigné ces histoires du folklore japonais. On lui doit beaucoup, c’est notamment Kyoko Mizuki qui parle de Lafcadio dans ses livres et le cite. On a donc lu beaucoup d’histoires publiées par cet auteur.
Comment avez-vous découvert Lafcadio ?
Delphine : Un peu par hasard, à la bibliothèque en cherchant des contes japonais. On cherchait des thématiques dans les anciens contes où les yokai revenaient souvent. On est tombés sur cet auteur, notamment sur une histoire qui est restée inachevée intitulée « In a cup of tea », elle raconte l’histoire d’un samouraï qui voit son reflet dans un verre de thé et qui le boit.
Alexandre : Le samouraï avale en fait un fantôme et va être maudit. L’histoire s’arrête quand les vassaux du samouraï qu’il a avalé viennent lui dire que dans trois semaines, ils viendront se venger. L’histoire nous a beaucoup intéressée puisqu’on voulait une suite, d’autant plus qu’il est libre de droits car assez ancien. On a retrouvé la version anglaise de l’ouvrage puis on l’a traduit puisque la version française, elle, n’est pas libre de droits. On a ensuite proposé à trois romanciers rencontrés sur des salons d’écrire la suite.
Delphine : Ils avaient tous un rapport avec le Japon ou ont déjà écrit sur le Japon, il ne s’agissait donc pas d’un Japon fantasmé.
Alexandre : On n’a pas indiqué aux auteurs ce que les autres écrivaient afin qu’il n’y ait pas d’influences. On a eu vraiment de la chance puisqu’un auteur a expliqué ce qu’il s’est passé avant, un autre a raconté l’histoire et l’autre a inventé une suite dans un Japon contemporain. On a trois récits finalement différents, on est très contents du résultat. On avait peur car on ne savait pas ce qui pouvait être produit mais on est finalement satisfaits.
Il y aura quelques illustrations ?
Alexandre : Oui, en noir et blanc. Une nouvelle sera illustrée par Nancy qui fait aussi la couverture du livre, une autre sera illustrée par Rémi et une autre sera illustrée par Valder qui est un illustrateur aussi rencontré sur un salon. Le salons sont intéressants pour ça puisque c’est l’occasion de voir le travail des autres, leur univers et juger leur implication. Le but est de proposer un texte qui correspond à un univers, pas de donner des directives. Valder avait dessiné une BD sur Tokyo présentant un personnage passant de mondes réels à un monde fantasmé. La dernière nouvelle se passe dans un Japon contemporain, dans un univers de fantômes. Ca collait donc complètement à son univers, je l’ai d’autant plus remarqué quand j’ai reçu la dernière nouvelle de l’auteur.
On essaie ainsi de bien connaître les illustrateurs et leur travail personnel. Certains se plient aux demandes d’éditeurs mais ont finalement une personnalité et un style graphique différent, c’est ça qu’on va regarder.
Delphine : C’est vrai qu’en tant qu’illustrateurs, on connaît bien le travail de commande qui nous oblige à avoir un certain style qui n’est pas ce qu’on cherche à faire personnellement.
Alexandre : On essaie de voir ce que l’auteur a envie de faire afin de le laisser libre. Evidemment, on lui demande de corriger s’il y a une méprise par rapport au texte mais on ne touche en général pas au style de l’artiste. On connaît cette frustration en tant qu’illustrateurs, on a donc pas à intervenir sur le style. C’est aussi ce qu’apprécient les illustrateurs avec lesquels on travaille, on parle le même langage. Ca les rassure énormément.
Est-ce qu’il y a des artistes avec lesquels vous aimeriez travailler, mais vous n’en n’avez pas encore eu l’occasion ?
Delphine : Hmmm… Ça se fait au fur et à mesure, par le biais de rencontres. C’est difficile à dire…
Alexandre : Sur Kokekokkô, on a travaillé avec beaucoup d’auteurs mais on aimerait avoir des projets longs avec certains.
Est-ce qu’il y a un planning de plusieurs projets déjà en route ?
Alexandre : C’est compliqué parce qu’on doit travailler la promotion d’anciens titres et lancer de nouveaux projets en même temps. C’est parfois décidé au dernier moment, mais c’est difficile d’avoir un vrai planning.
Delphine : On essaie de ne pas trop s’emballer sur la production puisqu’on a maintenant un diffuseur/distributeur qui nous pousse à justement produire des livres. On est autour de deux ou trois livres par an, on préfère ça plutôt que d’éditer des livres à la chaîne et baisser notre qualité.
Alexandre : Par exemple, on sait qu’on aura un livre début octobre, donc dans un an. Les diffuseurs se sont tout de suite affolés en pensant qu’on ne publierait rien entre temps, ce qui serait associé aux retours, aux difficultés financières… Il faut que les livres soient bons car si c’est le cas, ils se vendront toute l’année. Notre objectif n’est pas de publier des livres au rabais. Si on en arrive là, c’est qu’on aura raté nos ambitions. A la rigueur, on fait ça en tant qu’illustrateurs pour d’autres éditeurs, mais c’est dommage de se lancer dans l’édition pour produire ce genre d’ouvrages.
Ou pourra-t-on vous retrouver prochainement ?
Delphine : On sera à Nancy à l’Anim’Est les 14 et 15 novembre, puis au salon du livre de Colmar les 20 et 21 novembre, et enfin au TGS les 28 et 29 novembre.
Alexandre : Novembre est un mois très chargé. L’année prochaine, Made in Asia nous est confirmé en mars, puis le salon du livre de Paris le week-end d’après. Pour ce dernier, le square thématique sera le voyage et le récit d’aventures.
De Minkunette [6811 Pts], le 26 Octobre 2015 à 09h33
Ils font vraiment de beaux livres, sympa l'interview.
De lilianneterre [1651 Pts], le 26 Octobre 2015 à 05h57
Intervew intéressant...
Mais, qu'étant la !ongueur, je vais lire en plusieurs fois (je le mets dans mes favoris), ou plutôt relire..
En fait, cela me rappelle, ce que j'ai pensé quelquefois : pourquoi ne pas faire (de façon voulu) plusieurs versions d'un livre, pour pouvoir atteindre plusieurs lectorats (ayants des moyens financiers, et des désirs ; différents!!)!!
De akiko [5480 Pts], le 25 Octobre 2015 à 19h03
J'adooooore, merci !