Dvd Chronique animation - Le vent se lève
Sur Manga-news, place aujourd'hui à une chronique de Rogue Aerith du dernier film de Hayao Miyazaki. On vous rappelle qu'avec Le vent se lève, le génie nippon a affirmé qu'il ne reviendrait plus à la réalisation. Alors, après tant de chefs d'oeuvre, Le vent se lève est-il une déception ou une réussite ? Laissez votre avis dans les commentaires !
En 1923 survient le tremblement de terre du Kanto, qui provoque un incendie gigantesque et des milliers de morts : c'est lors de cet événement que Jiro rencontre Nahoko, qu'il demandera en mariage. Jiro Horikoshi, fasciné par le ciel et le vent, rêve de devenir pilote dans l'aviation japonaise. Sa mauvaise vue l'en empêchant, il se lance dans des études d'ingénierie en aéronautique. Les années 1920 sont propices à la construction d'engins révolutionnaires. Mais quelques années plus tard, le Japon signe un accord avec l'Allemagne nazie... Jiro est alors chargé de construire un avion de combat : le Mitsubishi A6ME dit « Zéro ». Le célèbre chasseur bombardier utilisé par l'armée impériale japonaise et notamment les kamikazes.
Souvenez-vous... Lorsqu'il fut annoncé que Hayao Miyazaki travaillait sur un film dont la thématique principale était l'aviation, les fans pensèrent immédiatement à une suite au très beau Porco Rosso, d'autant que le maître nippon n'avait jamais caché que cela était tout à fait possible. Quelques mois plus tard, ce n'était pas la désillusion, mais pas loin : le film en cours de production ne serait non seulement pas une suite à Porco, mais de surcroît le dernier film de papa Miyazaki. Grosse pression ! Le dernier film du prodige de l'animation japonaise se devait d'être parfait, ou, a minima, tout proche de la perfection. Rappelons que Hayao Miyazaki jouit d'un statut de dieu vivant dans son pays (contrairement à son fils Goro, injustement critiqué). La presse occidentale n'est généralement guère plus avare en louanges... sacrifiant l'objectivité sur l'autel du culte de la personnalité du réalisateur nippon. Car vous comme moi savons que les dernières oeuvres de Hayao Miyazaki ne faisaient pas l'unanimité chez nous, les connaisseurs, les vrais de vrais, les vieux de la vieille. Un Château ambulant trop nébuleux, trop dispersé ; un Ponyo sur la falaise trop enfantin, et franchement perfectible quant à sa narration. Pourtant, bien avant ceux-là, il y avait eu l'inatteignable et divin Princesse Mononoké, le bucolique Chihiro, l'émouvant et superbe Laputa... Le vent se lève met-il tout le monde d'accord ? Non. Ceux qui attendaient une dernière ode à la fantaisie, façon Chihiro ou Nausicaa, seront résolument décontenancés devant le ton employé et l'histoire développée. Ceux qui au contraire apprécient d'être surpris partiront avec un dernier beau cadeau, et la réconciliation avec le maître sera actée. De quelle catégorie fais-je partie ? De la seconde. Pour une raison simple : Miyazaki n'avait-il pas fait le tour du bucolique, de la fantaisie, avec ses oeuvres antérieures ? N'était-il pas tant, pour son ultime film, qu'il se livre à quelque chose de plus personnel, et, c'était annoncé dans les médias puisque la polémique était née au Japon à la sortie du film, de plus politique ? On préfère vous prévenir : Le vent se lève, c'est un peu l'anti-Ponyo. La simplicité de ce dernier convenait parfaitement aux enfants, tandis que Le vent se lève est résolument destiné à un public adulte, qui saura détecter la profondeur du message. Les origines du projet sont d'autant plus importantes à signaler que dans un premier temps, Miyazaki ne voulait pas renoncer à intéresser aussi les enfants, et craignait d'être critiqué pour faire l'apologie de la guerre en s'intéressant au constructeur du Zéro. Autant de craintes, et une élaboration difficile, pour un résultat pourtant maîtrisé !
Commençons par la signification et les origines du titre. Le vent se lève (« Kaze no tachinu » en japonais) est à la fois emprunté à un vers du poème « Le Cimetière marin » de Paul Valéry (« Le vent se lève !... il faut tenter de vivre ! »), et à un roman de l'écrivain nippon Tatsui Hori, qui s'inspire également de ce vers. Le dessin animé de Miyazaki s'inspire à la fois de la vie de Jiro Horikoshi, personnage réel, ingénieur connu comme étant le concepteur du Zéro, appareil utilisé par les kamikazes pendant la Seconde Guerre mondiale, et de la fiction de Tatsui Hori, décrivant un homme follement amoureux d'une femme malade. Miyazaki met aussi un peu de lui dans son œuvre ultime : son père dirigeait une entreprise au service de l'armée impériale, sa mère était tuberculeuse... sombres échos au scénario. Un peu de réalité, un peu de fiction. Beaucoup de réalisme historique, peu de fantaisie. C'est tout ça, Le vent se lève.
Comme vu précédemment, le ton était annoncé avant la sortie du film : Le vent se lève serait critique, politique. Un ton résolument nouveau, et original, tranchant avec les oeuvres précédentes. Une vraie prise de risques. Un pari gagnant ? Oui. Ce n'est en tous cas pas là que se trouvent les quelques défauts que l'on peut reprocher à ce dernier biscuit miyazakiesque.
Il y a d'abord l'aspect historique. Le séisme du Kanto, la Grande Dépression, le Japon qui se militarise, la montée en puissance de l'entreprise Mitsubishi pour laquelle travaille Jiro, les invitations en Allemagne... Le train est omniprésent. Les collègues de Jiro fument cigarette sur cigarette, ne comptent pas leurs heures de travail, font des essais, cherchent comment améliorer les prototypes, sont en concurrence entre eux... Pas de délires steampunk ici, tout est ultraréaliste. Il y a bien cette mise en scène si particulière à Miyazaki qui ressort parfois, comme lors du séisme, volontairement exagéré pour être plus impressionnant, durant lequel la terre se soulève tel le dos d'un chat en colère qui hérisse le poil. Mais l'ensemble reste dominé par un réalisme de tous les instants, qui s'inscrit dans le genre tranches de vie, et qui a eu des effets insoupçonnés : un regain d'intérêt pour certains éléments exposés dans le film ! Cela a par exemple été le cas pour une pâtisserie quasiment disparue depuis les années 1960 au Japon, et pourtant très populaire dans les années 1920 : le « siberia », mixte de castella et de yokan, a dû être refabriqué en nombre pour satisfaire la hausse de la demande. Même réveil de l'intérêt des Japonais concernant leur patrimoine, avec par exemple l'usine de bière Kabuto à Handa, en briques rouges, dessinée dans le film : l'accroissement spectaculaire du nombre de visiteurs a conduit les autorités à entreprendre une restauration. Miyazaki déclare s'être inspiré d'Ozu pour décrire les conditions difficiles des populations de l'époque, et avoir recruté une spécialiste des mœurs nippones des années 1920-1930 (sur la façon et les occasions de porter un kimono, de plier un tatami...). Visionnage de photographies d'époque, visite de monuments conservés, le travail du studio Ghibli a été intense et cela se voit.
Derrière ses airs de fresque historique et réaliste, Le vent se lève dissimule une dimension intimiste : une belle histoire d'amour entre Jiro et Nahoko, atteinte de tuberculose, mais surtout une introspection autour de Jiro, inscrivant définitivement le film dans un récit adulte.
D'une part, l'amour qui se construit fait office de fil d'Ariane pour Jiro. Mais en fait, qui donne de la force à l'autre ? Jiro ne vit que pour son travail, construire le meilleur avion possible, et son amour, une jeune femme à la douceur aussi grande que la fragilité. Dès que l'état de Nahoko s'aggrave, Jiro est un homme changé. Il abandonne le Zéro, se précipitant à son chevet. Les deux passions, avion et épouse, qui s'interchangent, font la richesse du personnage. La scène durant laquelle Jiro prend la main de Nahoko en souffrance qui se repose, tout en utilisant l'autre pour dessiner des plans, est d'une rare brillance émotionnelle. Certains pourront trouver cette histoire d'amour très mélo... Elle l'est assurément. Mais on oublie que si la naïveté peut être énervante, elle peut aussi être touchante (voir A scene at the sea ou L'été de Kikujiro, de Takeshi Kitano). Des amants qui jouent à se renvoyer des avions en papier, un beau-père reconnaissant d'avoir un gendre aussi attentionné... Le vent se lève s'inscrit dans une romance innocente, sans arrières-pensées, et tragique. Nahoko est malade, ne l'oublions pas.
D'autre part, il y a ces scènes introspectives autour de Jiro. Celles-ci revêtent une importance capitale : elles neutralisent toute ambiguïté politique malsaine. Je m'explique. La critique mondiale s'est émue de voir Hayao Miyazaki s'intéresser à un personnage réel, décoré dans son pays, considéré comme le père du principal engin utilisé par l'armée japonaise contre les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Les phases introspectives ont une utilité, au-delà d'enrichir le scénario et la narration : celles de montrer que l'ingénieur était contre la guerre, ne songeant qu'à construire de beaux avions. Cela a constitué la ligne de défense du réalisateur lors de la sortie du film : pour lui, son héros, doté d'un énorme talent et une personnalité passionnée, fut exploité à des fins martiales par le Japon, et son film n'a de toute façon pas vocation à être autobiographique. Autant dire que les politiciens actuels du pays du Soleil levant n'ont pas apprécié (l'épisode Seconde Guerre mondiale n'est pas sensible qu'en Europe), et que beaucoup de « spécialistes » ont argué du fait que l'ingénieur était bien moins pacifiste que ce que Miyazaki laisse entendre. La polémique n'a pourtant aucun effet sur le film : que le héros soit ou non de tendance impérialiste, vous irez chercher cela dans les manuels d'Histoire. Miyazaki montre un Jiro profondément humain et dont les propos respirent la paix. Idem pour la majorité de ses collègues chez Mitsubishi, dont les paroles sont impertinentes vis-à-vis du III° Reich. Les remarques acerbes pleuvent lors de leur voyage en Allemagne et Miyazaki introduit une belle amitié entre Jiro et Castorp, un Allemand ouvertement anti-nazi qui a fui son pays. En montrant des ingénieurs de Mitsubishi en environnement hostile, Miyazaki révèle ce que les gouvernements nippons depuis 70 ans ne veulent pas entendre, sujet tabou : tous les intellectuels nippons n'étaient pas favorables à un conflit amenant une coopération avec l'Allemagne nazie. Ici, la guerre pervertit les rêves de Jiro, qui ne souhaitait que construire un bel engin. Jiro, personnage inconséquent, à la psychologie peu fouillée, facilité scénaristique, ou anti-héros complexe, torturé et ambivalent ? Le débat mérite d'être ouvert. Je considère pour ma part que la candeur et la naïveté peuvent mener à l'aveuglement, que Jiro a conscience de ses actes tout en ne se les avouant pas.
En dépit de ce récit très adulte, osant la réflexion sur le passé tourmenté d'un pays, Miyazaki, via le personnage de Jiro, se laisse bel et bien aller à quelques rêveries. Comme si le réalisateur n'avait pas pu s'en passer... Ces écarts vers la fantaisie, vous les retrouverez à travers les rêves de Jiro : celui-ci y rencontre plusieurs fois son modèle, le concepteur d'avion italien Gianni Caproni, un exubérant génie à moustaches. Ces scènes oniriques dans un ciel azur, dans lesquelles la joie règne, contrastent avec le réalisme du reste du film. Toutefois, et c'est là où Le vent se lève, surprend, il s'avère que ce sont bien ces scènes qui sont un peu ratées. Oui, Miyazaki, un comble, réussit son récit très adulte, mais loupe le coche de ces scènes plus extravagantes. Trop mystérieuses, trop nébuleuses, elles manquent d'impact : qu'est-ce que Jiro en tire, au juste ? Là où elles auraient dû servir à éclairer le spectateur sur les questionnements de l'ingénieur, elles ne font que renforcer les interrogations. De plus, un détail technique, qui aurait renforcé l'immersion, choque par son absence : pourquoi le sieur Caproni parle d'un curieux japonais avec accent italien, là où Jiro, lui, parle bien français lorsqu'il récite son vers de Paul Valéry ? Un doublage italien aurait été judicieux, donnant à ces scènes un petit quelque chose en plus. Autre chose, si on est allergique à toute symbolique, Le vent se lève ne plaira pas. Cette phrase, reprise à Paul Valéry, prononcée par Jiro plusieurs fois, en langue française en VO (« Le vent se lève ! Il faut tenter de vivre »), quelle interprétation lui donner ? Pourquoi Jiro y est-il si attaché ? Un sens proche du carpe diem, alors que règnent le chaos du séisme ou les massacres de la guerre ? Une vertu antimilitariste ? Beaucoup de spectateurs n'ont pas apprécié le manque de clarté quant au message passé. Est-ce si important ? La réponse variera, selon moi, selon vous. Pour beaucoup, Le Vent se lève sera trop long, trop contemplatif, insuffisamment tourné vers le public plus jeune, là où Ponyo leur était entièrement consacré. L'esthétique, toujours superbe, rappelle le travail d'un miniaturiste qui aurait rencontré un peintre excellent : les décors, tantôt fourmillent de vie (les scènes de séisme, tonitruantes), tantôt sont empreints d'une homogénéité marquante (les champs de fleur). La variété et le sens du détail sont en tous les cas toujours de mise, et les couleurs chatoyantes du Japon rural et des rêves de Jiro contrastent avec la froideur des ateliers, des hangars, des pistes de décollage et d'atterrissage. Du point de vue sonore, Miyazaki ose là encore l'originalité, et ça fonctionne. En effet, de nombreux bruitages ont été élaborés à partir de voix humaines, et cela produit un résultat plutôt plaisant. Moteurs des avions, cheminées des locomotives, grondements du tremblement de terre : cet aspect choral offre une ampleur certaine. Notez également que le doubleur de Jiro n'est autre que Hideaki Anno, le créateur de Neon Genesis Evangelion !
Blu-ray comme DVD sont atrocement avares en bonus compte tenu de la genèse difficile du projet. Hormis un story-board et quelques bandes-annonces, pas de making-of, pas de rencontres avec les membres de Ghibli. Où est la conférence de presse de près d'une heure et demie organisée pour la sortie du film, proposée le Blu-ray sorti aux USA ? Où est « Kingdom of dreams and madness », documentaire de deux heures, sorti à part en Blu-ray au Japon, mais toujours inédit en France, faussement présenté comme un film sur le studio Ghibli alors qu'il s'agit d'un gros making-of du Vent se lève ? On ne peut que déplorer encore une fois une édition indigente d'un film Ghibli, DVD comme Blu-ray.
Chant du cygne pacifiste, fort d'une célébration esthétique du Japon d'avant la Seconde Guerre mondiale, d'un personnage fouillé, d'une ode à deux passions, d'une histoire d'amour naïve, mais belle, de beaucoup de mélancolie : Le vent se lève conclut l'oeuvre de Hayao Miyazaki avec un film destiné avant tout aux adultes, imparfait, mais pourtant si puissant. La fin, mélange de noirceur et d'espoir, est une conclusion digne du réalisateur, dont la carrière fut extraordinaire. Nul besoin de fantaisie pour que la magie opère, c'est la dernière leçon du maître.
En 1923 survient le tremblement de terre du Kanto, qui provoque un incendie gigantesque et des milliers de morts : c'est lors de cet événement que Jiro rencontre Nahoko, qu'il demandera en mariage. Jiro Horikoshi, fasciné par le ciel et le vent, rêve de devenir pilote dans l'aviation japonaise. Sa mauvaise vue l'en empêchant, il se lance dans des études d'ingénierie en aéronautique. Les années 1920 sont propices à la construction d'engins révolutionnaires. Mais quelques années plus tard, le Japon signe un accord avec l'Allemagne nazie... Jiro est alors chargé de construire un avion de combat : le Mitsubishi A6ME dit « Zéro ». Le célèbre chasseur bombardier utilisé par l'armée impériale japonaise et notamment les kamikazes.
Souvenez-vous... Lorsqu'il fut annoncé que Hayao Miyazaki travaillait sur un film dont la thématique principale était l'aviation, les fans pensèrent immédiatement à une suite au très beau Porco Rosso, d'autant que le maître nippon n'avait jamais caché que cela était tout à fait possible. Quelques mois plus tard, ce n'était pas la désillusion, mais pas loin : le film en cours de production ne serait non seulement pas une suite à Porco, mais de surcroît le dernier film de papa Miyazaki. Grosse pression ! Le dernier film du prodige de l'animation japonaise se devait d'être parfait, ou, a minima, tout proche de la perfection. Rappelons que Hayao Miyazaki jouit d'un statut de dieu vivant dans son pays (contrairement à son fils Goro, injustement critiqué). La presse occidentale n'est généralement guère plus avare en louanges... sacrifiant l'objectivité sur l'autel du culte de la personnalité du réalisateur nippon. Car vous comme moi savons que les dernières oeuvres de Hayao Miyazaki ne faisaient pas l'unanimité chez nous, les connaisseurs, les vrais de vrais, les vieux de la vieille. Un Château ambulant trop nébuleux, trop dispersé ; un Ponyo sur la falaise trop enfantin, et franchement perfectible quant à sa narration. Pourtant, bien avant ceux-là, il y avait eu l'inatteignable et divin Princesse Mononoké, le bucolique Chihiro, l'émouvant et superbe Laputa... Le vent se lève met-il tout le monde d'accord ? Non. Ceux qui attendaient une dernière ode à la fantaisie, façon Chihiro ou Nausicaa, seront résolument décontenancés devant le ton employé et l'histoire développée. Ceux qui au contraire apprécient d'être surpris partiront avec un dernier beau cadeau, et la réconciliation avec le maître sera actée. De quelle catégorie fais-je partie ? De la seconde. Pour une raison simple : Miyazaki n'avait-il pas fait le tour du bucolique, de la fantaisie, avec ses oeuvres antérieures ? N'était-il pas tant, pour son ultime film, qu'il se livre à quelque chose de plus personnel, et, c'était annoncé dans les médias puisque la polémique était née au Japon à la sortie du film, de plus politique ? On préfère vous prévenir : Le vent se lève, c'est un peu l'anti-Ponyo. La simplicité de ce dernier convenait parfaitement aux enfants, tandis que Le vent se lève est résolument destiné à un public adulte, qui saura détecter la profondeur du message. Les origines du projet sont d'autant plus importantes à signaler que dans un premier temps, Miyazaki ne voulait pas renoncer à intéresser aussi les enfants, et craignait d'être critiqué pour faire l'apologie de la guerre en s'intéressant au constructeur du Zéro. Autant de craintes, et une élaboration difficile, pour un résultat pourtant maîtrisé !
Commençons par la signification et les origines du titre. Le vent se lève (« Kaze no tachinu » en japonais) est à la fois emprunté à un vers du poème « Le Cimetière marin » de Paul Valéry (« Le vent se lève !... il faut tenter de vivre ! »), et à un roman de l'écrivain nippon Tatsui Hori, qui s'inspire également de ce vers. Le dessin animé de Miyazaki s'inspire à la fois de la vie de Jiro Horikoshi, personnage réel, ingénieur connu comme étant le concepteur du Zéro, appareil utilisé par les kamikazes pendant la Seconde Guerre mondiale, et de la fiction de Tatsui Hori, décrivant un homme follement amoureux d'une femme malade. Miyazaki met aussi un peu de lui dans son œuvre ultime : son père dirigeait une entreprise au service de l'armée impériale, sa mère était tuberculeuse... sombres échos au scénario. Un peu de réalité, un peu de fiction. Beaucoup de réalisme historique, peu de fantaisie. C'est tout ça, Le vent se lève.
Comme vu précédemment, le ton était annoncé avant la sortie du film : Le vent se lève serait critique, politique. Un ton résolument nouveau, et original, tranchant avec les oeuvres précédentes. Une vraie prise de risques. Un pari gagnant ? Oui. Ce n'est en tous cas pas là que se trouvent les quelques défauts que l'on peut reprocher à ce dernier biscuit miyazakiesque.
Il y a d'abord l'aspect historique. Le séisme du Kanto, la Grande Dépression, le Japon qui se militarise, la montée en puissance de l'entreprise Mitsubishi pour laquelle travaille Jiro, les invitations en Allemagne... Le train est omniprésent. Les collègues de Jiro fument cigarette sur cigarette, ne comptent pas leurs heures de travail, font des essais, cherchent comment améliorer les prototypes, sont en concurrence entre eux... Pas de délires steampunk ici, tout est ultraréaliste. Il y a bien cette mise en scène si particulière à Miyazaki qui ressort parfois, comme lors du séisme, volontairement exagéré pour être plus impressionnant, durant lequel la terre se soulève tel le dos d'un chat en colère qui hérisse le poil. Mais l'ensemble reste dominé par un réalisme de tous les instants, qui s'inscrit dans le genre tranches de vie, et qui a eu des effets insoupçonnés : un regain d'intérêt pour certains éléments exposés dans le film ! Cela a par exemple été le cas pour une pâtisserie quasiment disparue depuis les années 1960 au Japon, et pourtant très populaire dans les années 1920 : le « siberia », mixte de castella et de yokan, a dû être refabriqué en nombre pour satisfaire la hausse de la demande. Même réveil de l'intérêt des Japonais concernant leur patrimoine, avec par exemple l'usine de bière Kabuto à Handa, en briques rouges, dessinée dans le film : l'accroissement spectaculaire du nombre de visiteurs a conduit les autorités à entreprendre une restauration. Miyazaki déclare s'être inspiré d'Ozu pour décrire les conditions difficiles des populations de l'époque, et avoir recruté une spécialiste des mœurs nippones des années 1920-1930 (sur la façon et les occasions de porter un kimono, de plier un tatami...). Visionnage de photographies d'époque, visite de monuments conservés, le travail du studio Ghibli a été intense et cela se voit.
Derrière ses airs de fresque historique et réaliste, Le vent se lève dissimule une dimension intimiste : une belle histoire d'amour entre Jiro et Nahoko, atteinte de tuberculose, mais surtout une introspection autour de Jiro, inscrivant définitivement le film dans un récit adulte.
D'une part, l'amour qui se construit fait office de fil d'Ariane pour Jiro. Mais en fait, qui donne de la force à l'autre ? Jiro ne vit que pour son travail, construire le meilleur avion possible, et son amour, une jeune femme à la douceur aussi grande que la fragilité. Dès que l'état de Nahoko s'aggrave, Jiro est un homme changé. Il abandonne le Zéro, se précipitant à son chevet. Les deux passions, avion et épouse, qui s'interchangent, font la richesse du personnage. La scène durant laquelle Jiro prend la main de Nahoko en souffrance qui se repose, tout en utilisant l'autre pour dessiner des plans, est d'une rare brillance émotionnelle. Certains pourront trouver cette histoire d'amour très mélo... Elle l'est assurément. Mais on oublie que si la naïveté peut être énervante, elle peut aussi être touchante (voir A scene at the sea ou L'été de Kikujiro, de Takeshi Kitano). Des amants qui jouent à se renvoyer des avions en papier, un beau-père reconnaissant d'avoir un gendre aussi attentionné... Le vent se lève s'inscrit dans une romance innocente, sans arrières-pensées, et tragique. Nahoko est malade, ne l'oublions pas.
D'autre part, il y a ces scènes introspectives autour de Jiro. Celles-ci revêtent une importance capitale : elles neutralisent toute ambiguïté politique malsaine. Je m'explique. La critique mondiale s'est émue de voir Hayao Miyazaki s'intéresser à un personnage réel, décoré dans son pays, considéré comme le père du principal engin utilisé par l'armée japonaise contre les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Les phases introspectives ont une utilité, au-delà d'enrichir le scénario et la narration : celles de montrer que l'ingénieur était contre la guerre, ne songeant qu'à construire de beaux avions. Cela a constitué la ligne de défense du réalisateur lors de la sortie du film : pour lui, son héros, doté d'un énorme talent et une personnalité passionnée, fut exploité à des fins martiales par le Japon, et son film n'a de toute façon pas vocation à être autobiographique. Autant dire que les politiciens actuels du pays du Soleil levant n'ont pas apprécié (l'épisode Seconde Guerre mondiale n'est pas sensible qu'en Europe), et que beaucoup de « spécialistes » ont argué du fait que l'ingénieur était bien moins pacifiste que ce que Miyazaki laisse entendre. La polémique n'a pourtant aucun effet sur le film : que le héros soit ou non de tendance impérialiste, vous irez chercher cela dans les manuels d'Histoire. Miyazaki montre un Jiro profondément humain et dont les propos respirent la paix. Idem pour la majorité de ses collègues chez Mitsubishi, dont les paroles sont impertinentes vis-à-vis du III° Reich. Les remarques acerbes pleuvent lors de leur voyage en Allemagne et Miyazaki introduit une belle amitié entre Jiro et Castorp, un Allemand ouvertement anti-nazi qui a fui son pays. En montrant des ingénieurs de Mitsubishi en environnement hostile, Miyazaki révèle ce que les gouvernements nippons depuis 70 ans ne veulent pas entendre, sujet tabou : tous les intellectuels nippons n'étaient pas favorables à un conflit amenant une coopération avec l'Allemagne nazie. Ici, la guerre pervertit les rêves de Jiro, qui ne souhaitait que construire un bel engin. Jiro, personnage inconséquent, à la psychologie peu fouillée, facilité scénaristique, ou anti-héros complexe, torturé et ambivalent ? Le débat mérite d'être ouvert. Je considère pour ma part que la candeur et la naïveté peuvent mener à l'aveuglement, que Jiro a conscience de ses actes tout en ne se les avouant pas.
En dépit de ce récit très adulte, osant la réflexion sur le passé tourmenté d'un pays, Miyazaki, via le personnage de Jiro, se laisse bel et bien aller à quelques rêveries. Comme si le réalisateur n'avait pas pu s'en passer... Ces écarts vers la fantaisie, vous les retrouverez à travers les rêves de Jiro : celui-ci y rencontre plusieurs fois son modèle, le concepteur d'avion italien Gianni Caproni, un exubérant génie à moustaches. Ces scènes oniriques dans un ciel azur, dans lesquelles la joie règne, contrastent avec le réalisme du reste du film. Toutefois, et c'est là où Le vent se lève, surprend, il s'avère que ce sont bien ces scènes qui sont un peu ratées. Oui, Miyazaki, un comble, réussit son récit très adulte, mais loupe le coche de ces scènes plus extravagantes. Trop mystérieuses, trop nébuleuses, elles manquent d'impact : qu'est-ce que Jiro en tire, au juste ? Là où elles auraient dû servir à éclairer le spectateur sur les questionnements de l'ingénieur, elles ne font que renforcer les interrogations. De plus, un détail technique, qui aurait renforcé l'immersion, choque par son absence : pourquoi le sieur Caproni parle d'un curieux japonais avec accent italien, là où Jiro, lui, parle bien français lorsqu'il récite son vers de Paul Valéry ? Un doublage italien aurait été judicieux, donnant à ces scènes un petit quelque chose en plus. Autre chose, si on est allergique à toute symbolique, Le vent se lève ne plaira pas. Cette phrase, reprise à Paul Valéry, prononcée par Jiro plusieurs fois, en langue française en VO (« Le vent se lève ! Il faut tenter de vivre »), quelle interprétation lui donner ? Pourquoi Jiro y est-il si attaché ? Un sens proche du carpe diem, alors que règnent le chaos du séisme ou les massacres de la guerre ? Une vertu antimilitariste ? Beaucoup de spectateurs n'ont pas apprécié le manque de clarté quant au message passé. Est-ce si important ? La réponse variera, selon moi, selon vous. Pour beaucoup, Le Vent se lève sera trop long, trop contemplatif, insuffisamment tourné vers le public plus jeune, là où Ponyo leur était entièrement consacré. L'esthétique, toujours superbe, rappelle le travail d'un miniaturiste qui aurait rencontré un peintre excellent : les décors, tantôt fourmillent de vie (les scènes de séisme, tonitruantes), tantôt sont empreints d'une homogénéité marquante (les champs de fleur). La variété et le sens du détail sont en tous les cas toujours de mise, et les couleurs chatoyantes du Japon rural et des rêves de Jiro contrastent avec la froideur des ateliers, des hangars, des pistes de décollage et d'atterrissage. Du point de vue sonore, Miyazaki ose là encore l'originalité, et ça fonctionne. En effet, de nombreux bruitages ont été élaborés à partir de voix humaines, et cela produit un résultat plutôt plaisant. Moteurs des avions, cheminées des locomotives, grondements du tremblement de terre : cet aspect choral offre une ampleur certaine. Notez également que le doubleur de Jiro n'est autre que Hideaki Anno, le créateur de Neon Genesis Evangelion !
Blu-ray comme DVD sont atrocement avares en bonus compte tenu de la genèse difficile du projet. Hormis un story-board et quelques bandes-annonces, pas de making-of, pas de rencontres avec les membres de Ghibli. Où est la conférence de presse de près d'une heure et demie organisée pour la sortie du film, proposée le Blu-ray sorti aux USA ? Où est « Kingdom of dreams and madness », documentaire de deux heures, sorti à part en Blu-ray au Japon, mais toujours inédit en France, faussement présenté comme un film sur le studio Ghibli alors qu'il s'agit d'un gros making-of du Vent se lève ? On ne peut que déplorer encore une fois une édition indigente d'un film Ghibli, DVD comme Blu-ray.
Chant du cygne pacifiste, fort d'une célébration esthétique du Japon d'avant la Seconde Guerre mondiale, d'un personnage fouillé, d'une ode à deux passions, d'une histoire d'amour naïve, mais belle, de beaucoup de mélancolie : Le vent se lève conclut l'oeuvre de Hayao Miyazaki avec un film destiné avant tout aux adultes, imparfait, mais pourtant si puissant. La fin, mélange de noirceur et d'espoir, est une conclusion digne du réalisateur, dont la carrière fut extraordinaire. Nul besoin de fantaisie pour que la magie opère, c'est la dernière leçon du maître.
De saqura [4377 Pts], le 20 Mai 2015 à 19h19
j'ai trop bien aimer
De Einah [4328 Pts], le 20 Mai 2015 à 07h57
Je suis allée au cinéma le voir à sa sortie et j'avais trouvé le film d'un ennuie. Ca tirait tout le temps en longueur et il ne se passait absolument rien.
Le seul point interessant était la relation avec Nahoko mais là encore j'ai trouvé que ca n'avait pas été assez exploité surtout à la fin.
De tsubasadow [4303 Pts], le 19 Mai 2015 à 23h10
Bonne critique. Je suis assez d'accord avec ce qui a été dit dans l'ensemble. Il est clair qu'on n'a pas été habitué à ce genre de film de la part du maitre mais je le trouve quand même bon au final et c'est là tout l'essentiel.
De cicipouce [3180 Pts], le 19 Mai 2015 à 21h55
@Osaka : pourquoi malsain ?
C'est vrai que je l'ai trouvé plutôt ennuyeux ... l'histoire ne m'a pas vraiment intéressée ....
J'ai beaucoup apprécié le Chateau ambulant, c'est bien dommage qu'il n'ait pas beaucoup séduit ...
Mais mon préféré restera Princesse Mononoke qui est superbe ...
Pour ce film je n'aurais donc pas mis plus de 13/20
De Bobmorlet [5629 Pts], le 19 Mai 2015 à 20h11
Il faut que je le vois!
De Blood [2541 Pts], le 19 Mai 2015 à 17h17
Malsain.... Ennuyeux, je peux comprendre, mais malsain ? Carrément ?
Je crois pour ma part que Miyazaki aurait dû attendre que le film soit sorti avant d'annoncer sa retraite. Car du coup, les gens l'ont vu en attendant un irréalisable chef d'oeuvre, et ont forcément été déçus. J'attendais moi aussi un peu plus du dernier film du maître, même s'il contient beaucoup de séquences mémorables. Je l'ai toutefois préféré au Chateau ambulant qui doit être le Miyazaki que j'aime le moins.
De Osaka [320 Pts], le 19 Mai 2015 à 15h52
J'ai trouvé ce film à la fois ennuyeux et malsain.
Heureusement que Ghibli a sorti Princess Kaguya ensuite.
Takahata aura pris sa retraite de plus belle façon que Miyazaki.
De NoctisLucisCaelum, le 19 Mai 2015 à 15h18
un très beau film pour ma part j'ai adoré