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Ciné-Asie Chronique ciné-asie - La Ballade de l'impossible

Samedi, 31 Janvier 2015 à 11h00

Tokyo, à la fin des années 1960. Kizuki et Naoko se connaissent depuis la naissance et forment un couple profondément amoureux. Watanabe, le meilleur ami de Kizuki, partage tous leurs moments de complicité. Le trio est heureux. Jusqu'au jour où Kizuki se suicide. Tandis que Naoko est anéantie, Watanabe tente de fuir son chagrin en déménageant de Kobe à Tokyo pour ses études universitaires. Fruit du hasard, quelques mois plus tard, Watanabe recroise Naoko. Tous deux vivront une relation compliquée. Naoko ne parvient pas à faire son deuil, mais Watanabe est partagé entre son amour sincère l'amenant à faire preuve de patience envers elle, et son amour naissant pour Midori, dont la joie de vivre est l'exact contraire de la personnalité de Naoko.



Sorti en décembre 2010 au Japon et en mai 2011 en France, « La Ballade de l'Impossible » est adapté d'un roman de Haruki Murakami, actuellement un des auteurs japonais les plus lus dans le Monde. Le roman s'intitule « Noruwei no Mori », littéralement « Bois de Norvège » ; la traduction française est donc pour le moins curieuse. Adapter un Murakami, quand on connaît le style et les histoires de ce dernier, n'est pas chose aisée. Mais un réalisateur talentueux s'y est attelé, qui n'est autre que le Franco-Vietnamien Tran Anh Hung.



Ce cinéaste présente un parcours cinématographique atypique. Après une trilogie (absolument excellente) réalisée au cours des années 1990, portant sur des tranches de vie dans des familles vietnamiennes, le cinéaste livra un thriller psychologique particulièrement original, « Je viens avec la pluie », fort d'un casting international, en 2009. Et c'est en 2011 que sort « La Ballade l'Impossible ». Et là où j'avoue être tombé totalement sous le charme des quatre premiers longs-métrages de Tran Anh Hung, celui-ci me laisse sur un sentiment beaucoup plus mitigé...c'est presque un euphémisme.



Le problème de « La Ballade de l'Impossible », c'est qu'il est aussi profondément inégal que ses personnages principaux sont profondément amoureux les uns des autres. Pour ne rien vous cacher, on a même l'impression que la première heure a été réalisée par un cinéaste, la deuxième par un autre, tant la rupture est franche. Après un début magnifiquement écrit et puissant, le film régresse. La faute à une esthétique contemplative assumée ? Bien au contraire, celle-ci porte le film presque à elle toute seule lorsque rien ne va plus. Intrigant et sensible, « La Ballade de l'Impossible » devient progressivement poussif et prévisible. Je vous explique tout...



Le début, donc, est réussi. Très. De trois amis, on passe à deux. Pas d'explication sur ce point. Le suicide reste inexpliqué, car inexplicable. Les deux restants choisissent, malgré eux sans doute, un futur opposé : l'une sombre, mais pas totalement, l'autre tente de s'en sortir, mais... jamais totalement. L'ancrage du film dans le contexte historique et social japonais de la fin des années 60 est à ce titre particulièrement important. 1968 marque le début de révoltes étudiantes au Japon (oui, cette date n'est pas une marque déposée franco-française). Tandis que Naoko voit sa dépression dériver en folie, Watanabe traverse son début de vie étudiante telle une machine, ne voit pas son environnement changer. Il focalise, bloque, d'où la métaphore mécanique, sur cette amie du passé, Naoko, qu'il revoit, souhaite aider, soutenir, aimer. La première heure, pleine de mélancolie sur cette relation entre deux êtres blessés, est franchement réussie... la transition avec la deuxième heure n'en est que plus abrupte.



En fait, cette deuxième heure ne suit rien d'autre que le roman dont le film est tiré : amère et crue, celle-ci ne convainc pas tant les personnages, au départ très proche d'amoureux transis, se métamorphosent soudainement en obsédés. A la promesse d'une exploration d'une névrose, à l'observation de deux errances, à l'approfondissent des douleurs, succèdent des situations hypersexualisées. L'intégralité, quasiment, des dialogues de la deuxième heure ne tournent qu'autour de ça. Du sexe, le sexe, que de sexe... Une redondance s'installe alors. Et de quel acabit ! Difficile de faire plus répétitif – est-ce le cas aussi dans le roman ? – si bien que l'oeuvre tout entière finit par perdre totalement son intérêt. Et ce n'est pas la fin, dont on devine les tenants et aboutissants un quart d'heure avant, qui sauve le tout.
Quel dommage. Les thèmes de Murakami, auteur du roman original sont là : l'espoir qui n'existe plus, l'absence de repères, de but, donc de vie... Mais que l'obsession pour le sexe est lourde ! Qui plus est, seuls ceux intellectualisant à outrance verront une quelconque symbolique, à savoir celle du combat d’Éros (dieu de l'amour) contre Thanatos (dieu de la mort).



Devant le « tournant sexualisé » pris par le film, le réalisateur Tran Anh Hung parvient à glisser à merveille des éléments de son cinéma, qui sauve le film d'un portage roman-cinéma malheureux. Il y a d'abord ces travellings absolument superbes, ces angles de caméra semblant avoir été choisis au millimètre près pour nous faire ressentir au mieux la puissance des sentiments des personnages, leurs expressions faciales.
Les idées de mise en scène sont partout ; la gestion de la caméra est un délice, comme dans chacun de ses films. Il y a, surtout, ces quelques scènes d'une sensibilité rarement vue au cinéma ces dernières années. Pour ma part, des mois (oui, des mois !) que je n'avais pas vu une scène de chuchotements aussi belle ! Vous l'aurez compris, la déception tenant à une baisse de la sensibilité dans les dialogues vient aussi du fait que l'on en a pris plein les yeux lors de la première heure !



Ken'ichi Matsuyama, interprétant Watanabe, est excellent, livrant un savant mélange de candeur et de complexité. Sans que ce soit explicite, on voit bien que ce personnage est torturé entre la patience qu'il souhaite accorder à Naoko, l'attente que cette dernière aille mieux pour vivre pleinement leur amour, et ses écarts avec Midori, dont il est difficile de lui tenir rigueur. Cet acteur prouve qu'après avoir interprété L dans les films « Death Note », Shin dans « Nana » ou encore Kato dans les « Gantz », il est tout à fait capable de tenir un grand rôle dans un film d'auteur.

Rinko Kikuchi, Naoko dans le film, réalise de même une excellente performance. Plongée dans la dépression sans jamais en rajouter, elle ne surjoue jamais, elle est toujours juste. On appréciera cette prestation, comme celle vue dans « Babel » de Alejandro Gonzalez Inarritu. Espérons juste qu'elle ne se perde pas dans les méandres des mauvais blockbusters...trop tard apparemment, d'après son CV depuis 2013.



Notons le choix fameux du guitariste de Radiohead, Jonny Greenwood, ici en solo, pour la bande-son. Côté bonus, le making of est bien trop court (on aurait apprécié davantage de liens faits entre roman et film), et les 25 minutes consacrées aux trois acteurs principaux n'apportent pas assez.
Une deuxième partie totalement gâchée par l'omniprésence d'un thème, face à une première bien engagée, intéressante et prometteuse. C'est là toute la difficulté d'estimer cette « Ballade de l'Impossible ».

L'introspection portée sur les personnages et le ton élégiaque sont diminués par l'apparition du sexe comme obsession de tous les instants. Lorsque la promenade névrotique n'est plus qu'érotique, les personnages qui semblaient jusqu'alors complexes ne sont plus que paradoxaux. A ces défauts, Tran Anh Hung répond heureusement par son cinéma habituel, en proposant une esthétique grandiose et quelques moments porteurs d'une sensibilité rarement vue.
En résumé : une œuvre très inégale.
L'avis du chroniqueur
RogueAerith

Samedi, 31 Janvier 2015
14 20

commentaires

akiko

De akiko [5480 Pts], le 31 Janvier 2015 à 17h24

Suite a sa version livre (que j'ai adorée) j'ai acheté le dvd et c'est vrai qu'il ne m'as pas laissé l'impression que j'esperai, mais bon!

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