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Ciné-Asie Critique - Shokuzai Coffret 2 films

Lundi, 20 Janvier 2014 à 13h00

En ce début de semaine, nous vous proposons la chronique de RogueAerith portant sur le coffret Shokuzai, qui contient les deux films de la saga.



Dans la cour d’école d’une petite ville japonaise, à la campagne, quatre fillettes sont les seules témoins du viol et de l'assassinat de leur nouvelle camarade de classe, Emili. Sous le choc, aucune n’est capable de se souvenir du visage du tueur. Asako, la mère d’Emili, inconsolable, invite alors les quatre filles chez elle, et leur lance froidement un ultimatum : si elles ne se rappellent pas de quelque chose, elles devront faire pénitence toute leur vie. Quinze ans après, que sont-elles devenues ? Deux d'entre elles veulent se souvenir, les deux autres oublier...

Sorti exclusivement chez Fnac en coffret, « Shokuzai Parties 1 et 2 » est un diptyque réalisé par Kiyoshi Kurosawa (pas de lien de parenté connu avec Akira Kurosawa, le réalisateur de chefs d'oeuvre). Kiyoshi Kurosawa a acquis une renommée avec ses premiers films, tendant fortement vers la série B (des polars surnaturels tels que « Cure », « Kaïro » ou « Charisma »), bien accueillis par la presse cinéphile. En 2008, il a surpris tout le monde en signant une chronique poignante sur la vie d'une famille japonaise contemporaine, où la violence sociale côtoie la critique du modèle social nippon : « Tokyo sonata » (qui n'a malheureusement pas eu droit à une sortie DVD en France, constat d'autant plus étonnant que sa sortie au cinéma avait eu lieu, et n'avait pas fait un flop).
 

 
 
Avant d'être un diptyque, « Shokuzai » est un roman, best-seller de Kanae Minato. Kurosawa en a fait une série TV (dite « drama » au Japon) de 5 épisodes produite par la chaîne Wowow, diffusée début 2012, puis remontée en 2 films en vue d'une diffusion à la Mostra de Venise 2012 avant d'être distribués dans les salles obscures. Il est particulièrement important de souligner cette genèse – difficile d'après le réalisateur – puisque de lourds défauts inhérents aux deux films sont imputables au format d'origine. De plus, si « Shokuzai » a eu droit à des critiques dithyrambiques lors de sa sortie en France, les deux films ont aussi leurs détracteurs, dont votre serviteur. Effectivement, derrière une narration bien pensée et des personnages assez excellents se cachent des incohérences monstrueuses et de grosses erreurs de montage dues au format « drama » original.

Première chose : si certains films issus de diptyques peuvent être parfaitement savourés l'un sans l'autre (voir le nouveau modèle du genre : « Kill Bill »), cela n'est pas le cas de « Shokuzai ». Regarder la première partie sans la seconde, et vice-versa, ne revêt aucun intérêt. D'abord parce que la partie 1 vous laissera sur un suspense insoutenable. Ensuite parce que la partie 2 ne s'embarrasse d'aucune espèce de résumé. La séparation entre les deux films n'est donc que purement pratique, et au vu du résultat, on se demande s'il n'aurait pas été plus judicieux de faire tenir le tout en un film, ce qui était parfaitement possible, surtout quand on voit les longueurs scénaristiques à la fin du deuxième opus... Qui plus est, des films s'étendant sur plus ou moins 4 heures, cela s'est déjà vu (« Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone, les trois « Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson), et c'était souvent très bien comme ça, sans avoir besoin de couper abruptement comme Kiyoshi Kurosawa l'a fait ici. Mais on reviendra sur le montage, assez chaotique, dans quelques lignes. Tout n'est cependant pas à jeter dans le choix fait de couper en deux films : la séparation nette en 6 chapitres (l'introduction avec l'assassinat de la jeune Emili, puis le destin de la première fille, de la seconde, de la troisième, de la quatrième et enfin la conclusion avec la mère) sert le suspense, et c'est là le plus important.
 

 
 
« Shokuzai » a des qualités, c'est certain. Son scénario tout d'abord. L'histoire nous lance sur une réflexion a priori simple : quelles ont été les conséquences de l'assassinat, puis de l'ultimatum lancé par Asako, sur chacune des fillettes ? Comment ont évolué leur personnalité, leur tempérament ? Le cinéaste réussit son coup en nous présentant à chaque segment l'une des jeunes femmes, qui ont des réactions bien différentes ! Cette diversité des profils, le soin apporté à l'écriture de chaque personnage, la richesse psychologique qui les entoure, est incontestablement la plus grande réussite du film. Certains pourront cependant trouver ces différences trop marquées, les parcours respectifs trop caricaturaux, en particulier chez la première fille. Ces différences expliquent en tous cas parfaitement et intelligemment les titres des deux films : Partie 1 – Celles qui voulaient oublier et Partie 2 – Celles qui voulaient se souvenir. Et le titre principal, « Shokuzai » ? Cela signifie « pénitence ». Quatre filles, quatre formes de pénitence. Et ce n'est pas tant se souvenir/oublier le visage ou la voix du tueur qui se révèle capital pour les jeunes femmes, mais la recherche d’une absolution auprès de la mère. La narration est donc fine, avec des psychologies bien pensées. Il m'importe d'attiser votre curiosité sur ces quatre personnages sans trop vous en dire. Disons que toutes entretiennent un rapport pathologique vis-à-vis des hommes, qui n'auront d'ailleurs pas le beau rôle ici, tour-à-tour pervers, manipulateur, hypocrite, lâche. La première fille, Sae, est guidée par une douceur et une peur qui la conduiront à la soumission. La seconde, Maki, est l'archétype de la psychorigide. Ne s'étant jamais pardonnée l'oubli du visage du tueur, ayant pris sur elle, elle cultive un tempérament dur pour ne plus jamais avoir à commettre d'erreur. La troisième, Akiko, se surnomme la femme-ours. Renfermée, sans-emploi, vivant encore chez ses parents, sa seule joie est de pouvoir jouer avec sa nièce. C'est comme si le temps s'était arrêté depuis l'assassinat, Akiko n'ayant jamais pu acquérir une maturité, restée au stade de petite fille, et donc semblant totalement inhibée pour son âge. La quatrième, Yuka, est une mangeuse d'hommes, charmée par leur côté protecteur. C'est avec elle que le scénario basculera, puisque le mauvais rôle ne sera ici plus exclusivement masculin. Et c'est face à elle qu'Asako Adachi, la mère d'Emili, trouvera la seule marque de résistance... et paradoxalement les réponses attendues, mais pas question de vous révéler quoique que ce soit d'autre, j'en ai déjà trop dit.
C'est à la cinquième femme qu'il faut maintenant s'intéresser : la mère. Le meilleur personnage soit dit en passant. Kurosawa évite tout manichéisme en suscitant à la fois l'empathie envers cette femme ayant perdu son enfant, puis sa mutation en Nemesis qui refusera de faire le deuil. Toujours habillée de noir, d'une classe sans pareille, interprétée par la formidable Kyoko Koizumi, cette mère fait office de démon malin, inquiétant et très beau (car Kyon-Kyon, surnom de l'actrice de plus de 45 ans aujourd'hui, est belle, à n'en pas douter). Le dernier segment, focalisé sur la mère, change en tous cas massivement la donne. Celle qui a tant maltraité les jeunes filles, sûre d'elle, forte, implacable, est-elle aussi blanche qu'elle le croit ? La pénitence ne devrait-elle pas avant tout venir d'elle ? Lors de ce dernier chapitre centré sur cette mère qui cherche la réponse finale, pouvant enfin mener sa vengeance, on se surprend à détecter un fort penchant vers le « vigilante » (polar noir mâtiné de vendetta), ce genre cinématographique sud-coréen qui a fait beaucoup d'heureux. Certes, ce dernier segment est inutilement long. Mais le changement d'ambiance amené est un petit régal, permettant de diversifier encore ce diptyque définitivement bien écrit. Le maniement du suspense est, avec la psychologie de chaque personnage, l'incontestable atout de « Shokuzai ».


 
 
Mais voici venir les lignes des reproches. Pire, des critiques franchement négatives. Croyez bien que j'aurais aimé évité cela, tant les forces du film m'ont séduit.

Premier défaut ? Des incohérences. Partout. Souvent. Un manque de logique, et donc de rigueur, tout à fait déplorable. Les exemples les plus fameux me conduiraient à révéler des éléments-clefs. Hors de question pour moi de spoiler, il faudra me croire sur parole. Sachez en tous cas que : la mère se trouvera toujours au bon endroit au bon moment ; la police est d'une imbécillité sans nom ; la force des coups physiquement donnés n'est pas proportionnelle au résultat. Ces trois éléments suffiront à gâcher royalement l'expérience. Il est étonnant, et rare, de voir un film où les grandes qualités sont aussitôt effacées par les gros défauts. Le ton shakespearien à la fin du segment consacré à la deuxième fille se trouvera supplanté par une mise en scène surjouée frôlant le ridicule. Et tout l'aspect métaphorique, notamment la figure de la mère en Nemesis, intéressant à suivre au demeurant, se trouvera ruiné par sa présence inopportune (pour le dire autrement : « elle débarque comme une fleur ») à la fin du premier segment, à un moment critique, comme par hasard. Les autres exemples sont légions, et concernent essentiellement les segments consacrés à Yuka et à la mère, mais je ne peux vous les expliquer sans vous révéler l'intrigue. Au final, le segment qui m'a le plus convaincu est le plus homogène (celui consacré à Akiko), où les incohérences sont totalement absentes, mais qui n'est, objectivement, pas le plus passionnant. Quel dommage.

Second défaut : même si le suspense est bel et bien là, le montage est catastrophique. Les films semblent directement avoir été rassemblés par rapport à la version « drama ». Les transitions sont abruptes... voire pour ainsi dire inexistantes. Il faut toujours un temps d'adaptation pour se retrouver dans un nouveau segment, adaptation heureusement facilitée par les qualités de narration précédemment mises en avant.
 

 
 
De transition je ne manquerai pas puisque le second défaut fait écho aux bonus DVD... aux abonnés absents. Alors certes, lorsqu'on voit que « Tokyo sonata » est encore inédit en DVD en France alors même qu'il est sorti au cinéma, certains pourront se dire qu'on a de la chance de voir débarquer « Shokuzai ». Oui mais non, pas comme ça : il était plus que nécessaire d'agrémenter les galettes en bonus pour ce diptyque, avec un making-of qui aurait permis de se rendre compte des difficultés du réalisateur, des erreurs de montage, mais aussi des interviews des actrices pour connaître leur ressenti sur le personnage interprété et sur celui de leur collègue... Franchement, c'était le minimum. Et bien RIEN !

Trop inégal pour être pleinement satisfaisant, ce « Shokuzai » nous laisse avec de gros regrets : ses défauts corrigés, ce drame avait tout pour être le meilleur film japonais de l'année 2012, voire de ce début de décennie... Il ne faut parfois pas grand chose.
   

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