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Ciné-Asie Critique - Les 7 samourais

Vendredi, 05 Juillet 2013 à 14h00

Aujourd'hui, nous vous proposons une chronique d'un film japonais culte, réalisé par Akira KurosawaLes Sept samouraïs. Notre chroniqueur RogueAerith vous montrera que, bien que ce film soit sorti en 1954, son charme et son efficacité continuent d'impressionner encore aujourd'hui!
 
 
 
Dans le Japon médiéval de la fin du XVI°siècle, la tranquillité d'un petit village est troublée par les attaques répétées d'une bande de pillards. Le village n'a pas d'autre choix que celui d'avoir recours aux services de samouraïs. Sept d'entre eux acceptent de défendre les paysans impuissants. À quel prix, et pour quelle récompense ?

Réalisé par Akira Kurosawa, « Les Sept samouraïs » a largement contribué à la renommée de son réalisateur, et a rencontré un énorme succès commercial, inédit pour un film asiatique. Il demeure aujourd'hui l'un des films japonais les plus célèbres dans le Monde, et l'un des plus gros budgets du cinéma japonais. Il a inspiré beaucoup de réalisateurs : adaptation en western (Les Sept Mercenaires) en 1960, idée du recrutement des samouraïs repris par Soderbergh dans son Ocean's eleven pour le casting des membres du casse. En fait, l'influence du film et sa portée dans le cinéma mondial sont bien trop étendues pour en dresser un inventaire exhaustif. Les réalisateurs de western américains ont en tous cas considéré que leur genre avait été bouleversé par « Les Sept samouraïs » davantage que par des westerns purs. Kurosawa a lui-même tiré ses influences humanistes pour ce film de la littérature, notamment de Shakespeare et Tolstoï.


Plus de 3h20 d'un film étranger datant des années 1950 (1954 pour être précis), en noir et blanc, suivant une mise en scène paraissant forcément aujourd'hui quelque peu saccadée : le spectateur contemporain a de quoi être quelque peu refroidi avant même le visionnage. Les Occidentaux n'ont d'ailleurs pas eu accès à la version originale de 3h20 pendant des années, les producteurs ayant décidé de mettre sur le marché des copies écourtées de crainte que les spectateurs s'ennuient. Alors cette version longue des « Sept samouraïs » est-elle aujourd'hui totalement désuète et inadaptée à l'Occident ? Loin de là. Mais je vous vois venir : vous imaginez qu'en tant que chroniqueur de cinéma asiatique, je suis nécessairement un passionné (en cela, vous n'avez pas totalement tort), manquant d'objectivité, et que, ce film ayant acquis le statut d'« oeuvre culte », il serait interdit pour moi d'en faire une critique pointant d'éventuels défauts, que je serais obligé d'en dire du bien. Détrompez-vous : je n'apprécie pas franchement les « vieux films » en noir et blanc (des années 30 jusqu'aux années 60), qu'ils soient occidentaux ou orientaux. En cela, j'étais comme vous, peu sûr de moi au moment de placer le DVD dans le lecteur, pour une soirée de plus de 3 heures. Il s'est simplement passé quelque chose d'extraordinaire : je ne suis pas fan de films longs, en noir et blanc, avec une mise en scène d'un autre temps, mais j'ai tout simplement ADORÉ « Les Sept samouraïs ». Et voici pourquoi.


3h20 de film. Impensable de supporter cela pour certains, sauf quand il s'agit d'un gros blockbuster américain. Oui mais voilà : « Les Sept samouraïs » surprend par ses accents contemporains : le film sait aussi bien offrir un bon bol d'action que développer ses personnages en prenant son temps. Même si certains brillent plus que d'autres, les sept samouraïs feront l'objet d'un traitement particulier, tous ayant une personnalité bien différente. Un petit écueil pourra néanmoins venir troubler le plaisir de la découverte de ces sabreurs sans maître, puisqu'à cause d'une image parfois floue et granuleuse, et des plans un peu éloignés, on pourra confondre un ou deux d'entre eux lors de moments-clefs. Les paysans ne sont pas en reste, un intérêt spécial étant porté aux émissaires chargés du recrutement, au chef du village, et à une jeune fille qui entretiendra une relation avec le plus jeune des samouraïs, relation pourtant interdite par le système de classes sociales de l'époque.

Les deux autres points forts des « Sept samouraïs » résident dans son récit, incroyablement bien rythmé, ce qui fait que l'on ne voit vraiment pas le temps passer, mais aussi par une vraie modernité thématique contribuant à en faire une œuvre réellement universelle. Demeurant très accessible pour les néophytes, le film propose pourtant une richesse impressionnante de thèmes et d'émotions. Kurosawa donne sa vision de ce que représentaient les samouraïs, loin de l'image largement diffusée en Occident d'hommes formés au combat, riches et présomptueux. Ici, les samouraïs sont autodidactes, pauvres, dignes et... vagabonds (tout ce qu'on retrouve dans le manga de Takehiko Inoue). Plutôt que déifiés, les samouraïs sont humanisés. Ils se battent pour manger et avoir un toit, semblent chercher quelque chose, un sens – le film ne s'égare heureusement jamais dans des considérations métaphysiques lourdingues – dans cette vie assez misérable, et la mort les guette à chaque instant suite à un coup de sabre. Loin d'être les protecteurs privilégiés de notables, ces samouraïs sont vêtus d'habits boueux, et finalement peu respectés jusqu'à l'accomplissement de leur mission. Les samouraïs décrits ici ne combattront d'ailleurs que pour la maigre récompense de trois repas par jour, du riz et quelques légumes uniquement, puisque le village n'a que peu de récoltes suite à une première attaque des brigands. Pourtant, c'est leur code d'honneur et leur perspicacité, leur clairvoyance sur la nature humaine, qui les distinguent des autres individus. Le code d'honneur les mènera à la victoire, mais aussi, le plus souvent, à leur perte. Kurosawa décrit une alliance de différentes individualités tendant vers un objectif commun et désintéressé, hormis quelques grains de riz.


La modernité thématique est associée à la richesse thématique, puisque le réalisateur nippon a de la place pour traiter de différents sujets : le quotidien des paysans et celui des samouraïs, le système de classes dans le Japon féodal, les difficiles relations entre celles-ci (que de difficultés pour les samouraïs avant d'être acceptés par les paysans !), la responsabilisation (les samouraïs voudront apprendre aux paysans, vaillants pour le travail de la terre mais véritables pleutres lorsqu'il s'agit de se défendre, à manier les armes), la stratégie des batailles menées (discours géniaux entre les samouraïs pour établir les stratégies de défense du village).

Mais ce qu'il y a de plus grand dans « Les Sept samouraïs », plus que son déroulement, c'est sa fin, baignée dans une nostalgie superbe et une morale saisissante, montrant toute l'ambiguïté des paysans et leur ingratitude envers les samouraïs, qui transparaissent dans les ultimes paroles d'un personnage (dont on taira l'identité pour ne rien révéler), montrant que Kurosawa a tout saisi de « l'esprit du samouraï ». Ce cinéaste est décidément bien le maître des fins maîtrisées et puissantes (personnellement, je ne me remets toujours pas de celle de Kagemusha). Cette fin magnifique témoigne de la subtilité permanente régissant l'ensemble du film.

Le temps qui passe ne se fait sentir que sur un seul point : la mise en scène. Bien que Kurosawa excelle dans les plans larges (la beauté des décors n'est pas trop atteinte par le noir et blanc), et que le réalisme et la fluidité des combats est toujours bien là aujourd'hui, la transition entre certaines séquences peut paraître un peu abrupte : mais ce constat est plus dû aux (mauvaises ?) habitudes prises devant le cinéma actuel, rapide mais soignant ses transitions, qu'à un défaut intrinsèque du film de Kurosawa. La bande-son s'avère excellente, avec son thème d'ouverture et la fin se clôturant sur un chant paysan, mais aussi intelligente, faisant la part belle au silence. Les combats et les infiltrations ne sont pas encombrées de musiques d'ambiance, une particularité des films de sabre asiatiques d'antan.


L'impact héroïque est combiné à un humour ressortant de l'excentricité du personnage de Kikuchiyo, sans nul doute le plus intéressant du film, puisqu'ancien fils de paysan qui a pu se convertir en samouraï, faisant ainsi fi du système de classes sociales. Joué par Toshiro Mifûne, le côté cabotin rend ce personnage complexe très attachant et sensible. Les autres interprétations sont d'excellente qualité, Akira Kurosawa ayant vraiment su s'entourer d'acteurs collant parfaitement à leur rôle. On retiendra plus particulièrement Takashi Shimura, qui interprète parfaitement le plus vieux des samouraïs, sage et maître en stratégie, qui sera désigné malgré lui par les autres comme le sensei, chef de la troupe, mais aussi Seiji Miyaguchi, qui joue le meilleur bretteur, taciturne et froid, mais s'ouvrant peu à peu aux autres, avec son physique particulier et la « gueule » de l'emploi (devinez à partir de quelle référence a été construite son personnage ? Miyamoto Musashi, bien sûr, que l'on retrouve dans le manga Vagabond).

On ne saurait trop vous conseiller de prendre garde à l'édition que vous déciderez d'acheter : il vous faut à tout prix vous rabattre sur la version longue du film (3h20 donc), sachant que la version courte distribuée autrefois en Europe est privée de scènes importantes et brise l'équilibre instauré par Kurosawa. La plupart des éditions contenant la version longue sont, qui plus est, généralement agrémentées de bonus qui valent le détour.

Au final, on se surprend à voir dans « Les Sept samouraïs » un divertissement aussi efficace que peut l'être un film d'aujourd'hui, ainsi qu'un portrait exhaustif de la figure du samouraï. Le meilleur film de samouraïs ? Assurément. À la fois épique, humaniste et tragique, « Les Sept samouraïs » est un chef d’œuvre comme on n'en fait plus.
  

commentaires

pH57

De pH57 [25 Pts], le 05 Juillet 2013 à 20h45

Belle chronique qui saura convaincre les plus réticents au 3h20 en noir et blanc.

Dans le top 3 de mes films favoris. Mifune et Miyaguchi sont majistraux. Les traits de caractères de chaques samourai ici créé a servi de base pour bon nombre de perso de shonen actuel. Ce film est a voir pour tout amateur de culture japonaise!

JohnDoe

De JohnDoe [599 Pts], le 05 Juillet 2013 à 18h19

Une belle critique pour cet excellent film du brillant Kurosawa.
Sergio Leone saura se souvenir d'un autre film du même réalisateur (Yojimbo/Le Garde du Corps) au moment de signer le premier film de sa trilogie des dollars avec Eastwood...

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