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Ciné-Asie Critique - The Unjust

Jeudi, 18 Octobre 2012 à 11h06

On termine notre semaine consacrée au réalisateur Ryoo Seung-Wan avec la critique du film The Unjust !


 

« Dis-moi juste une chose... est-ce qu'on est du bon côté ? » « Quelle importance... il suffit de le penser. »

Un violeur et tueur d'adolescentes sévit en Corée du Sud. Le suspect numéro un est abattu, mais tout porte à croire qu'il ne s'agissait pas du coupable. Afin de rassurer l’opinion publique, la bavure est passée sous silence et l'inspecteur Choi (Jeong-Min Hwang) est chargé par sa hiérarchie d'organiser l'arrestation d'un faux coupable (un « homme de paille »). L'inspecteur Choi contacte Jang (Yu Hae-Jin), un gangster qui doit convaincre par ses propres moyens le futur « homme de paille » de passer aux aveux. Mais le mafieux profite de la situation pour faire assassiner un de ses concurrents. Or, ce dernier était en rapport avec le procureur Joon-Yang (Ryu Seung-Bum), qui va alors décider de faire éclater l'affaire du faux coupable au grand jour. Des rapports de force entre police, justice, mafia, presse, toutes corrompues jusqu'à la moelle, s'engagent. Le plus astucieux remportera la partie et les honneurs.

Sorti en 2010 en Corée (et distribué en 2012 en France), « The Unjust » est réalisé par Ryu Seung-Wan, déjà à l'origine de films dont la diversité étonne. Après les films d'action (« No blood no tears », « Arahan »), le film de combats (« City of violence »), un film de boxe sur fond de drame social (« Crying fist »), une comédie complètement barrée (« Crazy Lee »), Ryu Seung-Wan entre dans un genre dans lequel les réalisateurs sud-coréens sont absolument redoutables (et jusqu'à preuve du contraire, où ils sont les meilleurs au côté des Américains) : le thriller/polar noir. « The Unjust » s'inscrit dans cette vague, et profite non seulement d'avoir Ryu Seung-Wan à la réalisation, mais aussi le scénariste de l'excellentissime « J'ai rencontré le diable », Park Hoon-Jung. Pourtant, la concurrence a été rude en 2010-2011, avec les sorties de « J'ai rencontré le diable » de Kim Jee-Woon, de « The Murderer » de Na Hong-Jin ou encore de « The Man from nowhere » de Lee Jeong-Beom. « The Unjust » a-t-il de quoi se faire une place ? Oui, incontestablement.

Au jeu des comparaisons, « J'ai rencontré le diable » mise sur un effet toujours plus, façon « better, faster, stronger », devenant le vigilante de référence puisqu'étant à la fois le plus complet, le plus exagéré et le plus soigné ; « The Murderer » mise sur un rythme effréné et une mise en scène inventive ; « The Man from nowhere » sur une efficacité classique, augmentée de quelques très bonnes idées... « The Unjust », lui, se distingue par son scénario, beaucoup plus complexe que ce qu'on a l'habitude de voir dans le genre, où les jeux de dupes sont multiples. Cette complexité, hélas, est à la fois la principale qualité et le principal défaut du film.

Le portrait de la société coréenne y est absolument sans concessions : la corruption est absolument partout. La morale, l’éthique, sont reléguées dans le caniveau par les intérêts, les aspirations, les désirs de chacun. Ainsi, « The Unjust » est le thriller anti-manichéen par excellence (caractéristique qu'il partage, ce n'est pas un hasard, avec « J'ai rencontré le diable ») : tous les personnages sont corrompus, pourris. Des petits arrangements pour essayer de sortir un membre de sa famille de l'embarras jusqu'à l'obtention d'un marché public, en passant par des relations amoureuses opportunistes entre puissants, les institutions coréennes s'en prennent plein la tronche. L'aspect le plus réussi et abouti du film est bien là : le scénario brille en usant des liens entre les personnages appartenant à différentes instituions, ce qui donne lieu à des retournements de situation réussis. La police, le parquet, le siège, la presse, la mafia : tous ces milieux sont liés entre eux dans « The Unjust ». Le film va ainsi bien plus loin que le triangle Choi (inspecteur), Jang (mafia) et Joo (procureur), que l'on peut observer sur la jaquette. Pour faire simple, un inspecteur (la police) demande à un voyou travaillant dans l'immobilier (la mafia) de régler un problème pour elle, le voyou en profite pour alerter un procureur (le parquet), qui arrose un journaliste (la presse) pour embarrasser la police, et lorsque le procureur a lui-même des problèmes, son beau-père est là pour régler tout ça (à vous de mettre ce qui manque dans cette parenthèse, et vous aurez tout compris). Le scénario de « The Unjust » est donc marqué par ce fil passant d'institution pourrie en institution pourrie, sur fond de rivalité, de faux-semblants... et avec, peut-être, la présence de taupes (on ne vous spoilera pas !). Et de toute façon, ne vous arrêtez pas au petit résumé précédent, des éléments viennent se greffer tout au long du film pour montrer que tout est interconnecté.

Cette corruption omniprésente est renforcée par l'archi-dominance de la hiérarchie. Prenons deux cas dans le film. Primo, un commissaire divisionnaire (un vieux) demande à l'inspecteur Choi obsédé par sa promotion (âge moyen) de résoudre une affaire, ça se passera mal, et les bleus (les plus jeunes) en feront les frais. Deuxio, le procureur général (un vieux) demande au procureur Joo (âge moyen), ultra-zêlé, d'abandonner les poursuites, les sous-fifres (salariés du bureau du proc') subissant le courroux de leur chef. Le film est de même ultra-masculin, la femme n'ayant pas de place dans cette société coréenne où les hommes dé(font) la loi. Le système est vicié, autant horizontalement que verticalement.

La fin, hautement symbolique, montre néanmoins que la justice est en quelque sorte plus forte que tout, s'imposant violemment, se rétablissant d’elle-même, de façon très ironique... mais cela n'est que passager, puisque la corruption reviendra au galop dans la dernière minute, renforcée par un plan vertigineux qui se détache des personnages pour filmer toute l'immensité d'une ville totalement corrompue.

Dans tous les aspects vus précédemment, « The Unjust » ressemble beaucoup au formidable « Infernal affairs ». Pourtant, le film coréen se distingue du hongkongais : il n'est jamais aussi clair, aussi efficace, aussi passionnant. Trop long (presque deux heures), « The Unjust » a beaucoup de mal à décoller, et pour cause : tel un jeu d'échecs, il faut le temps dans la première demie-heure de tout mettre en place, ce que Ryu Seung-Wan semble avoir eu beaucoup de difficultés à faire (en témoignent les sous-titres incrustés pour mentionner l'identité des personnages au début, afin que le spectateur puisse comprendre un minimum l'heure et demie suivante). Ainsi, si le scénario de Park Hoon-Jung est absolument excellent, on a bien l'impression que c'est le réalisateur, Ryu Seung-Wan qui a eu du mal à suivre, à le mettre en valeur. La mise en scène est trop lourde. « The Unjust » est bavard, et la narration manque cruellement de dynamisme. Sur deux heures, malgré l'ambiance absolument géniale de corruption permanente, on s'ennuie. Mais on n'a pas intérêt à lâcher, car sinon, il sera difficile de tout bien saisir !

Pourtant, la mise en scène ne peut être totalement mauvaise, Ryu Seung-Wan proposant quelque chose de différent, qui pourrait être une porte de sortie pour un genre qui semble totalement exploité depuis plus de dix ans (la faute aussi, au jusqu'au boutiste « J'ai rencontré le diable », avec lequel on a eu l'impression de tout avoir). Cigarette électronique plutôt que cigarette pour faire classe, limitation de la violence, refus des scènes classieuses centrées sur le jeu des acteurs adoptant des poses invraisemblables dans des décors esthétisés. Préférer s'attacher à un récit alambiqué, gaver d’informations le spectateur, se fait aussi au détriment de l'attachement aux personnages, qui sont de toute façon tous pourris... ce qui est paradoxalement pas plus mal, et crée parfois une situation inédite (le seul personnage auquel on peut s'attacher est l'homme de paille... intelligent, au regard de ce qui survient à la fin). De plus, le réalisateur demande beaucoup d'attention au spectateur, qui trouve une récompense à la fin (faites particulièrement attention aux conversations téléphoniques... des personnages secondaires). Il y a bien, dans « The Unjust », un refus du cinéaste de remplir le cahier des charges formel du thriller/polar, et c'est tant mieux.

Au niveau du casting, c'est un peu inégal. Ryu Seung-Bum s'en sort très bien. Le boxeur silencieux de « Crying fist » surprend de nouveau ici, en jouant un procureur outrancier. Yu Hae-Jin, qui joue le mafieux Jang, est sans doute le meilleur, grâce à sa « gueule » mémorable (façon Steve Buscemi à la coréenne) et sa peau élastique. La déception vient du côté de Jeong-Min Hwang, qui joue l'inspecteur Choi. L'interprétation manque de punch, à cause de son personnage sans doute trop faiblard, et qui n'emporte aucunement l'empathie, à la fin.

Côté édition, gros coup de gueule : on se croirait revenu au début de l'ère DVD. On a droit au film avec image et son bien supérieurs à de la VHS, en VF (médiocre), ou en VO sous-titrée (sans coquilles, heureusement), un chapitrage... et c'est tout ! Les bonus ? Deux pauvres liens internet faisant de la publicité pour l'éditeur, et quelques bandes-annonces. Pas de making-of, pas d'interviews, rien !!! Pour un film avec un scénario aussi riche, il aurait été plus que judicieux de poser quelques questions au réalisateur Ryu Seung-Wan ou au scénariste Park Hoon-Jung, d'autant que le premier a été de passage en France lors de festivals ces dernières années. Ce genre d'édition, vendue au prix fort, est absolument déplorable.

En préférant miser sur un scénario riche et complexe, mais en ratant sa narration et en s'attachant à une mise en scène pas assez originale, malgré quelques idées excellentes, Ryu Seung-Wan déçoit un peu. Pas suffisamment énergique, trop lent, trop long, « The Unjust » est inégal, mais son scénario caustique est formidable.
 

commentaires

shinob

De shinob [127 Pts], le 19 Octobre 2012 à 17h22

Comme Koiwai, un achat prévu mais j'attends que le prix du BR baisse.

Kimi

De Kimi [3391 Pts], le 19 Octobre 2012 à 11h19

Curieux également ! J'y jetterai un coup d'oeil. :)

Luciole21

De Luciole21 [2209 Pts], le 18 Octobre 2012 à 19h16

J'aime la citation.

Koiwai

De Koiwai [12807 Pts], le 18 Octobre 2012 à 18h37

Un film qui me faisait de l'oeil lors de sa sortie. La chronique me rend curieux, malgré les défauts évoqués. Je le tenterai sûrement quand je le trouverai pour pas cher.

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