Ciné-Asie Critique - City of Violence
Cette semaine, nous allons mettre à l'honneur le réalisateur Ryoo Seung-Wan en vous proposant le décryptage de deux de ses films.
On commence aujourd'hui avec City of Violence, produit en 2006 !
L'inspecteur de police Tae-Su (Jung Doo-Hong) revient dans la ville de son enfance à l'occasion des funérailles d'un ami, Wang-Jae. Face aux circonstances de la mort de son ami, Tae-Su décide de mener l'enquête, avec l'aide d'un autre ami d'enfance, Seok-Hwan (Ryu Seung-Wan).
Sorti en 2006, « City of violence » apparaît comme le petit plaisir de son réalisateur, Ryu Seung-Wan. Celui-ci nous informe dans les bonus qu'il avait toujours voulu faire un film de genre (en l'occurrence, un film de combats), et qu'il n'en ferait sans doute plus aucun après. Grand bien lui en a pris : « City of violence » est un vrai divertissement sans prise de tête. Mais ne me faites pas écrire ce que je n'écris pas : un vrai divertissement n'est pas forcément synonyme de film bourrin dénué de travail, de détails, de petits éléments qui font la différence. Trop souvent, le spectateur aime se complaire dans la médiocrité (en l'assumant plus ou moins, ce n'est pas mon problème), en arguant qu'à côté de films dits indépendants ou d'auteur, il aime regarder de temps à autre, « pour se vider la tête », un « bon divertissement ». Un blockbuster américain testostéroné et ultra-caricatural (façon Michael Bay), une petite comédie qui ne fait pas de mal à une mouche (et c'est là d'où vient le problème généralement...), ou encore un nanar comme il y en a tant (horreur, arts martiaux, monstres... le cinéma nippon contemporain est trop riche de ce côté-là...). « City of violence », lui, ne prétend pas être ce qu'il n'est pas : ce n’est pas vraiment un film de combats bien bourrin à la « Ong Bak » ou comme le récent « The raid ». Même si les scènes de combat sont omniprésentes, elles ne constituent pas l'ossature du film. En fait, le scénario et la narration simplistes, voire carrément insuffisantes, s'avèrent compensées par la volonté et le talent d'un réalisateur qui ne se contente pas d'un vulgaire « produit ». Effectivement, Ryu Seung-Wan profite de ce « City of violence » pour aiguiser son sens de la mise en scène, et proposer quelques bons morceaux d'originalité.
Contrairement à ce que certains en ont dit, les références ne débordent pas. Trop de Tarantino, trop de Tsui Hark ? « City of violence » y fait penser, notamment à la fin, mais ne se rapproche jamais de l'hommage, du plagiat ou du pastiche : le film a une véritable identité. La référence la plus appuyée est musicale, puisqu'en l'occurrence, le thème principal fait intelligemment penser à du western spaghetti de Sergio Leone (telle était d'ailleurs la volonté du cinéaste).
La particularité de « City of violence », c'est que les deux acteurs principaux, Ryu Seung-Wan et Jung Doo-Hong, sont le réalisateur et le chorégraphe eux-mêmes. Et vous savez quoi ? Le film n'en est que mieux calibré ! Les petites compétences martiales du réalisateur font mouche, les erreurs étant compensées par une réalisation très propre, le spectateur n'y voyant que du feu. Quant au chorégraphe-acteur Jung Doo-Hong, il est forcément plus surprenant. Si les scènes de combat de « City of violence » sont franchement réussies (on y reviendra), elles ne sont pas les plus impressionnantes vues ces dernières années (on pense à du Donnie Yen qui reste un petit cran au-dessus). Leur force tient d'abord dans leur réalisme. Zéro câble, performances athlétiques pures, et surtout réalisme des coups portés (avec blessures nombreuses à la clef pour les acteurs le plus souvent combattants professionnels) : « City of violence » a été comme qui dirait tourné à l'ancienne. Leur seconde force ? L'originalité. La scène de combat en milieu urbain est restée célèbre, le combat de fin à 2 contre 100 est excellente... Mais la plus réussie reste celle intervenant dans un commissariat, où le chorégraphe s'est fait assister par des professeurs d'une école de combat de Séoul, qui jouent eux-mêmes dans cette scène, et ont tous mis leur petit grain de sel pour que celle-ci soit la plus violente et réaliste possible : s'il y en a une qui puisse faire de l'ombre aux références du genre, c'est celle-là.
Mais comme dit précédemment, les scènes de combat ne constituent pas l'essentiel du film, même si celle de fin est généreuse car très longue. Au début, un aspect thriller flotte dans l'atmosphère, qui s'estompe bien rapidement, puisque les deux personnages principaux se rapprochent du principal suspect en quelques minutes. Une bonne dose d'humour, malgré la violence extrême, est de même présente, paradoxe utilisé dans le cinéma coréen pour souligner le ridicule des situations. Il y a aussi bon nombre de scènes typiquement coréennes, mettant en avant la bô gosse attitude et la classe des acteurs, un flash back quasi-mélancolique sur l'enfance de la bande d'amis, ou encore une critique sous-jacente de la société coréenne confrontée au boom économico-touristique ayant amené l'émergence de margoulins partout dans le pays. Pour autant, le résultat ne tient pas du mélange indigeste entre vendetta bourrine et série B (et pourquoi pas, néo-western). Le film reste homogène, tient franchement la route. Et la fin ne se prend pas au sérieux tout en restant très satisfaisante (formidable dernière réplique du réalisateur lui-même, au passage).
Mais si les combats ultra-dynamiques et bénéficiant d'une réalisation impeccable sont une réussite, et que la mise en scène donne lieu à pas mal de très bons moments (impressionnant accident de voiture), le film reste un divertissement, conçu pour être un divertissement, et ne peut que souffrir de séquences intermédiaires paraissant assez faiblardes. La faute à un scénario et une narration très simplistes. Tout est fait pour faire classe, ce qui donne souvent des dialogues naïfs, des méchants manichéens et caricaturaux, et une bô gosse attitude à laquelle il faut se conformer...
Passons aux bonus... Et quels bonus ! Des DVD comme celui-là, on voudrait en voir tout le temps ! Making-of de plus de 30 minutes, scènes coupées et alternatives commentées, reportage sur la conception des scènes d'action, et interview du réalisateur et de la productrice ! Un vrai plaisir, on vous dit. Tout cela permet de voir le travail fourni pour les chorégraphies des combats, avec des prestations qui sont souvent plus impressionnantes que leur rendu final (voir notamment Jung Doo-Hong courant sur des capots de voiture, ou encore les blessures des acteurs). C'est aussi l'occasion de voir le professionnalisme du réalisateur, qui s'est blessé aux ligaments du genou et a continué le film malgré cela. La vraie complicité entre les deux acteurs principaux, qui sont donc le réalisateur et le chorégraphe eux-mêmes, que l'on peut observer tout au long de ces bonus, n'est sans doute pas étrangère à la qualité de la réalisation, la rigueur étant patente.
« City of violence » nous confronte de plein fouet au paradoxe du « pur divertissement » : film de combats sans prise de tête, avec narration et scénario simplistes, mais non dépourvu d'idées, d'originalité, et bénéficiant d'une mise en scène franchement réussie, il a les défauts de ses qualités, et les qualités de ses défauts.
Rogue Aerith
On commence aujourd'hui avec City of Violence, produit en 2006 !
L'inspecteur de police Tae-Su (Jung Doo-Hong) revient dans la ville de son enfance à l'occasion des funérailles d'un ami, Wang-Jae. Face aux circonstances de la mort de son ami, Tae-Su décide de mener l'enquête, avec l'aide d'un autre ami d'enfance, Seok-Hwan (Ryu Seung-Wan).
Sorti en 2006, « City of violence » apparaît comme le petit plaisir de son réalisateur, Ryu Seung-Wan. Celui-ci nous informe dans les bonus qu'il avait toujours voulu faire un film de genre (en l'occurrence, un film de combats), et qu'il n'en ferait sans doute plus aucun après. Grand bien lui en a pris : « City of violence » est un vrai divertissement sans prise de tête. Mais ne me faites pas écrire ce que je n'écris pas : un vrai divertissement n'est pas forcément synonyme de film bourrin dénué de travail, de détails, de petits éléments qui font la différence. Trop souvent, le spectateur aime se complaire dans la médiocrité (en l'assumant plus ou moins, ce n'est pas mon problème), en arguant qu'à côté de films dits indépendants ou d'auteur, il aime regarder de temps à autre, « pour se vider la tête », un « bon divertissement ». Un blockbuster américain testostéroné et ultra-caricatural (façon Michael Bay), une petite comédie qui ne fait pas de mal à une mouche (et c'est là d'où vient le problème généralement...), ou encore un nanar comme il y en a tant (horreur, arts martiaux, monstres... le cinéma nippon contemporain est trop riche de ce côté-là...). « City of violence », lui, ne prétend pas être ce qu'il n'est pas : ce n’est pas vraiment un film de combats bien bourrin à la « Ong Bak » ou comme le récent « The raid ». Même si les scènes de combat sont omniprésentes, elles ne constituent pas l'ossature du film. En fait, le scénario et la narration simplistes, voire carrément insuffisantes, s'avèrent compensées par la volonté et le talent d'un réalisateur qui ne se contente pas d'un vulgaire « produit ». Effectivement, Ryu Seung-Wan profite de ce « City of violence » pour aiguiser son sens de la mise en scène, et proposer quelques bons morceaux d'originalité.
Contrairement à ce que certains en ont dit, les références ne débordent pas. Trop de Tarantino, trop de Tsui Hark ? « City of violence » y fait penser, notamment à la fin, mais ne se rapproche jamais de l'hommage, du plagiat ou du pastiche : le film a une véritable identité. La référence la plus appuyée est musicale, puisqu'en l'occurrence, le thème principal fait intelligemment penser à du western spaghetti de Sergio Leone (telle était d'ailleurs la volonté du cinéaste).
La particularité de « City of violence », c'est que les deux acteurs principaux, Ryu Seung-Wan et Jung Doo-Hong, sont le réalisateur et le chorégraphe eux-mêmes. Et vous savez quoi ? Le film n'en est que mieux calibré ! Les petites compétences martiales du réalisateur font mouche, les erreurs étant compensées par une réalisation très propre, le spectateur n'y voyant que du feu. Quant au chorégraphe-acteur Jung Doo-Hong, il est forcément plus surprenant. Si les scènes de combat de « City of violence » sont franchement réussies (on y reviendra), elles ne sont pas les plus impressionnantes vues ces dernières années (on pense à du Donnie Yen qui reste un petit cran au-dessus). Leur force tient d'abord dans leur réalisme. Zéro câble, performances athlétiques pures, et surtout réalisme des coups portés (avec blessures nombreuses à la clef pour les acteurs le plus souvent combattants professionnels) : « City of violence » a été comme qui dirait tourné à l'ancienne. Leur seconde force ? L'originalité. La scène de combat en milieu urbain est restée célèbre, le combat de fin à 2 contre 100 est excellente... Mais la plus réussie reste celle intervenant dans un commissariat, où le chorégraphe s'est fait assister par des professeurs d'une école de combat de Séoul, qui jouent eux-mêmes dans cette scène, et ont tous mis leur petit grain de sel pour que celle-ci soit la plus violente et réaliste possible : s'il y en a une qui puisse faire de l'ombre aux références du genre, c'est celle-là.
Mais comme dit précédemment, les scènes de combat ne constituent pas l'essentiel du film, même si celle de fin est généreuse car très longue. Au début, un aspect thriller flotte dans l'atmosphère, qui s'estompe bien rapidement, puisque les deux personnages principaux se rapprochent du principal suspect en quelques minutes. Une bonne dose d'humour, malgré la violence extrême, est de même présente, paradoxe utilisé dans le cinéma coréen pour souligner le ridicule des situations. Il y a aussi bon nombre de scènes typiquement coréennes, mettant en avant la bô gosse attitude et la classe des acteurs, un flash back quasi-mélancolique sur l'enfance de la bande d'amis, ou encore une critique sous-jacente de la société coréenne confrontée au boom économico-touristique ayant amené l'émergence de margoulins partout dans le pays. Pour autant, le résultat ne tient pas du mélange indigeste entre vendetta bourrine et série B (et pourquoi pas, néo-western). Le film reste homogène, tient franchement la route. Et la fin ne se prend pas au sérieux tout en restant très satisfaisante (formidable dernière réplique du réalisateur lui-même, au passage).
Mais si les combats ultra-dynamiques et bénéficiant d'une réalisation impeccable sont une réussite, et que la mise en scène donne lieu à pas mal de très bons moments (impressionnant accident de voiture), le film reste un divertissement, conçu pour être un divertissement, et ne peut que souffrir de séquences intermédiaires paraissant assez faiblardes. La faute à un scénario et une narration très simplistes. Tout est fait pour faire classe, ce qui donne souvent des dialogues naïfs, des méchants manichéens et caricaturaux, et une bô gosse attitude à laquelle il faut se conformer...
Passons aux bonus... Et quels bonus ! Des DVD comme celui-là, on voudrait en voir tout le temps ! Making-of de plus de 30 minutes, scènes coupées et alternatives commentées, reportage sur la conception des scènes d'action, et interview du réalisateur et de la productrice ! Un vrai plaisir, on vous dit. Tout cela permet de voir le travail fourni pour les chorégraphies des combats, avec des prestations qui sont souvent plus impressionnantes que leur rendu final (voir notamment Jung Doo-Hong courant sur des capots de voiture, ou encore les blessures des acteurs). C'est aussi l'occasion de voir le professionnalisme du réalisateur, qui s'est blessé aux ligaments du genou et a continué le film malgré cela. La vraie complicité entre les deux acteurs principaux, qui sont donc le réalisateur et le chorégraphe eux-mêmes, que l'on peut observer tout au long de ces bonus, n'est sans doute pas étrangère à la qualité de la réalisation, la rigueur étant patente.
« City of violence » nous confronte de plein fouet au paradoxe du « pur divertissement » : film de combats sans prise de tête, avec narration et scénario simplistes, mais non dépourvu d'idées, d'originalité, et bénéficiant d'une mise en scène franchement réussie, il a les défauts de ses qualités, et les qualités de ses défauts.
Rogue Aerith