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Ciné-Asie Critique - Yi Yi

Lundi, 09 Avril 2012 à 09h00

Récompensé du prix de la mise en scène par le festival de Cannes en 2000, le film Yi Yi d'Edward Yang dresse le portrait pudique mais passionnant d'une famille de Taipei.
Rogue s'est intéressé à ce film... voici sa critique !
 



A Taipei, la capitale de Taïwan. NJ Jiang (Wu Nien-jen) est un homme d'affaires. La crise de la quarantaine le guette : il se demande si sa vie n'aurait pas pu être différente. Sa rencontre fortuite avec un amour de jeunesse lui donne envie de tout laisser tomber et de repartir de zéro. Mais il ne peut se résoudre à abandonner sa famille, d'autant plus avec les événements qui s'annoncent. Pour NJ et ses enfants, sa fille adolescente Ting Ting et son fils de 8 ans Yang Yang, ces événements seront durs à surmonter.

Yi Yi (littéralement « Et un, et deux ») est un film taïwanais du réalisateur Edward Yang, sorti en 2000. Il a été acclamé par la critique et classé souvent comme l'un des meilleurs films produit dans la décennie 1990. Et cela, espérons que cette critique puisse vous en convaincre. Le festival de Cannes année 2000 n'était clairement pas le plus mauvais cru au niveau de la perspicacité dans les choix finaux du palmarès. Derrière le triomphe de Dancer in the dark se cachait ce petit bijou taïwanais qu'est Yi Yi, qui a reçu, et c'est la moindre des choses, le prix de la mise en scène. Certes, il y avait aussi le délicieux In the mood for love de Wong Kar-Wai et le jouissif O'brother des frères Coen, mais c'est une autre histoire. Yi Yi, lui, ne se contente pas d'être seulement poignant, saisissant, attendrissant... il est assez bouleversant. Ce qui l'est tout autant, c'est de savoir que le réalisateur nous a quittés en 2007 des suites d'un cancer du colon, et que l'on ne pourra plus profiter de son talent. On aime penser que le non moins génial Hou Hsiao-hsien, qui a collaboré avec lui, fait en quelque sorte office de successeur spirituel... mais non, le travail d'Edward Yang était décidément unique.

Edward Yang construit son film à partir de trois perspectives. On passe, durant tout le film, tour à tour de personnages en personnages, et plus précisément sur trois d'entre eux, appartenant à la même famille : NJ, le quadragénaire tourmenté, Ting Ting qui se construit comme jeune femme dans cette période charnière qu'est l'adolescence, et Yang Yang qui vit sa vie d'enfant. Le film explore ainsi sur trois générations les différentes étapes de la vie. Pour les trois protagonistes, une constante : l'amour, les conflits et l'ouverture vers le monde. Trois âges différents pour découvrir l'amour, trois âges différents pour découvrir la vie. Ce rapport au nombre n'est pas hasardeux, puisque le sous-titre du film (« a one and a two », soit « et un, et deux... ») annonce déjà la couleur. Ou alors, les traductions de « Yi Yi » étant multiples (« un à un », « l’un après l’autre », « tous et chacun »), le film renvoie au fait que les personnages vus traversent les expériences de la vie les uns après les autres, et que tous ne font finalement qu'un puisque les étapes vécues par l'un ont forcément déjà été vécues par l'autre (ce qui ramène au thème du personnage pluriel). Interprétations multiples, voilà l'une des premières richesses de Yi Yi, qui en regorge.

Sans aller jusqu'aux réflexions vues précédemment, le scénario est en tous cas très simple. Loin d'une simple chronique familiale dans une métropole géante, qui voit les rapports sociaux et familiaux d'une famille taïwanaise ordinaire éclater, puis se reconstruire, Yi Yi est avant tout un film sur la vie. Un film sur la vie ? Rien que ça ? Avec cet enjeu narratif, on pourrait penser le film boursouflé de toutes parts... Certainement pas : le résultat est tout à fait raffiné. La narration est équilibrée entre les trois protagonistes et la mise en scène hérite d'une petite trouvaille inestimable : parfois, lorsqu'un des trois personnages-clefs croise l'un des deux autres (ce qui n'arrive pas si souvent, car la cellule familiale est quelque peu dissoute), hop, le réalisateur change de point de vue, par un habile jeu de correspondances. Il y a aussi quelques scènes où on les retrouve réunis, mais cela n'intervient qu'à des moments déterminants pour l'intrigue. L'autre trouvaille, c'est la boucle opérée par le réalisateur : un mariage en début de film, un autre événement majeur en fin de film. Ainsi, à la fin de Yi Yi (qui dure presque 3 heures, que l'on ne voit d'ailleurs pas passé !), on a l'impression d'avoir fait le tour de la société et de la culture taïwanaise, et d'avoir un bon panorama de ce qu'est la vie, tellement l'oeuvre d'Edward Yang est riche. Vous trouvez cela exagéré ? Et bien regardez donc cette mosaïque d'émotions, sentiments, réflexions, expériences qu'est Yi Yi, il en ressortira forcément le meilleur. Sur presque 3 heures, on pourrait penser que la vie des trois membres de la famille Jiang nous ennuierait... et bien cela n'est pas le cas. D'ailleurs, le réalisateur nous ménage des surprises, dont l'une fait très peur, à un moment du film où l'ambiance générale se sera particulièrement noircie. Les plus belles surprises viennent de Yang Yang, l'enfant de 8 ans. Ce jeune acteur, il fallait le trouver. Comme sa soeur et son père, l'amour le prendra. Mais c'est surtout sa découverte du monde qui captive. Ce personnage malicieux est un bonheur, car lorsque les situations de son père et de sa soeur s'aggravent, lui vient alléger le film avec ses apprentissages remplis d'espièglerie, les bêtises faites en classe, son comportement pétri de mimiques et d'obsessions.

On se rend compte que les trois perspectives choisies par le réalisateur nourrissent tantôt sa narration, tantôt sa mise en scène, et contribuent à livrer un beau portrait de générations : crise de la quarantaine, adolescence, enfance. Un éternel insatisfait pourrait penser qu'avec son talent, Edward Yang aurait pu introduire un quatrième portrait (la vieillesse) sans que le film en soit alourdi... on peut considérer que c'est fait, grâce au personnage de la grand-mère qui devient en quelque sorte la base narrative du film à partir de quelques minutes (mais chut... vous verrez vous-même pourquoi).

On l'a déjà dit, Yi Yi est un film riche. Dans son scénario pourtant simple, sa mise en scène et son propos. Ce dernier est très marqué par l'étude des rapports entre modernité et tradition, voire la recherche de l'essence d'une identité taïwanaise qui serait en perdition. Un personnage, A-Di, beau-frère de NJ, tient un rôle tout aussi fondamental que celui des trois personnages-clefs. On le voit souvent, puisqu'il est aussi un collaborateur de NJ dans le milieu professionnel. A-Di illustre une perte de repères certaine. Entre ses déboires conjugaux et sa manière irrationnelle de mener ses affaires (les sciences occultes et le jeu), la décadence est bien là. Dans le Taïwan exposé dans Yi Yi, face à l'argent roi, les affaires ne peuvent être réalisées à partir des valeurs confucéennes ayant pourtant cimenté la civilisation sino-taïwanaise pendant des siècles. Il en va de même pour un moine bouddhiste habillé comme un homme d'affaires, venant quémander une participation à NJ pour s'être occupé de sa femme (on n'en dira pas plus). Il y a aussi des passages plus comiques, comme lorsque NJ emmène Yang Yang à MacDo. L'enfant est, « forcément » dirait-on, trop content. Le père, lui, ne mange pas. N'a t-il pas faim ou fait-il plaisir avant tout à son enfant en l'emmenant dans un type de restaurant qui n'est pas de sa génération ? On pencherait plutôt vers la deuxième proposition, vu le comportement amusant, mais toujours bienveillant, adopté par NJ.

Face à cette perte de valeurs, et cette réflexion sur la confrontation entre tradition et modernité menée par le réalisateur, la mélancolie guette les personnages. Leurs âges étant différents, la forme de la mélancolie diffère elle-aussi. Tandis que NJ écoute les sages paroles d'un de ses collaborateurs potentiels, Yang Yang s'épanouit dans la photographie. Un épanouissement... à vrai dire, plutôt une obsession. Il cherche en fait, dans sa compréhension du monde, à capter l'instant présent. La mélancolie chez un enfant se trouve ici parfaitement justifiée par ce loisir.

Evidemment, la mise en scène n'est pas en reste avec un travail visuel remarquable basé sur l'architecture de la ville. Edward Yang insiste sur les édifices imposants et les surfaces sujettes à réverbération. Les uns permettent de diminuer l'importance prise par les personnages : une sorte d'abnégation, à savoir que nos trois personnages-clefs sont bien peu de choses dans la mégapole qu'est Taipei. Les autres sont des miroirs reflétant l'image des personnages et de leurs souffrances...

Au niveau des bonus, l'ensemble est bien trop pauvre (entretien écrit, notes biographiques) mais heureusement, les commentaires audios sont là.

Beaucoup trouveront Yi Yi désenchanté, pessimiste et atrocement long. Les habitués du cinéma asiatique y verront un film d'une richesse rare, mélancolique et extrêmement maîtrisé (mise en scène, décors...). Une simple chronique ne saurait retranscrire toute la beauté et la subtilité de Yi Yi.
 

Rogue Aerith

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commentaires

bakagoku

De bakagoku [4532 Pts], le 11 Avril 2012 à 19h27

Merci pour ta chronique Roque ! Ce film est un chef d'oeuvre !!

Theranlove2

De Theranlove2 [4047 Pts], le 11 Avril 2012 à 13h42

Moi aussi, si je le trouve il sera sûrement mien :D

IchigoSan

De IchigoSan [998 Pts], le 09 Avril 2012 à 14h10

Cela me donne envie de regarder le film ^^

Kimi

De Kimi [3393 Pts], le 09 Avril 2012 à 10h49

Encore une très bonne chronique de ta part Rogue, pour un film qui l'est tout autant. ^^

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