Chronique - Tokyo decadence- Actus manga
actualité manga - news illustration

Ciné-Asie Chronique - Tokyo decadence

Lundi, 23 Janvier 2012 à 10h48

Nouvelle chronique de Rogue Aerith aujourd'hui avec l'analyse de Tokyo Decadence, film de Ryu Murakami réservé à un public averti !
 

 

Dans un Japon en crise, Ai (Miho Nikaido) rêve du grand amour. Call girl spécialisée dans le sadomasochisme, elle se soumet aux désirs les plus extravagants de ses clients.

Sorti en 1992, Tokyo decadence est un film de Ryu Murakami, qui est romancier à l'origine. Très critique envers la société nipponne, ses romans les plus connus sont Les Bébés de la consigne automatique qui prend place dans un Japon qui se prépare à l'apocalypse, et Miso soup. Takashi Miike a adapté un de ses romans sous le titre Audition, film d'horreur sorti en 2002 en France.

De prime abord, on a vraiment du mal à comprendre l'intérêt d'avoir choisi, pour l'Occident, un titre anglais racoleur, plutôt que de conserver le titre japonais, « Topazu », référence au topaze rose que Ai porte au doigt pour séduire l'homme de sa vie, comme le lui a conseillé une voyante. Et puis finalement, on se laisse aller à la découverte. Et quelle découverte ! Dans Tokyo decadence, tout ou presque est métaphorique. Ce film doit être réservé aux initiés, sous peine d'y voir un vulgaire film (quasi-)porno. Un film plus beau qu'il n'y paraît, même si les tendances pornographiques sont évidentes, quand bien même, dès sa première scène, une très belle idée intervient pour nous montrer qu'il s'agira aussi de parler d'amour en plus du sexe : « la confiance, c'est la clef ».

Ai, le prénom du personnage principal, signifie « aimer » en Japonais. Tokyo decadence décrit son parcours chaotique, et essentiellement sexuel, dans la capitale japonaise violente, où l'on guette le krach boursier. En résumé : héroïne perdue, ville en perdition.

D'abord, ce sont les actes auxquels se livrent Ai qui semblent être tout droit sortis d'une métaphore de la critique du modèle économique par Murakami qui nous laissent stupéfaits (et le mot est faible). Les humiliations sexuelles subies par Ai ne sont-elles pas le reflet des humiliations imposées par le capitalisme et les restes conservateurs de la société féodale nippone ? Les déviances sexuelles ne sont-elles pas un moyen de résistance face à l'oppression ? Ainsi, le sexe n'est pas là par hasard. Ai accepte l'avilissement par résignation, parce qu'elle est convaincue de ne posséder aucun talent. Sa dignité est absente, elle accepte tout avec une innocence et une douceur insolentes. A-t-elle conservé son libre arbitre ? Telle est la question qu'on se pose pendant tout le film : cette femme sait-elle vraiment ce qu'elle fait ? Le personnage créé par Murakami adopte un comportement qui confine à la psychasténie, un syndrome psychopathologique fait à la fois d'obsessions et d'inhibitions. Ai semble vivre par procuration : elle ne fréquente que le gratin de la haute société nippone. Elle exauce les fantasmes de ces hommes puissants autant qu'elle satisfait les siens. Elle apprécie être femme d'affaires. Ses orgasmes ne sont pas feints mais intenses. Une scène où elle se déhanche contre une baie vitrée avec pour toile de fond la plus grande mégapole du monde est saisissante. Ai prend un plaisir monstrueux et semble imaginer dominer la ville. Tokyo devient alors un personnage du film. Tokyo fait l'amour à cette femme (ou plutôt le contraire !), de façon anonyme, derrière une baie vitrée comme il y en a tant sur les grattes-ciels. En contrepartie, dès qu'elle sort de ces parties folles, Ai déambule dans les rues, comme un pantin désarticulé, le regard vide. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu, en Occident, alors que les réalisateurs sont pourtant bien illuminés, New York ou Paris faire l'amour à des femmes de façon si sensuelle. C'est nippon, c'est signé Ryu Murakami.

Dans le même temps, l'inertie de Ai a de quoi exaspérer (naïveté face aux propos d'une croyante, prise de drogue) et le film a des allures de descente aux enfers. Le pessimisme ambiant et la dénonciation permanente (déjà présente dans le roman) est assez vaine car redondante. La métaphore d'un Japon désincarné perd de son intérêt car Murakami ne se renouvelle pas. On suit Ai de chambre en chambre, mais la suite de situations sexuelles grandiloquentes ne voit jamais apparaître de surprise. Le film ressemble à une litanie de fantasmes et de parties sexuelles, certes folles, mais cela ne fait pas un film. On perçoit bien, dans le sens du rythme, ici absent, que Murakami est écrivain et non cinéaste.

Murakami joue aussi sur le contraste et l'hypocrisie de l'apparence. Ai est belle, fine, d'apparence fragile, portant toujours des vêtements chics, et malicieusement un petit sac à main (en cuir) rouge. Pourtant derrière les apparences, il y a du latex sous les habits et son sac est rempli d'objets tous aussi immondes (ou sophistiqués, on a le choix) les uns que les autres.

Tokyo decadence ne cesse de poser maintes questions. Parmi elles, celle particulièrement d'actualité, du comportement adopté dans une société en crise. Le Japon dépeint dans Tokyo decadence est bien laid... modernité et urbanisme à foison, aucune trace de campagne et de sérénité. Mais surtout, ce pays est en crise : Murakami a eu la volonté de montrer les difficultés économiques ressenties à la capitale. Ainsi, marasme économique annoncé rime ici avec abandon à une recherche du plaisir incontrôlée. Et cela ne fait pas particulièrement envie tant les personnages semblent dépourvus de volonté. Autre question posée : celle de la féminité, et du féminisme. Car face à Ai, on a vraiment l'impression de voir une femme qui s'amuse et prend plaisir autant que ses clients, à partir de pratiques extrêmes. Ce n'est pas une erreur d'appréciation du cinéaste mais un parti-pris qu'il justifie, puisque Ai, comme dit précédemment, semble dépourvue de volonté, l'air hagard dans les rues, l'air satisfaite dans les chambres. La société l'a engloutie. Pour ma part, je n'adhère pas franchement à cette vision de la femme et du plaisir ; toujours est-il que la confrontation entre prostitution sadomasochiste, liberté et plaisir est bel et bien posée dans Tokyo decadence, et que Murakami nous livre sa version.

On rappellera, encore une fois, que le film est extrêmement violent et classé X dans de nombreux pays, parce que beaucoup de déviances sexuelles y sont présentes : partie à 3, cuir, latex, cuir et encore latex...mais aussi bondage, fantasmes nécrophiles, scatophilie...

Derrière ses accents pornographiques, Tokyo decadence dévoile quelques éléments métaphoriques intéressants et une esthétique plaisante. Mais la redondance du propos et le manque de maîtrise du rythme gâchent l'ensemble.

commentaires

Kimi

De Kimi [3392 Pts], le 30 Janvier 2012 à 10h58

Critique très complète. Je connaissais le film uniquement de nom et je ne pense pas que je le visionnerai. ^^' Dans le même genre on pourrait égaleement citer Enter The Void de Gaspar Noé, un périple visuel et psycho a travers Tokyo.
Theranlove2

De Theranlove2 [4047 Pts], le 23 Janvier 2012 à 23h12

Mon cousin m'a parlé de ce film... Je verrais si je le regarderai dans 2-3 ans

goldtime9

De goldtime9 [1426 Pts], le 23 Janvier 2012 à 17h33

a voir .

VOTRE AVIS



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation