Club des divorcés (le) Vol.1 - Actualité manga

Club des divorcés (le) Vol.1 : Critiques

Rikon Club

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 07 Mars 2016

Elle est jeune, elle est belle, elle s’appelle Yûko ; dans les recoins d’une ruelle de Ginza, quartier très prisé de la ville  de Tokyo, alors que la nuit tombe,  apparaît l’enseigne luisante d’un de ces bar-clubs d’autrefois, d’un autre temps, mais pas tant que cela ; et, justement, cette demoiselle, elle en est la propriétaire : en cet endroit on l’aime, « Mama » qu’on l’appelle. Mais seulement voilà, Yûko, lors de ses vingt ans, elle s’était mariée et, pour ses vingt-trois ans… elle divorçât ; désormais, du haut de ses vingt-cinq ans, seule, avec sa fille à s’occuper, un bar à faire tourner, des employés à aiguiller et le cœur en errance, les quelques moments de bonheur d’une vie il faut parfois allé les chercher, à la sueur de son front, envers et contre tout : à plus forte raison lorsqu’il s’agit du Japon, de cette époque, de ces fameuses années 1970, et que, de surcroît, femme l’on est.

D’abord, c’est de manière progressive que ce premier pavé de cinq-cents pages, d’une édition qui en compte deux, nous emporte, de la façon la plus délicate qui soit, aux côtés de cette jeune Yûko, dans son quotidien, au plus près d’elle, de ses proches, de ses relations d’affaires, de la société d’alors. Nous sommes émerveillés, à travers ces scènes de la vie de tous les jours, comme il peut tant y en voir, et en apparences si simples, d’être saisis de la beauté et de la profondeur que l’auteur saura en révéler. Et, lorsque Yûko, en bon chef d’orchestre, dirige son club, nous avons parfois le sentiment selon lequel, nous aussi, nous sommes en salle, là, peut-être assis à la table du fond, tentant d’humer cette aura si particulière qu’elle dégage, au fil des pages, cette ambiance unique, addictive et feutrée ; car l’auteur fait des prouesses de mise en scène : il a cette capacité à canaliser la quintessence d’une situation et de la retranscrire dans la plus grande simplicité, par quelques détails ci et là ; comme cette double page, où ladite « Mama » s’en vient border le lit de sa fille endormie, dans une de ces chambres traditionnelles du plus noble apparat ; une presque-leçon à l’égard des mangakas contemporains.

Puis, Yûko, c’est aussi un protagoniste principal d’une grande épaisseur, subtile et assez difficile à anticiper dans ses décisions, ses actions : plus vraie que nature, fascinante. Par bien des hommes, elle est convoitée, mais l’auteur nous laisse le sentiment selon lequel elle demeure insaisissable ; et quand bien même nous penserions qu’elle se serait éprise d’un de ceux-là, il nous sera toujours difficile de discerner avec précision de quelle manière elle peut l’être. Parmi ses employés, trois filles et un jeune homme ; elle travaille parfois jusqu’à plus d’heure, jusqu’au bout de la nuit ; et lorsqu’elle s’en va voir sa fille, logée chez sa grand-mère, on retrouve une femme face à ses interrogations, ses obligations morales, maternelles et entrepreneuriales, ses sentiments, ses douleurs de cœur. Si, dans sa sphère professionnelle, on lui porte le plus grand respect, et bien, dans sa vie privée, ce n’est pas toujours çà : parce que ses activités sont regardé d’un certain œil par les citoyens lambda, par la société en général – préférant simplement, bêtement, juger plutôt que de tenter de comprendre le complexe, la réalité – et, parce que, sa mère, d’une toute autre génération, lui fait le rappel des devoirs qui sont les siens.

Ensuite, s’il était dit que cet ouvrage est une œuvre sociale, historique et littéraire, cela pourrait repousser certains lecteurs, à tort ; car, une des qualités manifestes de l’auteur est de retranscrire ces éléments avec la plus grande fluidité, dans des moments toujours aussi humbles en apparence, et nous les faire toucher du doigt sans que l’on ne s’en aperçoive réellement : la marque des grands : ce qui en fait une production très accessible. Une œuvre sociale en ce qu’elle traite le statut particulier, difficile et atypique de la femme divorcée au japon ; un aspect historique, parce que l’archipel, à ce moment-là, se transforme profondément, en sus d’être confronté à une crise économique qui pourra, à certains endroits, influer sur le cours de la vie de Yûko ; et, une production littéraire, puisque Kazuo Kamimura c’est aussi un langage davantage soutenu que ce dont on peut avoir l’habitude, emplie de philosophie et sublimé par une poésie ambiante, parfois délicieusement envahissante.

Enfin, cette prestation intemporelle et d’un niveau artistique – non pas seulement à raison du trait de l’auteur (dont on aura remarqué, à premier abord, la magnifique couverture, presque éthérée) ou en ce qu’elle cristallise, à travers cette épopée intime, toute une époque – est portée par une édition qui ne pouvait être que « grand format ». Hélas, ce n’est point une édition dite « deluxe », mais le rapport qualité/prix semblera presque cohérent. Un papier convenable, qui paraîtra parfois fin cependant sans gêner par une éventuelle transparence. Et, surtout, le plaisir de lecture est intégral. L’ancrage et le lettrage sont de bonne facture. Par ailleurs, notons que la traduction nous sera extrêmement agréable, et qu’il ne m’a semblé être interpellé que par une ou deux fois, et encore, peut-être suis-je en train de chipoter. On pourra également remercier l’éditeur d’avoir instauré une préface de Karyn Nishimura-Poupée, membre de l’AFP, nous dressant une esquisse introductive relative, notamment, au statut du couple au Japon, qui pourra renforcer, par contextualisation, le plaisir de lecture du plus curieux d’entre nous. 

Un tout autre auteur disait « j’ai vu le roi ; mais je n’ai point vu sa majesté » ; avec ce premier tome, Kazuo Kamimura, lui, tout au contraire, nous fait la grâce de pouvoir l’apercevoir, cette majesté : elle porte un nom, elle s’appelle Yûko, elle est charme, elle est intelligence : blême muse d’un magma nippon en pleine mutation et ode à la dignité d’une humanité en quête de compréhension. Ici, l’art provoque le réel, il le devient. Vous n’avez toujours pas lu « Le Club des Divorcés » ? Mais alors, que faites-vous donc ?



Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Alphonse
18.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs