TSUTSUI Tetsuya - Actualité manga

TSUTSUI Tetsuya 筒井哲也

Interview de l'auteur

Publiée le Mardi, 08 Décembre 2015

Interview 1





Manga news: Bonjour !

Tetsuya Tsutsui: Bonjour !


Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Comment êtes-vous devenu mangaka ?

Ma carrière a commencé de façon singulière : Je faisais découvrir Duds Hunt sur mon site Internet quand les éditions Ki-oon m'ont contacté par mail. Quelque temps plus tard, ce sont les éditions Square Enix qui m'ont joint pour me proposer de travailler chez eux.


Qu'avez-vous pensé sur le fait que ce soit un éditeur français qui vous contacte en premier lieu ?

Lorsque que j'ai été joint, je ne connaissais pas les éditions Ki-oon. J'ai donc été aussi surpris que flatté qu'un éditeur français s'intéresse à mon travail. N'étant pas publié à cette époque, je n'avais rien à perdre et j'ai donc répondu au mail. C'est ainsi que l'aventure a commencé !

Et qu'avez-vous ressenti après avoir été contacté par Square Enix ?

De la même manière que pour les éditions Ki-oon, j'ai été très étonné, d'autant plus que Square Enix est une très grande maison d'édition au Japon. D'autre part, Square Enix m'a proposé de publier ma première oeuvre, Reset, dans le cadre du lancement d'un tout nouveau magazine de prépublication (Young Gangan). J'ai donc été très honoré d'une telle confiance.


Avez-vous ressenti une certaine pression ?

Bien sûr !

Avez-vous changé votre manière de travailler après avoir commencé à travailler pour un éditeur ?

Oui ! A partir du moment où j'ai travaillé pour Square Enix, j'ai dû respecter des délais et donc dessiner plus vite, étant donné que mes titres étaient édités dans un magazine de prépublication.


Avez-vous des contraintes éditoriales ou êtes-vous libre de travailler comme vous le souhaitez ?

Square Enix m'a pratiquement laissé carte blanche dans la réalisation de mes oeuvres.


Comment réagissez-vous face à l'accueil de votre lectorat français ?

Je suis très touché quand je vois tous mes fans faire la queue pour avoir une dédicace, d'autant plus que ma dernière série, Manhole, est sortie depuis déjà quelque temps en France.


En parlant de Manhole, comment avez-vous eu l'idée de parler dans cette série d'une maladie méconnue comme la filariose?

L'idée m'est venue en lisant un roman japonais intitulé «Le murmure de l'ange», qui traitait justement des maladies bactériologiques. Dans un souci de documentation, j'ai par la suite lu beaucoup de livres scientifiques traitant de ce sujet. J'ai même été au musée des maladies bactériologiques à Tokyo.

Un tel musée existe à Tokyo ?
Oui oui ! Il est même très connu (rires). On peut y voir notamment des bactéries qui sont plongées dans du formol !


Nous savons où aller lors de notre prochaine visite à Tokyo! (rires). Avec Duds Hunt, vous proposez à vos lecteurs une réflexion sur le devenir des criminels récidivistes au Japon... C'est un sujet brûlant en France, mais qu'en est-il au Japon où la criminalité est une des plus faible au monde ?

Vous avez raison, au Japon la criminalité est très basse. Dans ce sens peut-être que cet aspect de Duds Hunt a moins touché le lectorat japonais que français. Par contre, le fait que les personnages participent à un jeu basé sur l'utilisation d'un téléphone portable a sans doute plu au lectorat japonais. En effet les portables, aux fonctionnalités de plus en plus étendues, font désormais partie du quotidien de la jeunesse japonaise.


Manhole est une série terminée en trois volumes, Duds Hunt et Reset sont quant à eux des one-shots. Comptez-vous faire des séries plus longues à l'avenir ?

Je ne pense pas écrire des séries très longues. Pour un format long, il devient primordial de créer un héros attachant pour fidéliser le lectorat. Or pour moi c'est l'histoire plus que le personnage qui est importante. Ayant l'habitude d'imaginer des histoires courtes, je n'ai pas envie de prolonger inutilement mon récit et d'avoir la contrainte de développer plus mes personnages dans l'optique de créer une série longue. Je ne pense donc pas dépasser les trois volumes pour mes prochaines séries.


Ca fait deux ans que vous n'avez plus rien sorti. Travaillez-vous sur une série depuis ces deux années où aviez-vous besoin de faire un break ?
Pendant ces deux ans j'ai dessiné des ébauches pour un projet qui ne s'est finalement pas concrétisé. Mais depuis j'ai commencé à travailler sur un projet qui va paraître prochainement.


Aurons-nous la chance de découvrir ce manga en France?
Je l'espère. Une fois le manga sorti au Japon, il devrait probablement paraître en France aux éditions Ki-oon, qui ont jusqu'alors publié mes titres.


Vous avez créé une histoire inédite, Collector, disponible uniquement sur Internet. Comptez-vous par la suite recommencer ce type d'expérience et qu'est-ce qui vous a donné l'idée d'utiliser ce média pour promouvoir vos titres?

Il faut savoir qu'Internet est un média très important pour moi, car c'est grâce à lui que je me suis fait connaître. J'ai eu l'idée d'utiliser ce média après le refus de certains éditeurs de publier mon premier titre, Duds Hunt. J'espère donc recommencer ce type de nouvelle, mais quand j'en aurai l'envie, et surtout le temps. 




De quelle manière travaillez-vous pour la création d'une telle oeuvre? Vous dessinez sur papier puis scannez vos planches ou tout le travail est réalisé sur palette graphique?

Pour les traits, j'utilise un crayon classique. Puis je scanne les pages et je réalise les ombres et les couleurs sur mon ordinateur, qui est un Mac.

Merci de nous avoir accordé cette entrevue. Toute l'équipe Manga news vous souhaite un excellent séjour en France. A très bientôt !

TT (en français): «Merci pour aujourd'hui» !


  


Interview 2


A l'occasion de la sortie du deuxième et dernier volume de Poison City, nous vous proposons de découvrir notre entreten avec son auteur, Tetsuya Tsutsui, enregistré lors de la dernière édition du Salon du Livre de Paris. Invité par les éditions Ki-oon, l'auteur de Duds Hunt, Reset, Manhole et Prophecy était venu nous parler de ce nouveau titre très engagé. Dans un contexte mondial où la liberté d'expression est plus que jamais menacée, le mangaka est revenu sur sa situation personnelle et nous a délivré sa position sur le sujet.
   
  
  
   
Bonjour M. Tsutsui. Vous revenez nous présenter Poison City. Comme nous le savons, ce titre a été conçu en raison de circonstances particulières (la censure de Manhole). Les conditions de travail sur cette nouvelle série ont-elles été différentes par rapport à vos œuvres précédentes ? Avez-vous conservé le même d'état d'esprit ?
Tetsuya Tsutsui : C'est effectivement une œuvre beaucoup plus personnelle que les précédentes, car basée sur mes propres expériences. Cette affaire est devenu une sorte de moteur : à chaque page dessinée, je consommais un peu de mon essence spirituelle. 
     
  
Comment ce projet a-t-il été accueilli auprès du monde éditorial japonais ? Avez-vous eu l'occasion d'en discuter avec d'autres mangakas ? Si oui, qu'ont-ils pensé de votre initiative ?
J'ai constaté deux types de réaction. Du côté des éditeurs, j'ai reçu de nombreux messages de soutien, qui saluaient le fait d'avoir ouvert le débat sur ce problème. Ils pensent d'ailleurs que la situation peut continuer d'empirer à l'approche des Jeux Olympiques, ce que je mets en évidence dans mon récit. Du côté des auteurs, ce sont avant tout des mangakas publiés sur Internet qui sont venus me remercier, et qui, par le biais des réseaux sociaux, ont encouragé  leurs lecteurs à se pencher sur mon œuvre.
  
  
La série est relativement documentée, il est notamment fait mention de l'affaire du Comics Code aux Etats Unis, entre autres,... Connaissiez-vous déjà ces éléments avant de vous lancer dans la série ? Qu'avez-vous découvert sur la censure en travaillant sur ce sujet ?
En réalité, Poison City est une œuvre que je voulais réaliser depuis longtemps. J'avais donc déjà fait de nombreuses recherches avant même « l'affaire Manhole », cette dernière n'ayant été qu'un déclencheur pour que je décide enfin à me lancer sur cette histoire.
   
   
  
    
Au fil de la série, vous présentez le pour et le contre sur le sujet. Malgré ce qui vous est arrivé avec Manhole, quel est votre avis sur la censure ? Etes-vous favorable à son abolition pure et simple, ou pensez-vous qu'un minimum soit toujours nécessaire ? Si oui, comment l'évaluer ?
Je pense qu'il faut faire preuve de mesure. La liberté d'expression, c'est un bien joli mot, mais à force de la brandir avec excès, on finit par subir un retour de bâton. Par exemple, dans Poison City, le personnage de Matsumoto s'est coupé l'herbe sous le pied à force de surenchère. Mon opinion personnelle, c'est que c'est à chacun de s'imposer ses propres limites, et de ne pas franchir la ligne jaune dans son intérêt personnel. C'est lorsque l'on tombe dans l'excès que les institutions extérieures s'en mêlent, et c'est pour moi la pire issue possible. Ainsi, c'est dans cette auto-régulation que je défiinirais au mieux ma vision de la liberté d'expression.
  
  
D'ailleurs, pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'avancée de l'Affaire Manhole ?
Actuellement, la série en est toujours au même point dans la région de Nagasaki, qui n'a pas donné suite à nos discussions. Mes avocats me suggèrent de demander des indemnités financières, mais je me demande si c'est une bonne chose d'aller jusque là ou non.
  
  
L'année 2015 a débuté avec une autre atteinte à la liberté d'expression, à savoir l'affaire Charlie Hebdo. Au-delà du choc,  comment avez-vous vécu cet événement, en votre qualité de dessinateur engagé ?
Ce fut évidemment un événement affreux et déplorable. Il faut condamner fermement le fait de vouloir attenter à la liberté d'expression par le terrorisme. A contrario, cet attentat malheureux à été l'occasion de remettre sur le devant de la scène ce débat, à plus forte raison au Japon. La solidarité du peuple français, qui s'est mobilisé pour rendre hommage aux victimes, a été pour moi une image plutôt réjouissante. J'ai compris à quel point la France était attachée à cette liberté fondamentale, et c'est cette note d'espoir que je retiendrais personnellement.
  
   
   
  
Pour finir, nous allons revenir sur des choses plus légères, avec le tremplin manga Ki-oon. Comment avez-vous vécu cette aventure ?
Je n'ai pas été impliqué dans la première partie de la sélection, mais j'ai été très ému par la qualité des récits que j'ai du analyser. J'ai été positivement surpris par les scénarios et le travail de recherche, sur la conception d'un manga, ses codes.. Ils ont fourni un travail exemplaire et je reste très heureux d'avoir pu contribuer à l'émergence de nouveaux talents.
  
   
Quel a été l'élément déterminant qui vous a fait départager les différents candidats ? 
A la fin de la sélection, deux candidats ont retenu mon attention et il a été très difficile de déterminer le meilleur entre les deux. Tous deux étaient d'une qualité égale, aussi c'est finalement mes goûts personnels et mon affection pour le genre zombie qui a fait pencher la balance. 
   
  
(Tetsuya Tsutsui remettant le prix à Shin, gagnante du Tremplin Ki-oon)
  
  
Remerciements à Tetsuya Tsutsui, à ses interprètes ainsi qu'à toute l'équipe des éditions Ki-oon.
 
Mise en ligne le 08/12/2015.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Samedi, 08 Septembre 2018

Interview 3 :
  
A l'occasion de la sortie du premier tome de Noise chez nous, les éditions Ki-oon ont lancé une vaste campagne de communication à travers la France, marquée par une tournée de séances de dédicace pour l'auteur. A cette occasion, nous avons pu interviewer Tetsuya Tsutsui qui s'est confié sur sa carrière depuis Poison City, et sur les messages véhiculés par son nouveau titre...



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Bonjour M. Tsutsui. Nous nous sommes vus pour la dernière fois il y a trois ans, à l'époque où vous terminiez Poison City. Que s'est-il passé durant ces trois années concernant votre activité de mangaka ?


tetsuya Tsutsui : J'ai eu une bonne période de recharge durant laquelle j'ai voyagé dans divers coins du Japon et ait réalisé pas mal de dessins personnels.


La réalisation de Poison City a-t-elle été si éprouvante pour que vous ressentiez un tel besoin de vous ressourcer ?


Tetsuya Tsutsui : Tout à fait, j'ai accumulé pas mal de fatigue avec la réalisation de Poison City et de mes œuvres précédentes. J'avais besoin d'une vraie période de repos. C'était peut-être un peu trop long, j'essaierai de maintenir des sorties plus régulières à l'avenir. (rires)


J'ai aussi préparé Noise durant cette période, du moins pendant les quelques mois qui ont précédé le début de la publication.



Naturellement, Noise est édité par Ki-oon, comme l'ensemble de vos œuvres précédentes. On peut dire que vous êtes un auteur phare du catalogue Ki-oon. Ainsi, lorsque vous débutez une nouvelle œuvre, pensez-vous à l'avance à votre publication chez l'éditeur ?


Tetsuya Tsutsui : Oui, j'ai forcément pensé à Ki-oon. Pour autant, je ne réalise pas une œuvre pour la France, je cherche avant tout à créer une histoire intéressante. C'est ma priorité.


Noise est un thriller, un genre que vous affectionnez beaucoup. Qu'est ce qui vous plaît dans ce registre de fiction ?


Tetsuya Tsutsui : La particularité du thriller, c'est qu'on ne peut plus s'arrêter de lire une fois qu'on a commencé à découvrir l'histoire. Mon but étant de passionner mes lecteurs du début à la fin, c'est un genre qui facilité le processus.


Aussi, j'aime beaucoup les romans d'enquête et de mystères, comme ceux de Miyuki Miyabe ou Keigo Higashino. C'est un genre que j'apprécie moi-même en tant que lecteur.




Noise a la particularité de se dérouler dans une petite ville de campagne, un cadre moins courant dans les mangas thriller. Est-ce votre attachement envers les milieux ruraux qui vous a poussé à localisé Noise en campagne ?


Tetsuya Tsutsui : Je suis moi-même originaire d'une petite ville de campagne, c'était donc plus facile pour moi de développer l'action là-bas. Aussi, la campagne a un côté huis-clôt très pratique pour développer un thriller. Ce sont les deux raisons principales qui m'ont poussé vers ce choix.


Comme de coutume dans vos œuvres, on retrouve des thématiques assez fortes. Ici, le rôle de la police et son rapport à la population. Comment cette idée a germé dans votre esprit ?


Tetsuya Tsutsui : La police est en effet un élément important de l'histoire. C'est logique car quand il y a crime, il y a présence policière. Aussi, j'ai choisi un agent débutant car ça me semblait intéressant de mettre en avant la psychologie de ce nouveau venu, je voulais donner une dimension réaliste. Je me suis beaucoup inspiré d'un roman, dont j'ai oublié le nom malheureusement, où un policier agit davantage pour le bien du village que conformément à la loi. Pour lui, c'est la vie des habitants qu'il faut protéger.




Une autre idée importante de ce premier tome est la place des anciens détenus et des psychopathes dans la société. C'est une idée assez rare dans le manga, peut-être même tabou. Qu'est-ce qui vous intéresse dans ce sujet ?


Tetsuya Tsutsui : C'est un thème qui ressort souvent dans les faits divers atroces, quand on regarde les informations. Quand on parle d'individus capables de commettre des crimes si horribles, je me demande s'il n'y a pas ce genre de criminels autour de moi. Et qu'est-ce que je ferais si l'un d'entre-eux venait habiter dans mon quartier ? C'est à partir de ce type d'interrogation que l'idée de l'intrigue m'est venue.


Quand on y pense, ça fait vraiment peur. Il y a quelques années, une chanteuse japonaise s'est faite poignardée par un fan. Elle n'est pas morte, donc le criminel sortira de prison un jour. Et où habitera-t-il à ce moment-là ?


Dans l'interview croisée avec Ahmed Agne, directeur éditorial des éditions Ki-oon, à la fin du premier tome de Noise, vous parlez de personnages qu'on peut difficilement juger malgré leurs actes, car ils n'ont pas un mauvais fond. Est-ce important pour vous d'intégrer des personnages aussi ambigus dans votre histoire ?


Tetsuya Tsutsui : Évidemment, le choix du héros se révèle être une erreur fatale. Mais j'aimerais que les lecteurs réfléchissent et se questionnent : qu'auraient-ils fait à sa place ? Comme chaque personnage est difficile à juger et que rien n'est ni tout blanc, ni tout noir, il est difficile de savoir comment l'histoire va se terminer. J'ai moi-même mis un certain temps avant de me décider sur la fin.



Justement, concernant cette fin, vous avez confié en fin de premier tome ne pas être encore certain quant à la conclusion à apporter. A quelles problématiques vous êtes-vous heurté pour la fin de la série ?


Tetsuya Tsutsui : J'ai déjà la fin en tête mais la question, c'est comment les lecteurs réagiront en lisant cette conclusion ? Je me demande s'ils comprendront le choix final du héros. Je ne peux pas en dire plus, mais j'espère que vous suivrez la série jusqu'au bout pour découvrir la fin.



Remerciements à Tetsuya Tsutsui pour sa présence à ses réponses, à ses interprètes Kim Bedenne et Kae Byoga, et à Ahmed Agne et Marine Volny des éditions Ki-oon.