Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 25 Avril 2024
Découverte chez Glénat en 2021-2022 avec la sympathique série en quatre tomes Terrarium, la mangaka Yuna Hirasawa vient tout juste de faire son retour chez l'éditeur en ce mois d'avril avec une double actualité: la sortie du tome 1 de sa nouvelle série Luca - Vétérinaire Draconique sur lequel nous sommes revenus et il y a quelques jours, et un one- shot totalement différent du reste de sa jeune carrière: Devenir enfin moi-même.
Prépublié au Japon en 2016 dans le magazine Morning des éditions Kôdansha sous le titre "Boku ga Watashi ni Naru Tame ni" (littéralement "Pour que je sois moi", le titre français étant donc proche), ce récit d'environ 140 pages fut le tout premier manga de l'autrice, et on peut alors dire que celle-ci a affiché d'emblée une belle ambition en osant revenir, de manière autobiographique, sur le sujet délicat de sa propre transition de genre, entamée au printemps 2013 trois après son départ de l'université, jusqu'à ce que sa transition physique et administrative soit achevée en été 2015. Bien que le Japon pratique aussi les chirurgies de réassignation sexuelle, pour devenir une femme et être enfin en adéquation avec elle-même elle a choisi la Thaïlande qui avait alors les meilleurs résultats dans ce domaine.
Notons tout de suite que Devenir enfin moi-même n'est pas un manga spécialement militant: comme elle le dit elle-même dans sa postface, l'autrice a voulu éviter de transmettre le moindre message personnel, pour se concentrer avant tout sur tout le processus ayant abouti à son changement de genre, de sa décision initiale jusqu'à son retour au Japon, en passant bien sûr par ses trois semaines passées en Thaïlande pour son opération, chaque étape étant soigneusement décortiquée selon les faits et son ressenti.
Sur le plan des faits, la mangaka impressionne par sa manière de se débarrasser de tout tabou, pour évoquer les choses d'une façon qui pourrait paraître parfois crue mais qui est, dans le fond, très réaliste, quitte à narrer certains moments gênants pour elle (et qui sont en même temps un peu drôles pour certains, car Hirasawa distille aussi une certaine autodérision parfois), et tout en évitant fort logiquement de dévoiler des choses qui restent purement personnelles. Si le déroulement de l'opération constitue le plus gros morceau via un paquet d'informations (les différentes douleurs postopératoires et autres complications comme le syndrome du membre fantôme pour son sexe ou les difficultés initiales à uriner, l'accueil encourageant du personnel hospitalier thaïlandais et la communication sur place...), on appréciera tout autant de découvrir d'autres choses sur l'après-Thaïlande et le retour au Japon (les contraintes pour changer de sexe à l'état civil, la difficulté pour trouver une clinique pratiquant les injections d'hormones féminines, la découverte de certaines choses typiquement féminines...) ainsi que d'autres à-côté (par exemple, les nombreuses limites dans la prise en charge par la société).
Tout ceci sonne d'autant plus juste que, comme déjà dit précédemment, il y a également une grande part de ressenti personnel dans ce manga autobiographique, Hirasawa faisant très souvent part de ses doutes et inquiétudes sur différents points: le regard des autres, ses craintes concernant son coming out, les réaction de sa famille et de ses amis quand ils apprendront tout ça, la peur du rejet, de la solitude et de l'isolement... jusqu'à un final nuancé et intelligent, à la fois porteur d'espoir derrière les nombreux soucis, et propice à certaines réflexions tout juste esquissées sur le trouble, le genre et la notion de normalité.
"Vais réussir à vraiment m'aimer ?"
En plus de ça, pour parfaire le compte-rendu de son expérience, la mangaka a également la bonne idée de proposer, entre chaque chapitre, des petites rubriques d'informations complémentaires concernant différents sujets: la circulation routière en Thaïlande, le vocabulaire spécifique aux troubles de l'identité de genre, les différentes méthodes de CRS, la nourriture à l'hôpital, la modification du registre familial d'état civil pour les personnes transgenres... tout ceci amenant une vraie plus-value en matière d'immersion et d'intérêt.
Servi par un dessin tout en simplicité, bien différent de ses autres oeuvres et collant fort bien au propos, Devenir enfin moi-même se présente alors comme un manga-témoignage particulièrement riche et intéressant, au fil duquel Yûna Hirasawa, sans tabou ni parti-pris, se base sur sa propre expérience pour poser un regard assez fort sur un sujet toujours un peu sensible. Une jolie lecture qui est, en plus, servie dans une édition tout à fait convaincante, d'autant plus que Glénat a eu l'excellente idée de faire relire et accompagner le projet par l'Inter-LGBT afin d'éviter toute erreur. Derrière une jaquette fidèle à l'originale japonaise, on découvre un papier bien blanc et épais permet une bonne qualité d'impression, ainsi qu'une traduction très juste de Cydonie S. et un lettrage convaincant de la part de Jonathan Martins.