Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 30 Juin 2023
Quelques mois après un très chouette premier volume, la série d'histoires courtes Zone Fantôme du maître Junji Ito a fait son retour chez Mangetsu en mai dernier avec un deuxième tome qui, sur un peu moins de 220 pages, propose de découvrir quatre nouveaux récits à même de susciter l'angoisse.
Dans "Le démon noir", qui s'étire sur une grosse soixantaine de pages, on plonge dans une station thermale en ruines et abandonné depuis des années, jonchée de gravats et de poussière, où seuls vivent toujours un enfant, son père et leurs deux domestiques. Mais le père est si obsédé par l'envahissante poussière qui serait selon lui un "démon noir" s'abattant sur la famille au fil des générations, et son petit garçon risque d'en faire les frais.
Dans "Le village de l'éther", long d'un peu moins de 70 pages, un groupe de quatre étudiants est en excursion pour retrouver le village très isolé où l'un d'eux a vécu il y a 15 ans. Sur place, ils trouvent d'étranges montagnes ressemblant à des résidus miniers et qui n'étaient pas là 15 années auparavant, un village semblant abandonné, un nombre conséquente de machines bizarres semblant pouvoir fonctionner éternellement par elles-même comme des machines à mouvement perpétuel, et de très rares habitants fantomatiques qui vont bientôt les plonger dans un véritable enfer.
Durant une grosse quarantaine de pages, "L'Oncle Ketanosuke" est le troisième chapitre de "L'étrange fratrie Hikizuri", dont les premières histoires pouvaient être lues dans le recueil L'Amour et la Mort, cependant ce nouveau chapitre (arrivant une vingtaine d'années après les deux premiers, tout de même) peut se lire de manière totalement indépendante. On y découvre Hotaru, une jeune fille qui a depuis longtemps le sentiment qu'une pression invisible et impalpable s'exerce sur elle. Sentant quelque chose l'attirer vers la maison des Hikizuri, elle est temporairement recueillie par cette étrange fratrie qui compte bien percer le mystère du mal qui la touche.
Enfin, dans l'histoire "Les carapaces du Marais Manju" qui totalise environ 35 pages, il est question d'un marais envahi par des tortues qui seraient possédées par les âmes de villageois morts autrefois dans une inondation.
La poussière, les machines, l'invisible, les tortues: une nouvelle fois, Junji Ito montre toute sa malice, son imagination et finalement son talent pour partir d'éléments anodins et faisant généralement plus ou moins partie de notre quotidien, pour ensuite bricoler, autour de ça, des petits récits où l'angoisse va crescendo, que celle-ci soit portée par des humains fous ou victimes, par des situations dérapant petit à petit jusqu'au point de non-retour, par des visions sinistres parfois très esthétisées (à l'image des ombres poussiéreuses cauchemardesques de la première histoire) voire glauques (le grenier rempli de sacs de cadavres de la première histoire, les êtres mécaniques de la deuxième histoire...), ou par différents petits gimmicks que l'on retrouve régulièrement chez l'auteur. Sur ce dernier point, on peut par exemple noter le coup du village isolé qui est toujours efficace, les petits élans de body horror, le côté barré de la famille Hikizuri qui rappelle un peu une oeuvre comme Soichi, ou les évidentes influences lovecraftiennes avec le petit lot de personnages sombrant dans la folie face à l'angoisse, de visions cauchemardesques incertaines et de visages masculins longilignes.
Ajoutons à cela les habituelles qualités éditoriales de la collection Ito de Mangetsu, avec notamment la longue analyse de Morolian et le logo-titre qui s'est joliment adapté au contenu, et l'on obtient un recueil de qualité, confirmant encore que Junji Ito ne perd décidément rien de son inventivité étrange et angoissante au fil du temps.