Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 24 Octobre 2025
Ken Wakui est un artiste qui aura indéniablement laissé son empreinte dans le monde du manga, en dépoussiérant notamment le genre du furyô pour en faire un shônen mêlant action, drame et science-fiction avec le best-seller Tokyo Revengers. Même si la fin de l’œuvre (et plus globalement toute la dernière grande partie) est loin de faire l’unanimité, Wakui restera dans les annales pour cette longue série.
Alors, quand le maître revient avec un nouveau manga de cet acabit dans les pages du célèbre Shônen Jump, il y a de quoi frétiller. Mêlant guerre de gangs, combats et pouvoirs surnaturels, Astro Royale voit le jour en avril 2024. De par son cocktail, on pouvait même voir dans le titre un éventuel successeur à Reborn! d’Akira Amano, à l’instar de Mission Yozakura Family. Pour le lectorat qui ne suivait pas la prépublication anglophone sur Manga Plus, il n’y avait donc qu’une hâte : voir ce manga prometteur atteindre nos contrées ! Et puisque les éditions Glénat Manga ont été particulièrement impliquées dans la parution de Tokyo Revengers, ayant proposé les character-book, le spin-off sur Baji, des éditions collector et une exposition à Japan Expo sans compter les différents goodies, la maison grenobloise était tout indiquée pour se lancer dans cette nouvelle aventure, ce qui est désormais le cas !
Glénat annonce l’acquisition des droits en mars 2025. Seulement, le manga ne semble pas séduire le lectorat du Jump, et les résultats des sondages de popularité sont loin d’être réjouissants. Le couperet tombe en avril de la même année, à peine plus d’un mois après l’annonce de la sortie chez nous : Astro Royale est guidé vers la sortie du magazine, et la série est vouée à se conclure avec son sixième tome.
Ce type de douche froide est un événement quand cela concerne des auteurs plébiscités, mais le cas de Ken Wakui est loin d’être inédit. L’exemple le plus fameux est très certainement Samurai 8, manga scénarisé par Masashi Kishimoto qui, après Naruto, se lançait dans une nouvelle aventure ambitieuse… mais qui fut stoppée au bout de 5 volumes. Plus encore que le fait qu’un franc succès (un euphémisme) n’assure pas la pérennité automatique d’une prochaine œuvre, c’est de nouveau le système du Jump qui mérite d’être pointé du doigt. Sans compter les cas Astro Royale et Samurai 8, combien de mangas prometteurs ont été stoppés nets, sans avoir pu montrer leur plein potentiel, voir à leur apogée et tandis que la fin se profilait ?
Malgré cette annulation précoce, les éditions Glénat ne se sont pas dégonflées et lancent le dernier né de Ken Wakui en grande pompe, dans une édition simple ainsi que deux éditions collectors distinctes ! Astro Royale est donc un petit événement éditorial de cet automne 2025, et le lancement shônen le plus impactant de cette période. Un programme qui a donc de quoi réjouir, même si l’idée d’un récit stoppé net relativement tôt a de quoi faire grincer des dents.
Cette (trop) longue introduction sur l’existence du manga étant faite, que valent ces débuts d’Astro Royale ?
Le clan Yotsurugi est en deuil. Célèbre groupe de yakuza, celui-ci est orphelin de son patriarche, Kongo Yotsurugi. Tout le long de son existence, le chef a recueilli différents orphelins, des enfants qu’il a adoptés. Hibaru, son seul fils de sang, est tout désigné pour succéder au clan. Mais ce dernier surprend l’assemblée en désignant Terasu, son plus fidèle frère au tempérament plus posé que lui, comme l’héritier ! Alors que tout porte à croire qu’une guerre de succession va éclater, une météorite s’écrase sur la région. Lorsque Hibaru ouvre les yeux, lui et nombre de citoyens, dont ses frères, disposent d’un étrange pouvoir : l’Astro. La guerre de succession s’apprête alors à prendre un tournant particulier…
Ce début d’Astro Royale a pour force un environnement que Ken Wakui sait présenter et cadrer. Un clan de yakuza, une guerre de succession, des pouvoirs… Il n’en faut pas plus pour comprendre où l’auteur souhaite nous mener, ainsi que sa volonté d’explorer le récit yakuza à la sauce fantastique du shônen d’action. Là où Tokyo Revengers n’avait de surnaturel que les capacités de Takemichi à voyager dans le temps, cette nouvelle œuvre dote tous ses personnages de facultés qui traduisent leurs psychés et leurs volontés. Voilà qui promet des combats plus intenses, et une possibilité pour l’auteur de se renouveler visuellement.
De ces bases, il suffit d’un bon développement pour assurer une série enthousiasmante, ce qui s’annonce déjà compliqué vu la courte durée du titre. Concernant ce tome de démarrage, on reprochera à Ken Wakui de se montrer un peu trop gentillet et de manquer d’audace. Peut-être l’auteur a-t-il souhaité rassurer le lectorat du Jump en le plaçant en terrain familier, mais ces premières péripéties manquent un chouïa d’envergure. Au cours de celle-ci, le binôme Hibaru x Terasu est planté et leurs premières aventures les mènent face à plusieurs de leurs frères, eux aussi dotés de l’Astro. Le souci vient du manque d’originalité, malgré une volonté de déjà développer les quelques frères du héros qui nous sont présentés, mais surtout un manque d’envergure du côté des affrontements. On sent bien que Wakui s’essaie à ce type de combat, ce qui passe aussi par un changement de ses codes graphiques. Même si sa patte n’a pas changé d’un iota et que ses designs de personnages se reconnaissent entre mille, il couple ces acquis à des éléments surnaturels qui manquent visuellement de panache à ce stade. On a pourtant envie de donner à l’auteur le bénéfice du doute, car ce premier tome n’est que ce qu’il est : un opus de démarrage. Si le récit n’avait pas été avorté après son sixième tome, nous n’aurions pas de telles inquiétudes, et on regretterait surtout un lancement un poil timide.
Car derrière la candeur de ces premiers épisodes, il y a bien quelques pistes qui titillent notre intérêt. L’envie de découvrir l’ensemble de la fratrie est là, et on sait que les possibilités de combinaison entre cet ensemble mafieux et l’univers fantastique du récit sont nombreuses. Astro Royale pourra tirer son épingle du jeu par la suite, malgré (on y revient) une fin qui surviendra certainement trop tôt. À ce stade, nos espoirs sont ceux d’une petite série qu’on aimerait savourer malgré la frustration, et une volonté de voir Ken Wakui s’amuser graphiquement et narrativement avec ce cadre certes plus classique, mais qui l’éloigne du furyo stricte.
Un premier volet bien timide, donc. Si ces débuts se lisent sans déplaisir, on n’y retrouve pas la fougue du Wakui d’autrefois, chose qui peut bien évidemment changer par la suite. On espère que le titre décollera sur ces 5 opus suivants !
22/10/2025