Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 23 Mai 2025
Annoncé par les éditions Panini en tout début d'année en ayant été présenté comme un coup de coeur éditorial, le manga "Yuki to Sumi" fait ses débuts en France en ce mois de mai sous le nom "De neige et d'encre", ce qui est une traduction proche du titre japonais d'origine. Tout première série de la carrière de Miyuki Unohana, cette oeuvre suit son cours dans son pays d'origine depuis 2022 sur les sites Comic Days et Young Magazine Web des éditions Kôdansha, et compte sept volumes à l'heure où ces lignes sont écrites.
Ici, tout commence d'emblée par une première page déjà riche en informations: alors que Neneo, un jeune homme accusé d'avoir tué cinquante personnes dans son village natal, doit être décapité après avoir été traîné dans toute la ville, il se voit racheté par Freya Gibson, jeune femme de bonne famille. Pour quelle raison ? Eh bien, on va vite le découvrir: écartée de l'héritage de sa riche et influente famille au profit de sa soeur cadette Anna après certains échecs commerciaux, Freya, chassée et haïe par nombre de personnes qui l'accusent d'avoir provoqué leur chômage, a décidé de déménager dans une région reculée au nord, et a choisi ce criminel a priori fort pour devenir son serviteur et son garde du corps. Les choses pourraient se limiter à ça, mais évidemment bien d'autres émotions vont s'en mêler, au gré de ce que l'on découvrira réellement sur ces deux âmes profondément meurtries voire traumatisées...
Si l'on doit signaler une grosse limite au début de la série, il s'agit sans doute de la manière extrêmement rapide dont elles évolue dans ses premières dizaines de pages: il ne faut vraiment pas longtemps pour que la relation entre Freya et Neneo, qui viennent à peine de se rencontrer, évolue vers quelque chose de plus sentimental sans que rien n'ait été spécialement préparé dans ce sens. Il faudra donc accepter ça pour ensuite découvrir un début de récit qui, petit à petit, développer un certain charme.
Ce charme, on le doit en premier lieu à ce que l'on comprend de mieux en mieux, au fil des pages, sur chacun des deux protagonistes. Neneo est-il réellement l'horrible meurtrier que l'on croit ? Freya est-elle vraiment la hautaine héritière incompétente que le peuple voit en elle ? On cerne vite que la vérité est plus compliquée que ça et que chacun des deux personnages a en réalité traversé des épreuves très douloureuses que l'on va soigneusement éviter de spoiler ici: sachez juste qu'il sera question, dans les grandes lignes, de maladie, de perte d'êtres chers, ou encore de lourd poids familial ayant de quoi nous enchaîner.
Il en ressort, chez tous les deux, des traumatismes qui s'expriment différemment: quand lui cache sa douleur derrière un comportement agressif voire quasiment autodestructeur au départ, elle semble tout contenir, renfermer, refouler en elle au point de ne pas forcément réagir quand on la conspue. Deux façons d'être face à l'adversité, pour deux personnalités opposées qui sont symboliquement exprimées par le titre de la série. Mais comme le dit l'autrice dans sa préface sur le rabat de la jaquette, entre le noir de l'encre et le blanc de la neige il y a une multitude de nuances, et ce sont ces nuances que l'on commence à entrevoir dans la manière dont le coeur de Neneo et de Freya, au contact l'un(e) de l'autre, va commencer à s'adoucir pour, peut-être, leur permettre de s'ouvrir l'un(e) à l'autre, de se protéger mutuellement, et de combler le vide qu'ont laissé en eux leurs douleurs respectives.
Quelque chose d'assez poignant se développe alors entre ces deux âmes endolories qui, d'ores et déjà, ont assurément besoin l'un(e) de l'autre. Mais bien sûr, la série ne devrait pas se limiter à ça et, à travers des premiers personnages secondaires assez intrigants comme l'excentrique Halvard et la dénommée Curie, esquisse déjà des pistes de développements intrigantes, à la fois autour du contexte familial de Freya et de ce qui s'est réellement passé dans le village natal de Neneo.
Enfin, sur le plan des dessins et de la narration visuelle, même si l'on sent parfois que Miyuki Unohana tâtonne un peu pour trouver ses marques (au-delà de l'extrême rapidité du tout début déjà évoquée, certaines transitions sont maladroites en donnant lieu à un rythme un peu bâtard), le fait est qu'elle développe un réel potentiel à travers ses designs soignés, plutôt fins et assez élégants, et surtout via une certaine faculté à changer de ton pour coller aux émotions de ses protagonistes, leur côté torturé et endolori pouvant facilement laisser place à une belle voire apaisante douceur complice entre eux deux.
Une fois passées outre les maladresses de départ (que l'on mettre sur le compte du manque d'expérience d'une autrice en tout début de carrière), il y a alors de quoi se laisse happer par ce premier volume, par son duo principal qui gagne en attachement au fil des pages, et par les possibilités de développements qui intriguent suffisamment. Espérons donc que ces belles promesses se confirmeront et que la mangaka saura vite affiner ses qualités !
Côté édition française, on est sur un rendu standard de Panini: la sobre jaquette reste proche de l'originale nippone jusque dans la conception et l'agencement global du logo-titre, le papier est souple et assez opaque dans l'ensemble, la traduction assurée par Nathalie Lejeune est assez claire, et le lettrage effectué par Tatiana Bonora est convaincant.