Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 31 Octobre 2017
Premier livre de Tamekou à paraître en France, You’re my sex star fut, au Japon, le deuxième album de cette jeune mangaka qui a démarré sa carrière en 2014. Sorti dans son pays d’origine en août 2016, ce recueil regroupe les premières histoires courtes que l’artiste a pu faire pour le compte du magazine On Blue de Shôdensha, un magazine que l’on connaît bien en France pour des titres de qualité et ayant une belle personnalité graphique comme L’étranger de la plage, Rendez-vous à Udagawachou ou encore Une nouvelle chance.
La plus longue histoire du recueil est celle qui offre son titre au livre : elle s’étire sur 3 chapitres, dont un bonus en toute fin de recueil, et occupe donc 70 pages au total. On y découvre Ibuki, un journaliste travaillant depuis peu pour une revue à tendance érotique. Chargé de remplir une rubrique que sans doute personne ne lit, il est amené, pour son premier article, à devoir interviewer Chihiro Yûki, un acteur porno actuellement très en vogue, et tournant autant avec des femmes qu’avec des hommes. Sur place, le jeune journaliste pense bien faire en venant en aide à l’acteur, mais en réalité il commet une grosse bourde qui compromet le prochain tournage. Yûki lui propose alors de se faire pardonner en tournant une scène avec lui… De ce point de départ très classique et pas très finaud, Tamekou parvient pourtant à développer quelque chose d’intéressant chez ses deux personnages principaux. L’artiste démontre un vrai don pour dépeindre en Yûki un homme assez captivant dans son genre, à la fois très séduisant, libre dans ses relations où il couche aussi bien avec des hommes qu’avec des femmes, très doué dans ses tournages… Il semble pouvoir rendre folle ou fou quiconque l’approche, y compris Ibuki. Mais ce dernier aimerait vite avoir avec lui une relation dépassant le simple cadre sexuel, et sortir réellement avec lui… En sera-t-il capable ? Il ne faut toutefois rien attendre de plus de l’intrigue, qui se conclut très vite.
De manière générale, les récits suivants sont un peu dans le même genre au niveau du scénario, qui ne va jamais très loin, essentiellement parce que les chutes arrivent souvent très vite et qu’elles restent ouvertes. Et ça se ressent d’autant plus que plus on avance dans le recueil, plus les récits sont brefs, voire très, très brefs. Ainsi, une fois You’re my sex star passé, le récit le plus long dépasse difficilement la grosse vingtaine de pages, tandis que les plus courts n’en font que 2, 3 ou 6. Donc, n’attendez jamais grand-chose des histoires en elles-mêmes. Car l’intérêt du recueil, finalement, se situe ailleurs.
Tout d’abord, dans les choix de personnages que l’artiste fait : Tamekou se plaît à jouer plus d’une fois sur la frontière entre fantasmes d’hommes et fantasmes de femmes, entre masculinité et féminité. En plus de cet acteur de You’re my sex star qui couche et plaît autant aux hommes qu’aux femmes, on trouve notamment deux amis d’enfance complètement différents en caractère, mais nouant un rapport étrange aux loose socks, ces chaussettes longues typiquement pour filles. Dans un autre récit, on suit un lycéen qui ne peut s’empêcher d’observer avec insistance un camarade de classe aux lèvres très rouges, qui semble utiliser un rouge à lèvres. Est-ce que cela l’intrigue ou le dégoûte ? Ses réactions sont contradictoires, mais peut-être a-t-il faux sur toute la ligne ? Et dans les récits les plus courts, qui ne sont vraiment que de brefs instantanés, on trouve notamment un jeune garçon entouré de poupées, ou le fantasme de la bunny girl transposé au masculin.
Observer tout cela ne manque pas d’intérêt, d’autant que Tamekou possède une patte visuelle très jolie. Dans l’ensemble, son trait dégage une certaine douceur, et que ce soit dans les silhouettes ou dans les visages, l’artiste n’a aucun mal à offrir un érotisme naturel à ses personnages, qui ont quelque chose de très attirant. Et cela, quelle que soit la portée de son érotisme : elle est capable d’offrir des scènes de sexe très explicites et ne cachant rien, mais aussi de simplement sous-entendre un léger érotisme (comme quand ces deux amis enfilent les loose socks avec une certaine sensualité due à l’objet) avec le même talent. Et concernant le découpage, le trait en lui-même ou l’utilisation des trames, elle impressionne à quelques reprises, tant ça semble déjà maîtrisé pour ce qui ne sont que des histoires courtes de jeunesse.
Pas forcément très intéressant pour les scénarios, ce recueil vaut surtout le coup pour le style et l’utilisation de certains fantasmes que Tamekou pose. Pour ce qui n’est qu’un recueil de début de carrière, cette mangaka parvient à séduire et donne très facilement envie de voir ce qu’elle fera dans la suite de sa carrière. Le plus gros regret viendra de l’absence de postface ou de petits mots sur ces différents récits, hormis pour l’histoire des loose socks qui en bénéficie.
Du côté de l’édition, pas grand-chose à redire. Aline Kukor livre une traduction soignée, le papier et l’impression sont tout à fait corrects.