Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 14 Novembre 2025
Retardé de quelques jours puisqu'il était initialement prévu en octobre, le premier volume de Yôkai Giga est finalement arrivé chez Le Lézard Noird au début de ce mois de novembre. Achevée en onze volumes, cette série fantastique a été prépubliée au Japon entre 2017 et début 2022 dans le célèbre magazine Shônen Sunday, le principal magazine pour adolescents des éditions Shôgakukan dont proviennent un paquet de mangas réputés comme les principales séries longues de Rumiko Takahashi, Mitsuru Adachi ou encore Kazuhiro Fujita, sans oublier des succès tels que Frieren, Silver Spoon ou encore Komi cherche ses mots.
On doit cette oeuvre à Satsuki Sato, une mangaka qui, après avoir fait ses premières armes en tant qu'assistante de Tamiki Wakaki (Que sa volonté soit faite, 365 Days to the Wedding...) et d'Inio Asano (Bonne nuit Punpun!, Dead Dead Demon's DeDeDeDe Destruction...), a débuté sa propre carrière avec la série dont il est question dans ces lignes. Ne cachant aucunement la forte influence sur elle de l'illustre Shigeru Mizuki, regretté artiste incontournable ayant remis à la mode les yôkai à partir des années 1960 après quelques décennies d'oubli (et auteur grandement publié en France par les éditions Cornélius), l'autrice montre elle-même, à son tour, une grand passion pour ces êtres typiques du folklore japonais, si bien qu'après avoir bouclé Yôkai Giga elle a lancé au Japon en 2024 sa deuxième série Bake no Kawa no Hitobake qui, elle aussi, a un rapport étroit avec les yôkai.
La formule de l'oeuvre semble a priori simple en se partageant entre deux axes, l'un des deux se constituant de courts chapitres indépendants présentant à chaque fois un nouveau yôkai: tengu, sodehiki-kozô, ubume, oi no bakemono, tofu kozô, yamako, satori, jorôgumo, makuragaeshi et mokumokuren sont, ainsi, les êtres mis en avant dans ce premier opus, le temps de quelques pages. Mais loin de se contenter d'une simple présentation de chacune de ces créatures, la mangaka détourne souvent les idées préconçues sur celles-ci afin d'en offrir une nouvelle vision. Par exemple, les yôkai ayant une réputation néfaste sont-ils toujours réellement si mauvais ? Clairement, Satsuki Sato aime jouer à déficeler les a priori et les faux semblants sur ces créatures pour offrir sa propre interprétation de celles-ci, qui plus est en jouant sur un côté assez imprévisible que chaque début de chapitre souligne bien dans le bref texte de présentation, en jonglant entre différentes époques comme pour nous rappeler que les yôkai sont présent dans l'imaginaire nippon depuis des siècles, et en oscillant entre des ambiances très diverses selon ce que ces yôkai sont amenés à vivre. La lecture pourra ainsi sembler tout à tour grivoise, inquiétante, dramatique, amusante, grotesque, adorable, triste, cruelle, romantique... Et tout ceci permet à l'autrice de ne jamais lasser dans son schéma tout simple et linéaire.
Une linéarité qui se voit également cassée par l'autre axe majeur de l'oeuvre, se mettant soigneusement en place au gré de plusieurs chapitres épars mais contant, eux, un vrai fil rouge en se centrant sur un yôkai en particulier: Kuro, petit être dont le visage avec un seul oeil est constamment encapuchonné, en lui offrant une allure chétive et toute mignonne. Apparu lors de la naissance de Serizawa, l'humain sur qui il est voué à veiller au fil des années, ce petit yôkai s'applique, dans le Japon des années 1930, à accomplir son rôle, quand bien même le jeune homme ne peut désormais plus le voir depuis plusieurs années. Bien qu'il soit invisible aux yeux des humains, qu'il soit parfois maladroit et qu'il puisse se sentir impuissant plus d'une fois, Kuro tâche toujours à faire de son lieux pour protéger son maître, pour prendre soin de lui et pour comprendre ses émotions, ce qui le rend très facilement attachant. Mais que pourra-t-il faire lorsque Serizawa vivra ses premiers vrais tourments sentimentaux contrariés à l'égard de la jolie Makimura ? Sans aller chercher loin, et même si la narration externe est parfois un petit peu lourde, ce fil conducteur et bien mené, reste accrocheur grâce à ses personnages, et, surtout, n'oublie pas de rester facilement accessible pour le public cible du magazine de prépublication, à savoir des adolescents à qui Satsuki Sato a clairement à coeur de mieux faire découvrir le vaste et fantastique univers des yôkai, en digne héritière de Shigeru Mizuki.
Enfin, en terme d'expérience visuelle, on peut dire que l'artiste nous en met facilement plein la vue. Directement hérités de Mizuki là aussi, ses designs se veulent précis, denses, portés par un trait assez épais et par des tenues et environnements riches et immersifs qui s'adaptent toujours bien aux différentes époques. Tour à tour inquiétants, envoûtants, rigolos ou délicieusement grotesques, les yôkai dessinés par Satsuki profitent toujours d'un soin impressionnant, pour une expérience de lecture facilement renouvelée et où l'on a toujours le désir de découvrir quel sera la prochaine créature mise en avant et comment elle le sera.
A l'arrivée, ce premier volume de Yôkai Giga, derrière sa formule assez simple qui peut plaire autant au jeune public qu'au moins jeune, a facilement de quoi régaler grâce au travail soigné et passionné de Satsuki Sato à l'égard des yôkai. Certes, on attendra de voir comment la mangaka arrivera à renouveler et enrichir son oeuvre sur dix tomes supplémentaires, mais dans l'immédiat elle nous séduit facilement et se pose en digne successeure de l'illustre Shigeru Mizuki.
Au niveau de l'édition française, enfin, Le Lézard Noir nous offre ici son grand format sans jaquette ni rabats assez typique, avec un papier souple et assez opaque, ainsi qu'une qualité d'impression convaincante même si l'on regrettera que l'imprimeur et son origine ne soient pas précisément indiqués (on a droit à un simple "imprimée en U.E.). En plus de ça, la traduction de Diane Ottawa et Ryuji Takano est claire, les trois premières pages en couleurs sur papier classique sont sympathiques, et la couverture est soignée même si elle s'écarte un peu de l'originale japonaise.
05/11/2025