Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 11 Janvier 2018
Bien que considérée comme une artiste incontournable du manga au Japon, Keiki Nishi n'a, jusqu'à présent, pas été gâtée dans sa bibliographie française : malgré ses 30 ans de carrière et ses très nombreuses oeuvres, on ne connaît qu'Ane no kekkon, un très bon titre partiellement publié dans notre langue par les éditions Panini qui l'ont mis en stand-by prolongé depuis quelques années... Et c'est donc avec beaucoup d'intérêt que l'on accueille en France (enfin !) un autre manga d'elle, les éditions Akata ayant décidé de la faire découvrir un petit peu plus en publiant l'un de ses one-shot.
De son nom original Kame no Naku Koe, Voyage au bout de l'été a été prépublié en 2009 dans le magazine Flowers des éditions Shôgakukan, un magazine beaucoup trop rarement traduit par chez nous. Le titre va nous narrer la rencontre entre un jeune fonctionnaire peu sûr de lui et une lycéenne un peu rebelle. Une rencontre qui va changer leur existence, à tous les deux, mais pas uniquement à eux...
Makoto Nakagawa, 27 ans, fonctionnaire en province, est un homme discret, qui n'attire pas spécialement les autres, est toujours célibataire... Un homme banal, mais qui cache un petit secret : pendant son temps libre, il aime dessiner en secret du manga pour filles ! Se rendant très souvent dans le même café, s'asseyant toujours à la même place, il croise régulièrement une adolescente qui, avec sa longue chevelure, ses traits de poupée et son regard assez perçant, ne passe pas inaperçue. Un jour, il est amené à engager la conversation avec elle. De fil en aiguille, Kureha Kôzuki, 16 ans, finit par insister pour savoir ce qu'il cache dans sa pochette puis pour lire son manga. Alors qu'elle n'y connaît rien, la sensibilité évidente de cet homme l'émeut beaucoup au fil des planches... au point qu'elle décide d'emmener Makoto jusqu'à Tokyo pour le pousser à se faire publier ! Commence alors un voyage jusqu'à la capitale, où chacun des deux va se révéler un peu plus.
Tout comme dans Ane no kekkon, Keiko Nishi a pour elle un trait assez reconnaissable, à la fois un petit peu épuré, très fin, sensible au niveau des expressions faciales (surtout les yeux de Kureha ici, qui dégagent bien le caractère de la jeune fille, tandis que Makoto a une expression plus passe-partout), plutôt élancé, et ponctué de très nombreux moments d'humour. Cela apporte au récit une certaine fraîcheur assez délectable et collant bien au voyage improvisé fait par les deux héros. Le tout, alors que le récit aborde pourtant en filigranes pas mal de thèmes dont certains sont assez matures.
Le plus évident de ces thèmes vient du statut de Makoto, qui aime dessiner des mangas shôjo mais le cache, en a honte, n'arrive pas à l'assumer au point que même arrivé aux éditions Eikosha, c'est Kureha qui se retrouve naturellement affublée du titre d'autrice de son manga par l'éditeur. Le récit joue ainsi sur une certaine vérité que les lecteurs de manga ont peut-être déjà remarquée : il y a un certain nombre de femmes dessinant des mangas "pour garçon" (les Clamp, Hiromu Arakawa, Jun Mochizuki et Rumiko Takahashi sont parmi les plus connues), mais beaucoup moins d'hommes dessinant des mangas "pour fille". Problème de complexe ? Le problème de Makoto, à ce niveau-là, pourrait se révéler un petit peu plus compliqué,et cela fait partie des autres thèmes que l'oeuvre va aborder à partir du moment où Keiko Nishi s'intéresse de plus près à ses héros.
Le jeune homme, en moins de 200 pages, est suffisamment bien travaillé, crédible, et Keiko Nishi fait très bien comprendre d'où vient son attrait pour le shôjo manga : il y a trouvé une beauté prônant l'acceptation des gens tels qu'ils sont, et y a découvert un mode de pensée qu'il ne connaissait pas. Ainsi, la mangaka brise volontiers certaines vieilles barrières (pourquoi un homme ne pourrait pas avoir des goûts féminins ?). Mais en plus de ce que l'on découvre de l'enfance et de la sensibilité de Makoto (des choses qui ont conditionné ce qu'il est devenu), Nishi, dès le départ, immisce un certain regard sur la famille de Kureha : un petit frère brimé à l'école, un père qui s'entête à tenir une librairie sur le déclin parce qu'elle s'est transmise à chaque génération, un grand-père ayant certains regrets, une mère exténuée à force de tenter vaguement de maintenir la maison... La famille de l'adolescente apparaît assez éclatée, un peu en perdition. Chacun de ses membres semble se chercher, avoir besoin de faire le point sur soi, tenter d'échapper un peu à la demeure familiale, et effectuer alors son propre "voyage", que l'on suivra par bribes tout au long du one-shot. Dès lors, en décidant si facilement de partir jusqu'à Tokyo sans même en informer ses proches, on comprend que Kureha a elle aussi besoin de ce voyage pour s'échapper et peut-être mieux se trouver à l'arrivée. Mais la mangaka ne s'arrête pas à ses deux héros et à la famille de l'adolescente, et croque aussi des éléments intéressants chez certains autres personnages, en têtes desquelles Inoue, responsable éditoriale un peu perdue sur la voie qu'elle a choisie, celle où elle voulait devenir une femme indépendante mais où elle a le sentiment de s'être un peu égarée.
Dans l'ensemble, Nishi offre une bonne palette de personnages, avec des interactions réussies. C'est surtout le cas pour le lien qui se crée entre Kureha et Makoto, où le caractère de l'adolescente tend à secouer un peu le jeune homme de délicieuse façon.
Akata nous offre une édition satisfaisante avec un papier souple, une impression honnête, une traduction très claire et juste de Miyako Slocombe, et le soin habituel accordé aux onomatopées (comme souvent avec l'éditeur, elles sont traduites et remplacées, ce qui peut plaire ou déplaire, mais son toujours bien intégrées).
A la fois assez réaliste et mûr dans ses thèmes, porté par un vent de fraîcheur, et suffisamment abouti pour un one-shot, Voyage au bout de la nuit est une belle trouvaille qui, le temps d'un volume, nous permet enfin de profiter en langue française d'une oeuvre complète de Keiko Nishi, grand nom dans son pays d'origine, mais beaucoup trop méconnue chez nous.
De son nom original Kame no Naku Koe, Voyage au bout de l'été a été prépublié en 2009 dans le magazine Flowers des éditions Shôgakukan, un magazine beaucoup trop rarement traduit par chez nous. Le titre va nous narrer la rencontre entre un jeune fonctionnaire peu sûr de lui et une lycéenne un peu rebelle. Une rencontre qui va changer leur existence, à tous les deux, mais pas uniquement à eux...
Makoto Nakagawa, 27 ans, fonctionnaire en province, est un homme discret, qui n'attire pas spécialement les autres, est toujours célibataire... Un homme banal, mais qui cache un petit secret : pendant son temps libre, il aime dessiner en secret du manga pour filles ! Se rendant très souvent dans le même café, s'asseyant toujours à la même place, il croise régulièrement une adolescente qui, avec sa longue chevelure, ses traits de poupée et son regard assez perçant, ne passe pas inaperçue. Un jour, il est amené à engager la conversation avec elle. De fil en aiguille, Kureha Kôzuki, 16 ans, finit par insister pour savoir ce qu'il cache dans sa pochette puis pour lire son manga. Alors qu'elle n'y connaît rien, la sensibilité évidente de cet homme l'émeut beaucoup au fil des planches... au point qu'elle décide d'emmener Makoto jusqu'à Tokyo pour le pousser à se faire publier ! Commence alors un voyage jusqu'à la capitale, où chacun des deux va se révéler un peu plus.
Tout comme dans Ane no kekkon, Keiko Nishi a pour elle un trait assez reconnaissable, à la fois un petit peu épuré, très fin, sensible au niveau des expressions faciales (surtout les yeux de Kureha ici, qui dégagent bien le caractère de la jeune fille, tandis que Makoto a une expression plus passe-partout), plutôt élancé, et ponctué de très nombreux moments d'humour. Cela apporte au récit une certaine fraîcheur assez délectable et collant bien au voyage improvisé fait par les deux héros. Le tout, alors que le récit aborde pourtant en filigranes pas mal de thèmes dont certains sont assez matures.
Le plus évident de ces thèmes vient du statut de Makoto, qui aime dessiner des mangas shôjo mais le cache, en a honte, n'arrive pas à l'assumer au point que même arrivé aux éditions Eikosha, c'est Kureha qui se retrouve naturellement affublée du titre d'autrice de son manga par l'éditeur. Le récit joue ainsi sur une certaine vérité que les lecteurs de manga ont peut-être déjà remarquée : il y a un certain nombre de femmes dessinant des mangas "pour garçon" (les Clamp, Hiromu Arakawa, Jun Mochizuki et Rumiko Takahashi sont parmi les plus connues), mais beaucoup moins d'hommes dessinant des mangas "pour fille". Problème de complexe ? Le problème de Makoto, à ce niveau-là, pourrait se révéler un petit peu plus compliqué,et cela fait partie des autres thèmes que l'oeuvre va aborder à partir du moment où Keiko Nishi s'intéresse de plus près à ses héros.
Le jeune homme, en moins de 200 pages, est suffisamment bien travaillé, crédible, et Keiko Nishi fait très bien comprendre d'où vient son attrait pour le shôjo manga : il y a trouvé une beauté prônant l'acceptation des gens tels qu'ils sont, et y a découvert un mode de pensée qu'il ne connaissait pas. Ainsi, la mangaka brise volontiers certaines vieilles barrières (pourquoi un homme ne pourrait pas avoir des goûts féminins ?). Mais en plus de ce que l'on découvre de l'enfance et de la sensibilité de Makoto (des choses qui ont conditionné ce qu'il est devenu), Nishi, dès le départ, immisce un certain regard sur la famille de Kureha : un petit frère brimé à l'école, un père qui s'entête à tenir une librairie sur le déclin parce qu'elle s'est transmise à chaque génération, un grand-père ayant certains regrets, une mère exténuée à force de tenter vaguement de maintenir la maison... La famille de l'adolescente apparaît assez éclatée, un peu en perdition. Chacun de ses membres semble se chercher, avoir besoin de faire le point sur soi, tenter d'échapper un peu à la demeure familiale, et effectuer alors son propre "voyage", que l'on suivra par bribes tout au long du one-shot. Dès lors, en décidant si facilement de partir jusqu'à Tokyo sans même en informer ses proches, on comprend que Kureha a elle aussi besoin de ce voyage pour s'échapper et peut-être mieux se trouver à l'arrivée. Mais la mangaka ne s'arrête pas à ses deux héros et à la famille de l'adolescente, et croque aussi des éléments intéressants chez certains autres personnages, en têtes desquelles Inoue, responsable éditoriale un peu perdue sur la voie qu'elle a choisie, celle où elle voulait devenir une femme indépendante mais où elle a le sentiment de s'être un peu égarée.
Dans l'ensemble, Nishi offre une bonne palette de personnages, avec des interactions réussies. C'est surtout le cas pour le lien qui se crée entre Kureha et Makoto, où le caractère de l'adolescente tend à secouer un peu le jeune homme de délicieuse façon.
Akata nous offre une édition satisfaisante avec un papier souple, une impression honnête, une traduction très claire et juste de Miyako Slocombe, et le soin habituel accordé aux onomatopées (comme souvent avec l'éditeur, elles sont traduites et remplacées, ce qui peut plaire ou déplaire, mais son toujours bien intégrées).
A la fois assez réaliste et mûr dans ses thèmes, porté par un vent de fraîcheur, et suffisamment abouti pour un one-shot, Voyage au bout de la nuit est une belle trouvaille qui, le temps d'un volume, nous permet enfin de profiter en langue française d'une oeuvre complète de Keiko Nishi, grand nom dans son pays d'origine, mais beaucoup trop méconnue chez nous.