Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 21 Septembre 2018
Ces dernières années, on peut dire qu'on a eu un sacré paquet des titres estampillés isekai, c'est-à-dire des histoires où un personnage de notre monde se retrouve soudainement transporté dans un autre univers, généralement typé fantasy. De Gate à Overlord en passant par Re:Zero, Re:Monster, Moi quand je me réincarne en slime et énormément d'autres, on pensait avoir fait à peu près le tour. Mais il y a toujours, par-ci par-là, des titres qui, dans ce registre, parviennent à se démarquer grâce à une ou plusieurs idées originales et intrigantes. Et The Dungeon of Black Company pourrait bien faire partie de celles-ci...
Publiée au Japon depuis 2016 dans le magazine Comic Blade de Mag Garden, sous le titre Meikyû Black Company, cette série nous permet de découvrir en France le mangaka Youhei Yasumura, dont c'est la deuxième série au Japon.
Kinji Ninomiya est un NEET que l'on peut qualifié d'odieux: après avoir spéculé en bourse et fait accroître sa fortune sans le moindre effort, il se contente de vivre à l'écart de la société en ne glandant rien... si ce n'est en se moquant ouvertement de tous les gens qui, jour après jour, travaillent dur pour gagner leur croûte, et qu'il considère comme étant tous inférieurs à lui. Il pense que sa vie peinarde durera toujours ainsi... jusqu'au jour où il se retrouve soudainement plongé dans un monde inconnu, celui d'Amulia, où vivent plusieurs espèces humanoïdes. Quatre mois après s'être retrouvé là, il commence à comprendre certains fonctionnements de cet univers, en tête l'exploitation de pierres magiques (source d'énergie) par des sociétés privées sous licence et des Etats qui font leur beurre là-dessus. Rien de si différent que ça du monde d'où il vient, peut-être... à ceci près qu'ici, le jeune homme, pour pouvoir payer son loyer et sa nourriture et rembourser ses dettes, n'a eu d'autre choix que de se faire engager dans la section extraction de la succursale de Detmort de l'entreprise Raizaher Mining, une société qui tire son profit de l'extraction de pierres magiques dans les mines... en exploitant à 100% ses ouvriers. Temps de repos et de pauses minimaux, salaires misérables, nombreuses heures de travail par jour, obligation de respecter des quotas... Une sorte de travail à la chaîne proche de l'esclavagisme, que Kinji a très vite du mal à supporter... et où il est bien décidé à gravir les échelons !
Le récit nous plonge très vite dans le vif du sujet avec une introduction rapide, mais efficace, dans la mesure où on comprend vite que Kinji tient plus du anti-héros que du héros: c'est une belle enflure dans le fond, certes doté d'un esprit assez intelligent, mais qu'il utilise uniquement pour son propre bonheur en ne pensant aucunement aux autres, voire en se fichant ouvertement d'eux. Les 4 premiers chapitres composant ce premier tome ne cesseront de montrer la mentalité de cet homme qui ne pense qu'à lui, se considère comme un gagneur, vomit souvent sur tous les autres, a une vision des choses parfois assez radicale, n'hésite aucunement à utiliser ses collègues si l'occasion se présente en se moquant de leur santé... Un bonhomme odieux, on vous dit, le pire étant qu'il en a lui-même conscience. Et du coup, on s'amuse assez à suivre ses manigances pour tirer son épingle du jeu et s'élever, dans la mesure ou bien souvent les choses se retournent un peu contre lui, notamment en voyant sa dette ne pas diminuer du tout, loin de là. Qui plus est, il y a autour de lui quelques figures secondaires assez plaisantes qui s'installent, en tête desquelles Wanibé, un homme-lézard gentil, mais sans doute un peu benêt en suivant facilement Kinji dans ses plans, ou surtout Rim, un monstre pouvant se transformer en petite fille, venant squatter chez Kinji pour... s'empiffrer constamment. Un gouffre sur patte qui devient très vite un gouffre financier pour notre (antihéros).
Si le schéma peut sembler assez linéaire pour l'instant, l'auteur parvient à utiliser à bon escient ses idées pour installer son univers et son concept. Ainsi, on apprend par-ci par-là quelques détails sur ce monde, sur Raizaher Mining, ou sur ses différentes sections via les évolutions de Kinji (par exemple, il est amené à intégrer la section d'exploration). Le mangaka s'amuse aussi à revisiter certains concepts de notre monde moderne (comme le "business trip", ou voyage d'affaires, qui devient ici une incursion plus profonde et plus dangereuse dans les mines), et offre quelques passages assez savoureux, par exemple quand Kinji parvient à monter une mutinerie ouvrière au sein d'une... colonie de fourmis géantes, face à leur reine. Et au bout du compte, la toute dernière page promet d'offrir d'autres possibilités à l'oeuvre, les ambitions de Kinji étant très, très loin de s'atténuer.
Visuellement, Yasumura s'en sort très bien. En plus de designs bien travaillés au niveau des humains des différentes créatures humanoïdes et des monstres, on a droit à des décors très souvent présents sans être surchargés, et qui participent beaucoup à l'ambiance. Les trames sont souvent intelligemment utilisées, notamment pour les intérieurs des mines.
En somme, The Dungeon of Black Company, ça s'annonce pas mal du tout. Avec son petit univers qui s'installe assez bien, son concept plutôt intéressant, et sa galerie de personnages assez prometteurs dont un anti-héros souvent odieux, l'oeuvre de Youhei Yasumura offre de bonnes promesses qu'il faudra confirmer.
L'édition française est dans les standards de Komikku, avec un papier alliant souplesse et épaisseur, une excellente impression, un lettrage soigné, une première page en couleur, et une traduction claire de Fabien Nabhan malgré, malheureusement, quelques petites coquilles qui ont échappé à la relecture.