Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 16 Avril 2024
Début 2024 est résolument une excellente période pour le shôjo manga en France, avec le lancement de plusieurs séries prometteuses chez les différents éditeurs. De leur côté, Delcourt/Tonkam enrichit sa collection MoonLight avec Studio Cabana, un manga signé Aguri Uma qui semble déjà avoir son noyau de fans qui s'est réjouit de la sortie chez nous.
Mangaka qui a fait ses débuts dès 2017, Aguri Uma lance Studio Cabana dès 2021 via le label Sylph de la plateforme Pixiv, tandis que les volumes sont publiés aux éditions Kadokawa. À ce jour, ce sont 5 tomes qui sont parus dans les librairies du Japon, tandis que le 6e opus est attendu pour le mois de mai. Cela en fait l'œuvre la plus ambitieuse de l'artiste, à laquelle on souhaite un avenir brillant tant ce premier tome se révèle particulièrement bon.
Comédie lycéenne, Studio Cabana nous mène aux côtés de Yukari Maki, élève dont le principal fait d'armes est de tenir tête en permanence à Yusuke Kusada. Beau garçon, ce dernier a aussi une sacrée réputation de par son caractère solitaire et son acharnement à sécher les cours. Jour après jour, Yukari le sollicite et le pousse à venir en classe, un dévouement qu'elle est la seule à montrer. Mais son opinion sur le jeune homme commence à changer lorsqu'elle découvre son secret. Yusuke fait en effet partie d'un groupe de musique, et le lieu de répétition de ses membres est le Studio Cabana. Petit à petit, Yukari va découvrir qui est réellement le jeune homme et à quoi il aspire, tandis que ses sentiments vont se mettre en branle et progressivement évoluer...
La romance et les histoires musicales font bon ménage en manga. De Nana à Given en passant par des œuvres telles que Whispering You A Love Song ou encore Your Lie in April, les exemples ne manquent pas. Alors, quand la très jolie collection MoonLight accueille un titre de ce registre, il y a de quoi être enthousiaste. Et effectivement, Aguri Umi nous offre un premier opus complètement convaincant, tant les émois que peut susciter le 4e art se mêlent habilement à ce début de scénario que nous propose la mangaka, une intrigue plus dense qu'il n'y paraît.
Ainsi, cette amorce nous présente la relation entre Yukari et Yusuke. D'un côté, une lycéenne dynamique et assidue, et de l'autre un beau garçon assez ronchon qui ne cesse de sécher les cours et s'isoler sur le toit de l'établissement. Mais pourquoi ? Que cache le comportement du jeune homme ? En répondant à cette question, l'histoire nous propulse dans l'intimité de Yusuke, un univers qu'il garde pour lui-même et dont seule une poignée de personnage a conscience, une réalité que va découvrir Yukari.
Si Yusuke peut paraître comme le garçon taciturne par excellente, ce premier tome parvient à créer chez lui de véritables nuances, de manière à lui créer une facette assez riche et ne pas le cantonner à la classique figure d'artiste torturé et fermé sur lui-même. C'est en ce sens que sa relation avec Yukari se révèle plaisante, tant leur rapport évolue au rythme des sentiments de la demoiselle qui, en découvrant la vraie facette du garçon qu'elle passait son temps à réprimander pour ses absences, va voir ses propres sentiments évoluer. La formule a l'air assez classique, mais elle reste maîtrisée grâce à tous les petits développements qu'apporte Aguri Uma au fil des pages. Une évolution des émois de l'héroïne, certes, mais aussi celle de la vision de Yusuke à la jeune femme, et par conséquent au monde. De son côté, la musique revêt plusieurs dimensions qui se conjuguent habilement. Car si elle est montrée comme un véritable univers de Yusuke qui pourra le connecter au monde et à Yukari, elle consiste aussi en un microcosme qui semble cacher son lot de secrets. C'est ainsi que d'autres personnages, les membres du groupe du jeune homme, font leur entrée en scène au compte-gouttes, et certains d'entre eux aboutissement déjà à des chamboulements narratifs imprévus et qui remettent entièrement en question le côté sage du schéma narratif, et peut-être même les thématiques sous-jacentes. Étant donné les dernières pages de l'ouvrage, l'envie de découvrir la suite est bien là, tant les bases de la série peuvent encore évoluer et embrasser de nouvelles richesses. À ce propos, on regrettera un synopsis sur la quatrième de couverture qui révèle certains enjeux de la seconde moitié de l'ouvrage. Delcourt/Tonkam aurait pu atténuer ce texte, mais il n'en est rien. Mieux vaut donc éviter de s'attarder sur la jaquette avant lecture.
Enfin, c'est bien la patte graphique d'Aguri Umi qui nous marque, tout le long de la lecture. Par son trait fin et ses planches épurées, l'auteur amène une vraie délicatesse de tous les instants, qui fonctionnent aussi bien lors des quelques gags sur les moments de tranche de vie et de drame. Et dès lors que la musique est présentée sous le prisme de la représentation live, cette patte gagne en densité, tout comme la musique se révèle être porteuse de tonalité plus riche. L'ensemble est à la fois élégant et saisissant dans sa manière de porter les ambiances, contribuant à la qualité de ce début de série.
En somme, Studio Cabana nous emporte sans aucun mal avec ce premier tome, que ce soit par son intrigue qui sait ne pas se cantonner aux standards du genre pour développer bien des richesses et des nuances à travers deux protagonistes marquants, et par la patte de l'auteur qui sait envelopper ce récit de ses multiples auras graphiques. Le début est prometteur, et on attendra la suite avec une certaine hâte.
Du côté de l'édition, en dépit du couac évoqué plus haut, Delcourt/Tonkam livre une copie de bonne qualité, que ce soit par la couverture dont le vernis sélectif apport un joli effet très discret, la conception graphique de l'ensemble signée Solène Pichereau, le lettrage bien calibré d'Adèle Houssin, ou encore la traduction d'Essia Mokdad qui semble à l'aise pour soulever les différentes nuances émotionnelles de ce début d'œuvre.