Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 12 Juin 2024
Après bien d'autres oeuvres réputées comme 20th Century Boys, Banana Fish, Yasha, Eden ou encore Mars, les éditions Panini continuent d'enrichir leur offre de mangas en format Perfect en lançant, en ce mois de juin, une série qui n'avait jusqu'à présent jamais été intégralement éditée dans notre pays, alors qu'elle possède une renommée internationale: Spriggan. Cette oeuvre fut partiellement éditée en France par Glénat dans les années 1990 sous le nom Striker, et a été re-popularisée en 2022 via une adaptation animée sur Netflix. Avant ça, le manga avait déjà connu un film d'animation en 1998.
Au Japon, cette série a permis à deux auteurs majeurs de leur catégorie de percer au-delà des frontières nippones: d'un côté le scénariste Hiroshi Takashige, spécialiste des histoires d'action que l'on connaît aussi en France pour la série "Jusqu'à ce que la mort nous sépare" (éditions Ki-oon), et de l'autre côté le dessinateur Ryouji Minagawa, déjà publié à plusieurs reprises dans notre langue avec les oeuvres "Arms" (éditions Kana), "D-Live!!" (partiellement sorti chez feu Tokebi, mais stoppé en cours de route), "Peace Maker" (éditions Glénat) et plus récemment "Kaioh Dante" (en cours de parution aux éditions Vega-Dupuis).
Initialement riche de 11 volumes, la série fut originellement prépubliée entre 1989 et 1996 dans les pages du magazine Shônen Sunday des éditions Shôgakukan, et a ensuite connu plusieurs éditions différentes dont un version deluxe en 8 tomes en 2001-2002. C'est sur cette version que se base l'édition française de Panini.
Dans l'univers SF de cette série, il existait autrefois une civilisation aujourd'hui disparue mais qui était très avancée, à tel point qu'elle a laissé derrière elle des traces de ses énormes avancées technologiques sous la forme d'artefacts qui continuent d'être recherchés et étudiés par l'archéologie. Cependant, cette ancienne civilisation a également laissé, gravé sur une tablette, un long message de mise en garde: ces artefact ayant été laissés dans l'espoir que l'espèce humaine connaisse un avenir meilleur, il faudra à tout prix les sceller s'ils risquaient de tomber entre les mains de personnes nuisibles, qui seraient motivées par la guerre, par le pouvoir ou par l'appât du gain entre autres dérives. C'est précisément pour protéger du mal cet héritage que la société archéologique ARCAM a créé les Spriggans, un groupe d'agents d'élite recherchant les vestiges dangereux à travers le monde pour les sceller, à grand renfort d'un équipement (armes et armures) à la pointe de la technologie pour décupler leurs forces si nécessaire. Derrière son allure de lycéen, Yu Ominae est précisément l'une des dernières recrues des Spriggans, et en est même déjà l'un des meilleurs éléments...
Voici bien longtemps que les mythes de civilisations aujourd'hui disparues mais autrefois hyper développées nourrissent l'imaginaire collectif sur tous les supports, quitte à dénaturer le métier d'archéologue pour en donner l'image d'aventuriers prêts à tout pour dénicher des traces prodigieuses de ces civilisations: on peut par exemple penser à tous les récits qu'a pu nourrir le mythe de l'Atlantide au fil du temps, aux films d'aventure comme Indiana Jones, à Lara Croft des jeux vidéo Tomb Raider... Spriggan s'inscrit un peu dans la même veine, à ceci près que Hiroshi Takashige y ajoute un contexte de science-fiction propice à ce qui se présente, avant tout, comme un divertissement d'action.
Ainsi, dans ce premier volume d'un peu plus de 300 pages, on suit trois premières missions effectuées par Yu Ominae afin d'arrêter des hommes malintentionnées ayant réussi à s'emparer d'un artefact pour exploiter leurs incommensurables pouvoirs. Et si la formule s'avère pour l'instant très classique avec nos yeux d'aujourd'hui, elle n'en reste pas moins facilement divertissante pour plusieurs raisons: l'exploitation des artefacts et de leurs différents pouvoirs est efficace pour créer nombre de situations tendues diverses et variées, les auteurs prennent quand même soin de distiller au fil des chapitres des visages voués à être récurrents, et surtout l'action est vraiment ce qui prédomine en étant très efficacement rendue par le dessinateur.
Sur ce dernier point, Ryouji Minagawa avait clairement de quoi impressionner assez pour l'époque, en dévoilant un trait dense, des visages assez perçants et acérés, suffisamment de richesse dans la représentation des armures, combinaisons et autre éléments technologiques, et une science de la narration visuelle savamment dosée pour rendre les scènes d'affrontements aussi pêchues que limpides. C'est, d'ailleurs, ce dernier aspect qui emballe le plus, tant, dans les angles de vue, dans les découpages et dans la représentation de certains bâtiments, on ressent totalement l'influence qu'a pu avoir Katsuhiro Otomo, Minagawa ayant d'ailleurs toujours revendiqué l'influence majeure qu'a été pour lui le papa du vertigineux Domu (1980-1981) et du cultissime Akira (1982-1990). Il n'y a alors rien de surprenant en constatant qu'Otomo lui-même fut le superviseur en chef du film d'animation Spriggan de 1998, la boucle ayant été en quelque sorte bouclée !
Classique dans sa formule avec nos yeux d'aujourd'hui, et pourtant toujours redoutablement efficace dans son univers intrigant, dans son rendu de l'action très percutant pour l'époque, et dans sa galerie de personnages qui gagnera à s'étoffer. un bon tome de mise en place, nous plongeant vite dans le bain et nous promettant le meilleur pour la suite.
Côté édition, enfin, le travail proposé par Panini est tout à fait correct en terme de rapport qualité-prix. Derrière une jaquette extrêmement fidèle à l'originale japonaise (jusque dans son logo-titre) et rehaussée d'un vernis sélectif, on trouve un mini-poster dépliant recto verso, six premières pages en couleurs, un marque-page en guise de bonus, un papier souple et assez opaque permettant une qualité d'impression convenable, une traduction suffisamment convaincante de Nathalie Lejeune, et un lettrage assez propre de Lara Iacucci. On regrettera juste le sous-titrage très basique et pas du tout immersif des onomatopées, une habitude chez l'éditeur.