Soldat qui m’a rendu mes nuits (le) : Critiques

Hitori de Yoru wa Koerarenai

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 27 Janvier 2025

Mangaka boy's love devenue très active au Japon depuis ses débuts professionnels il y a presque une décennie, Yoh Matsumoto s'est offert, en octobre dernier aux éditions Taifu Comics, sa toute première publication française avec Le soldat qui m'a rendu mes nuits, un récit en six chapitres qu'elle a prépublié dans son pays d'origine entre 2021 et début 2023 dans le magazine From Red de l'éditeur ShuCream sous le titre "Hitoride Yoru wa Koerarenai" (littéralement "Je ne peux pas passer la nuit seul", le titre français étant mieux trouvé car plus parlant quant au contenu), avant que le tout ne sorte là-bas en février 2023 en un unique volume agrémenté d'un petit chapitre bonus, pour un total d'un petit peu plus de 200 pages.

Cette histoire nous plonge au Japon en 1950, à une époque où le pays peine encore à se relever de la Deuxième Guerre Mondiale perdue et où l'armée américaine occupe encore le pays. Dans un contexte où règnent encore la pauvreté, la misère et le traumatisme de la guerre, chacun(e) essaye de survivre. Par exemple, beaucoup de filles se mettent à sortir avec des soldats américains dans l'espoir de se sortir de leur situation misérable, tandis que les militaires ne demandent pas mieux que de fricoter avec elles. Seishirô est un japonais qui travaille justement en tant que serveur dans un bar facilitant les rencontres entre japonaises et américains. Lui même traumatisé par la guerre où il a vu mourir son plus proche ami Eikichi, il est devenu incapable de passer ses nuits seul car l'obscurité l'effraie. Eveillé la nuit, dormant autant que possible le jour, il vivote de façon désabusée et résignée, en se contentant de s'envoyer en l'air avec des femmes en pensant que tout ça n'a aucun sens, et de poser un regard dédaigneux envers les filles nippones qui s'offrent facilement et les soldats qui profitent d'elles. C'est dans ce contexte que, lors d'une nuit comme les autres, il est approché par Jim, un soldat américain qui semble différent: il adore le Japon au point d'en avoir appris la langue, défend les femmes nippones face à certains comportements inappropriés de ses collègues, et avoue même à Seishirô qu'il ne cesse de l'observer et qu'il aimerait se rapprocher de lui. Pour Seishirô qui déteste tant son quotidien et qui n'attend plus rien de particulier de la vie, c'est en premier lieu une aubaine: il propose à Jim de former un "couple" avec lui, et compte bien profiter de la situation autant qu'il le peut. Sans savoir que, à terme, le gentil et doux soldat américain va réellement transformer en profondeur son existence...

Les mangas boy's love se déroulant dans un cadre historique comme celui du Japon de l'immédiat après-guerre sont plutôt rares en France, si bien que l'on accueille celui-ci avec curiosité. une curiosité récompensée puisque, au fil des pages, on sent que Yoh Matsumoto a à coeur de dépeindre consciencieusement cette période si particulière et difficile où le pays ne s'était pas encore relevé du conflit perdu cinq ans auparavant. Ainsi suit-ont ici le contexte des camps militaires américains d'occupation et certains aspect du quotidien compliqué des japonais de l'époque, notamment via les femmes de joie, les jeux illégaux pour oublier ses soucis ou essayer de s'en sortir, les traumatismes encore vivaces et, inévitablement des relents de haine anti-américains encore persistante (on le verra notamment fort bien via le patriarche de la famille de Seishirô. Mais loin de s'arrêter à ça, la mangaka joue aussi soigneusement sur un autre élément forcément crucial dans une histoire de ce genre, à savoir le regard posé sur l'homosexualité à cette époque, et en particulier le fait qu'être homosexuel était encore quelque chose de totalement tabou aux Etats-Unis, en ayant longtemps empêché Jim d'être lui-même.

C'est donc dans ce contexte historique intéressant et assez immersif que se déroule une histoire d'amour où, tout en devant se frotter aux épreuves propres à leur époque, nos deux personnages principaux vont essayer de construire une relation vraiment spéciale entre eux. Pourtant, au départ, les choses s'annoncent délicates puisque Seishirô, désabusé, marqué par les affres de la guerre, compte uniquement tirer parti de Jim. Mais le fait est que le soldat américain est bienveillant, prend soin de lui, ne veut pas le brusquer, refuse même de passer trop vite à l'acte face aux élans pourtant insistants du jeune japonais... En somme, il veut prendre le temps de bâtir un lien sincère, doux et à-part qui, même si les choses avancent un peu vite en seulement 200 pages, sonne toujours juste et touche facilement.

Le soldat qui m'a rendu mes nuits se révèle être, ainsi, une excelle pioche dans sa catégorie, et donc une bonne trouvaille de la part des éditions Taifu Comics. Dans un rendu visuel tout en douceur mais n'occultant pas les quelques élans érotiques, Yoh Matsumoto titre fort bien parti de son cadre historique pour offrir une histoire d'amour douce-amère qui est joliment menée.

Enfin, côté édition française, la copie est soignée: la sobre jaquette reste très proche de l'originale japonaise, le papier est à la fois souple et assez opaque, l'impression effectuée en France est très correcte, la traduction effectuée par Isabelle Eloy est très claire, et le lettrage assuré par Jef.Mod est propre.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction