Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 03 Avril 2024
Hiro Mashima a gagné une sacrée notoriété dans le monde grâce à sa série-fleuve Fairy Tail. Mais avant ça, il a su nous régaler avec Rave - The Groove Adventure, shônen d'aventure et de fantasy en 35 tomes initialement publiés entre 1999 et 2005. Bien moins connue que l'épopée de Natsu et Happy, la série a tout de même rencontré son petit succès, suffisamment pour que Hiro Mashima se fasse un nom chez nous et que son titre soit décliné en une série animée de 51 épisodes chapeautée par le studio Deen, un anime à la production malheureusement limitée et qui a bien mal vieilli.
Depuis, c'est donc avec Fairy Tail que Mashima est acclamé, si bien que même Edens Zero a bien du mal à égaler ce succès aujourd'hui. Et s'il semble commun de se dire que toute création de l'artiste atterrit automatiquement dans nos contrées aux éditions Pika, Glénat fut pourtant pionnier pour nous proposer le mangaka avec le fameux Rave, indéniablement un des grands shônen de la maison grenobloise des années 2000. Entre-temps, la série est tombée dans l'oubli, voire même délaissée par son ayant-droits francophone. Mais 12 ans après sa première parution chez nous, le titre a droit à une belle mise à jour via une nouvelle édition grand format, empreintant la qualité des éditions perfect de l'éditeur, mais sans en être une. Il faut dire qu'il n'existe pas de telle édition au Japon (aka édition kanzenban), tout au mieux une version bunko (poche) lancée en 2006, puis une édition kiosque publiée en 2008. C'est la version bunko qui a servi de base à cette réédition, un volume couvrant deux tomes de l'édition classique, pour une intégrale prévue en 18 volets. Rien que du côté des couvertures, épurées et élégantes, la mise à jour fait son effet, tant les premières illustrations de Mashima ont bien vieilli. C'est d'ailleurs ce qu'il faut se mettre en tête en tant que nouveau lecteur, avant d'amorcer la lecture : il s'agit de la première œuvre d'un mangaka aujourd'hui aguerri, et les premiers instants ne sont pas exempts de défauts. L'évolution de Rave est pourtant excellente, aussi découvrir le titre permet de voir le jeune Hiro Mashima de la toute fin des années 1990 et du début des années 2000 s'affirmer jusqu'à devenir l'un des maîtres du shônen d'aventure de l'éditeur Kôdansha.
Dans le monde de Rave, une guerre a meurtri le monde, 50 ans auparavant. L'ennemi de l'humanité se nommait Dark Bring, une pierre maléfique à laquelle s'opposait Rave, un artefact positif, et son porteur. Si le monde semble maintenant en paix, les Dark Bring sont de nouveau utilisés par l'organisation malfaisante Demon Card.
Mais ça, le jeune Haru Glory n'en a pas conscience. Vivant sa routine sur une île isolée aux côtés de sa sœur, il ne connaît pas la triste réalité du monde qui va bien vite le rattraper. Un jour, un vieil homme dénommé Shiba fait halte sur l'île avec, à ses trousses, les sbires de Demon Card. Shiba est à la recherche de Plue, le porteur de Rave, une singulière créature que Haru vient juste de pêcher dans l'océan. Alors que le jeune homme découvre la situation du monde et ce que sont Demon Card et les Dark Bring, il se rend compte être devenu le successeur de Shiba, l'élu de Rave pour le manier et sauver le monde.
Rave est une œuvre dont les débuts ne manquent pas de maladresse. L'humour est d'un absurde clairement vieillot (mais qui séduira toujours les adeptes d'une école révolue) tandis que le dessin de Mashima d'époque présente des imperfections et que l'histoire paraît aujourd'hui bien manichéenne. C'est aussi un univers pour le moment loufoque, à base d'entités guignolesques et d'ennemis parfois ridicules (pour ne pas dire grotesques) qui forment la base du récit. Ce premier volume est tellement loin des standards actuels qu'il a de quoi déstabiliser le lectorat d'aujourd'hui, chose qu'il faisait déjà à l'époque pour de naïveté générale. Et pourtant, malgré ces défauts, c'est une lecture pleine de petites promesses que nous savourons. À l'époque, Hiro Mashima a clairement pris le temps d'introduire son aventure, si bien que toute l'étape de l'île Garage dure sur ce qui correspond au premier tome d'origine dans son intégralité. Certes peu engageante dans l'atmosphère, la suite a aussi à l'esprit de mettre en place des personnages qui gagneront en densité, et des éléments narratifs qui prendront de l'ampleur. Malgré l'aspect déstabilisant de ce premier tome, il y a donc de quoi être curieux, surtout quand on sait aujourd'hui que ces pistes plantées aboutiront à quelque chose de concret et à des moments profondément marquants.
Pour l'heure, nous suivons le périple de Haru et sa lutte contre Demon Card sur un schéma assez classique. Passé l'étape de démarrage sur l'île Garage, chaque halte du garçon dans une cité forme une sorte d'acte avec son propre antagoniste et ses personnages à introduire. Dans ce tome, le garçon est amené à faire la rencontre d'Elie et Musica, deux figures dont on devine aisément les rôles de compagnons qu'ils tiendront. Des personnages qui forment souvent l'intérêt des péripéties tant les combats manquent encore de grandioses tandis que les antagonistes, eux, ne provoquent aucun sentiment d'intérêt particulier chez nous... sauf en ce qui concerne Shuda, ennemi qui a son charisme et qui nous réservera de jolies surprises dans la suite de l'épopée. Toute cette structure, somme toute classique, n'est pas sans rappeler les débuts de One Piece. La légende raconte que Rave fut une commande de la Kôdansha pour concurrencer Shûeisha et l'œuvre d'Eiichirô Oda, chose complexe à vérifier aujourd'hui. Et si le trait de Mashima peut effectivement faire penser à celui d'Oda sur ses débuts, il est à rappeler qu'il n'a jamais été son assistant. La rumeur était tenace à l'époque, mais on peut affirmer que Mashima a directement débuté sa carrière en tant que mangaka professionnel sans jamais assister un précédent maître. Les seules influences à retenir de ses débuts sont Akira Toriyama et Hiroshi Tanaka, artiste dont l'auteur de Rave a cherché à sa rapproché dans le style.
En définitive, difficile de passer outre les maladresses et imperfections des débuts de Rave. Pourtant, on ne passe jamais un mauvais moment à la lecture. Au pire, on tiquera sur quelques éléments absurdes qui ont pris quelques rides, la naïveté ambiante et le manque d'enjeu, tout en appréciant le rythme de l'œuvre et la narration claire et dynamique du Mashima débutant, ainsi que les multiples pistes de scénario et de personnages qui prendront de l'ampleur au fil des volumes.
Et si la lecture s'avère prenante, c'est autour grâce à cette édition grand format et au papier de belle qualité. La nouvelle version de Rave reprend les codes des éditions perfect de Glénat, mais sans en être une. Aussi, aucune page couleur dans l'ouvrage, ce qui constituera le plus gros bémol, tout en sachant qu'un tel matériel n'est parfois pas simple à obtenir auprès de l'ayant-droits japonais. Pour se consoler, on se satisfera des fiches personnages et des mini-chapitres Rave 0077 en guise de bonus, et des postfaces écrites par Mashima a posteriori de la prépublication, pour l'édition bunko nippone, ce qui donne un regard du maître avec un certain recul.