Quand la nuit tombe - Actualité manga
Quand la nuit tombe - Manga

Quand la nuit tombe : Critiques

Kôjô Yakei

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 28 Août 2023

Egalement à l'origine du sympathique one-shot Par-delà les étoiles qui avait marqué le début de sa carrière en 2013, la mangaka Rie Aruga a surtout acquis une solide réputation avec son oeuvre phare Perfect World, un récit qui, sous couvert de romance, traitait de manière réaliste de différentes problématiques autour de la place du handicap dans nos sociétés, le tout avec une bonne part d'émotions. Faisant assurément partie des oeuvres emblématiques du catalogue d'Akata, Perfect World avait même valu à son autrice d'être invité en France par l'éditeur en 2019 à l'occasion de Japan Expo. Suite à cela, il n'y a donc aucune surprise à voir la mangaka revenir chez Akata en ce mois d'août avec l'oeuvre qu'elle dessina juste après Perfect World: Koujou Yakei (littéralement "Vue de nuit sur les usines"), un récit dont les sept chapitres ont été initialement prépubliés au japon entre février et mai 2022 dans les pages du magazine Morning des éditions Kôdansha (en étant donc la première oeuvre estampillée seinen de l'autrice) avant d'être regroupés là-bas en unique volume broché d'un peu moins de 200 pages qui est sorti en juin de cette même année. Notons que Rie Aruga avoue elle-même que ce manga lui tient beaucoup à coeur, car elle en avait l'idée depuis longtemps.

Quand la nuit tombe nous immisce dans une ville industrielle de la région de Tokai (la région de Nagoya) auprès deux deux adolescents de 17 ans comme les autres. Elle, Ao Motokariya, est une jeune fille adorant l'anglais dont le père est directeur d'une des usines des environs, et qui est satisfaite de sa situation familiale même si son papa a parfois des paroles un peu gênantes ou déplacées. Et lui, Takaomi Tokiwa, est un jeune garçon brillant en anglais et se donnant à fond dans cette matière pour ses rêves d'avenir où il ne veut pas trop se reposer sur sa famille plutôt pauvre, sa mère étant divorcée et l'élevant seule avec sa petite soeur. Voici depuis des cours d'anglais lors de la première année du collège que ces deux-là sont des amis très proches, complices et quasiment inséparables, à vrai dire si inséparables que leurs camarades de classe se demandent pourquoi ils ne sortent toujours pas ensemble, vu qu'il est évident qu'ils ont des sentiments mutuels. Bref, tout va bien entre eux deux, dans une atmosphère insouciante, pour un début de récit qui ressemblerait presque à n'importe quelle romance adolescente mignonne. Mais hélas, leur monde va soudainement voler en éclats, par la faute de l'acte impardonnable d'un de leurs proches: quand, lors d'une soirée arrosée, le père d'Ao viole la mère de Takaomi, la vie de tout ce petit monde prend un virage tragique indélébile. Et si la maman du jeune garçon en est la première victime, la psychologie humaine et la société sont telles qu'il y a forcément d'autres victimes collatérales...

Après le handicap dans Perfect World, Rie Aruga s'attaque donc ici à un autre sujet aussi délicat qu'important, à savoir l'agression sexuelle et ses conséquences. Mais là où pas mal de mangas abordent cette thématique avant tout par le prisme de la victime principale (rien que chez Akata on peut citer, entre autres, En proie au silence, Don't Fake your Smile ou encore Moi Aussi), la mangaka choisit de placer avant tout son récit depuis le point de vue des proches de l'agresseur et de la victime, ce qui, en plus de venir efficacement compléter l'offre d'Akata autour de ce sujet de société, permet de mieux voir jusqu'où peut s'étendre un acte criminel aussi immonde.

Plusieurs autres mangas ont déjà tâché d'évoquer le statut des proches de criminels au Japon (dans l'immédiat, on pense à la série La Bateau de Thésée aux éditions Vega-Dupuis), mais en tant que ressort scénaristique et en quelque sorte élément secondaire de l'oeuvre. Avec Quand la nuit tombe, Aruga a, cette fois-ci, à coeur d'aborder ce sujet de face et avec suffisamment de profondeur. Et si l'on appréciera certains détails essentiels, notamment sur le comportement à avoir en cas de viol (bien faire attention aux preuves, savoir à qui parler...), le principal est réellement focalisé ici sur les familles de l'agresseur et de la victime, toutes deux forcément brisées à tout jamais par l'horreur. Face à cette situation qui les impacte forcément de façon directe, Takaomi et Ao tâchent de rester comme avant entre eux deux, mais est-ce seulement possible ? Entre le choc, l'impact psychologique sur la mère du jeune garçon qui a forcément des réactions un peu extrêmes parfois (comme sa peur panique à l'idée de laisser sa fille sortir seule), et tout ce qui tourne autour du regard des autres (entre les messes-basses, les brimades, ou même des c*****ds qui rejettent la faute sur la mère de Tokiwa en disant qu'elle est trop sexy et a donc embobiné son violeur), la société ne cesse de faire peser un poids sur Takaomi et surtout sur Ao, comme si cette dernière, alors qu'elle n'est aussi qu'une victime venant de voir sa vie se briser, était aussi coupable que son ordure de père, au point de s'excuser à tout bout de champ et de voir ses relations et son avenir être totalement chamboulés.

Déjà forte dans sa première partie, cette histoire se veut d'autant plus intelligente qu'elle est loin de s'arrêter à l'époque lycéenne des deux personnages principaux, puisque la deuxième partie nous fait faire un saut de 8 ans afin d'analyser les conséquences que ce drame peut encore avoir, des années plus tard, sur celles et ceux qui l'ont vécu, parfois de façon plus insidieuse. On suit avec intérêt la découverte de Takaomi et Ao adultes, dans une vie qui a été largement impactée par ce viol au fil des années, sans qu'ils y puissent quoi que ce soit (entre la détresse psychologique qui perdure toujours chez la mère de Takaomi car on ne peut pas oublier ça, et le parcours vécu par Ao pendant les années qui ont suivi cet événement), et donc avec l'obligation pour eux de vivre avec ça même s'ils n'ont rien fait de mal. Pour autant, y a-t-il impossibilité pour eux deux d'être heureux ? Là-dessus, Rie Aruga séduit aussi dans sa réponse, grâce à un procédé assez similaire à celui de Perfect World: un côté sentimental assez humain et facilement touchant grâce à sa profondeur, qui possède sa part d'optimisme, et qui flirte parfois avec le mélodrame sans jamais tomber dedans grâce à l'abord réaliste du propos et à une conclusion qui n'idéalise rien pour autant.

Très bien menée en un peu moins de 200 pages, cette histoire se présente donc comme une nouvelle réussite pour cette autrice qui, décidément, a un don pour toucher là où il faut dans les sujets de société qu'elle aborde, tout en offrant un emballage convaincant et poignant pour porter ces thématiques. Quand la nuit tombe est une lecture précieuse qui nous donne déjà envie de retrouver au plus vite cette mangaka, celle-ci planchant déjà au Japon depuis plusieurs mois sur sa nouvelle série, Koboreru Yoru ni, pour laquelle elle est revenue dans le magazine féminin Kiss (le magazine de Perfect World et Par-delà les étoiles) afin de proposer, visiblement, une nouvelle histoire d'amour cachant un sujet une nouvelle fois sérieux, à savoir les maltraitances familiales.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs