Poisons - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 17 Avril 2019

Lili Zhang, petite fille chinoise en classe de CM2, vit dans un village très pauvre dans une province délaissée du sud de la Chine. Son père n'est plus là, et sa mère l'a abandonnée depuis bien longtemps afin d'aller travailler en ville sans jamais vraiment chercher à la revoir. Depuis, la fillette vit dans ce village miséreux en compagnie de ses deux petites soeurs, chez sa grand-mère, une femme âgée qui a beaucoup de mal à joindre les deux bouts pour subvenir à leurs besoins. Pour Lili, nulle doute qu'elle est plus une contrainte qu'autre chose pour sa mamie... Et à l'école, la situation n'est guère plus heureuse. Malgré quelques brèves attentions de l'institutrice, Lili est moquée et mise à l'écart par toutes ses camarades de classe, parce qu'elle n'a pas de parents, parce qu'en tant qu'illettrée elle finit toujours avant-dernière de la classe, et surtout parce que la seule autre enfant qui traîne avec elle est Xiaoyin, une fille de son âge qui souffre d'un petit retard mental et qui sent constamment mauvais à force de fouiller les poubelles et les déchetteries. Xiaoyin 'nest pas forcément méchante, mais elle ne se rend pas compte de tout, est brutale, fait beaucoup de bêtises... et dans ces cas-là, c'est toujours Lili qui prend pour elle. Isolée, brimée, n'ayant absolument aucun repère affectueux, Lili se met en tête, à sa manière, de se sortir de cette situation terrible et étouffante. Et pour cela, elle prend une décision aussi radicale que tragique...

Artiste s'étant imposé en quelques années comme un nouveau très beau nom de la BD chinoise, Golo Zhao nous a surtout habitués à des récits à la fois assez lumineux et ronds dans leurs visuels, mais plus tourmentée, durs voire dramatiques dans ses scénarios où il s'applique assez souvent à dépeindre l'humain. De la Balade de Yaya au Monde de Zhou Zhou en passant par Hello Viviane ou encore Passeur d'âmes, il a déjà à son actif nombre de récits laissant rarement indifférent. Toutefois, avec Poisons, sa troisième publication dans la collection Pika Graphic après Au gré du vent et Hello Viviane, il se base pour la première fois de sa carrière sur un fait réel, un fait divers dramatique ayant mis en émoi les médias chinois en 2015. Le résultat donne le récit le plus dur de Zhao, chose que l'on ressent dès la couverture où, malgré le magnifique coucher de soleil en fond, on retient surtout le visage de Lili, ensanglanté, le regard complètement vide.

Vide, Lili l'est, on le ressent dès les premières pages, et on en a constamment confirmation. Une mère qui l'a abandonnée, une grand-mère qui ne semble lui montrer aucune affection, aucune véritable amie, des brimades et mises à l'écart permanente... Depuis toujours, la fillette n'est aimée de personne, n'a personne pour l'aider à relever la tête et à trouver de l'espoir, et vit avec étouffement dans ce village pauvre oublié de tout le monde. Pour se sortir de cette situation, la décision qu'elle prend alors est la plus terrible de toutes et se veut marquante, autant dans l'acte lui-même que dans les visuels où Golo Zhao n'épargne pas l'horreur de ce qui a lieu. A partir de là, il est difficile d'en dire plus sans spoiler, mais on peut dire que ce qui marque est avant tout la manière à la fois sobre et dure avec laquelle Zhao narre le récit, avec un réalisme où il n'y a pas d'espoir. Et on sent bien que l'auteur, en reprenant à sa manière le cruel fait divers d'origine, avance en se posant constamment une question: qu'est-ce qui a bien pu pousser une enfant de primaire à en arriver à une telle extrémité ? Dans quel état d'esprit pouvait-elle être ? Jusqu'où allait son désespoir ? Les réponses qui se dessinent mettent parfaitement en exergue une difficile réalité sociale chinoise souvent oubliée, une réalité qui se voit très bien développée à travers les pages bonus du livre: une petite interview très intéressante de Golo Zhao, et surtout une longue postface très détaillée et précise de Patrick Saint-Paul.

Visuellement, Golo Zhao ne change pas en profondeur son style, tout de suite reconnaissable avec sa palette de couleurs toujours plus nuancée, ses personnages aux traits ronds et assez doux, ses décors captivants (en particulier ses ciels du coucher de soleil). Mais il y instaure un trait légèrement plus brut pour porter la dureté du récit, sans oublier la scène-choc qui n'est pas occultée (sans être non plus inutilement trash). Surtout, il est difficile de ne pas retenir le visage vide, dépourvu d'émotion et d'amour, de Lili.

En 130 pages, Golo Zhao offre là son récit le plus dur, le plus terrible et sûrement le plus marquant de sa carrière à ce jour. En reprenant un dramatique fait réel, il livre à nouveau une vision difficile d'un condition humaine terrible de son pays, et marque un grand coup jusque dans sa conclusion, pourtant plus calme mais qui dit beaucoup quant à l'état psychologique de la petite fille. Que ce soit pour ses pages bonus, pour sa bonne qualité de papier et d'impression, pour sa traduction soignée, ou pour son grand format (typique de la collection Pika Graphic) laissant profiter au mieux des talents visuels de Golo Zhao, l'édition est excellente.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.25 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs