Natsuko no Sake Vol.1 - Actualité manga
Natsuko no Sake Vol.1 - Manga

Natsuko no Sake Vol.1 : Critiques

Natsuko no Sake

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 24 Décembre 2019

En une grosse année d'existence, les éditions Vega ont déjà su développer un petit catalogue on ne peut plus intéressant, allant de la tranche de vie originale et un peu contemplative (Deep Sea Aquarium Magmell) au polar sombre (Le Bateau de Thésée), en passant par le manga pour enfants (Zozo Zombie), le récit d'action barré (Kamuya Ride, du toujours aussi cool Masato Hisa), ou le fantastique (Chiisako garden de l'excellente Yuki Kodama). Toutefois, l'un des projets les plus ambitieux de l'éditeur à ce jour est peut-être bien arrivé en septembre dernier avec le lancement d'une oeuvre qui, dans sa catégorie, a fait date au Japon.

Signé Akira Oze (un auteur assez renommé que l'on connaît aussi en France pour Le Disciple de Doraku paru chez Isan Manga, qui exerce depuis les années 1980, et qui a eu parmi ses assistants quelques jolis noms comme Yasuo Ôtagaki), Natsuko no Sake est un manga qui fut initialement publié de 1988 à 1991 dans le magazine Morning de Kôdansha et comptant 12 volumes. Pour son édition française, Vega a toutefois choisi de proposer 6 volumes doubles, ainsi le premier tome compte-t-il pas moins de 450 pages ! Et si l'on a dit plus haut que ce titre est un gros morceau dans sa catégorie, c'est parce qu'il a eu un succès tel qu'il a été adapté en live en 1994, et qu'il a en partie relancé l'intérêt d'une tranche de la population japonaise pour le sujet qu'il aborde: le saké.

On découvre donc ici Natsuko, une jeune femme de 22 ans qui, depuis deux ans, tâche d'accomplir son rêve de travailler dans la publicité, au sien d'une agence de Tokyo. Deux ans qu'elle a quitté sa province natale, en ayant fait la promesse de réussir à la capitale auprès de sa famille, producteur d'un saké artisanal. Toutefois, après cette longue absence et malgré les réticences de son père qui ne souhaitait pas la voir revenir avant qu'elle ait réussi à Tokyo, Natsuko choisit de prendre un court congé en apprenant que son frère Yasuo a la santé de plus en plus vacillante. Ce frère qu'elle aime tant et qui l'aime tant n'en a peut-être plus pour longtemps à vivre, frappé si jeune par un cancer. Sa mort signifierait sans doute la fin de la petite entreprise familiale de saké, puisqu'il n'y aurait plus d'héritier à même de la reprendre et que celle-ci périclite déjà, comme beaucoup d'autres, face à la montée galopante de sakés plus industriels. Le patriarche de la famille est d'ailleurs prêt à voir son artisanat disparaître avec Yasuo. Mais le frère de Natsuko, passionné de saké, ne l'entend pas forcément ainsi, et rêve toujours de pouvoir brasser un jour le meilleur saké du monde grâce au Tatsu-nishiki ou "dragon merveilleux", un riz aussi réputé qu'il est rare et difficile à cultiver. L'amour frère-soeur finit vite par faire son oeuvre, si bien que quand le plus tragique arrive, Natsuko choisit de revenir dans sa province natale pour accomplir le rêve de Yasuo, alors qu'au départ elle n'y connaît pas grand chose en agriculture et en production de saké...

Natsuko no Sake est donc une oeuvre qui nous parle en premier lieu de saké, et qui le fait excellemment, dans la mesure où l'on ressent vite un fort intérêt pour ce breuvage typiquement nippon à travers la passion que dégagent les personnages envers ce grand témoin de la culture traditionnelle japonaise, et surtout parce que le mangaka parvient à distiller comme il se doit un grand nombre d'informations autour du saké sans que ce soit lourd, car tout arrive à petites doses, clairement, sans surcharge, de manière à bien laisser digérer chaque enrichissement. De l'agriculture et ses difficultés aux techniques de production, en passant par les différents types de riz, les aléas dus à la nature/au climat, ou simplement la chute malheureuse de milliers de petites brasseries artisanales face aux mastodontes industriels, Oze veut aller au bout des choses, sous plein d'aspects, et cela donne un récit très didactique, riche et suffisamment pointu.

Mais Natsuko no Sake, ce n'est pas que ça, l'auteur brillant également sur deux autres aspects immersifs. Tout d'abord, c'est un véritable portrait de la société nippone de l'époque qui est véhiculé à travers l'oeuvre. Publié à la fin des années 1980 et début des années 1990, le récit se révèle être une petite mine de détails sur cette période: vision de la famille de l'époque, écarts entre la grande capitale et la province, modernisation galopante de l'agriculture avec par la même occasion industrialisation y compris du saké, mise à mal de l'artisanat, modes de vie... On tient là une certaine photographie de cette époque. Ensuite, il y a tout un portrait humain aussi juste que touchant, porté par des personnages ayant quelque chose d'authentique. Ainsi, par exemple, le décès malheureux et prématuré de Yasuo n'est pas qu'un ressort scénaristique permettant de lancer l'intrigue: il y a, derrière, tout un fond, de la solidarité se créant au sien de la famille pour s'épauler et se soutenir face au drame, un désir de continuer à aller de l'avant sans jamais oublier l'image du disparu dont le souvenir plane souvent discrètement, ne serait-ce qu'à travers la démarche de Natsuko. Enfin, Natsuko elle-même est une héroïne à laquelle il semble difficile de ne pas s'attacher: lâchant son rêve dans un milieu de la publicité dont elle découvre certaines limites, pour plutôt retourner sur ses terres natales afin d'accomplir le rêve de Yasuo, on suit le début de son parcours avec beaucoup d'intérêt. N'y connaissant pas grand chose au départ, elle est évidemment un excellent moyen pour le lecteur d'apprendre plein de choses en même temps qu'elle, mais sa méconnaissance au départ lui vaut aussi des réticences: scepticisme des uns concernant ses aptitudes, jalousie des autres... Elle devra faire ses preuves, assimiler connaissances et pratique, et, mine de rien, ne lâchera rien pour ça. Un exemple ? La voir retourner seule, manuellement, inlassablement malgré la rudesse de la chose, une parcelle de terre à l'abandon en espérant pouvoir y faire pousser son riz plus tard. Natsuko est une héroïne qui dégage tout du long beaucoup d'humanité mais aussi de caractère et de force, impossible de la lâcher des yeux.

Enfin, c'est aussi sur le plan visuel que la série séduit beaucoup. Le trait d'Oze semble faire partie de la même trempe que celui d'auteurs comme Rumiko Takahashi ou Mitsuru Adachi, il semble quasiment atemporel, il ne vieillit pas, ou alors il vieillit très bien. Le très apparaît assez fin, authentique et maîtrisé, avec des expressions très souvent justes, et surtout des décors omniprésents qui, des bâtiments aux champs en passant par les intérieurs et les nombreux détails (ne serait-ce que les bouteilles de saké), sont tous travaillés et immersifs, et sont eux aussi autant de témoins de l'époque. Qui plus, Oze maîtrise parfaitement sa narration, ses angles, ses découpages, si bien que tout paraît toujours naturel et fluide.

Manga immersif sur l'art du saké traditionnel autant que fresque humaine, portrait d'époque et récit d'apprentissage porté par une héroïne instantanément juste et attachante, Natsuko no Sake démarre de la meilleure des manières en lançant un récit crédible et authentique, dont il est difficile de se détacher tout au long de ce premier pavé. Si la suite est du même acabit, on tiendra assurément une très grande oeuvre.

Au niveau de l'édition, hormis peut-être une jaquette glissant un peu facilement et quelques rares coquilles de relecture (sur un tel pavé, ça arrive, rien de dramatique), on a une excellente édition. Souple, fin, sans transparence et permettant une très bonne qualité d'impression, le papier permet une prise en mains facile et assez légère du livre. Satoko Fujimoto livre une traduction soignée véhiculant les nombreuses émotions avec sobriété, et le tout est ponctué de nombreuses notes claires sur les termes spécifiques.
    

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs