My Broken Mariko - Actualité manga
My Broken Mariko - Manga

My Broken Mariko : Critiques

My Broken Mariko

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 28 Janvier 2021

L'année 2021 commence sous de bons auspices du côté des éditions Ki-oon: après les débuts très prometteurs des Carnets de l'Apothicaire la semaine dernière, l'éditeur publie aujourd'hui un one-shot présenté comme un véritable coup de coeur éditorial: My Broken Mariko. Prépubliée au Japon en 2019-2020 dans les magazines Comic Bridge et Comic Walker de Kadokawa après s'être d'abord fait connaître sur le web, cette mini-série en 4 chapitres et d'environ 150 pages est la toute première publication en volume broché de Waka Hirako, une artiste qui a commencé sa carrière professionnelle en 2017 avec une histoire courte de 35 pages nommée "Yiska", histoire courte qui est par ailleurs à découvrir à la fin de ce tome. Ayant rencontré un très beau succès au Japon, My Broken Mariko s'est d'ailleurs très récemment classée 4e meilleur manga "pour filles" au classement Kono Manga ga Sugoi !, un classement basé sur les votes plus de 400 acteurs japonais du milieu, notamment des libraires, auteurs et éditeurs.

Cela aurait pu être un fait divers comme un autre. Aux infos télévisées, on apprend que Mariko Ikagawa, jeune femme de 26 ans, a été retrouvée sans vie dans l'arrondissement de Nakano à Tokyo, en ayant chuté de son balcon au 3e étage après avoir avalé une grande quantité de somnifère, ce qui ne laisse aucun doute sur son suicide. Comme beaucoup de monde, Tomoyo Shiino apprend ça à la télé, pendant sa pause déjeuner de travail. Pour elle aussi, ça n'aurait pu être qu'une simple brève parmi d'autres. A ceci près que Mariko Ikagawa était sa meilleure amie.

Pour Tomoyo, l'incompréhension se mêle à la rage. Mariko, elle l'avait encore vue pas plus tard qu'il y à une semaine, et elle avait l'air bien... ou, en tout cas, mieux qu'à nombre de moments de sa vie qui a toujours été marquée par les drames, entre une mère qui est partie dès son plus jeune âge et un père qui lui a fait subir les pires horreurs tout au long de son enfance et de son adolescence. Et à présent, la jeune femme cherche à savoir ce qu'elle peut faire en guise de dernier hommage vibrant à sa précieuse amie de toujours, autant pour le salut de la défunte que pour son salut à elle-même. C'est dans l'une des impulsions dont elle semble coutumière (pour preuve, la façon dont elle sèche le travail après avoir appris le décès de son amie) que l'idée lui vient: elle ne peut décemment pas laisser l'ordure servant de père à Mariko s'occuper des funérailles de la défunte... ce n'est sans doute pas ce que Mariko aurait voulu. Alors Tomoyo se met en tête d'aller voler l'urne funéraire de son amie, pour entamer avec elle un ultime voyage, à la recherche de l'endroit idéal où elle pourra répandre ses cendres...

C'est un road trip bien particulier que nous offre Waka Hirako, dans la mesure où le chemin parcouru par Tomoyo et l'urne de Mariko va être le symbole de bien des choses. Symbole de deuil, bien sûr, Tomoyo traversant forcément nombre de choses que l'on peut ressentir face au suicide d'un proche, comme une part d'incompréhension et de rage, mais aussi des peurs comme celle d'oublier un jour comment était exactement Mariko, et peut-être plus encore un sentiment de culpabilité, cette impression terrible de n'avoir pas su sauver celle qui en avait besoin... si tant est qu'elle pouvait être sauvée car, comme le dit elle-même Mariko dans un des souvenirs de Tomoyo, elle était totalement bousillée, d'où le titre de l'oeuvre.

Car brisée, Mariko l'était sans doute en profondeur, et c'est une chose que l'on découvrira exclusivement à travers Tomoyo. La narration adoptée par Hirako est admirable, car elle entremêle, avec juste ce qu'il faut de transition, le parcours présent de Tomoyo avec l'urne, et nombre de petits "flashbacks" révélant à chaque fois un petit peu plus de la vie douloureuse de la défunte. Les souvenirs de Tomoyo sont autant de moyen d'appréhender la vie de Mariko, ce qui l'a rendue ainsi, et bien souvent ces souvenirs ont un impact sur le présent, sur une Tomoyo qui tâche de trouver quoi faire pour leur salut à toutes les deux. C'est par exemple en se remémorant le rêve de Mariko de voir un jour l'océan que notre héroïne décide de s'y rendre. mais c'est également via d'autres souvenirs que l'on voit bien tout ce que Tomoyo pouvait représenter pour Mariko, et vice versa. Assez indescriptible, la relation des deux femmes n'était pas vraiment de l'amour mais peut-être plus encore que de l'amitié, comme si elles étaient reliées à jamais comme des âmes soeurs. A ce titre, nombre de brefs moments frappent avec une force inouïe, tant la mangaka trouve la formule qu'il faut. Quelques phrases de Mariko suffisent à cerner qu'elle ne pourrait vivre sans Tomoyo. Le magnifique découpage de la page 135 où les 3 Mariko (collégienne, lycéenne, adulte) se succèdent en se réfugiant auprès de Tomoyo cristallise absolument tout du soutien permanent qu'a été notre héroïne pour la défunte: pas besoin d'en dire plus, ces 3 cases suffisent. Et cette façon de faire revient très régulièrement: Waka Hirako ne se rallonge jamais inutilement et frappe toujours juste dans ce qu'elle veut véhiculer.

Et des choses à véhiculer, il y en a beaucoup. Un portrait intimiste fort autour des deux héroïnes bien sûr, mais aussi des thèmes de société plus large autour de l'absence maternelle, des violences faites aux femmes, de l'impact psychologique restant forcément gravé bien des années après face à ces violences, ou même la pression au travail que subit notre héroïne. Nombre d'aspects restent volontairement assez ouverts, y compris sur Mariko elle-même puisque l'on ne saure jamais précisément pourquoi elle a décidé de se suicider maintenant. Des choix pouvant plaire ou non mais qui font sens ici, Waka Hirako ayant clairement la volonté de laisser le lecteur réfléchir par lui-même, ce qui ne fait que rendre encore plus complexe et prégnante l'image de la défunte Mariko.

Enfin, c'est aussi visuellement que l'autrice brille. Hirako développe une patte assez unique que l'on sent influencée par de nombreux artistes pêle-mêle (autant en manga qu'en comics, en BD et en cinéma), mais l'autrice n'en copie aucun et montre sa propre patte. Une patte qui ne s'apitoie jamais trop puisque des moments d'humour côtoient des instants plus mélancoliques, tristes ou introspectifs. Et ce mélange de tons est très bien servi par une héroïne canon: si le rythme soutenu et capable de faire passer d'une émotion à l'autre en une seule page fonctionne si bien, c'est parce que Tomoyo est elle-même comme ça. Elle ne s'arrête jamais, est toujours en mouvement, a un côté grande gueule, franc et tête brûlée qui la fait sortir des carcans de nombre d'héroïnes japonaises policées, encore plus avec sa clope au bec et son look.

Après 150 pages, l'oeuvre principale laisse place à une intéressante interview de la mangaka, revenant sur son parcours, ses idées, sa façon d'envisager son art... ce qui nous permet de découvrir une artiste extrêmement prometteuse de par la liberté de ton et les convictions qu'elle affiche. Si elle garde une telle liberté pour la suite de sa carrière, Waka Hirako aura tout pour devenir une grande artiste. Puis l'occasion nous est donc donnée de découvrir l'histoire courte Yiska, sorte de petit western des temps modernes qui, en filigranes, met en exergue un autre sujet présent aussi de My Broken Mariko: un portrait de jeunes gens sortant de la norme sociétale (Yiska pour son absence d'éducation, Mariko pour l'enfance et l'adolescence horribles et anormales qu'elle a vécues, Tomoyo pour son côté grande gueule entre autres).

Côté édition, Ki-oon nous offre un joli grand format de 15x21cm, format plutôt rare chez l'éditeur (on est plus habitués chez lui aux classiques format shônen/shôjo et seinen, et aux très grands formats de la collection Latitudes). La jaquette bénéficie d'un chouette effet granulé, couplé à un beau marquage en relief sur le logo-titre. A l'intérieur, on a une jolie première page en couleurs, un papier assez épais et sans transparence permettant une bonne qualité d'impression (malgré quelques légers moirages sur certaines pages sombres), une traduction soignée d'Alex Ponthaut qui n'a aucun mal à faire ressortir la personnalité des personnages, et une adaptation graphique soignée de Clair Obscur.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs