Moi aussi Vol.1 - Actualité manga
Moi aussi Vol.1 - Manga

Moi aussi Vol.1 : Critiques

Otona no Mondai Teiki Sakebi

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 07 Septembre 2020

Chronique 2 :

La carrière de Reiko Momochi est prolifique, et l'autrice fut importante vers les débuts indépendants de l'éditeur Akata. Quelques années après les très appréciés Double Je et Daisy – Lycéennes à Fukushima, la maison renoue avec l'artiste en proposant une courte série assez récente au Japon : Moi Aussi.

L'oeuvre appartient à une saga, celle des Otona no Mondai Teiki, un titre qui parle de lui-même puisqu'il peut sobrement se traduire par « problèmes d'adultes ». Après le one-shot Otona no Mondai Teiki – Kawaki en 2018, Reiko Momochi a publié un nouvel ouvrage, plus long, dans le magazine Kiss des éditions Kôdansha. C'est donc Otona no Mondai Teiki – Sakebi qui nous intéresse aujourd'hui, le récit ayant pris fin à l'été 2019 avec son deuxième opus.

Âgée de 27 ans, Satsuki Yamaguchi est opératrice en intérim, au sein du service client d'un fabricant de nouvelles technologies. Particulièrement dynamique, elle se plait dans ce travail, jusqu'au jour où l'un de ses supérieurs, M. Dôbayashi, la met en garde : M. Ikari, le directeur du service client, veut diner avec Satsuki, et celui-ci a pour réputation de beaucoup « aimer » les femmes. Malgré quelques remarques déplaisantes, la jeune opératrice passe rapidement à autre chose après ce repas, mais c'est sans compter le comportement de plus en plus de M. Dôbayashi, pourtant marié et père de famille. Il est trop tard pour Satsuki, puisque le piège de son supérieur se referme peu à peu sur elle, l'entrainant dans une spirale infernale qui impactera le reste de sa carrière...

Akata étant, entre autre, un porte étendard de différentes thématiques sociales actuelles au sein des éditeurs manga, il est cohérent de voir des récit parlant du harcèlement sexuel apparaître dans son catalogue. Après En proie au silence (qui traite autant de harcèlement que de viol et de sexisme dans la société), Moi aussi permet d'aborder le harcèlement sexuel au travail, à travers l'histoire de la jeune Satsuki qui se trouve confrontée à un supérieur pervers narcissique et manipulateur au possible. Un thème délicat à traiter, et qui devait l'être avec une certaine justesse. En ce sens, ce premier volume semble réussir son pari, notamment par sa manière trompeuse de nous guider à travers les événements que vivra l'héroïne. Car même en connaissance du sujet dépeint dans Moi aussi, on est trompés par l'entourage de Satsuki au même titre que cette dernière. Dès lors, l'ambiance pesante du titre nous atteint sans mal, la lecture étant même si éprouvante par moment qu'elle nécessitera peut-être un temps de répit entre deux chapitres, pour certaines et certains. Car le climat anxiogène régnant dans cette première moitié de l'histoire est particulièrement bien dépeint, ce parce que l'héroïne affiche des réactions qui semblent pertinentes au regard de la réalité accessible à travers des témoignages qui ne sont malheureusement pas difficiles à trouver, tant cette réalité est omniprésente. Et dans l'optique adverse, le schéma du pervers narcissique qui va frapper moralement Satsuki est aussi criant de vérité, malgré quelques exagérations physiques. Là aussi, pas besoin d'avoir fait de grandes études sociologiques pour comprendre que ce type d'individus existe, et leurs modes opératoires habilement retranscrit ici signifie un joli travail de recherche de la part de la mangaka, qui ne voulait sûrement pas survoler un sujet aussi grave.

Fort heureusement, le message général semble voué à être positif, aussi la tournure de l'histoire se révèle plus apaisante sur la dernière partie de premier opus. Et à cette contre-attaque s'ajoute un côté particulièrement instructif sur la société japonaise, ce qui est d'ailleurs le cas dans l'ensemble du tome puisque Reiko Momochi y va de petites notes bien distillées pour parler, de manière plus vaste, du harcèlement sexuel au Japon. Ainsi, Moi Aussi a une véritable portée éducative, sur une triste réalité comme sur l'évolution sociale japonaise, et sur les outils donnés aux victimes pour s'en sortir. Ce pan du récit contrebalance parfois le ton brutal de ce premier tome, faisant de celui-ci un véritable message de soutient aux victimes et une œuvre en phase avec la société, plus qu'un manga gratuitement dramatique. La lecture de Moi Aussi semble alors essentielle, et on espère que le deuxième volume nous confortera dans cette idée.

Du côté de l'édition, Akata fournit une nouvelle bonne copie. Pas de page couleur, mais un papier fin et agréable, appuyé par une couverture au papier couché mât d'un bel effet. La traduction est signée Yuki Kakiichi, une traductrice bien fidèle à Akata, appuyée par l'adaptation de Nathalie Bougon. Le résultat est très juste, notamment dans le poids de certains dialogues qui mettent très bien en exergue la gravité du sujet du manga.


Chronique 1 :

Reiko Momochi est une mangaka qui, en un peu plus de 20 années de carrière, s'est imposée auprès de toute une frange de lecteurs et lectrices au Japon grâce à son abord sans concession de problèmes de société, au travers de portraits d'héroïnes (souvent assez jeunes) réalistes. Découverte en France chez Akata en 2014 avec l'inoubliable Daisy qui abordait nombre de choses sociales et humaines autour du drame du 11 mars 2011, elle était ensuite revenue dès 2015 avec Double Je, une série antérieure, certes un peu maladroite dans son scénario fait de grosses ficelles, mais qui abordait avec force les limites de la justice nippone, et également déjà la condition féminine face à certains prédateurs masculins. Un peu moins de 5 ans après la conclusion de Double Je, la revoici donc enfin dans nos contrées avec une nouvelle série en deux tomes qui, elle aussi, à beaucoup de choses à dire. Dessinée de septembre 2018 à juillet 2019 pour le compte du magazine Kiss des éditions Kôdansha (le magazine de Perfect World, Si nous étions adultes…, Mitsuko Attitude, Princess Jellyfish...) sous le titre Otona no Mondai Teiki Sakebi, cette nouvelle oeuvre est proposée dans notre langue sous le titre Moi aussi, un nom qui veut tout dire en faisant évidemment référence au mouvement MeToo, puisque c'est bien de harcèlement envers une femme dont il sera question ici.

Cette femme, elle se nomme Satsuki Yamaguchi, et l'on suit son histoire à partir de 2005, alors qu'elle est âgée de 27 ans. Voici trois années qu'elle travaille avec application en tant qu'intérimaire dans un centre d'appel d'une marque de matériel électronique de bureau. Tout semble bien se passer pour elle malgré la lourdeur de Jin Ikari, 55 ans, directeur du département du service client dont l'attrait pour les femmes n'est plus à prouver, si bien qu'il invite souvent ses employées au restaurant. Depuis 3 mois, sa meilleure amie de 28 ans Miho Kakita a rejoint la même entreprise qu'elle et est donc devenue sa collègue. Et depuis l'arrivée, 6 mois auparavant, d'un nouveau responsable de formation des opérateurs en la personne de Haruhiko Dôbayashi, les choses semblent encore mieux se passer: Satsuki a effectivement tapé dans l'oeil de ce père de famille de 37 ans grâce à son application au travail et à ses qualités, si bien qu'il a vanté ses mérites pour la faire "monter en grade" en tant que formatrice... Mais est-ce vraiment grâce à ses qualités que la jeune femme a attiré l'attention de Dôbayashi ? Peu de temps après, elle commence à être la cible des avances de cet homme, des avances se transformant de plus en plus en harcèlement sexuel. Et quand elle a le "malheur" de rejeter ces avances, la voici mise au pied du mur par cet homme qui ne reculera devant rien pour la faire sombrer et la garder sous sa coupe... En allant de mal en pis jusqu'à prendre des décisions radicales, Satsuki finira-t-elle par se relever et, surtout, par oser briser la loi du silence ?

Tout en s'inscrivant dans la veine de récits féministes chers à Akata cette année (En proie au silence, Don't fake your Smile, Trait pour trait...), Moi aussi se rapproche quelque peu de Daisy dans son schéma, dans la mesure où, tout comme dans Daisy, Reiko Momochi s'est appuyée sur des témoignages de personnes réelles, et plus précisément sur une histoire vraie, celle de Kaori Sato. Devenue politicienne aujourd'hui, cette femme fut effectivement victime du même type de harcèlement que l'héroïne Satsuki dans les années 2000, et a été une précieuse source de renseignements pour la mangaka. Et forcément, cette part de "vrai" se ressent beaucoup à la lecture, tant Momochi peut s'appuyer dessus pour décortiquer nombre de choses.

Le processus de harcèlement masculin, tout d'abord, au travers d'un Dôbayashi qui, bien que marié et père, est une incarnation du pervers narcissique ne supportant pas que la "faible" femme lui résiste. Momochi aborde efficacement les techniques de ce récidiviste notoire pour tenter de placer sous son joug notre héroïne: recommandations afin de lui faire grimper un échelon dans l'entreprise pour mieux lui "demander des comptes" derrière, invitations à "partir en voyage", tentative de la soûler en soirée pour la faire céder à l'aide d'un cocktail très alcoolisé (le fameux "long island ice tea" ou "lady killer", tout est dit)... puis, à partir du moment où elle a refusé clairement ses avances, il y a tout un travail de sape où l'odieux bonhomme profite de sa supériorité hiérarchique. Le harcèlement sexuel se transforme en harcèlement moral, avec abus de pouvoir, menaces (y compris envers Miho qui essaie de soutenir son amie mais ne peut rien faire sans risquer elle-même d'être en danger), chantage, humiliation, isolation en la faisant passer pour une incompétente... le tout étant fait pour provoquer les erreurs affectives ou professionnelles de Satsuki. Dôbayashi apparaît odieux, le plus inquiétant étant qu'on n'a même pas l'impression que la mangaka exagère les traits.

Mais au-delà de ça, c'est également un éclairage critique sur le milieu de l'entreprise que la mangaka et en exergue, en allant même jusqu'à expliquer le contexte de l'époque des années 2000: le monde du travail connaissait alors au Japon un "âge de glace de l'emploi" à cause de la crise financière et de l'éclatement de la bulle internet. Du coup, il y avait forcément une complexité de changer de travail tant celui-ci se réduisait, et la position de faiblesse du statut d'intérimaire faisait que beaucoup de femmes en intérim ont été victimes de harcèlement sexuel. Mais Momochi ne s'arrête pas là, entre le directeur Ikari qui ne peut pas se mouiller sans preuves du harcèlement subi par Satsuki, le syndicat ne prenant aucun risque alors qu'il est censé protéger les employés, ou, pire encore, la manière dont la patron de l'agence d'intérim ne défend aucunement notre héroïne et, tout dans son optique de préserver la réputation de son agence, lui reproche même de ne pas céder aux avances de Dôbayashi et menace de la virer si elle cause des problèmes. On apprendra également certaines autres choses sur les pratiques de l'époque: offrir un cadeau de prix à une subordonnée est considéré aujourd'hui comme du harcèlement sexuel, mais à l'époque ce n'était pas le cas, et c'était même monnaie courante. Et puis, il y a les nombreuses limites de la recherche de justice de la jeune femme: elle n'a pas subi de préjudice financier important, n'a pas été blessée physiquement ni violée, donc personne ne semble la prendre vraiment au sérieux.

En somme, Satsuki subit de plein fouet la loi de l'entreprise, une loi où les femmes employées semblent n'avoir aucun recours, aucune échappatoire autre que serrer les dents ou démissionner. Et forcément, cela laisse de nombreuses traces: boulimie, mal-être, peur des hommes (et plus particulièrement de ceux en costume comme Dôbayashi), corps qui a envie de mourir, médecin, psy, médicaments, manque de sommeil... ainsi que des interrogations de notre héroïne. Que vaut-elle aux yeux de ces hommes et de ce monde de l'entreprise ? Il y a tout de même quelques "lueurs d'espoir" pendant cette première partie de volume terrible : Momochi évoque l'importance de conserver des preuves (ne serait-ce que des mails) du harcèlement (chose que malheureusement Satsuki n'a pu faire, par effroi), elle montre également via le jeune Yamato que les qualités professionnelles peuvent toujours être reconnues, mais ce qui marque avant tout se trouve bien dans le décorticage des procédés du harceleur et dans les traumatismes restant profondément ancrés en la femme harcelée.

Le témoignage est donc aussi réaliste que rude, mais il apparaît nécessaire. Certains hommes pourraient prendre conscience de pas mal de choses à la lecture de l'oeuvre, et du mal qui peut rester encrée chez les femmes à cause de leur éventuel comportement déplacé. Les femmes n'ayant jamais connu tout ceci pourront toutefois être alertées sur des comportements à surveiller comme ceux de Dôbayashi, et pourront trouver certains conseils comme garder des preuves. Et les femmes ayant vécu la même chose trouveront sûrement la lecture difficile à vivre, mais elles pourront s'identifier sûrement, pour mieux entrevoir des solutions dans la suite du récit. Car des solutions, peut-être y en a-t-il, effectivement, et c'est ce vers quoi la suite du volume semble nous diriger. Tout d'abord, dans la volonté de Satsuki de ne pas flancher, ne pas céder, tenir bon, même si ça la fera profondément souffrir pendant longtemps dans un premier temps. Puis par sa découverte d'aides alternatives: les associations d'aide aux femmes, ça existe, et ça peut être salvateur pour petit à petit se reconstruire (même si ça peut prendre du temps, sans doute est-ce pour ça que dans la réalité nombre de plaintes/témoignages semblent arriver longtemps après les faits), grâce à des personnes montrant de la bienveillance, de la patience, de l'écoute, de la sincérité... soit un peu tout ce qui manque au monde actuel dans nombre de domaines. Et puis, il y a le fait d'oser, au bout du compte, porter plainte et briser la loi du silence dans une société qui étouffe beaucoup trop ce genre de cas, même si la parole s'est plus libérée ces dernières années.

Enfin, un mot sur le style de Reiko Momochi: la mangaka garde encore et toujours un trait parfois un peu inégal dans les visages ou les mouvements, mais est-ce vraiment le plus important dans ses oeuvres ? Elle a surtout développé une narration franche, directe et efficace qui tape très souvent où il faut, ainsi que des expressions faciales marquées qui véhiculent avec impact les choses.

"Je ne laisserai pas l'injustice gâcher ma vie."

Au bout du compte, le nouveau manga social et engagé de Reiko Momochi frappe un grand coup, en décortiquant avec force et intelligence un sujet de société grave, encore et toujours d'actualité. Le deuxième et dernier volume se fera attendre avec beaucoup d'impatience, pour voir jusqu'où cette "fiction réelle" ira.

Cette chronique ayant été réalisée à partir d'une épreuve numérique non-corrigée fournie par l'éditeur, pas d'avis sur l'édition !
  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
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16 20
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16.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs