Kageki Shôjo - Saison 0 - Actualité manga
Kageki Shôjo - Saison 0 - Manga

Kageki Shôjo - Saison 0 : Critiques

Kageki Shoujo!!

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 16 Décembre 2021

En une grosse année d'existence, on peut dire que les éditions Noeve Grafx se sont déjà imposées comme un éditeur qui monte, et qui risque fort de s'imposer encore un peu plus dans les mois à venir, au vu des nombreuses annonces très prometteuses faites le 2 décembre dernier lors de leur Noeve Grafx Day. De Veil à Welcome to the Ballroom en passant par A Certain Scientific Railgun, Miss Kobayashi's Dragon Maid Nagatoro, A Tail's Tale ou encore Don't call it Mystery, l'éditeur se développe autour d'un catalogue à la fois éclectique, ambitieux, audacieux voire surprenant, en se tournant autant vers des oeuvres populaires voire attendues depuis longtemps, que vers des titres plus atypiques permettant de découvrir des artistes à la patte assez personnelle voire de retrouver de grands noms longtemps boudés en France (la géniale Yumi Tamura en tête avec Don't call it Mystery). Alors, pour refermer cette riche année, quoi de mieux que le lancement, en ce mois de décembre, d'une oeuvre qui combine un peu tous ces aspects, à savoir Kageki Shojo!! ?

Kageki Shojo!! est, effectivement, un nom qui doit vous dire quelque chose si vous avez suivi de près l'actualité animation récente: l'oeuvre a en effet été popularisée, entre juillet et septembre derniers, par une adaptation animée en 13 épisodes (donc autant dire que le timing est bon pour l'arrivée de l'oeuvre d'origine dans notre langue. Mais à la base, il s'agit donc d'un manga, et qui plus est d'un manga qui revient d'assez loin au Japon: initialement lancé dans son pays d'origine en 2012 chez l'éditeur Shûeisha dans le jeune magazine orienté seinen Jump X (magazine lancé l'année précédente, en juin 2011, et ayant aussi accueilli les séries Prophecy et Poison City de Tetsuya Tsutsui entre autres) sous le nom Kageki Shojo! (avec un point d'exclamation en moins, donc), le récit connut un parcours difficile, en étant écarté par l'éditeur, après 14 chapitres, du fait de l'arrêt du Jump X fin 2014. La série était alors considérée comme achevée en 2 tomes. C'est finalement l'année suivante, en 2015, que l'oeuvre s'offrit un second souffle en étant relancée chez un autre éditeur, Hakusensha, dans les pages du magazine catégorisé shôjo (énième preuve que les catégorisation ne veulent pas dire grand chose) Melody, un magazine que l'on connaît aussi dans notre pays pour les formidables séries The Top Secret, Le Pavillon des Hommes et Onmyoji (cette dernière série ayant malheureusement été lâchement abandonnée en cours de route par son éditeur Delcourt), le tout sous le titre Kageki Shojo!! (avec les deux points d'exclamation). Depuis, l'oeuvre, qui compte actuellement 11 volumes dans son pays, reste l'une des séries-phares du magazine Melody, jusqu'à aboutir en 2020 à une nomination au Prix du meilleur "manga pour filles" aux 44e Prix Kôdansha, puis à l'adaptation animée cette année. En parallèle, étant donné que Kageki Shojo! est le réel démarrage de Kageki Shojo!!, l'éditeur Hakusensha a eu l'excellente idée de négocier avec Shûeisha pour récupérer les droits de la première série avortée afin de la rééditer, en mars 2019, en un seul gros volume d'environ 460 pages sous le titre Kageki Shojo!! Season 0. C'est donc sur cette nouvelle édition japonaise que se base le "tome 0" français de Noeve Grafx.

Aux commandes de cette oeuvre, une mangaka si attachée à son récit qu'elle n'a donc pas baissé les bras après sa première édition avortée chez Shûeisha. Bien qu'inédite en France jusqu'à présent, Kumiko Saiki est une autrice dont la carrière au Japon dure depuis 1995. Pendant ses 10-12 premières années en tant que mangaka professionnelle, sa carrière s'est surtout limitée à un certain nombre d'histoires courtes ou de mini-séries pour des magazines shôjo de Shûeisha, avant que l'année 2007 ne marque un tournant avec le lancement, aux éditions Shoubunsha (Shôgakukan récupérera ensuite la série en 2010), du josei historique en 6 tomes Hanayoi Douchuu, adaptation d'un roman d'Ayako Miyagi qui fut ensuite adaptée en film live. Par la suite, l'autrice a pu étendre ses activités chez d'autres éditeurs (Shodensha, Kodansha, Takarajimasha, et bien sûr Hakusensha), mais Kageki Shojo!! reste sa plus longue série à ce jour.

Kageki Shojo!! - Saison 0 (et sa suite aussi, bien sûr) nous immisce dans une école loin d'être comme les autres: située à Kobe, unique au monde, fondée il y a un siècle, réputée aussi sélective que la plus prestigieuse des universités, et réservée aux plus motivées, plus talentueuses et plus belles jeunes filles du Japon, l'école Kôka des arts de la scène vise à former celles qui deviendront demain les stars de la revue Kôka, célébrissime troupe théâtrale dont tous les rôles, masculins comme féminins ou autres, sont interprétés par des femmes. L'apprentissage y est très rigoureux, la hiérarchie stricte, la concurrence impitoyable... et pourtant, nombre de jeunes filles entre 15 et 20 ans tentent d'y vivre leur rêve en participant au concours d'entrée, quand bien même le taux d'admission y est d'à peine 1/25. En cette année de 100e anniversaire, l'admission au concours va toutefois réserver quelques surprises, notamment parce que l'école accueille deux adolescentes de 15 ans sortant un peu du lot, pour des raisons bien différentes. L'une, Ai Narata, est une ancienne idol d'un groupe ultra connu (JPX48, clin d'oeil à la fois au magazine Jump X et aux AKB48), réputée magnifique mais très taciturne et distante, qui semble avoir tenté sa chance pour fuir quelque chose, même si beaucoup de monde la reconnaît à son grand dam. L'autre, Sarasa Watanabe, dénote autant par sa grande taille que par sa personnalité très enjouée et décalée, et ne rêve que d'une chose depuis toute petite: interpréter à Kôka le personnage de Lady Oscar de La Rose de Versailles, rôle-phare qui l'obligera à devenir pari les 4 top stars de la revue. Ces deux-là se retrouvent camarades de chambre, et, sur la longueur, pourrait bien marquer l'Histoire de la revue Kôka...

Noeve Grafx nous propose donc ici de découvrir une série dont le sujet sort des sentiers battus, puisque non seulement elle a pour thématique le théâtre, mais en plus elle aborde un type de théâtre japonais en particulier. Au vu de son existence durant depuis un siècle, son apprentissage typique ou encore son casting exclusivement féminin, vous aurez peut-être déjà compris que la revue Kôka, bien que fictive, se réfère directement à la célèbre revue Takarazuka, troupe théâtrale créée en 1913 à Takarazuka par Ichizô Kobayashi et dont le fonctionnement repose sur les mêmes critères. Vous n'avez jamais entendu parler de la revue Takarazuka ? Pas de panique, car Noeve Grafx a très bien fait son travail: en fin de volume, l'éditeur a pris soin de concocter un excellentissime mini-dossier de 7 pages, présentant en détails la chose. Les origines de la revue, les spécificités des troupes, des spectacles et des représentations, la répartition féminine des rôles... vous y apprendrez tout ce qu'il faut savoir dans les grandes lignes.

L'un des intérêts premiers est donc, ici, de découvrir le fonctionnement de l'apprentissage au sein de l'école Kôka en même temps que les nouvelles arrivantes. La rigueur de l'examen d'admission, la semaine d'intégration, la vie à l'internat avec tout ce qu'elle implique (nettoyages quotidiens, etc), la hiérarchie stricte (chaque 1e année a une tutrice de 2e année), les cours (danse classique, danse traditionnelle japonaise, chant, ou même claquettes entre autres)... sont autant de choses que Kumiko Saiki, sans entrer dans trop de détails, évoque efficacement... mais sans oublier pour autant certaines faces plus dures de ce milieu forcément très compétitif, entre rigueur pouvant être éreintante, rivalités et jalousies pouvant occasionner des coups bas (on pense ici à ce que fait déjà la fourbe tutrice d'Ai), stress et peur de ne pas entrer dans les critères de beautés... Et ce dernier point occasionnera d'ailleurs un petit focus à la fois grave et touchant sur l'attachante Yamada, jeune fille à qui l'on dit qu'elle risque de devenir trop grosse et de ne plus coller aux critère de l'école, si bien qu'elle finit par jouer dangereusement avec sa santé. Saura-t-elle, alors, remonter la pente et montrer ses propres qualités personnelles en chant ?

Tel est donc le cadre dans lequel doivent désormais évoluer et faire leurs preuves les deux héroïnes de l'oeuvre, des adolescentes qui sont le principal moteur du récit, tant les suivre et les découvrir au fil de ces 460 pages est passionnant.

D'un côté, on a donc Sarasa, l'adolescente qui dénote le plus dans l'école, à tel point que certaines personnes se demandent comment elle a pu être admise voire se moquent un peu d'elle. Issue des vieux faubourgs de Tokyo où elle a grandi modestement avec son grand-père, de si grande taille que certaines disent déjà qu'elle ne peut pas incarner Lady Oscar avec un tel physique, pas franchement gracieuse ou élégante de prime abord, ne connaissant absolument aucune autre pièce de la revue que Lady Oscar, ayant des centrés d'intérêt ne collant pas toujours avec les jeunes de son temps (certes elle raffole des mangas et animes, mais plus encore des séries d'époque, et est peut-être la seule personne de l'école à ne pas savoir qu'Ai est une ancienne idol du groupe le plus connu du pays), ayant un côté très franc faisant qu'elle se fait parfois remarquer en mal, commettant régulièrement des petites boulettes (elle ne se réveille pas à l'heure, etc), elle pourrait sembler plus proche de la cancre qu'autre chose... et pourtant, il y a bien d'autres créneaux sur lesquels elle brille déjà: son positivisme, son côté amical avec tout le monde et surtout avec Ai qu'elle considère déjà comme une amie, son énergie... le tout tourné vers une passion, vers un désir de vivre à fond son rêve maintenant qu'elle en a la chance, et vers une volonté d'apprendre. Et justement, cet apprentissage pourrait déjà réserver quelques surprises, car non seulement Sarasa a eu droit dans son enfance à un professeur qui n'était pas n'importe qui (l'occasion pour la mangaka d'évoquer le théâtre kabuki), mais en plus elle montrera déjà de sacrées facultés, notamment pour retenir des textes en un coup ou, surtout, pour emmener peu à peu les gens dans son sillage. Sarasa dénote, oui, mais elle semble déjà avoir cette aura nécessaire aux grandes comédiennes.

Et de l'autre, il y a donc son exact contraire, Ai. Une adolescente qui, elle, a déjà une expérience de la scène via sa courte carrière d'idol, mais dont le comportement face à ça est tout sauf enjoué ou positif. Certes, elle est très, très jolie, à vrai dire si jolie qu'on la complimente uniquement sur sa beauté depuis qu'elle est toute petite. Mais elle est surtout solitaire, désabusée, inexpressive, et est rentrée à l'école Kôka beaucoup moins par passion pour ce domaine que par désir de fuir un peu tout, que ce soit sa célébrité, ses fans ou plus généralement les hommes. Sa solitude est telle qu'elle déteste viscéralement d'être touchée, et certaines personnes pourraient alors se dire qu'il s'agit là des caprices d'une ancienne starlette hautaine. La vérité est tout autre. Et cette vérité, bien plus grave que ça, on la découvrira dès ce tome 0, au fil d'un passages particulièrement fort et dramatique dans tout ce qu'il aborde. Il y a, certes, le contexte parental entre un père inconnu et une mère actrice ne faisant pas assez attention à sa fille et l'ayant considérée comme une poupée. mais il y a aussi tout le mal que la jeune fille a pu développer à force d'être considérée uniquement pour sa beauté. Et il y a surtout un drame plus actuel que jamais: la difficulté de sortir de ses démons du passé quand on a subi une agression sexuelle, et peut-être plus encore quand cette agression a eu lieu dans notre enfance. Quelques dizaines de pages-choc qui retourne à merveille le regard sur Ai, en même temps qu'elles retournent l'estomac, et que l'on ne s'attendait pas forcément à voir dans un manga de ce style.

L'une des questions essentielles de ce volume 0 est, alors, de savoir si Ai saura enfin repartir de l'avant, après tant d'années passées à ne plus avoir confiance en qui que ce soit hormis son oncle/professeur Taichi, le seul homme dont elle arrive à s'approcher. C'est petit à petit que la réponse se dessine, et elle passe par certaines étapes bien menées. On pense notamment au cas de son fan, un homme qui aurait pu n'être qu'un otaku au physique ingrat parmi tant d'autres, mais qui recèle une belle part d'humanité, ne serait-ce que pour ce qu'il veut dire à Ai ou pour ce qu'elle représente pour elle, lui qui fut pendant longtemps un hikikomori sans la moindre confiance et qui a trouvé en cette idol "différente" une lumière. Mais il y a surtout, bien sûr, Sarasa, dont la personnalité bien plus lumineuse et le désir d'amitié pourraient finir par avoir un impact fort. L'évolution de la relation entre les deux héroïnes est, ainsi, un élément-clé.

A l'arrivée, cette "saison 0" de Kageki Shojo!! frappe très fort, d'emblée. En plus d'une immersion soignée dans ce simili-Takarazuka, Kumiko Saiki sait surtout installer d'emblée des héroïnes passionnantes à suivre, attachantes, que l'on a envie de voir évoluer, autant dans les facettes les plus positives/enjouées que dans celles les plus sombres/graves. Et tout ceci, la mangaka l'emballe dans une merveille de narration et de dessin. L'écriture est efficace et très vivante, toujours bien soulignée par la traduction excellente d'Anaïs Fourny. Le rythme est impeccable, tout semble y couler de source, et les moments intenses alternant avec des instants plus légers voire drôles qui sont notamment portés par les nombreuses références de manga/anime décalées lâchées par Sarasa. Quant au dessin, il brille par un trait des personnages à la fois simple et expressif, mise en évidence par les décors photoréalistes, les cadrages et les découpages intelligents (notamment certaines diagonales apportant un rythme supplémentaire.

Enfin, un mot sur l'objet-livre proposé par Noeve, qui est vraiment satisfaisant. En plus de la qualité de la traduction et du mini-dossier comme déjà dit, il faut souligner la souple d'un volume qui, malgré son épaisseur de 470 pages, est assez léger et facile à manier, grâce à un papier de bonne qualité. L'impression est convaincante, tout comme le lettrage. La jaquette, malgré son logo-titre qui n'est pas des plus lisibles, attire l'oeil grâce à son relief à embossage relevé d'un vernis sélectif. Enfin, n'oublions pas les marques de fabriques de l'éditeur, à savoir la carte à collection, le bandeau et l'insert.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs