Innocent Vol.1 - Actualité manga
Innocent Vol.1 - Manga

Innocent Vol.1 : Critiques

Innocent

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 05 Avril 2016

Critique 1



XVIIIème siècle, Hôtel de Ville de Paris, l’attention de la populace frétillante, remplissant la grande place, est happée par la fascinante silhouette d’un sombre cavalier ; il fait descendante de son cheval nacré : cape et chapeau noir, teint blême, minois racé, longs cheveux charbonneux et pupilles mélancoliques vers les pavés de pierres ; néanmoins, la beauté éloquente du personnage laissera place à la peur. Car il ne s’agit ni plus ni moins que du très jeune Charles-Henri Sanson : exécuteur des hautes œuvres de Paris, unique glaive de la justice, serviteur du roi, bourreau de père en fils. A sa simple vue, les foules sont effrayées : cela porte malheur, attise le démon et sonne comme un appel de l’au-delà. Les citadins apeurés forment un couloir du vide tout autour de lui tandis que, dans son sillage d’abîme, les commerçants déversent, à renfort de coups de seaux, des eaux purificatrices afin de conjurer le mauvais sort. Il ne s’agira pour l’instant que des balbutiements de ce beau jeune homme relativement hors-norme, mais celui-ci fera, à travers les âges et par ses mains, des morts par milliers : le siècle des lumières, du sang et des vertiges s’esquisse à l’horizon.

Sanson c’est, de prime abord, un nom : exécuteur officiel pour la Cour du Roi de France, génération après génération. Charles-Henri n’a encore que quatorze années, le temps passe et son père souhaite qu’il reprenne le flambeau, d’autant que ses problèmes de santé le pressentent à la succession. Seulement voilà, le jeune Sanson est en prise avec ses ressentis, sa conception de la morale, sa propension à faire le bien, son aspiration à vivre comme tout un chacun : il fait une allergie à la reprise de cet héritage-fardeau. Certes, cette charge offre à sa famille fortune, qualité de vie et le titre de « Monsieur de Paris » ; mais, concrètement, Charles-Henri ne supporte en rien le regard pesant de la société sur ses que trop jeunes épaules : une tâche dont tout le monde souhaite qu’elle soit faite ; mais qu’aucun ne souhaite remplir, au point d’en maudire celui qui l’exécute. Cela le ronge, l’affecte, le repousse dans ses derniers retranchements : au plus profond de lui-même, dans les confins de l’âme, par-delà toute frontière ; les tourments le rongent, lui collent au cuir, deviennent son ombre, sa journée et ses nuits. Charles-Henri a le cœur si bon et l’âme tant vertueuse ; devoir donner la mort à tous ces gens lui donne la nausée.

Puis, si Sanson est un nom, il s’agit tout autant d’une famille ; et c’est de cela aussi, de cette matière multiforme, dont traite, avec raffinement, l’auteur. De ce patriarche teneur du glaive de la justice dépend la subsistance de tout un cercle de proches : une grand-mère, un père, une mère, six frères et sœurs et le personnel de maison. Et si l’adolescent Charles-Henri éprouve la plus grande aversion envers cet héritage, il se doit d’en mesurer tout le poids et les conséquences à l’égard de ceux de son entourage dont l’existence ne dépend que trop de ses choix. Cette situation sociale, historique et humaine s’en vient colorer les personnalités de chacun des membres de la famille : notamment, Marie, la jeune sœur cadette, laquelle semble particulièrement affectée par les divers évènements qui viennent ponctuer la vie de la maison-de-maître familiale. Malgré tout, Charles-Henri prendra sur lui : il s’entrainera au maniement du glaive à double tranchant dont la longue lame en acier est percée en son extrémité de trois trous : maîtrisée et abattue à la perpendiculaire elle n’émet aucun son : une mort silencieuse ; faites-la tournoyer dans les airs et elle criera comme ses victimes. Un scénario qui paraît d’ores et déjà relativement dense et très maîtrisé de par l’ensemble des bases subrepticement saupoudrées çà et là, des toutes premières pages jusqu’à cette scène de fin d’ouvrage plutôt insoutenable.

L’immersion, aux côtés de ce personnage à la fois complexe dans sa psychologie et incommensurable dans son existence, est assez incroyable. Le lecteur sera parfois épris du sentiment selon lequel il monte, lui aussi, sur l’échafaud ou, tantôt, assiste, attablé lors d’un repas,  à une de ces fameuses conversations névralgiques entre les membres de cette si singulière famille Sanson. Une contextualisation renforcée par un traitement à la fois fluide et aiguisé de faits historiques divers. En sus, il sera apprécié un sens du détail très poussé : personnages historiques, références ou autres, comme l’écusson de la famille, arboré d’une cloche entre deux chiens, paraphés des mots << sans son >> : délicieux jeu phonétique et patronymique sur le silence de la mort qui frappe. Une épopée historique dont le romanesque est ici sublimé par le dessin de l’auteur : rares sont ceux pouvant offrir une telle prestation ; probablement seront-ils comptés sur les doigts d’une main. Un découpage des planches en apparence classique, mais pensée dans son articulation avec une mise en scène évocatrice, et parfois contemplative, relevée d’un trait sophistiqué, léger et poétique qui transcende la portée des sentiments  à fleur de peau : quelquefois l’ensemble paraîtra presque époustouflant de gravité.

L’édition Delcourt comprend un papier de bonne facture, quatre premières pages couleurs inclues, une couverture texturée en grain léger, une traduction de Sylvain Chollet retranscrivant avec qualité le travail de l’auteur, un ancrage servant honorablement les planches. Le rapport qualité-prix est très agréable. Le plaisir de lecture est intégral. On aimerait avoir davantage de mangas publiés de la sorte.

Il y aurait maintes autres choses à dires quant à ce premier pavé (métaphore, champ lexical, conceptuel, langage soutenu, psychologie des personnages, enjeux, paradoxes, et cetera) : elles seront éventuellement évoquées, le cas échéant, au gré des prochains livres, afin de ne point trop alourdir ce commentaire typiquement introductif. Pour l’heure, considérons qu’il est ici livré un premier ouvrage qui, s’il est assez exceptionnel dans sa mouture, ne manque point de nous faire remarquer que Shin’Ichi Sakamoto n’est pas un plaisantin : puisque les auteurs capables de fournir un tel niveau de prestation sont peu communs. Un tome brillant d’intelligence, exaltant de beauté et enivrant de lyrisme.

Critique 2

Après Ascension, série qui a marqué les esprits, Shinichi Sakamoto signe son grand retour chez Delcourt à travers une œuvre nettement différente. Innocent n’est pas un titre original à proprement parler puisqu’il s’agit de l’adaptation d’un roman, Shikei Shikkônin Sanson de Masakatsu Adachi, libre portrait de Charles-Henri Sanson, exécuteur des hautes œuvres du XVIIIè siècle qui mit à mort de grandes figures, notamment Louis XVI. Le contexte est donc bien différent de l’œuvre précédente de l’auteur et nous fait particulièrement écho puisqu’elle renvoie à notre propre histoire. Ce premier tome en dit long et Innocent se présente déjà comme un récit troublant, mais riche de qualités.


Au cœur du Siècle des Lumières, le jeune Charles-Henri Sanson est voué à succéder à son père en tant qu’exécuteur à la cour du Roi. Seulement, cette destinée engendre le rejet de ses semblables et pour l’innocent Charles-Henri, il est impossible d’ôter la vie si simplement. Pourtant, le bourreau en herbe ne peut échapper et son destin et lorsque son père se retrouve victime de paralysie, la cadence pour devenir « Monsieur de Paris » s’accélère…


Le sujet atypique de la nouvelle série de Shinichi Sakamoto promettait une lecture atypique. On sort complètement du contexte d’Ascension, mais en y trouvant une similitude, la focalisation sur le héros qui ne manque pas de couleur dans l’œuvre présente. Les plus férus de la science historique seront alors peut-être déçus de voir le contexte d’époque pré-Révolution française assez éludé dans ce premier opus qui se concentre surtout et avant tout sur Charles-Henri Sanson, adolescent de 14 ans qui est voué à succéder à son père en tant qu’exécuteur des hautes œuvres. C’est davantage la personnalité du protagoniste qui nous intéresse ici, plus que l’évolution de sa « carrière ». Le sujet est en effet clair et nous savons d’ores et déjà que Charles-Henri succédera à son père, mais l’intérêt est ici de connaître l’évolution subie par le personnage qui refuse catégoriquement sa destinée et essaie tant bien que mal d’y échapper.


C’est une personnalité attachante qui nous est ainsi présentée et si la série verse volontiers dans le pathos, la démarche de Sakamoto est entièrement volontaire. Charles-Henri est un adolescent torturé, innocent et qui n’aspire qu’à une vie plaisir, la vocation familiale est ainsi la pire des tortures qui puisse lui être infligée, et c’est pourtant un destin qu’il devra accepter.


Pour nous présenter le traitement du personnage, ce premier tome passe par différentes étapes, d’abord psychologique dans le rapport de Charles-Henri à la tâche de bourreau, mais aussi dans son rapport à autrui. C’est dans un premier temps la famille Sanson qui est sommairement présentée, particulièrement son père et sa grand-mère, deux individus qui ont su accepter la noble tâche de leur lignée. La mise en scène du cercle familial est très bien pensée par Sakamoto qui les dépeint comme des individus de l’ombre comme pour accentuer le fossé entre Charles-Henri et les siens, preuve d’une belle réflexion dans le découpage du récit et de la présentation des personnages. Vient ensuite un autre individu qui impactera à sa manière le héros en plus de tourner l’intrigue vers une pseudo relation homosexuelle, mais dont l’effet sur Charles-Henri sera rapidement perceptible et jouera sur l’acceptation de son rôle.


Derrière toutes ces idées de traitement se cache une mise en évidence du style graphique de Shinichi Sakamoto, que ce soit dans son character-design ou la manière de construire ses planches et ses cases. Ne passons donc pas par quatre chemins : l’auteur est perfectionniste et la maîtrise dont il a fait preuve sur Ascension est ici accentuée par un sens du détail incroyable qui nous laisse admiratif devant chacune des pages. Ceci dit, chaque choix opéré par le mangaka a du sens, aussi le fait de rendre efféminé Charles-Henri et un autre personnage renforce leur innocence là où les adultes pervertis ont l’apparence d’homme matures et plus virils. A côté de ça, la mise en scène est souvent impressionnante et véhicule de nombreux messages. Outre les détails apportés tant aux personnages qu’aux décors, on retient la manière de dépeindre un élément pour le justifier du point de vue du héros. Ses parents sont représentés comme des êtres de l’ombre étant donné la vocation qu’ils cherchent à lui imposer tandis qu’un autre personnage qui saura apaiser son cœur présentera une atmosphère plus douce, presque poétique. En plus d’avoir un trait frôlant la perfection, Shinichi Sakamoto ne laisse rien au hasard, et c’est bien ce qui rend son style riche et savant.


Delcourt nous propose une édition de qualité. Outre la traduction efficace de Sylvain Chollet qui est cohérente par rapport au contexte historique, on retient le papier de qualité, que ce soit pour les pages ou la couverture, qui donne beaucoup de noblesse à cette série qui en fait preuve. A ceci s’ajoutent quelques pages en couleur qui viennent combler l’absence de suppléments, car avec un tel contexte, il y avait beaucoup d’éléments explicatifs à apporter en aval de notre lecture.


Titre particulier s’il en est, Innocent est une série qui pique notre curiosité pour son histoire et son protagoniste, mais qui captive réellement par le talent graphique de l’auteur et son sens de la construction de ses pages. La première impression est plus que correcte et c’est avec un grand plaisir que nous découvrirons au fil du temps la vie de Charles-Henri Sanson. Notons d’ailleurs que la série se découpera en plusieurs « saisons » et que dans sa globalité, l’œuvre devrait être très riche.


Critique 3


L'ennui quand on est l'auteur d'un chef-d'œuvre, c'est que le lectorat s'attend à ce que les travaux qui suivent soient au moins du même acabit. Auteur de Kiomaru, de Nés pour cogner et surtout d'Ascension, Shin'ichi Sakamoto revient chez Delcourt avec Innocent, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est attendu au tournant...


Ne serait-ce que parce que le synopsis a le mérite d'intriguer. Sakamoto propose avec Innocent une adaptation du roman Shikei shikkônin Sanson de Masakatsu Adachi, retraçant la vie de la lignée des Sanson, et plus particulièrement du plus fameux d'entre eux, Charles-Henri Sanson. Ce dernier n'est autre qu'un des bourreaux officiels des hautes œuvres de Paris, avec à son actif près de 3000 victimes, dont Louis XVI, Danton ou encore Robespierre, ainsi que premier exécuteur à avoir utilisé la guillotine. Bref, une figure mythique de l'histoire de France.


L'intrigue débute en 1753, à l'époque où le jeune Charles-Henri, aîné de sa fratrie alors âgé de quatorze ans, va devoir assister son père dans sa tâche de bourreau malgré le dégoût prononcé que la tâche lui procure.


Le manga nous présente un contexte familial strict où chacun des enfants est dès la naissance destiné à une fonction précise, bourreau pour les hommes, compagne de bourreau pour les femmes. Si la majorité des personnages de la famille ne font pour le moment office que de figurants, trois sortent du lot. Charles Jean-Baptiste Sanson, exécuteur officiel des hautes œuvres de Paris actuel, individu froid aux traits durs, effectuant son devoir sans haine ni passion (« Par la toute-puissance de l'habitude »), qui ne se révèle pour le moment que très peu. Anne-Marthe Sanson, mère de Charles Jean-Baptiste et éminence grise faisant figure d'autorité au sein de la famille, pour le moment seulement mise en avant à travers ce rôle de femme influente et efféminement méprisable. Enfin nous est présenté Charles-Henri Sanson, dans son rôle de jeune homme tourmenté à l'idée de devoir manier l'épée de justice qui lui est destiné. Le personnage reste difficile à cerner, il semble animé d'une volonté forte, mais demeure finalement très passif, et se laisse balader sans trop de résistance malgré quelques coups d'éclat qui tranchent avec le reste de son comportement. Un personnage prometteur, seule la suite de l'histoire nous permettra de savoir si son développement est une réussite.


Un dernier personnage nous est présenté en la personne de Jean de Chartois, fils du comte de Chartois. Ce personnage ainsi que tout ce qui l'entoure constituent les points négatifs de ce premier volume. Dès son apparition, bluffante graphiquement, mais un brin ridicule scénaristiquement parlant, à par sa relation surfaite et trop vite expédiée avec Charles-Henri en passant par son comportement dans les cachots, ce bel éphèbe efféminé n'apporte malheureusement rien de bon à l'histoire si on excepte le côté visuel (exception faite de la première case de la page 120, celle-là on l'oublie). C'est d'autant plus dommage que ce début de relation homosexuelle est loin de jurer avec les mœurs des hautes sphères de l'époque, et aurait pu constituer à la fois un « témoignage » historique et une belle histoire d'amour. Le tout n'est finalement utilisé que comme une grosse ficelle servant de jalons à l'évolution psychologique de Charles-Henri, dommage.


Traiter d'un sujet aussi pointu (d'autant plus pour un japonais) que la famille Sanson exige un certain taux de connaissances sur le sujet, et on est en droit de se demander si les éléments relatés dans Innocents sont véridiques. Après avoir fait quelques recherches sur le sujet (ce qui se limite en toute honnêteté à quelques sites web, je n'ai pas fait de thèse sur le sujet), il semblerait que dans sa globalité, le récit se base sur des faits avérés. Mais pas que, partant d'une base historique bien réelle, Sakamoto édulcore bien évidemment son récit pour en faire une œuvre capable de tenir le lecteur en haleine. Que ce soit, car il n'existe que peu d'informations précises sur la vie des Sanson ou parce que la réalité est trop rarement captivante pour être retranscrite telle quelle, le récit n'en demeure pas moins crédible dans sa représentation d'une des facettes de la période des lumières. On s’intéresse très peu au « bas peuple » pour le moment, et c'est avant tout dans les milieux aisés qu'évolue l'intrigue, un contexte qui, on le sait, fait rêver bon nombre de japonais (il n'y a qu'à voir certains groupes de visual key pour s'en assurer). Sakamoto n'entre pourtant que très partiellement dans le piège du fan-service gratuit (même si on imagine bien que les véritables personnes n'étaient pas aussi exagérément belles), ce qui ne veut en aucun cas dire qu'il ne s'applique pas pour insuffler à ses personnages cette classe folle dont il a le secret.


Car si certains points du scénario peuvent s'avérer décevants, les graphismes sont tels qu'on s'en souvient de la fin d'Ascension : magnifiques. On retrouve l'incroyable finesse, les fourmillements de détails, les doubles pages à couper le souffle, et tout ce qui fait de Sakamoto l'un des dessinateurs les plus talentueux de sa génération. On se souvient qu'il avait décidé de supprimer les onomatopées vers la fin d'Ascension, principe qu'il poursuit ici, toujours dans sa volonté de « dessiner le son ». C'est encore une fois un succès, les onomatopées ne manquent en rien. On retrouve également les métaphores graphiques, qui ne sont pas encore légion, mais s'avèrent efficaces lorsqu'elles sont utilisées.


Constat un peu plus mitigé au niveau du découpage, tantôt d'une fluidité parfaite, tantôt mal géré au niveau des transitions.


Un petit mot également sur l'éventuel souci éthique que la thématique peut soulever. Malgré quelques passages un peu durs qui écartent d'emblée un public trop jeune, le manga ne sombre aucunement dans l'excès de violence, et parvient pour le moment à traiter de thèmes durs avec subtilité en abordant les choses sans trop les expliciter, que ce soit au sujet de sévices physiques ou morales.


L'édition de Delcourt est de bonne facture à tous les niveaux, mais l'on aurait apprécié un appendice avec quelques explications sur les personnages réels.


Ce premier tome d'Innocent est une bonne entrée en matière. Époustouflant graphiquement et efficace au niveau du scénario, il introduit l'univers de la série de fort belle manière malgré quelques grosses maladresses qui, on l'espère, s'effaceront avec le temps.




Critique 3 : L'avis du chroniqueur
Luciole21

16 20
Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Alphonse
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs