Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 08 Octobre 2024
Gundam est un nom presque sacré au Japon, mais qui, paradoxalement, semble presque anecdotique dans nos contrées. Plus célèbre saga de robots géants sur l'Archipel, loin devant Evangelion ou Goldorak (la notoriété particulière de ce dernier étant d'ailleurs une spécialité française), l'œuvre est initialement une série animée de 1979, réalisée par Yoshiyuki Tomino au sein du studio Sunrise. À l'époque, elle a bouleversé les codes du genre et l'industrie de l'animation comme aucune autre œuvre avant, laissant derrière elle un puissant héritage pour son secteur. Gundam a ensuite eu droit à des suites, des spin-offs, des films, voires des histoires totalement indépendantes (les fameux univers alternatifs accessibles à tout nouveau fan). Si on retient surtout les œuvres d'animation comme étant les récits principaux, c'est tout un pan manga de Gundam qui s'est développé en parallèle, un univers si fourni qu'on y trouve à boire et à manger, mais qui nous a laissé des créations à la qualité indiscutable. En France, après moult tentatives d'introduction, Gundam s'est enfin fait une petite place, bien que minime, grâce à ses œuvres animées disponibles sur les différentes plateformes SVOD ainsi que ses éditions physiques chez All the Anime. Du côté manga, nous en étions restés aux échecs des publications proposées essentiellement par Pika. Mais ça, c'est de l'histoire ancienne, puisque les éditions Vega-Dupuis amorcent le lancement d'une véritable collection Gundam grâce à son opus le plus iconique : Mobile Suit Gundam - The Origin. Fruit d'un partenariat avec le mastodonte nippon Kadokawa, le projet est ambitieux et démarre en grande pompe, avec une édition des plus luxueuses.
Publié entre 2001 et 2011 dans le magazine Gundam Ace, Mobile Suit Gundam - The Origin fait le pari fou de reprendre la série principale dans toute sa richesse, sans chercher à la résumer. Au contraire même puisque son intrigue va encore plus loin et développe un long flashback de 6 volumes pour narrer les origines du conflit principal, mais aussi la jeunesse de son antagoniste le plus marquant : Char Aznable. Pour honorer un tel projet, qui de mieux que le character-designer originel de la saga qui, depuis 1979, a aussi évolué en tant que mangaka de légende ? Yoshikazu Yasuhiko a mené cette série de 23 tomes auxquels s'ajoute un 24e opus composé d'histoires courtes ainsi que trois guidebooks. Loin d'être un pur produit marketing, Gundam The Origin est une démarche d'auteur pour un résultat qui a fait date dans l'histoire des mangas de robots géants. Cette sortie dans nos contrées intervient à un moment exceptionnel concernant le mangaka, à l'heure où "Yas" (son sobriquet si doux dans le cœur des fans) est honoré par les sorties ou ressorti de ses œuvres phares aux éditions naBan. Nous avons pu savourer Arion et Venus Wars précédemment, aussi Gundam The Origin est une troisième œuvre du maître que nous pouvons (re)découvrir dans un laps de temps assez court. Jeanne et Jésus, relectures historiques par l'artiste, suivront dans quelque temps. Pour quiconque est amoureux du crayon du vétéran (c'est le cas de votre serviteur), nous pouvons chérir la période actuelle.
Mais avant de parler de l'œuvre et du premier tome en eux-mêmes, un petit (long) mot sur l'édition. Gundam The Origin est un manga déjà publié aux éditions Pika entre 2006 et 2019, sous sa version simple en 24 tomes. La sortie française fut un bide retentissant, malgré une communauté de fans grandissante année après année. Alors, pour publier de nouveau la série, des réflexions s'imposèrent. C'est le format deluxe qui fut privilégié par Vega-Dupuis qui part d'un matériau préexistant : l'édition similaire sortie chez l'éditeur américain Vertical Comics qui compile les 24 opus initiaux en 12 volumes doubles au format agrandi et en reprenant les pages couleur de la prépublication. Au Japon, un format deluxe est lui aussi sorti avec le même nombre de volumes, mais arbore des couvertures différentes.
Quitte à faire dans la deluxe, Vega-Dupuis y est allé à fond : couverture cartonnée épaisse, papier "BD" solide de qualité, reliure sur dos cousu... l'édition proposée est de grande qualité, indéniablement. Une qualité qui a un prix, celui de 29€ par tome. Acquérir Gundam The Origin aura un prix, mais garantira l'édition ultime de l'œuvre, quitte à la rendre un peu moins accessible. Pour rééditer une telle série, il n'existe pas de solution miracle et parfaite. La proposition de Vega-Dupuis a de quoi faire parler, mais elle n'est pas forcément absurde. Chacun sera donc juge.
Cette très longue introduction étant faite, abordons ce premier volume. Que raconte le début de Gundam The Origin, et quelles sont ses forces ?
Nous sommes dans une nouvelle ère, le Siècle universel. Voilà des décennies que l'humanité a établi sa conquête spatiale, en créant notamment des colonies sous forme de gigantesques cylindres à l'intérieur desquels l'environnement terrestre est recréé. Là-bas, les colons spatiaux ont entrepris une nouvelle vie comme ils la menaient sur la planète bleue. En l'an 79 de ce calendrier, l'une des colonies s'est autoproclamée Principauté de Zeon et a lancé une guerre d'indépendance contre le gouvernement terrien. À cause des technologies innovantes dont les mobile suits, des robots de combat pilotables et produits en séries, le conflit est devenu meurtrier au point de décimer la moitié de l'humanité. Un nouveau tournant s'apprête à marquer la guerre, et celui-ci aura lieu sur Side-3, une colonie paisible en apparence, mais où la fédération terrienne a développé en secret de nouveaux engins de combat. Parmi eux, le Gundam, un mobile suit aux performances exceptionnelles. Les hostilités débutent sur Side-3 quand un escadron de Zeon pénètre la colonie afin d'enquêter sur ces nouvelles technologies terriennes. Le combat ne tarde pas à débuter, et les civiles sont les premières victimes collatérales. Dans ce cadre, le jeune Amuro Ray va voir sa vie chamboulée quand il arrivera presque par inadvertance aux commandes du Gundam. Lui et une poignée d'autres civils et de militaires novices sont alors propulsés dans un conflit qui les dépasse totalement...
Souvent présenté comme le Saint Graal des mangas Gundam, The Origin n'usurpe pas sa réputation avec ce premier volume. Sur près de 450 pages (qui couvrent donc les deux premiers tomes), ce sont les prémices de cette histoire riche et complexe, celle de Mobile Suit Gundam premier du nom, qui nous sont contées. Une amorce toutefois remaniée par son auteur, puisque Yoshikazu Yasuhiko ne cherche pas à simplement singer le cours de la série originale, mais plutôt d'en proposer une vision qui lui semble plus logique. L'exemple le plus marquant vient de la rencontre entre deux personnages, Char et Sayla, qui intervient bien plus tard et dans un contexte propice, où l'intensité déjà présente est encore accrue par cette rencontre. Et, surtout, amener cet événement plus tard permet au lecteur de se concentrer sur le cadre, l'univers et sur les premiers personnages, puisque les données ne manquent pas dès le début de l'intrigue. Fidèle au récit initial, The Origin ne prend pas son lecteur par la main. Une rapide accroche vient planter un contexte très sommaire, puis c'est au lecteur de comprendre et se saisir de la terminologie qui vient appuyer la densité des rapports conflictueux entre les deux camps opposés : la Fédération terrienne d'un côté, et les spacenoïdes de Zeon de l'autre. Pour un lecteur qui découvre Gundam et son Siècle universel, ce premier tome impose un petit temps d'adaptation. Quant à celui qui connait déjà les rouages de cet univers, il ne reste qu'à apprécier le déroulé des événements, les potentielles différences avec l'anime et ses films, et bien entendu l'esthétique de Yoshikazu Yasuhiko, si puissante et personnelle.
Mais concrètement, quelles sont les forces du début de The Origin ? L'intrigue réussit d'abord son entrée en matière en reprenant les forces de l'anime de 1979. Ainsi, plus qu'un pur récit de robots géants qui se tapent dessus, Gundam est avant tout le récit d'une guerre tragique qui va implique une poignée de jeunes gens malgré eux, tantôt civiles, tantôt soldats novices. Le Gundam n'est finalement qu'un personnage secondaire dans ce manga très orientés sur sa géopolitique auxquels se greffent des drames humains déjà percutants. Car de cette guerre entre la Fédération et Zeon, dont le tournant nouveau est marqué par les événements de ce premier volume, découlent des tragédies qui vont révéler toute la richesse thématique de Gundam The Origin. La guerre dans toute sa saloperie est l'un des éléments centraux et universels, incluant l'injustice des morts civiles et des jeunes protagonistes qui doivent endosser le lourd fardeau du conflit, mais les histoires personnelles des personnages constituent une facette forte de ce démarrage. À commencer par le héros, Amuro Ray, qui n'a rien d'un vaillant pilote, loin de là. Pour certains, il apparaîtra même irritant tant son manque de volonté à piloter le Gundam créer une rupture avec l'idée qu'on peut se faire du protagoniste d'une série de robots géants. Non, Shinji n'a rien inventé en refusant de monter dans l'Eva. Amuro est un exemple parmi tant d'autres, et Char est l'un d'entre eux. L'antagoniste brille de son charisme et semble déjà voué à ses propres histoires personnelles qui évolueront au sein de ce conflit. En somme, les idées dramatiques présentes dans ce premier ouvrage n'ont rien de nouveau aujourd'hui, mais elles sont suffisamment bien dosées et intégrées dans un contexte plus vaste qu'elles deviennent des points d'intérêt forts. The Origin, sur ce début, est donc un excellent avant-goût de ce qu'est Gundam au sens large : une œuvre portée par ses personnages et ses tragédies humaines, et un récit qui parle de l'Homme et de la Guerre plus que des robots eux-mêmes.
Pourtant, les batailles entre entités mécaniques sont nombreuses, et la touche de Yoshikazu Yasuhiko leur confère un charme indéniable. Ne nous mentons pas : si Gundam The Origin est passionnant grâce à ses personnages, le manga reste aussi saisissant pour ses scènes d'action habilement grattées par son auteur. "Yas" est un véritable maestro visuel qui développe sa patte à travers des moments de frénésie dont le charme est garanti par la lisibilité. Les lecteurs ayant découvert Venus Wars cet été resteront en terrain connu dans cet aspect visuel, tout en sachant que The Origin est une œuvre plus contemporaine, et que le savoir-faire de Yoshikazu Yasuhiko s'est encore perfectionné entre temps. L'action de ce premier tome est aussi belle qu'époustouflante, et particulièrement intense grâce aux segments dramatiques que nous avons déjà appuyés. Les deux aspects de l'œuvre ne vont pas l'une sans l'autre et forment une excellente complémentarité. Ce premier opus le prouve déjà.
Alors, seul le prix du bébé pourrait constituer un véritable frein à la découverte de ce premier ouvrage par un néophyte. Gundam The Origin démarre par un premier tome passionnant, qui demandera certes un petit temps d'adaptation pour le profane en matière de Gundam, mais qui sera récompensée par une intrigue aussi rythmée que d'une grande richesse humaine et morale, et par l'esthétique de son auteur qui est aujourd'hui un maître qui n'a plus rien à prouver. Reste que puisque le manga adapte la première série animée, celle par quoi Gundam a débuté, il est l'une des meilleures portes d'entrée vers l'univers. Une édition chère donc, certes, mais belle, et pour une œuvre qui mérite aussi bien l'accessibilité que d'avoir un écrin digne de sa renommée et de sa qualité. Notons aussi que la traduction est entièrement neuve par rapport à celle proposée par Pika dans les années 2000. Jean-Phillippe Dubrulle, aka fondateur de l'association AEUG dédiée à Gundam, aka auteur de l'ouvrage Le phénomène Gundam chez Third Editions, aka le traducteur légitime des œuvres animées et manga de l'univers en plus d'être celui des œuvres de Yoshikazu Yasuhiko, offre ici un texte très pertinent et qui sait mettre en exergue les forces narratives de l'œuvre. Un travail loin d'être anodin sur une série telle que Gundam The Origin, tirée de l'un des morceaux les plus sacrés de l'animation japonaise.