Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 03 Mai 2024
Mangaka ayant commencé sa carrière il y a quelques années avec des histoires courtes pour le prestigieux magazine Comic Beam (histoires qui, d'ailleurs, ont été regroupés au Japon en 2022 dans un recueil que l'on adorerait voir arriver en France), Tôryûmon Takeda est une autrice que l'on a pris beaucoup de plaisir à découvrir aux éditions Ki-oon ces derniers mois avec la première série de sa carrière, le road trip BADDUCKS qui nous faisait suivre la cavale d'un trio de personnages peu commun. Et trois mois après la conclusion en France de cette très chouette première série, la voici déjà de retour dans notre langue avec la deuxième (et à ce jour dernière) série en date de sa carrière, DOGA (aussi nommée "Doga of the Great Arch"), qu'elle a lancé au Japon il y a à peine quelques mois, en octobre dernier, toujours sur le site Web Action des éditions Futabasha où elle avait déjà proposé BADDUCKS, mais qui est initialement bel et bien une création originale pour Ki-oon.
Cette nouvelle oeuvre nous plonge dans un monde fictif, et commence plus précisément à Sotelna, contrée réputée pour sa chaleur et pour être entourée par un vaste désert. C'est là que vit un aristocrate du nom de Yoterda va Sotelnoa, jeune homme normalement voué à être le prochain dirigeant des lieux, mais qui n'aspire actuellement qu'à s'extirper de son statut et du manoir familial pour découvrir le monde, en étant encouragé pour ça par son grand frère Bjork. C'est bien pour ça que, pour la première fois de sa vie, il s'aventure naïvement dans les bas-fonds de Leoure, la cité du désert, et s'y fait très vite mortellement poignarder pour son argent ! Il ne doit son salut qu'à la vieille Moria, une bricoleuse de génie qui, contre une certaine somme d'argent, parvient à le maintenir en vie dans un corps de cyborg, mais seulement temporairement: ce rustique équipement ne tiendra qu'environ un an, tout au plus deux ans avec un peu de chance, si bien que Yoterda semble malgré tout condamné. Le jeune homme garde pourtant un espoir, en croyant dure comme fer à une croyance selon laquelle des sirènes, dans la mer, auraient un pouvoir magique permettant de retrouver son humanité. Mais pour ça, encore faut-il parvenir à atteindre la mer, chose peu aisée quand on a un corps en métal que l'on peine à déplacer et à entretenir ! Mais heureusement pour lui, Yoterda, contre une forte somme d'argent, parvient à convaincre une certaine Doga, orpheline ayant toujours dû se débrouiller par elle-même pour survivre, de l'aider dans se long périple qui risque bien d'être ponctué de nombreux dangers et imprévus.
Après huit jolies premières pages en couleurs nous donnant d'emblée le ton avec un bref aperçu de quelques misères attendant nos héros plus tard, Takeda lance une histoire d'aventure où elle semble en terrain conquis puisqu'elle reprend un peu la recette de BADDUCKS, avec un parfum de voyage, de road trip porté par des personnages principaux peu communs et immédiatement assez séduisants dans leur genre, avec d'un côté un jeune noble réduit à l'état de cyborg et ne pouvant plus faire grand chose seul, et de l'autre côté une Doga d'ores et déjà assez exquise dans son genre: orpheline dès sa naissance, ayant toujours vécu dans la rue, n'étant jamais allée à l'école ni reçu d'éducation particulière (elle n'avait même jamais entendu parler de la mer, c'est dire), elle ne doit sa survie qu'à elle-même, à son fort caractère et à sa débrouillardise à toute épreuve !
Autant dire que l'on a donc ici deux personnages principaux qui, initialement, n'ont absolument rien en commun... hormis, sans aucun doute, une chose: le désir de liberté (déjà très importante dans BADDUCKS, mais d'une manière différente), lui pour échapper à l'existence étriquée à laquelle on voulait le condamner au manoir, et elle pour se sortir de sa situation de grande pauvreté et voir,finalement, d'autres horizons, au-delà de la ville désertique où elle semblait condamnée à rester pour toujours. Cette envie de liberté et de découverte d'un ailleurs, on la ressent déjà bien au fil de ce premier volume, et elle nous promet d'ores et déjà une aventure grisante avec son lot de péripéties et de mystères (ne serait-ce qu'autour de Sotelna qui cache un secret, et du grand frère Bjork qui apparaît clairement louche). Mais dans l'immédiat, nous ne somme encore qu'aux balbutiements de ce voyage, dans un premier tome prenant d'abord le temps de nous faire découvrir le spécificité de la "cité du désert" Leoure, ses grosses inégalités sociales (nombre de pauvres devant y survivre comme ils peuvent, à l'image de notre héroïne), son emblématique arche naturelle inscrite au patrimoine mondial, son architecture...
Et ce dernier point est précisément l'autre force de ce début d'oeuvre: que ce soit dans les architectures, les vêtements, les intérieurs (comme le riche atelier de la bricoleuse Moria), ou les lieux typiques (l'arche comme déjà dit, mais aussi, entre autres, les souterrains de la mine), Takeda a déjà à coeur de nous proposer un travail graphique riche et immersif, qui devrait sûrement varier selon les haltes de nos héros au fil des volumes.
Ce premier tome accomplit donc efficacement son rôle, en posant de façon convaincante toutes les bases, en intriguant facilement sur certains points, et en emballant vite et bien les débuts du parcours communs de deux personnages principaux d'ores et déjà assez truculents. Après la bonne petite surprise que fut BADDUCKS, Tôryûmon Takeda ne devrait a priori avoir aucun mal à nous convaincre à nouveau avec sa nouvelle série !
Côté édition française, la copie proposée par Ki-oon est convaincante: en plus des premières pages en couleurs comme déjà dit, on trouve une jaquette fidèle à l'originale japonaise et où le logo de l'éditeur se fond très bien, un papier ainsi qu'une impression de bonne qualité, une adaptation graphique soignée de Quentin Matias, et une traduction emballante de la part de Damien Guinois.