Cocon - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 05 Février 2024

Les éditions IMHO ont démarré fort leur année 2024 avec la publication, le 19 janvier dernier, d'un manga assez important: Cocoon, renommé dans notre pays Cocon, qui nous permet d'enfin découvrir en langue française le travail de Machiko Kyô, une autrice née en 1980, qui a d'abord travaillé dans l'illustration avant de se tourner vers le manga en ayant notamment été assistante pour Ryo Koshino (auteur connu en France pour le manga Dr. Ashura paru aux éditions Komikku), et qui s'est constituée une assez solide base de fans via son site et ses réseaux sociaux, notamment grâce à sa faculté à dépeindre des tranches de vie tantôt délicieusement légères tantôt très profondes voire dramatiques. Une faculté qui, au fil de sa prolifique carrière durant toujours actuellement (à la fois dans le manga et dans l'illustration), lui a déjà valu de remporter un petit paquet de récompenses.

Cocon est l'un des tout premiers mangas de sa carrière: les 15 chapitres composant cette histoire d'environ 200 pages furent initialement prépubliés au Japon à rythme mensuel, entre mai 2009 et juillet 2010, dans les pages du magazine Elegance Eve, un magazine orienté pour les femmes adultes, reconnu pour le style visuel fin et très personnel de ses artistes, et dont proviennent quelques autres oeuvres publiées en France comme le somptueux "Au fil de l'eau" d'Aoi Ikebe ou les sympathiques "Mes petits plats faciles by Hana" et "Yako & Poko" d'Etsuko Mizusawa (ces trois titres étant parus dans notre pays chez Komikku, là aussi). L'oeuvre fut ensuite compilée en un unique volume broché sorti là-bas en août 2010 et, auréolée d'une belle réputation, eu droit à une nouvelle édition au format bunko en avril 2015. Et à vrai dire, sa réputation est telle qu'on a pu apprendre, il y a quelques mois, qu'une adaptation animée verra le jour en 2025 avec à la réalisation Hitomi Tateno, une ancienne membre de Ghibli ayant participé à l'animation de nombreux films du studio pendant près de 30 ans, de Mon Voisin Totoro en 1988 jusqu'à Souvenirs de Marnie en 2014.

S'inspirant librement de l'histoire de l’escadron Himeyuri, qui était composé de jeunes filles enrôlées comme infirmières à Okinawa pendant la Seconde Guerre mondiale, Cocon nous immisce précisément sur l'une des îles d'Okinawa dans le Japon de la première moitié des années 1940. C'est là que 7 écolières. Il y a San, notre héroïne dont le père et le grand frère sont partis au front respectivement en Mandchourie et dans les îles du sud, Mayu la charismatique nouvelle élève déjà considérée comme le "prince charmant" de leur école pour filles, Hitomi avec son côté francs et ses rêves d'avenir, les jumelles Yuri et Mari, Ecchan la douce et bonne amie de San, et la frêle Hina à la santé fragile. Toutes vivent en tâchant de garder en elles une part d'insouciance, mais certains signes ne trompent pas, à l'image des avions de guerre volant parfois dans le ciel ou de la vaste trace de brûlure dans le dos de Yuri.

Mais voila qu'arrive l'époque où la guerre s'accélère soudainement, en les poussant à devoir participer, sans avoir le choix, aux activités militaires en tant qu'escadron d'infirmières sur l'île, dans un hôpital improvisé au sein d'une grotte où elle devront faire équipe avec un médecin faisant des rondes, deux infirmières et quinze étudiantes en charge des soins. Les sept enfants comptent bien, initialement, accomplir du mieux possible la fonction qu'on leur a données. Elles sont d'abord fières de pouvoir être utiles à leur pays, en pensant qu'une fois la victoire acquise leurs parents seront eux-mêmes fiers d'elles. Mais à quel prix cela se fera-t-il ? Du haut de leurs quelques années d'existence, elles ne pourraient jamais imaginer jusqu'où peuvent aller les affres de la guerre, ni le nombre de vies qu'elles vont voir disparaître et se briser...

Dans sa très intéressante postface, Machiko Kyô affirme avoir voulu penser son drame de guerre comme si une jeune fille d'aujourd'hui rêvait de ce sombre passé après avoir lu un livre de guerre. Et le moins que l'on puisse dire est que c'est plutôt réussi puisque à travers San, l'héroïne principale et narratrice de l'histoire, on a effectivement comme une impression de rêve (ou plutôt de cauchemar), comme si toutes les horreurs qu'elle et ses copines vont traverser ne pouvaient pas avoir vraiment eu lieu tant elles apparaissent atroces.

Pour appuyer cette atmosphère à part, l'autrice joue sur deux éléments pertinents, le premier des deux étant la façon dont elle va tisser, de la première à la dernière page, toute une grande métaphore aux multiples liants autour de la notion de cocon, que ce soit le cocon familial qu'elle doivent prématurément quitter, le cocon insulaire dont elles ne peuvent s'échapper, le cocon des vers à soie régulièrement abordé, et leur propre cocon dont ces jeunes filles vont devoir essayer de s'extirper pour peut-être continuer de vivre et voler de leurs propres ailes, alors même qu'elles ne pourront jamais voler.

Quant à l'autre élément impactant, il s'agit tout simplement des choix artistiques de la mangaka dans ses visuels: Machiko Kyô joue sur des designs humains très simples voire déshumanisés pour les soldats (ils n'ont jamais de visages, s'apparentent juste à des silhouettes interchangeables, ce qui veut tout dire), sur une certaine épure dans les décors (il y a souvent beaucoup de blanc), sur un rendu global un peu naïf qu'elle sait sublimer via l'utilisation de l'aquarelle... et tout ceci ne fait que rendre plus impactant, terrible, atroce, l'accumulation de scènes-choc finissant par avoir lieu (corps mutilés, morts qui s'amoncellent, endroits dévastés...) en n'épargnant aucunement nos si jeunes et innocentes héroïnes. Pour celles et ceux qui ont lu ce très bon manga, on peut dire que la démarche est un petit peu similaire à celle de Peleliu (éditions Vega-Dupuis), où l'auteur joue sur un style visuel faussement naïf et simple pour mieux mettre en avant les atrocités du conflit et la folie des hommes. On peut aussi penser, bien sûr, à Dans un recoin de ce monde et Le Pays des Cerisiers de Fumiyo Kouno, des oeuvres indispensables récemment rééditée par Kana.

Derrière sa couverture qui apparaîtrait presque douce et colorée si le bas du pantalon de San n'était pas tâché de sang, Cocon se présente comme un récit coup de poing, devant lequel il est impossible de rester insensible, tant la tonalité et le style visuel adoptés par Machiko Kyô frappent fort pour croquer, avec une émotion non-forcée, des portraits d'âmes innocentes bafouées par la guerre et par la folie humaine. A ranger directement parmi les incontournables du genre.

Côté édition, le travail proposé par IMHO est très satisfaisant: la couverture reste proche de l'originale japonaise, le grand format est appréciable pour ce genre d'oeuvre, le papier est souple et assez épais malgré une légère transparence, le lettrage est sobre et propre, et la traduction de Malou Micolod est toujours très juste, surtout quand il s'agit de faire ressortir le statut d'enfant de San et des autres et de mettre en lumière la métaphore du cocon.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs