Club des divorcés (le) Vol.2 : Critiques

Rikon Club

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 23 Mars 2016

Second, et pour ainsi dire, dernier ouvrage contant les poignantes historiettes de cette inspiratrice des nuits tokyoïtes qu’est Yûko. A raison des troubles que traverse le pays, les choses ne s’arrangent pas vraiment pour son club, ses affaires : boucler les fins de mois, payer ses salariés et s’occuper de sa fille devient difficile, presque impossible ; mais, même s’agirait-il de l’adversité absolue, elle n’est bien évidemment pas de celles et ceux à baisser les bras : elle remue ciel et terre, encore et encore, pour, en quelque sorte, tenter de renaître de ses cendres.

Alors que le premier livre laissait nombre de questions en suspend, celui-ci en apporte certaines réponses, de manière plus ou moins partielle : en approfondissant les personnages et les relations qu’ils peuvent entretenir. Et, en bon romancier, Kazuo Kamimura aborde cela à travers la thématique du temps : les souvenirs ressassent dans l’esprit de Yûko, du jeune Ken, voire même des clients ; leurs personnalités se restructurent. A cela vient se greffer trois constantes déjà observées lors du précédent tome, et décidément chères à l’auteur : l’alcool, le tabac et le sexe : autrement dit, les addictions ; car l’humain est un être addictif et que, en l’espèce, malheureusement, ce triangle-addictif est une architecture-fardeau de la vie de Yûko : une composante quasi consubstantielle, mais aussi récurrente de cet univers.

Si la première moitié du tome, dans une narration davantage rapide, comme pour en renforcer le sentiment de fatalité, nous fait le récit, tant bien que mal, des ébats et débats de Yûko afin de refaire peau neuve dans les affaires, la seconde moitié, plus posément, en consacre une relative résurrection. L’auteur se fait un tel plaisir d’apporter de l’espérance professionnelle à celle-ci qu’il s’associera lui-même, par clin d’œil, à différentes étapes dudit processus. Il conviendra de noter, aussi, qu’exhale le sentiment selon lequel cette histoire trouve un écho particulier chez l’auteur, probablement, et notamment, à raison de ce que le récit est pétri d’éléments de sa propre existence. Egalement, comme lors du premier livre, l’ambiance ne manque pas de rappeler ces grandiloquentes mégalopoles nocturnes asiatiques, effervescentes et émergentes : un Tokyo d’autrefois qui n’est pas sans évoquer, notamment et dans une moindre mesure, le Shanghaï d’aujourd’hui et autres d’entre-elles : ce qui ne pourra qu’opérer une résonnance particulière chez le lecteur ayant vécu quelque temps dans une de celles-ci.

Il y aurait nombre d’autres choses à dire, à n’en plus finir : ce dessin admirable, épuré et suggestif ; le prisme contemplatif ; les figures de style ; la poésie ; le jeu entre la gravité et la légèreté ; certains partis pris ; l’interrogation permanente ; le rapport à l’argent qui s’en vient moduler les relations humaines ; le traitement du bon et du mauvais dans les différentes facettes de Yûko ; la structure du récit reposant sur l’addition subtile de scènes de la vie de tous les jours ; l’éternel retour ; et cetera : autant de choses agréablement articulées par l’auteur.

Il conviendra néanmoins d’évoquer plus particulièrement le traitement que put accorder Kazuo Kamimura au dénouement de la fin de cette série, en portant brièvement notre regard sur les mécanismes généraux qui lui sont inhérents et, bien évidemment, sans dévoiler les évènements en eux-mêmes. Il pourrait, succinctement ou par raccourci intellectuel, être dit qu’il s’agisse là d’une « fin ouverte », néanmoins,  cela serait maladroit ; voire même insultant à l’égard de l’auteur ; et pour cause, il est livré une conclusion méticuleusement pensée, réfléchie et raffinée. D’abord, et dans le cadre de cette fin, l’auteur fait se succéder les figures de style ; notamment, il accompagne les principales évolutions psychologiques de Yûko de métaphores florales, comme il put le faire dans le cadre du mariage, et y procédera à nouveau dans les toutes dernières pages pour nous laisser apercevoir la dernière mue de celle-ci ; laquelle évolution sera relevée d’une ultime note poétique et d’espoir renvoyant directement à la couverture du premier tome. De surcroît, s’ajoute, la bienveillance de l’auteur à l’égard de son héroïne, en abordant subrepticement, et successivement, lors des derniers chapitres, les différentes éventualités de couples, jusqu’à cette abstraction finale, afin de consacrer Yûko, clefs en main, éternelle maîtresse de son destin. Tout cela pour, in fine, et en dépit d’un procédé qui pourra sembler complexe eu égard aux fins habituelles, nous inviter à comprendre l’énième essor à venir de Yûko : quasi magistral.

Enfin, précisons que l’éditeur eut l’amabilité de clôturer cette production d’un amas hétéroclite d’informations s’étalant sur six pages. Un pot-pourri plutôt plaisant  comprenant, notamment, un bref commentaire de Toshiya Morita, dont l’analyse rétrospective, frappée d’un certain pragmatisme, rend l’hommage minimal dû. Tandis que « l’avant-propos » de Stéphane Beaujean, à travers une synthèse personnelle de la vie de Kazuo Kamimura et du contexte d’alors, préesquisse, de manière assez professionnelle, l’environnement de la conceptualisation du « Club des Divorcé », à l’attention du lectorat qui souhaitera s’en saisir.

Ainsi, c’est la gorge serrée que nous refermons la porte maculée du Club des Divorcés et adressons nos adieux à Yûko ; sans manquer de saluer le ciel afin de remercier, comme il se le devait, l’auteur, pour nous avoir livré sa vision : portrait critique, parfois philosophique et souvent poétique, d’un univers autoproclamé, trouvant racine dans les inégalités de fait, lequel portera en exergue l’indépendance transcendante, et toujours grandissante, d’une jeune femme, à la force d’une réflexion et d’une remise en question perpétuelles de soi-même et de son environnement. Aussi, nous constaterons que, probablement, cette série constitue, pour le cas où cela ne serait point encore fait, une entrée privilégiée et opportune dans l’œuvre de ce prolifique maître du gekiga qu’est Kazuo Kamimura. Pour les autres, et avant l’heure, nous replongerons, tête la première et jusqu’à plus d’air, parmi ses autres classiques. 
« Le Club des Divorcés », chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre, n’est autre qu’un de ces bijoux qui transformerait bien des falaises de mangas en palais de pierres.



Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Alphonse
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs