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Boys of the dead : Critiques

Boys of the Dead

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 24 Février 2022

On ne le dira jamais assez: le genre du yaoi a beau souffrir encore parfois de certains a priori, il pullule d'artistes sachant profiter de la plus grande liberté de ton de ce registre pour croquer des récits originaux et visuellement fouillés. Et Boys of the Dead fait sans aucun doute partie de ceux-là, en revisitant à sa manière, sur un ton très sombre, le récit post-apocalyptique de zombie.

Sorti au Japon en un seul volume broché le 26 décembre 2020, cet ouvrage d'un peu moins de 200 pages fut la toute première publication en livre de Douji Tomita, et fut un projet d'assez longue haleine pour cette jeune mangaka puisqu'il lui a fallu deux ans pour en concevoir la totalité pour le compte du magazine de prépublication Canna des éditions Printemps Shuppan, et que cela s'est fait en partie depuis le lit d'hôpital où elle fut visiblement alitée pendant un long moment, expérience qui a par ailleurs sûrement nourri quelques-unes des thématiques qu'elle esquisse dans son oeuvre.

En France, le parcours de Boys of the Dead se veut également quelque peu original, mais dans la droite logique de ce que les éditions Akata apprécient de faire sur certaines oeuvres: le manga fut effectivement d'abord proposé en avant-première numérique, chapitre par chapitre, au rythme d'un chapitre par mois, entre avril et août 2021. Visiblement très intéressé par cette autrice à la patte assez unique, l'éditeur a ensuite décidé de poursuivre l'aventure Douji Tomita en proposant, là aussi en exclusivité numérique, deux de ses histoires courtes de début de carrière: depuis octobre dernier "Dans l'ombre de ton regard" (qui a marqué ses débuts professionnels avec une publication en mars 2018 dans le magazine Afternoon de Kôdansha), et depuis aujourd'hui "Tuer la bête" (proposée elle aussi dans le magazine Afternoon au Japon, en novembre 2018).

Boys of the Dead, comme son nom le laisse assez bien deviner d'emblée, nous plonge dans une Amérique post-apocalyptique particulièrement sombre, où la société semble s'être en grande partie effondrée suite à une épidémie transformant les humains décédés en morts-vivants avides de chair fraîche. Les repères sociaux sont en perdition, l'armée se contente surtout de lâcher des rations de survie ici et là comme elle le peut... et même si certaines personnes tâchent de poursuivre leurs activités normales autant que possible, la morale, forcément, se voit bien souvent bafouée par le désir premier des gens: subsister et survivre.

C'est dans ce cadre chaotique, tout juste esquissé dans les grandes lignes mais suffisamment présenté, que Douji Tomita nous immisce, à tour de rôle, dans le quotidien particulièrement difficile de trois duos/couples masculins qui essaient de s'en sortir comme ils le peuvent. Ici, un barman voit débarquer dans son bar deux hommes qui ne sont pas forcément ce qu'ils semblent être. Là, deux amants passionnés essaient de survivre en récupérant la chair des récents défunts au cimetière. Enfin, un journaliste trouve refuge dans une maison isolée et entourée par un lac, et y rencontre un jeune garçon attendant patiemment son grand frère qui semble l'avoir abandonné.

Bien que chacune de ces trois nouvelles puisse globalement se lire indépendamment des autres, il faut tout de même souligner que Douji Tomita s'applique à les entrecroiser, dans la mesure où certains personnages principaux d'une histoire peuvent être revus en personnages secondaires dans les autres récits, ce qui apporte un peu plus de consistance et d'immersion à cet ensemble choral où tout le monde est dans le même bateau face à l'apocalypse zombie. Et même si chaque histoire reste finalement plutôt rapide, à chaque fois la mangaka y brille pour deux raisons en particulier.

Tout d'abord, sa manière très sombre et assez intime d'aborder son sujet. Ici, pas de lutte acharnée et grandiloquente contre les morts-vivants pour essayer de survivre ou de trouver une solution, car tout passe avant tout par le portrait intérieur d'hommes qui, pour x raisons parfois totalement immorales (l'inceste et le viol, entre autres, mais aussi la séquestration et, forcément, le cannibalisme), sont en perdition, voire étaient déjà auparavant dans une certaine perdition que l'apocalypse zombie n'a fait qu'accentuer... quand, dans certains cas, certains hommes autrefois en perdition ne voient pas cette apocalypse comme un miracle réglant certains de leurs soucis. Ainsi, entre autres choses, quel est le lien réel entre les deux hommes arrivant au bar et initialement présentés comme des frères ? Que cache en réalité la quête de chair de défunts de Linus et Conor ? Quel traumatisme Linus semble-t-il garder au fond de lui concernant sa mère ? Que cache exactement l'attente patiente et a priori pleine de candeur du jeune Lawrence qui, depuis sa maison isolée, espère toujours le retour de son grand frère ? On vous laisse découvrir les réponses, mais sachez qu'elles sont rarement celles que l'on attend, et qu'elles sont possiblement encore plus noires que ce que l'on pourrait penser... Noires, oui, mais cherchant aussi à faire ressortir la part d'humanité de ces hommes, autant dans leurs pires défauts que dans leurs espoir et dans leurs tentatives de se raccrocher à quelque chose.

Ensuite, la patte visuelle de la dessinatrice, qui pour le coup sort totalement de tous les a priori qui pourraient subsister sur le yaoi. Domita livre un rendu très réaliste, très dur, très mature, doté de designs crédibles et denses, de décors quasiment photographiques quand il le faut, et d'un travail d'encrage et de tramage extrêmement prononcé pour offrir un rendu toujours très noir. De quoi coller très bien à cet univers et à ses thèmes.

On n'aurait clairement pas été contre une longueur plus accrue dans les histoires, ni contre plus d'histoires, d'autant que dans ses pages bonus de fin de tome la mangaka présente quelques idées de récits qui n'ont finalement pas été retenues, et dont certaines auraient pu être très intéressantes. Mais dans l'ensemble, Boys of the Dead a de quoi beaucoup séduire, tant pour son univers très sombre que pour ses héros traités avec une certaine profondeur et pour ses dessins impeccables. Une nouvelle preuve de toute la variété de yaoi, et du fait que ce genre est une véritable ruche de talents.

L'édition française proposée par Akata s'avère particulièrement soignée, en premier lieu pour son papier certes légèrement transparent parfois, mais bien épais et permettant une très bonne impression rendant notamment bien honneur au dessin très noir de Domita. Soulignons aussi la jaquette donnant assez bien le ton et restant très proche de l'originale japonaise, l'excellent travail de lettrage de Tom "spAde" Bertrand, et la traduction très convaincante d'Alexandre Fournier.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction