Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 31 Octobre 2022
Paru en France fin août aux éditions Hana, Bitter Drop est le tout premier yaoi de Suzu Shinomiya à être publié dans notre langue, mais est au Japon la cinquième oeuvre de cette autrice qui a démarré sa carrière en 2015 et qui depuis, se consacre uniquement à des mangas homosexuels entre garçons. Prépublié dans son pays d'origine en 2020-2021 au sein du magazine Ihr HertZ des éditions Taiyô Tosho, celui-ci se compose de 7 chapitres : le one-shot d'origine "Bitter drop" (un chapitre d'un peu moins de 40 pages), sa suite directe "Sugar drop" (5 chapitres pour un petit peu moins de 160 pages), et un bonus de 10 pages, "After drop", exclusif au tome broché. Ce qui nous fait un total d'environ 210 pages pour ce livre.
Tout commence ici lorsque Haru Kuze, un adolescent en première année de lycée, surprend son frère jumeau Kô dans les bras d'un camarade de classe, Shiba, en qui il semble tenir profondément... à vrai dire si profondément qu'il avouera ensuite à son frère ne pas oser aller plus loin pour préserver sa relation à part avec Shiba. Haru peine à comprendre pourquoi Kô peine à vivre son amour, en particulier pour une raison: lui-même n'est jamais vraiment parvenu à s'attacher à quelqu'un au point de vivre une relation aussi à part aussi forte. Et ça le rend un peu jaloux. Pourtant Haru plaît: il est beau, si bien qu'il attire beaucoup de filles. Mais il semble n'avoir que ça pour lui, tant il se montre détaché et dépourvu de sentiments quand il accepte de sortir avec ces filles. Le premier chapitre du tome, "Bitter Drop", se révélera alors particulièrement intéressant dans sa manière de décortiquer ces deux frères totalement opposés en matière de relations, et en particulier Haru qui, petit à petit, prend conscience qu'il ne comprend pas la notion d'amour, qu'il est jaloux de son Kô car il sait créer des liens forts, et qu'il ne possède que des amitiés superficielles, des amours superficiels, une vie superficielle...
Mais tout va peut-être changer pour lui le jour où, deux ans plus tard, il se retrouve dans la même classe que Sôsuke Kazama, un garçon avec qui il avait déjà brièvement échangé à l'époque de ses tourments en première année. Avec sa carrure assez imposante, et en tant qu'ancien meilleur joueur du club de baseball avant qu'il n'arrête cette activité, Kazama est plutôt populaire, alors même qu'il est très peu bavard. Mais derrière le mutisme apparent de cet adolescent, Haru va surtout découvrir un garçon qui, dès qu'il ouvre la bouche, est franc et honnête, pas comme lui. Bien sûr, à partir de là nous n'en dirons pas beaucoup plus afin de ne pas spoiler, même si l'histoire est prévisible. Contentons-nous de signaler que l'on suivra avec intérêt les avancées relationnelles de ce duo qui se lie vite d'amitié, puisque Haru se met à parler régulièrement à Kazama. La mangaka ne manquera pas de nous faire découvrir le fond d'un Kazama qui connaît en réalité Haru depuis bien plus longtemps qu'il ne le pense, et surtout de nous présenter l'évolution d'un Haru qui pour quasiment la première fois s'intéresse vraiment à quelqu'un d'autre, et qui devra apprendre à dépasser sa peur de voir lui échapper ce qu'il veut afin d'être enfin sincère et de vivre pleinement ses sentiments.
A l'arrivée, cela donne une intrigue certes assez courue d'avance, mais surtout très jolie car l'autrice sait développer suffisamment ses personnages, leurs facettes différentes, leurs faiblesses, leurs doutes, en les rendant dès lors suffisamment crédibles et attachants. Et tout ceci, Shinomiya l'appuie avec un dessin franchement beau, où elle accorde beaucoup de soin à ses héros sous toutes les coutures : leurs visages et expressions, leur carrure, leurs gestes parfois soigneusement découpés... Que les vues soient rapprochées avec ce qu'il faut de détails ou plus éloignées, cette poignée de garçon est vraiment bien retranscrite. Quant au cadre exclusivement scolaire du lycée, il est tout aussi soigné quand il le faut, avec des décors réalistes et immersifs.
Cet unique volume nous propose donc une histoire d'amour adolescente certes classique mais particulièrement belle, grâce une patte visuelle très soignée et à un bon travail sur les tourments intérieurs des personnages et de Haru en particulier. Quant à l'édition française, malgré quelques moirages dans l'impression elle est très honnête: le papier est de bonne qualité, la première page en couleurs sur papier glacé est appréciable, le lettrage est propre, la traduction de Vanessa Gallon sonne juste, et la jaquette reste très proche de l'originale japonaise avec toutefois un logo-titre un peu plus épais pour un joli rendu.