Yoshiyuki TOMINO - Actualité manga

Yoshiyuki TOMINO 富野由悠季

Interview de l'auteur

Publiée le Mardi, 03 Septembre 2019

La 20e édition de Japan Expo a brillé grâce à ses trois invités d'honneur que furent Leiji Matsumoto, Gô Nagai et Yoshiyuki Tomino. Chacun d'entre eux, en plus des séances de dédicace, a eu droit aux honneurs d'une grande conférence sur la scène Yuzu. C'est le samedi que le papa de Gundam a rencontré son public français, lors d'une conférence qui a pris la forme d'une séance de questions/réponses avec le public, avant de réserver quelques surprises...


L'événement fut présenté par Jean-Philippe Dubrulle, président de l'Association pour l'Essor de l'Univers Gundam mais aussi traducteur de certaines séries Gundam pour Crunchyroll, dont G Gundam. La traduction a été assurée par Nicolas Priet, interprète qui a suivi Yoshiyuki Tomino sur tout son parcours lors de Japan Expo.


« Gundam... Beaucoup de choses se cachent derrière ce nom », une entrée en matière aussi énigmatique que le créateur de la saga que nous n'avions jamais pu voir en France jusqu'à aujourd'hui. Suite à cette brève présentation de Jean-Philippe, c'est sous un tonnerre d'applaudissements que Yoshiyuki Tomino est entré sur scène, en compagnie de son interprète. « C'est les 20 ans de Japan Expo et les 40 ans de Gundam. A cette occasion, j'ai enfin pu venir en France. Tout cela, c'est grâce à vous, je vous en remercie profondément. Merci beaucoup » furent les premiers mots du créateur de l'univers Gundam.


Yoshuyuki Tomino n'est pas venu à Japan Expo pour promouvoir ses œuvres, ni même les films Reconguista in G dont la sortie japonaise du premier volet est imminente. Il est venu rencontrer son public français et converser avec eux, aussi c'est une grande phase de questions/réponses qui s'est ouverte.




Vous avez travaillé avec Mamoru Nagano par le passé. Dans l'avenir, aimeriez-vous encore travailler avec lui ?



Yoshiyuki Tomino : Il n'y aura hélas pas d'autres occasions pour travailler avec Mamoru Nagano. Il est devenu trop célèbre, et il s'y croit un peu trop.


J'ai assisté à l'avant-première du premier film Reconguista in G. J'ai beaucoup aimé, c'est très différent du Siècle Universel. Durant tout le film, j'ai trouvé qu'il n'y avait pas de médias représentés, pas de télé ni de chaînes d'information... Est-ce voulu ?


Yoshiyuki Tomino : L'époque durant laquelle se déroule Reconguista in G a été conçue de telle sorte à ce qu'il n'y ait pas de médias. La série est dans un univers radicalement différent par rapport aux autres Gundam. Dans ce monde, l'humanité s'est éteinte une première fois, et elle est encore en train de se remettre debout. Nous ne sommes pas encore arrivé à un stade où les médias pourraient trouver leur place dans la société.


Après 40 ans d'univers Gundam, est-ce que cela vous enflamme toujours de créer de nouveaux personnages et de nouveaux univers ?


Yoshiyuki Tomino : Bien-sûr. Si je n'avais pas cette ambition, vous ne me verriez pas en France à présent.


Avez-vous des projets futurs pour le Siècle Universel, qu'il s'agisse de séries ou de films ?



Yoshiyuki Tomino : Non, je n'en n'ai aucun. Et c'est justement parce que je n'en n'ai aucun qu'il y a cette métaphore de l'extinction de l'humanité dans Reconguista in G.



Avec les moyens actuels d'animation et de production, aimeriez-vous refaire une de vos œuvres Gundam ?


Yoshiyuki Tomino : Il n'y en a pas. Ces œuvres ont déjà la forme que je souhaitais, je ne pense pas qu'il y ait besoin de les refaire.


Quels sont vos personnages préférés parmi ceux que vous avez créé ?


Yoshiyuki Tomino : Il m'est impossible de répondre à cette question... C'est comme si je devais désigner mes maîtresses depuis la scène, ce n'est pas possible. J'aime tous les personnages que j'ai créé.


Je ne pense pas que beaucoup de monde ait vu Zambot 3, mais j'aimerais quand même en parler. Dans une scène, des enfants servent de bombes humaines. D'où vous est venue cette idée ? Était-ce juste pour choquer ? Car cet épisode est humainement très dur...


Yoshiyuki Tomino : Effectivement, c'est une scène extrêmement choquante, et c'est pour cela que je l'ai réalisée. Car si on envisage que l'humanité se lance véritablement dans une guerre, ce genre de choses, hélas, arriverait. Il faut vous dire que vos grands parents ayant vécu une guerre mondiale ont malheureusement assisté à des scènes de ce genre.

Comment vous est venue la conception de la série Space Runaway Ideon ?



Yoshiyuki Tomino : La réponse est assez simple. Avant même que je participe au projet, les designs étaient déjà conçus. Quand je les ai vus, cela m'a tout de suite inspiré l'histoire que vous connaissez. Une petite chose : Je pense en revanche que le concepteur des jouets Ideon ne s'attendait pas à ce que la série prenne cette forme là. C'est une bonne leçon pour les fabricants, ne faîtes pas les jouets avant la série.


Ma question concerne Umi no Triton, d'après un manga d'Osamu Tezuka. Comment s'est passée la collaboration avec Tezuka-sensei ? Sachant qu'il s'agissait de votre première réalisation, comment êtes-vous arrivé sur le projet ?


Yoshiyuki Tomino : Ce projet est né comme cela arrive souvent. L'histoire était déjà décidée, la diffusion aussi. Il y a eu des soucis du côté de la pré-production : le réalisateur a quitté le projet, et on m'a demandé si je pouvait le remplacer au pied levé. Quand je suis arrivé sur la série, j'ai compris pourquoi le précédent réalisateur est parti. La série d'origine n'était vraiment pas très bonne, et c'était assez compliqué comme projet. Comme la diffusion était déjà décidée et que nous devions absolument la tenir, le producteur m'a dit que je pouvait réécrire l'histoire, tant que je réalisais la série. Résultat : Le management a arrêté de nous encadrer sur cette série. Cela m'a permis de la concevoir comme je le voulais, et j'ai été très libre dans la réalisation.

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Vous dîtes souvent que vous n'avez pas réussi à surpasser Hayao Miyazaki. Dans ses films, les personnages féminins sont forts, et c'est un point commun avec vos œuvres. C'est quelque chose que vous maîtrisez très bien. Comment parvenez-vous à créer des personnages féminins toujours forts et intéressants ?


Yoshiyuki Tomino : Il n'existe pas qu'un seul type de personnage féminin, car il n'y a pas qu'une seule femme à dépeindre. La seule chose qu'il faut se dire quand on écrit un personnage féminin, c'est qu'on doit en dépeindre plusieurs, plein. Je vais m'en tenir à cette réponse simple, car ça deviendrait long si je devais dire tout ce que je pense sur le sujet.


Tout à l'heure, on vous a posé une question sur une scène d'attentat, avec des enfants. Je remarque qu'il y a plusieurs thèmes récurrents dans Gundam, au-delà de la science-fiction et des robots, comme la mort et la fatalité de la guerre, montrées de manière très viscérales. Pourquoi amenez-vous régulièrement ces éléments dans votre travail ?


Yoshiyuki Tomino : Au Japon, avant Gundam, les anime de robot et de guerre étaient ce qu'on appelait les « telebimanga », des produits pour enfants. Quand j'ai commencé à œuvrer sur Gundam, j'avais la volonté d'avoir une approche cinématographique. Lorsque j'ai réfléchi aux thèmes cinématographiques qui pourraient marcher dans l'animation, j'en suis arrivé à celui de la guerre qui semblait approprié pour changer d'approche.


Je considère que le cinéma d'animation est un médium qui permet de faire énormément de chose, il est illimité. Je trouve ça dommage que les films d'animation se limitent souvent à un genre de productions, par exemple le genre des films de Miyazaki. La réponse à cette question, je pense que c'est vous tous, ici rassemblés aujourd'hui, qui pouvez la connaître. L'animation comme le cinéma sont des médiums qui permettent à n'importe qui de pouvoir les apprécier, et qui peuvent contenir tous les genres que le public souhaite.

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Je vous remercie d'abord pour ce magnifique univers Gundam que vous avez créé, à travers duquel on peut tous se réunir en tant que passionés. J'ai deux questions : A travers toutes les licences que vous avez créé, laquelle a été la plus difficile à élaborer ? Et laquelle a été la plus facile ?


Yoshiyuki Tomino : Je comprends votre question. Mais, honnêtement, s'il faut vraiment y réfléchir, travailler sur une série animée quelle qu'elle soit est difficile et laborieux. Une œuvre sur laquelle j'ai travaillé qui a été facile à concevoir... Je ne suis pas certain qu'il en existe une. Il faut comprendre que durant la production, il y a toujours un processus où plus la série avance, plus on perd de son énergie mentale jusqu'à atteindre zéro à la fin. J'ai toujours cette frustration de ne jamais pouvoir surmonter ce cap au cours des productions.


Résultat : Quand je pense à l'ensemble de ma carrière, c'est très dur pour moi de voir que Gundam est le plus grand des succès, par rapport aux autres séries.


Vous êtes très souvent associé au mécha et aux robots géants. Aimeriez-vous réaliser une série ou un film d'un autre registre ?



Yoshiyuki Tomino : Effectivement, jusqu'à il y a vingt ans, j'avais ce souhait de pouvoir m'attaquer à d'autres genres. Lorsque j'ai atteint la soixantaine, j'ai pu voir ce que j'étais capable de faire ou non. Je me suis résigné sur le fait que je ne pouvais travailler sur autre chose. Je pense que c'est sur ce point que j'ai perdu face à Hayao Miyazaki.


La séance de questions/réponses avec le public s'est achevée sous les applaudissements, ce qui ne signifiait pas la fin de la conférence. La deuxième partie a accueilli Jean-François Dufour, Président de Japan Expo, sur scène. Ce dernier a remis à Yoshiyuki Tomino un Daruma d'or pour l'ensemble de sa carrière. « Le Daruma est un dieu japonais qui amène le bonheur. C'est l'un des plus beaux que j'ai reçu, je suis très touché » a commenté le créateur de Gundam.

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Un autre événement particulier a marqué cette conférence pas comme les autres. Profitant de sa présence à Japan Expo, la chanteuse miwa a rejoint la scène dans le but d'interpréter le troisième et dernier générique de fin de Mobile Suit Gundam The Origin : Rise of the Red Comet, le remontage télévisé des films Mobile Suit Gundam The Origin qui était en cours de diffusion au moment de Japan Expo (et qui est disponible chez nous sur Crunchyroll). Mais dans un premier temps, pas de miwa sous les projecteurs, malgré l'appel de l'animateur. Taquin, Yoshiyuki Tomino est parti dans les coulisses la chercher, avant de déclarer la fracassante information suivante « Désolé, je ne sais pas chanter ». Deuxième tentative d'appel de miwa sur scène, et cette fois fructueuse.


« Bonjour, je m'appelle miwa » dit la jeune artiste, en français dans le texte. « Elle est nouvelle, veuillez l'excuser » a surenchérit M. Tomino qui ne rate pas une occasion d'apporter de la bonne humeur sur scène. Et justement, l'artiste n'a pu s'empêcher de placer les intervenants sur la scène, empêchant Jean-Philippe Dubrulle de poursuivre sa présentation. « Après tout, c'est vous le réalisateur » a-t-il soulevé, avant que les rires du public suive. Quelques questions à miwa ont eu lieu.


Vous interprétez le nouveau générique de fin de Gundam : The Origin. Comment en êtes-vous arrivée sur cette série Gundam ?



miwa : Je chante actuellement le générique de fin de la série, qui est écrit par M. Sugizo, membre de Luna Sea qui a aussi travaillé avec X Japan. L'idée était de créer une rotation d'artiste féminine qui chanteront pour Gundam, et j'ai l'honneur d'être la première.


Gundam The Origin est une série orientée vers le passé, où on parle des connexions d'antan de Char, Amuro et Lalah. Mais il y a davantage une orientation sur Char. Mon interprétation de la chanson se base sur ma lecture du manga, que j'ai beaucoup aimé.



Chère miwa, je crois aussi savoir que vous auriez un message de la part de M. Sugizo, pour le public français...


miwa : Effectivement, j'ai un message de M. Sugizo pour vous, et je vais vous le lire.


miwa a ainsi saisi une lettre qu'elle a lu, en japonais, au public. Son interprète l'a évidemment traduit à l'assemblée :


« Mesdames et messieurs les fans de France, j'espère que vous appréciez cette année des 40 ans de Gundam, et que vous continuerez d'aimer éternellement cette œuvre qui est un symbole de la pop-culture au Japon. Pas seulement The Origin, mais aussi toutes les séries Gundam. J'espère pouvoir vous retrouver bientôt.

From Tokyo with love, Sugizo
 »


miwa a ensuite poussé la chansonnette pour interpréter "A Red Ray", troisième générique de fin de la série animée Mobile Suit Gundam The Origin : The Rise of the Red Comet.


Passé ce joli moment de musique, Yoshiyuki Tomino a brièvement repris la parole. « C'est aux jeunes d'occuper la place désormais. Moi, le vieux, je reste sur le côté », ce à quoi miwa lui a demandé de venir la rejoindre, sur les devants de la scène. La chanteuse a alors laissé un dernier message pour son public : « Mesdames et messieurs, je suis très honorée d'avoir pu participer à cette célébration du quarantième anniversaire de Gundam, et d'avoir pu interpréter pour la toute première fois A Red Ray, chanson affiliée à Gundam The Origin. Je découvre avec joie que beaucoup de personnes à travers le monde soutiennent la saga, je vous remercie. C'est une énorme fierté pour moi d'être ainsi présente aux côtés du créateur de Gundam, M. Yoshiyuki Tomino. »

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« Le mot de la fin par qui celui tout a commencé », une bien belle manière pour l'animateur d'amener le mot de conclusion de Yoshiyuki Tomino. « Je suis venu en France et j'ai vu que nous étiez nombreux à me soutenir. Je pense que Gundam ressuscitera et continuera, et ceci sera grâce à vous. Je vous remercie énormément. »


Les applaudissements ont repris, suivi d'un ultime dernier mot du papa de Gundam : « Vous êtes venus me voir en ma qualité de créateur, mais je ne peux plus créer. C'est à la nouvelle génération, dont vous faites partie, de créer. Je vous demande de pouvoir continuer. Merci beaucoup. »


C'est sur ces dernières paroles, et sous un tonnerre d'applaudissement, que la conférence s'est conclue.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Vendredi, 01 Novembre 2019

Japan Expo 2019 a particulièrement brillé grâce à ses trois invités phares : Gô Nagai, Leiji Matsumoto et Yoshiyuki Tomino. Ce dernier est ni plus ni moins que le créateur de la saga Gundam, qui fête ses 40 ans cette année, et a réalisé les chapitres phares de la licence telle que Mobile Suit Gundam et ses films résumés, Zeta Gundam, Gundam ZZ, Char contre-attaque, et plus récemment Reconguista in G.


Entre plusieurs séances de dédicace et des interventions sur scène, le légendaire réalisateur a pris le temps de nous rencontrer lors d'une interview durant laquelle il se livre énormément sur sa vision de l'animation, l'évolution de son style, et ses projets actuels...




Vous êtes ici à Japan Expo pour célébrer les 40 ans de Gundam, saga qui ne ressemblait à aucune autre à l'époque, notamment grâce à ses réflexions, par exemple sur l'humanité. A cette époque, aviez-vous rencontré des obstacles dans l'amorce du projet ?


Yoshiyuki Tomino :
On peut dire que durant les 40 dernières années, le Japon s'est ouvert internationalement à un niveau qu'on ne pouvait pas anticiper. Si on revient en arrière au niveau des tendances, il faut savoir que faire une série sur des thèmes internationaux il y a 40 ans, et présenter la diversité de l'espèce humaine, était difficile car les adultes avaient du mal à accepter cette idée.


Cependant, dès lors qu'on a voulu dépeindre une série de robots géants, j'ai voulu voir dans quelles circonstances on pouvait utiliser le Gundam. Une arme d'une telle ampleur ne pouvait être présente que dans une guerre spatiale. Résultat, dans ce genre de climat, il aurait été étrange de ne présenter que des personnages japonais. Dans la cadre de la conquête de l'espace, il a toujours été question de la diversité de l'espèce humaine. C'est pour cela que j'ai dépeint une Terre sur laquelle les races et nationalités étaient toutes unies, et se retrouvaient confrontées au problème de la surpopulation. Le challenge était de devoir surmonter cela. Dès le début du projet, on en est naturellement arrivé à ce type de thématique.


J'ai bien bien eu quelques soucis par rapport à ces thèmes, au niveau de la production. C'était il y a longtemps, alors je ne me souviens pas exactement des détails. Désolé. Mais je peux quand même dire ceci : La génération d'époque qui regardait les anime de robots était constituée d'enfants entre 10 et 15 ans. Il était très agréable de voir ces enfants accepter ces concepts sans aucun préjugés.



Vous venez d'en parler : Parmi les thèmes de Gundam il y a la colonisation de l'espace, mais aussi l'épuisement des ressources terrestres. C'est surprenant, car ces sujets sont toujours présents, et peut-être même davantage d'actualité maintenant. A cette époque, pensiez-vous que ces thématiques perdureraient dans le temps ? Aviez-vous anticipé le côté intemporel de Gundam ?



Yoshiyuki Tomino : Tout à fait, mais il faut remettre les choses dans leur contexte. 15 ans avant la production de la série, un grand congrès à Rome avait déjà alerté sur la situation de la planète et des ressources environnementales. C'est ce congrès qui a posé les bases de ces problématiques. Mon but, avec Gundam, était de mieux transmettre ces messages ainsi que cet avertissement. Je ne considère pas que Gundam ait été le premier à traiter ces problématiques.


Gundam, mais aussi l'ensemble de vos travaux, nous parle des atrocités de la guerre et de son absurdité. Mais de Mobile Suit Gundam à Reconguista in G, en passant par Overman King Gainer, il y a eu des changements dans votre manière de montrer les conflits entre humains. Selon vous, comment cette manière de dépeindre la guerre a évolué ?


Yoshiyuki Tomino : J'ai beaucoup réfléchi sur le thème de la guerre que j'ai développé dans mes premiers projets, et j'en suis arrivé à un stade où je n'ai pas encore trouvé de résolution à ces traitements. J'ai alors pensé arrêter de travailler sur Gundam, mais aussi sur ce sujet. C'est avec ce genre d'idée que j'en suis venu à travailler sur Overman King Gainer, puis sur Reconguista in G.


Plus précisément, mon idée était d'en venir au fait que la guerre ne résout rien, d'où son absurdité. Il me fallait démontrer pourquoi. Mais dans un médium comme l'animation, avec son aspect visuel notamment, j'ai eu la sensation que je n'arriverai jamais à quelque chose de convainquant pour exprimer cette idée.


J'ai longtemps réfléchi au fait que la guerre est peut-être un sujet trop difficile pour un médium comme l'animation. Il me fallait quelque chose de plus propice, et on en est arrivé à King Gainer et Brain Powered qui développent des idées différentes. Mais j'en suis arrivé à un style considéré comme bizarre, et ces deux œuvres n'ont pas connu le succès. C'est pour ça que j'ai été obligé de revenir à Gundam, avec la série Reconguista in G.


Ceci dit, comme je l'ai déjà évoqué, j'ai voulu éviter de transposer la structure de Gundam dans cette série, afin de transcender ce format, et essayer de me retrouver « après » les thèmes habituels de Gundam. C'est comme ça que j'en suis arrivé à l'extinction de l'humanité et de la civilisation, survenue plusieurs milliers d'année avant Reconguista in G. Dans cette série, on voit que l'humanité commence à retrouver la civilisation.

En travaillant sur ce projet, j'ai eu l'impression d'avoir trouvé l'énergie, l'action et les personnages qui correspondent à mon style d'animation. C'est pourquoi j'ai voulu revenir à Reconguista in G en développant les films qui sortent actuellement.


Quand on essaie de réfléchir à la guerre et qu'on essaie de la dépeindre, on cherche à atteindre une notion de réalisme qui peut sembler opposée au vecteur de l'animation. Mais si on n'y va pas à fond et qu'on ne présente pas la dureté de la guerre avec cette animation, on ne montre que des scènes de bataille et on en vient à seulement dépeindre un cirque. C'est un cycle qui se répète, et j'ai senti que continuer amènerait un épuisement de cette thématique qui ne mènerait nulle part. C'est l'une des raisons qui m'ont poussé à arrêté de parler de la guerre en soi.


Lorsqu'on cherche à produire une série d'animation, il faut penser à certaines conditions de base. L'une d'entre-elles, c'est trouver quelque chose qui stimule les enfants encore plus qu'une production live. Mais est-ce que dépeindre la cruauté dans ce médium donnera à ces enfants de l'espoir pour le futur ? Pas vraiment. Et c'est aussi pour ça que j'en suis arrivé au style que j'ai développé dans Turn A Gundam, puis dans Reconguista in G. C'est vraiment l'un des vecteurs qui m'ont mené à ce style de productions.



Justement, concernant votre projet actuel, à savoir les films Reconguista in G... Nous savons que vous aimez travailler sur le format cinéma pour développer vos idées. Vos avez adapté à plusieurs reprises vos séries pour en faire des films d'animation. Dans le cas de Reconguista, quel fut le processus d'adaptation de la série télévisée, pour obtenir les films que nous nous apprêtons à découvrir ?


Yoshiyuki Tomino : L'animation possède beaucoup de possibilités, des facultés de médium qui dépassent celles du film live. Par exemple, on peut modifier et corriger une production animée beaucoup plus facilement. Pour parler des premières séries que j'ai adapté en films, c'est une caractéristique que les producteur d'animation n'avaient pas vraiment réalisé à l'époque. Je pense être l'un des premiers à avoir utilisé cette possibilité de la retouche d'une série pour l'amener plus loin au format cinéma.


Aujourd'hui, on peut dire que les formats films de Mobile Suit Gundam, Zeta Gundam et Ideon sont juste des « digest », de longs épisodes qui résument leurs séries globalement. Mais ça ne sera pas le cas pour Reconguista in G où l'approche est différente. Dans une série télévisée, on la développe au fur et à mesure, mais on ne peut pas faire ça pour un film où tout doit être construit depuis le départ. Alors, la série animée peut servir de pilote qui permettra d'aboutir aux films. Vous me direz que c'est bien gentil, mais que Reconguista in G était censé être fini... Mais concernant différents critères de production, il n'y a eu qu'une diffusion sur le câble, tard le soir, et pas mal d'éléments de cette production ont été frustrants pour moi. Parfois, j'ai l'impression de ne pas avoir développé le concept comme je l'aurais voulu. La version cinéma me permet de recomposer cet ensemble.


Ce n'est donc pas un « digest ». J'ai pris la série animée et le concept, mais je vais aussi les compléter avec de nouvelles scènes et des éléments inédits qui approfondiront l'ensemble. Il s'agira d'une série de cinq films. De plus, les années ont passé depuis la diffusion télévisée. C'est un avantage que l'animation a sur le live action : Quand on veut corriger des séquences d'animation qui datent de cinq-six ans, on le peut, car on garde les données pendant au moins 10 ans. Dans le live, c'est impossible. Les acteurs ont vieilli, et on n'a plus forcément la même structure de production disponible. Résultat : on arrivera à une meilleure œuvre sous la forme de cinq films.


Autre chose intéressantes sur les possibilités de l'animation : on peut changer les répliques. Dans le live, les mouvements des lèvres des acteurs limitent cette possibilité. Je n'ai pas ce problème, ce qui me permet de modifier les dialogues pour un résultat plus intéressant. C'est pour toutes ces raisons que j'ai décidé de recomposer Reconguista in G en cinq films. A mes yeux, c'est la meilleure utilisation possible de l'animation.Une fois que les films seront terminés, j'espère que cette recomposition servira de spécimen et de modèle à d'autres réalisateurs par la suite.


Un dernier point à relever : Je sais bien que cinq films, c'est beaucoup. L'une des raisons est la densité de l'histoire. Mais, surtout, je regarde ce qui se fait dans les franchises cinéma, à travers les bandes-annonces sur internet, et je trouve que souvent que les suites aux opus initiaux sont un peu forcées. On décide parfois de faire des séquelles alors que le concept se limitait techniquement à un seul opus...

Avec les longs-métrages Reconguista in G, je veux montrer que l'histoire est pensée en cinq films et n'aura pas besoin de suite. En ce sens, j'estime de Reconguista est novateur et a le potentiel pour rivaliser avec le live. Hélas, je pense que personne chez Sunrise ne réalise la portée de cette œuvre...



Interview réalisée par Takato. Remerciements à M. Yoshiyuki Tomino, à son interprète M. Nicolas Priet, et aux équipes du studio Sunrise. Merci aussi à Japan Expo pour l'organisation de la rencontre.