CORDIER DE MELLO Jonathan - Actualité manga

CORDIER DE MELLO Jonathan

Interview de l'auteur

Cet hiver, un film documentaire amateur s'est fait remarquer sur la toile, La Genèse de Gundam. Création de Jonathan Cordier De Mello, dont le pseudonyme est Pink Platypus, ce long-métrage revenait sur les fondations de la saga Gundam, autrement dit la première œuvre de la série tout en établissant le contexte d'époque. Aujourd'hui, le réalisateur indépendant travaille sur un deuxième film, cette fois-ci consacré aux premiers titres de la saga Macross, intitulé Do You Remember Macross.

Depuis la sortie de La Genèse de Gundam, nous avons soutenu l'ambitieux travail de ce passionné. Aujourd'hui, tandis qu'une campagne de financement participatif est en cours pour permettre au second long-métrage de voir le jour, nous nous entretenons avec son créateur qui revient sur ces deux projets et sur son parcours.


Bonjour Jonathan. Dans un premier temps, peux-tu te présenter brièvement pour celles et ceux qui ne te connaitraient pas encore ?

Bonjour ! Je m’appelle Jonathan CORDIER DE MELLO, je suis monteur vidéo indépendant et j’ai fondé en 2020 ma société de production Pink Platypus, du même nom que ma chaîne YouTube. Aujourd’hui, je gagne ma vie en tant qu’auto-entrepreneur en réalisant des montages pour le compte d’entreprises tierces, en parallèle de quoi je souhaite produire des documentaires sur l’histoire de l’animation japonaise, à commencer par le genre mecha.

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Avant de te lancer dans la production ambitieuse de films documentaires, ta chaine YouTube proposait des vidéos sur le manga et l'animation plus brèves teintées d'analyses personnelles. Pourquoi avoir choisi l'audiovisuel comme moyen d'expression et de partage ? Cela rejoint-il d'autres passions, voire tes formations professionnelles ?

Ma passion première, celle qui m’anime et me fait lever le matin, c’est le cinéma. En 2015 je me suis installé à Paris afin d’entamer mes études de cinéma. Je faisais déjà du montage, mais mon souhait était de devenir scénariste et réalisateur. Du 13 Août 2016 au 4 Mars 2018 je me suis lancé corps et âme dans la rédaction d’un scénario pour un long-métrage ambitieux – sans doute trop ambitieux. J’ai soumis le pavé de 182 pages à diverses productions, et si les retours étaient globalement positifs et encourageants, ils ne l’étaient pas assez pour envisager un achat. J’ai mis de côté ma « carrière » de scénariste et je me suis concentré sur ma chaîne YouTube « Pink Platypus », où j’avais commencé à poster des vidéos parlant de certaines de mes passions (Pokémon, les Super Sentai, le cinéma, les mangas / animes). J’ai 26 ans, j’ai grandi avec internet et je consomme du contenu YouTube depuis que la plateforme existe : réaliser mes propres vidéos était pour moi une évidence, surtout que je n’ai aucun mal au montage. J’avais déjà réalisé, lorsque j’étais au lycée, une web-série de 3 saisons ainsi qu’un film de 1h30 (dont je préfère taire le nom). Cela étant dit, je restais trop peu actif sur ma chaîne Pink Platypus, j’étais en fait confronté à un problème qui me hante depuis longtemps : mon envie de trop en faire. Ma vidéo sur les Super Sentai ne devait durer que 10 minutes, elle en fait 30. Ma critique de l’anime School Days devait avoisiner les 5-10 minutes, elle en fait 27 – et malgré tout ça, après revisionnage, je reste insatisfait du résultat. C’est un mélange de perfectionnisme mal placé, de frustration et de désir d’exhaustivité qui m’ont mené à une conclusion logique : le format YouTube, avec des vidéos de 10 minutes qui sortiraient régulièrement n’est pas fait pour moi. C’est pour ça que j’ai décidé, en 2019, de réaliser un véritable documentaire de 2h00 sur l’une de mes licences favorites : Gundam.

Ton actualité concerne la production du film documentaire : Do You Remember Macross. Mais avant ça, tu as mis en ligne un premier métrage dédié à la plus légendaire des sagas de robots du Japon, Mobile Suit Gundam. Quel est ton rapport avec Gundam, Macross, et plus largement les œuvres de robots géants ? T'ont-elles accompagné une partie de ta vie ? Quels furent tes premiers contacts avec le « genre » ?

En réalité, je ne me suis intéressé au genre mecha que très tard. D’origine portugaise, mon premier contact avec l’animation japonaise s’est fait très jeune avec Doraemon, diffusé sur Canal Panda, puis en France avec Heidi, un amour d’enfance de ma mère qu’elle a souhaité me faire découvrir. En grandissant, j’ai lu Dragon Ball, j’ai regardé Naruto sur Game One. J’ai alors enchaîné les productions japonaises, en commençant par les Ghibli, puis j’ai remonté le temps jusqu’à découvrir les productions des années 80 et 90. Je m’y suis engouffré il y a 10 ans et je ne suis jamais remonté à la surface ! Adolescent, je suis tombé amoureux d’Akira et de Ghost in the Shell. D’abord amoureux du cyberpunk, j’ai voulu m’intéresser à la science-fiction des années 80 et c’est là que j’ai découvert Do You Remember Love. J’ai remonté le fil des productions mecha jusqu’à arriver à Evangelion et surtout au film The End of Evangelion, qui m’a percuté à un point inimaginable, presque transcendé. Rarement une œuvre m’avait autant secoué : c’était pour moi le 2001 l’Odyssée de l’Espace japonais. En 2017 sont sortis les premiers coffrets All the Anime Gundam. La trilogie originale n’était pas bien cher, je l’ai donc pris pour découvrir cette licence dont le titre m’était déjà connu. Que dire ? Une gifle monumentale. Le troisième film m’a ému aux larmes tellement je m’étais investi dans cette histoire. J’ai directement enchaîné avec Zeta, ZZ, Char Contre-Attaque, The Origin, Thunderbolt… Aujourd’hui encore je découvre Gundam, qui n’a pas fini de me surprendre.


La Genèse de Gundam étonne pour son résultat très sophistiqué. C'est un projet que tu as dirigé seul, bien qu'avec l'aide de différents comédiens de doublage et d’un ingénieur du son. Exercice difficile : Peux-tu nous parler, en quelques lignes, de l'amorce de ce projet, son développement, et éventuellement relater quelques contraintes difficiles à sa concrétisation ?

J’ai récemment publié sur ma chaîne YouTube une vidéo making-of où je reviens sur l’ensemble de la production du film mais c’est, en soit, assez simple. À l’été 2019, j’ai découvert Making Gundam : The Inside Story, un documentaire de la NHK qui présente une succession d’interviews du staff ayant travaillé sur Mobile Suit Gundam, puis sur la trilogie cinématographique. C’était en japonais sous-titré anglais. Sur cette base, j’ai lancé la production du documentaire avec la volonté de faire doubler ces interviews par des comédiens français. J’ai bien sûr effectué de plus amples recherches, acheté un nombre conséquent de documents en provenance du Japon, etc. Mon ambition était de m’approcher, voir d’égaler, la qualité d’une production professionnelle à la Arte. En Mai 2020, alors que plus d’une heure du film est achevée, je me décourage car le résultat ne correspond pas du tout à mes attentes : c’est trop amateur. C’était une période difficile car j’ai perdu mon travail à mi-temps – et je rappelle que j’avais financé ce documentaire de ma poche, me mettant dans une situation économique délicate. Heureusement, j’ai rencontré Nicolas Rouleau qui m’a remotivé. Il est devenu mon ingénieur du son et à partir de Septembre 2020 j’ai repris le film de zéro (seuls les enregistrements des comédiens ont été conservés). En seulement 4 mois j’ai réussi, avec son aide précieuse, à obtenir le résultat que vous connaissez. Avant de publier le film, je l’ai fait valider par l’AEUG (ndt : L'Association pour l'Essor de l'Univers Gundam), qui a eu la gentillesse de m’aider sur quelques correctifs et traductions.

Le 13 Février, La Genèse de Gundam est mis en ligne. Le projet est globalement salué, et attire même l'intérêt de journalistes de presse. Grâce à ce projet, tu fus l'invité d'une conférence dédiée à Gundam lors du Crunchyroll Festival. Tu as certainement eu des craintes avant de publier ce premier documentaire. Avec du recul, quel regard as-tu sur le résultat final et sur les réactions que ton film a suscité ?

Beaucoup de choses m’ont surpris, à commencer par la bienveillance de la communauté mecha, qui m’a accueilli les bras ouverts. J’ai été heureux et fier de voir mon film validé par des passionnés qui étudient le sujet depuis avant-même ma naissance. J’ai été stupéfié par l’engouement autour du projet : 16 300 vues et plus de 300 commentaires sur YouTube avant sa suppression. Bien sûr être invité au Crunchyroll Festival aux côtés de Jean-Philippe Dubrulle qui, plus qu’un modèle, est pour moi le spécialiste Gundam en France, a été l’un des plus grands moments de ma vie qui, disons-le franchement, à radicalement changée en l’espace de quelques mois. Il faut savoir que je suis rarement fier de mes travaux à posteriori – par exemple, avec le recul et après relecture, je comprends mieux pourquoi aucune boîte de production n’a voulu acheter le scénario que j’évoquais tout à l’heure ! La Genèse de Gundam est le premier projet pour lequel je sais que même dans deux ans, ma fierté ne se tarira pas : tout simplement parce que j’ai tout donné. Mon banquier me déteste pour ça d’ailleurs.

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Aujourd'hui, tu travailles sur un deuxième documentaire qui aborde les débuts de Macross, une saga notamment connue chez nous sous l'intitulé Robotech. Peux-tu nous parler de ta réflexion sur le choix de cette série plutôt que des suites de Gundam, ce qui pouvait représenter une suite pourtant logique ?

Comme teasé à la fin de La Genèse de Gundam, j’ai prévu un second film autour de cette licence qui traitera de Zeta, ZZ jusqu’à Char Contre-Attaque ; un projet démentiel en termes d’ambition, j’en conviens. Dès Mars j’ai entamé le travail de recherche, j’ai compilé toutes les interviews trouvables gratuitement sur internet, mais très vite je me confrontais à un problème : le nom de Macross revenait souvent. Mobile Suit Gundam s’est achevé à la télévision en 1980 et le troisième et dernier film récapitulatif est sorti dans les salles obscures en 1983. Zeta n’a commencé sa diffusion qu’en 1985 ! J’avais vraiment le sentiment, en lisant les interviews, d’avoir raté un train. J’aime à penser que l’histoire de l’animation japonaise, du point de vue de la production, est linéaire : un anime va en influencer un autre, qui va permettre la production d’un troisième pour lequel untel à travaillé et va créer le studio bidule qui fera un hommage au premier anime, etc. J’ai alors eu l’ambition – toujours plus démesurée, je sais – de raconter l’histoire de ces productions comme je l’ai découverte : dans l’ordre, comme si c’était une série télé, car honnêtement ça a tout d’une série télé ! Pour être tout à fait franc, mon rêve est carrément de réaliser une série de long-métrages documentaires sur le genre mecha qui se feraient « suite » chronologiquement, jusqu’à parvenir à Evangelion. Avant de passer à Zeta, ZZ et Char Contre-Attaque, il apparaissait donc plus logique d’aborder le cas Macross.

En quelques mots, et sans rien dévoiler de ton documentaire en cours, quelles sont les forces de Macross ?

La première série Macross, peut-être même encore plus que Gundam, est la preuve – s’il en fallait encore une – que non, le genre mecha n’est pas une succession de combats de robots géants. Macross est un drame humain, dans lequel la musique et le triangle amoureux est plus important encore que la guerre spatiale qui nous est racontée. Celle-ci n’est presque qu’un background. L’épisode 4 m’a beaucoup ému : il raconte l’errance d’Hikaru et Minmay perdus dans le Macross, un cuirassé géant de plus de 1200 mètres de long. Sans eau ni nourriture, ils vont devoir survire comme ils peuvent. Finalement convaincu de leur fin inéluctable, ces deux adolescents qui se connaissent à peine iront jusqu’à organiser un mariage factice car ils refusent de mourir sans avoir connu ça. Cet épisode est beau, drôle, tragique, émouvant et illustre la grande force du genre mecha : le robot géant n’est pas une fin en soi, il est utilisé pour transposer visuellement certaines idées, concepts ou émotions abstraites. La première série Macross en est un excellent exemple. Ajoutez à ça une production difficile, débouchant sur un anime imparfait mais au charme certain et un film, Do You Remember Love, incontestablement l’un des plus beaux bijoux de l’animation japonaise, et vous obtenez une œuvre culte, qui devrait appartenir – au même titre que Gundam – à la culture de base.


Pour ce deuxième projet, tu réalises un financement participatif afin de le concrétiser. Cela permet de rappeler que tu as financé tout le premier film de ta poche. Grâce à ce crowdfunding, as-tu pu entrevoir une qualité, peut-être technique, encore plus haute que pour ton premier documentaire ?

En effet, ce second film nécessite un crowdfunding. Déjà parce que je n’ai plus les moyens de financer un film documentaire de 2h00 : l’achat de documents, la traduction et la numérisation en très haute résolution coûtent très cher. Ensuite mon ingénieur du son et les comédiens de doublage étaient bénévoles sur La Genèse de Gundam, ce qui m’a mis très mal à l’aise étant donné la quantité de travail à effectuer. Il est inconcevable pour moi de les faire revenir sans les rémunérer. Au-delà de ça, la qualité sera bien sûr revue à la hausse – même si je souhaite absolument conserver une certaine homogénéité avec mon premier film afin de créer une cohérence au sein de ma « saga documentaire ». Les enregistrements seront effectués en studio, et non plus dans mon 12m2 parisien, ce qui promet une prise de son plus rapide, plus efficace et plus homogène. J’ai fait mon maximum pour garantir un objectif au plus bas : je ne suis par exemple pas rémunéré pour mon travail à l’écriture, à la réalisation, à la narration et au montage. Sans ça, le budget aurait été trop important et impossible à atteindre. J’ai bien sûr contacté beaucoup de boîtes de productions, des financeurs potentiels et même certains ayants-droits : c’est systématiquement resté lettre morte ou refus pur et simple, quant à une éventuelle coopération avec le Japon cela semble pour l’instant impossible. Le crowdfunding est donc la seule solution viable au financement de Do You Remember Macross.

Bien que la campagne de crowdfunding soit en cours, tu as commencé à travailler activement sur son écriture. Là aussi, sans trop nous en dire, peux-tu évoquer son contenu ? As-tu fait des recherches poussées ? Trouvé des informations fortes ?


La rédaction du script a commencé ce 11 Mars. J’ai aujourd’hui 16 pages de terminées, ce qui correspond à un peu plus d’une heure de film (La Genèse de Gundam représentant 28 pages). Il s’ouvre sur une introduction se situant le 3 Octobre 1982, lors de la diffusion des deux premiers épisodes de Macross. J’y fait un résumé de l’histoire jusqu’à l’épisode 27 – concis et avec le moins de spoil possible, mais certains sont malheureusement indispensables à la compréhension du documentaire. S’enchaîne alors le générique de début, après quoi je remonte le temps jusqu’en 1969, aux origines du Studio Nue. Cette partie à été écrite avec l’aide précieuse d’Esteban D'Andrea, avec qui je collabore depuis le 26 Avril. Il étudie le sujet depuis 1999 et a déjà mené de nombreuses recherches. Ensemble nous avons retracé l’ensemble de ses sources et réinvestigué sur cette base. Nous avons établi une chronologie précise, établie mois par mois, de 1969 à 1984 (pour l’instant). C’est un travail colossal, à la rigueur quasi-universitaire, qui m’aurais pris des années sans Esteban. La majorité de ces informations sont inédites chez nous, et certaines sont même pratiquement inconnues sur le sol nippon. Le documentaire situe les évènements dans leur ordre chronologique, de la création du Studio Nue donc, jusqu’à la production de la série Macross, puis de Do You Remember Love et enfin de Robotech, jusqu’en 1987, date que je refuse de dépasser pour ne pas trop charger le film – déjà très fourni en informations et qui sera peut-être même scindé en deux parties de 1h30.

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On croise tous les doigts pour que ta campagne de financement soit un succès. Une fois le projet Macross bouclé, entrevois-tu déjà de nouveaux projets ?


Merci, je croise les doigts également. Ce film, et par extension la « saga documentaire » qui me fait tant rêver, dépend de ce crowdfunding, ajoutant à une pression déjà conséquente ! En cas d’échec je ne renoncerai pas – je me suis déjà trop investi pour abandonner – mais il me sera probablement impossible de sortir le film en 2022 pour les 40 ans de Macross et le projet dans son ensemble sera largement compromis, faute de financement. Si j’y parviens en revanche cela signifiera qu’il m’est possible de produire de tels projets et ce « rêve » n’en sera plus vraiment un. Je pourrais alors effectuer de nouveaux crowdfundings pour les prochains documentaires… Ou pas, si une boîte de production ou un financeur accepte d’ici là, sur la base de mes précédents travaux, de collaborer avec moi, pourquoi pas ! On perdrait cela dit l’accessibilité et la gratuité des films qui me tient tant à cœur, mais tout cela reste encore très hypothétique. Si troisième film il y a il sera beaucoup moins long (de 45min à 1h20) et se concentrera sur Daicon III et IV, jusqu’à la naissance de Gainax. Le sujet est très niche, mais il coûtera bien moins cher à produire. Le quatrième film serait le plus conséquent de tous à ce moment-là et se concentrerai sur Zeta, ZZ et Char-Attaque : il sera donc une suite directe au premier film tout en faisant des rappels constants au second et au troisième. Pour la suite, je ne sais pas encore, je ne me suis pas projeté jusque-là, ahah ! Je rêve de pouvoir mettre en scène, via le genre documentaire, l’histoire humaine, dense, parfois complexe, du mecha et de l’animation japonaise en général, la rendre vivante et accessible. C’est une histoire passionnante et peu connue qui mérite d’être abordée sérieusement. Merci pour cette interview et merci à toutes celles et ceux qui soutiennent le projet !