ARUGA Rie - Actualité manga

ARUGA Rie 有賀リエ

Interview de l'auteur

Publiée le Mercredi, 25 Décembre 2019

Autrice remarquée du shôjo Perfect World traitant avec réalisme du handicap, et avant ça du sympathique one-shot Par-delà les étoiles, Rie Aruga était, pour les éditions Akata, une invitée de choix en juillet dernier à Japan Expo, comme en attestaient ses séances de dédicaces toujours remplies !

Très disponible, la mangaka, en plus de ces dédicaces, tint également des interviews avec différents médias, ainsi qu'une longue et riche conférence publique qui dura environ une heure et où elle répondit aux questions de l'animateur et du public et réalisa un dessin live.

En attendant de découvrir le compte-rendu de notre rencontre en tête-à-tête avec l'artiste, on vous propose aujourd'hui un retour complet sur la conférence.

Celle-ci commença par les questions de l'animateur, avec en interprète Bruno Pham, responsable éditorial d'Akata.



Vous avez gagné le prix GOLD  du 6e concours KissIN en 2011 grâce à votre  histoire courte Tentai Kansoku. Avant ça, vous destiniez-vous au manga, ou pas du tout ?

Rie Aruga : Quand j'étais petite je lisais déjà des mangas, j'aimais beaucoup ça, et je me disais que plus tard j'aimerais bien en faire. Mais en grandissant, je me suis un peu éloignée de ça. Parfois la vie nous éloigne de nos rêves d'enfant. J'ai eu une jeunesse assez commune, j'ai commencé à travailler dans une entreprise. Puis un jour, le manga Nodame Cantabile (ndlr, paru en France chez Pika Edition, mais aujourd'hui en arrêt de commercialisation) est apparu au Japon et a connu un immense succès. Dans l'entreprise, beaucoup de collègues le lisaient, en discutaient, et adoraient ça. Je l'ai alors lu aussi, et ça m'a rappelé mes rêves d'enfant. Je me suis mise à suivre la série via son magazine de prépublication, le magazine Kiss de Kôdansha, et dedans il y avait des appels à concours pour de jeunes auteurs. Tout en travaillant, j'ai repris mes crayons à dessin, et ça a donné Tentai Kansoku.

  

Du coup, comment avez-vous appris le métier ?

J'ai appris totalement en autodidacte. Je ne suis jamais allée dans des écoles pour apprendre à dessiner. Quand j'ai décidé de reprendre les crayons, j'ai acheté des livres de méthode, et j'ai acheté des mangas en regardant le découpage, la mise en scène...


En plus de Nodame Cantabile, y a-t-il d'autres œuvres ou auteurs qui vont ont influencée ?

Je ne lisais pas que des shôjo, je suivais aussi beaucoup de shônen, et dans les titres que j'ai beaucoup appréciés il y a Slam Dunk.


Vous avez donc gagné le concours du magazine Kiss, et c'est ensuite dans ce magazine que vous avez été publiée. Comment se sont passés vos débuts dans le magazine ?

Quand on vient tout juste de devenir professionnelle, on commence par faire des histoires courtes, et du coup dans les premiers temps j'ai fait ça en me demandant quand j'allais enfin pouvoir commencer une série.


Pourquoi avez-vous choisi le magazine Kiss, qui est en premier lieu dédié à un public féminin plus adulte ?

La raison première, c'est parce qu'il y avait Nodame Cantabile dedans. Après, dans le paysage du shôjo manga il y a beaucoup de magazine différents, mais moi je me sentais plutôt de faire des choses un peu plus adultes.


Vous avez donc publié plusieurs histoires courtes dans le magazine Kiss, et puis au bout d'un moment il y en a un chapitre qui fonctionne plus que les autres : le premier de Par-delà les étoiles, mini-série qui finira par en compter 6. Cette première série de votre carrière n'a pas eu de version papier au Japon, mais en France Akata a pu en proposer une. Pour vous, qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans le titre, et que retirez-vous de ça ?

Sa publication a été décidée environ un an après mes débuts professionnels, et j'ai choisi ce sujet-là car je m'intéresse moi-même à l'astronomie. Mais c'est vrai qu'avec du recul, avec l'expérience que j'ai acquise via Perfect World, je pense que j'irais plus en profondeur dans le sujet de l'astronomie, avec plus de recherche, plus de documentation en amont.

  

Après cette expérience, votre tanto vous propose de faire une histoire à partir de deux thèmes : le handicap et l'amour. Vous n'étiez pas particulièrement sensibilisée au handicap à la base. Du coup, qu'avez-vous fait pour vous approprier ce sujet ? Et qu'est-ce qui vous y a plu suffisamment pour que vous ayez envie de faire un manga dessus ?

Effectivement, quand j'ai reçu la proposition du magazine Kiss, au départ j'étais très inquiète, je savais que ce serait un sujet délicat et potentiellement douloureux, je n'y connaissais rien, je me demandais si techniquement je serais capable de l'aborder. J'ai alors cherché à me renseigner un maximum sur le sujet, et au fur et à mesure de ces recherches c'est un sujet qui a vraiment commencer à m'intéresser. D'autant que, même si c'est un peu différent, j'ai longtemps vécu avec ma mère qui avait une maladie assez lourde, donc la question de l'attention et du soin à l'autre m'était familière, et du coup en mélangeant toutes ces choses-là ça a renforcé mon envie et ma conviction de dessiner cette histoire.


Perfect World est donc la série qui a concrétisé ça. C'est votre première série vraiment longue, également vos premiers tomes reliés au Japon, elle compte désormais plusieurs dizaines de chapitres et plusieurs volumes. Comment on fait, du jour au lendemain, pour prendre l'habitude de publier à ce rythme pendant plusieurs années ?

Je crois que je n'ai toujours pas pris les bonnes habitudes, même au bout de 5 ans. Il y a des auteurs bien plus expérimentés que moi et qui soutiennent des rythmes soutenus avec moins de difficultés. Mais moi à chaque chapitre je suis toujours très prises, je suis moins organisée.


Le handicap est un sujet particulièrement sensible. Comment on fait pour parler du handicap avec tact, sans tomber dans la mièvrerie ou le misérabilisme ?

Réussir à trouver le juste équilibre, c'est quelque chose qui m'inquiétait beaucoup. Dès le début, j'ai donc commencé par faire des recherches. Comme j'avais pensé à faire d'Itsuki un architecte en fauteuil roulant, je me suis renseignée dans cette optique, et il se trouve que pendant mes recherches j'ai trouvé un architecte qui était justement dans cette situation, M. Abe, et qui m'a beaucoup aidée pour concevoir la série. Il est devenu un consultant ultra important et régulier, et grâce à lui j'ai appris beaucoup de choses. Par sa situation et ses contacts il m'a également présenté beaucoup d'autres personnes concernées par le handicap, et ainsi j'ai pu recueillir beaucoup de précieux témoignages très variés. C'est à partir de ces témoignages et des sentiments et ressentis qu'ils expriment que je construis l'histoire et que je fais le manga.


Justement, au fil de l'histoire, on voit que c'est planté dans une forte réalité, jusque dans les différentes blessures que l'on peut avoir à cause du handicap : les escarres, les problèmes de moelle épinière, les annonces aux parents, etc... Tout ça est fait sur la base de témoignages, alors comment faites-vous vraiment pour vous mettre à leur place ?

Il y a probablement plusieurs choses. D'abord, il y a le fait que ce ne soit pas un documentaire, mais un manga restant quand même du divertissement, ce qui me donne la possibilité de rendre les choses intelligibles et assez réalistes. Et puis, je ne suis pas toute seule dans le processus de création, il y a toujours cet architecte que je consulte, et mon rédacteur avec qui j'échange beaucoup. On discute beaucoup à trois de l'évolution de l'histoire et de comment les choses peuvent aller. Quand on voit qu'une direction ne serait pas crédible, on évite de forcer les choses pour qu'elles aillent dans ce sens-là, et au contraire on essaie de suivre la manière la plus naturelle dans l'évolution des personnages et des événements.

  

C'est vrai que les personnages sont très naturels et très sensibles. Comment on fait pour parvenir à aller au plus juste au niveau des dialogues et du ressenti des personnages ?

J'implique beaucoup de personnes dans le processus de création. Quand on a des doutes, on en parle toujours ensemble, pour toujours construire quelque chose qui nous semble bien. Et puis, il arrive que j'utilise tel quels des choses que j'ai entendues dans les témoignages, car certains propos étaient très marquants et impactants. Dans le processus de création d'un chapitre mensuel, j'accorde une attention toute particulière à l'étape de l'écriture des dialogues dans le storyboard, et je passe quasiment 2 semaines là-dessus chaque mois.


Pouvez-vous nous dire comment le handicap physique est accepté au Japon ? Est-il facile de vivre au Japon avec un handicap ? Votre manga a-t-il commencé à avoir des influences sur la place du handicap dans votre pays ?

Avant toute chose, je voudrais dire qu'en tant que personne non-concernée par un handicap, je ne veux surtout pas m'approprier la parole. Ce que je raconte vient avant tout des témoignages que j'ai pu obtenir, et il ne faut pas prendre ce que je dis comme une vérité absolue. D'après mes observations, le Japon est très en avance sur l'aménagement universel et l'accessibilité. Avec les escalators, les ascenseurs, les rampes dans le métro, etc, il y a souvent ce qu'il faut. Idem pour les aveugles : il y a souvent des lignes au sol leur permettant de savoir où ils sont et s'ils doivent s'arrêter. Mais reste qu'on peut parler de petites barrières physiques comme les trottoirs, et que du point de vue humain il y a autre chose, il y a encore des barrières psychologiques et mentales entre les individus. Ce que je crois comprendre, c'est que souvent il y a deux sortes de cas. Premièrement, des comportements un peu infantilisants vis-à-vis des personnes handicapées. Deuxièmement, des situations qui à l'inverses sont parfois très distantes, très froides voire cruelles. Egalement, le handicap est quelque chose auxquels les gens ne semblent pas toujours habitués, et c'est probablement pour ça qu'il y a ce type de comportements, comme si les handicapés et les non-handicapés ne pouvaient pas se mélanger. Après, concernant l'impact de mon manga, je pense que la société est quelque chose de très gros, alors dire que ma série a un impact dessus serait exagéré. Je n'ai pas cette prétention-là, et j'espère que si ça peut changer la vie de quelques personnes c'est déjà beaucoup. Ce qui est certain, c'est que ces derniers temps le manga a été adapté au cinéma et en série TV, du coup le public a été élargi, et j'espère que ça a pu aider encore plus de personnes.


Au sujet des aspects sociaux du handicap, justement vous abordez l'acceptation, le regard des autres... Des aspect encore loin d'être parfait alors que la série s'appelle Perfect World. Du coup, pourquoi ce titre ?

C'est vrai que le monde est loin d'être parfait, mais si on se place du point de vue de l'individu, peut-être qu'il faut regarder les choses différemment. Par exemple, la question que j'ai voulu justement évoquer avec ce titre, c'est qu'Itsuki est en fauteuil roulant, mais du coup qu'est-ce qu'une vie idéale pour lui ? Même s'il est handicapé, il a son travail, il peut avoir des amis, peut-être qu'il peut aussi avoir une vie amoureuse... Dans le monde, c'est à chacun de voir la perfection là où il a envie de la mettre d'une certaine manière.


Sans spoiler, dans le tome 9 il y a trois événements marquants, trois choix très importants. Les relations évoluent beaucoup, et le volume 10 va marquer un second cycle. Jusqu'où comptez-vous aller ? Avez-vous une idée précise de jusqu'où vous voulez aller ?

J'ai des idées de ce que j'aimerais faire de la fin. Je ne sais pas si ce sera exactement comme je l'imagine car tout peut toujours évoluer, mais forcément j'aimerais montrer le bonheur de mes personnages et comment ils peuvent vivre de manière heureuse. Après, quand les gens auront fini de lire la série, je voudrais qu'ils se disent que c'était une bonne histoire, que c'était vraiment bien.


Après cette salve de questions, Rie Aruga a présenté quelques planches du nouveau chapitre qu'elle était alors en train de concevoir. Il s'agit de nemu, grosso modo des équivalents de storyboards. C'est sur ces étapes-là qu'elle passe beaucoup de temps avec son éditeur (environ 2 semaines), car il s'agit pour elle d'une étape cruciale pour placer les textes et travailler toute la mise en scène.

  

Une fois que vous avez fait cette étape du nemu, comment travaillez-vous pour dessiner ?

Rie Aruga : Je fais d'abord tout au crayon à papier, puis je les scanne, et avec le logiciel Paint Studio je fais l'encrage, les trames et les autres finitions.


Ces grandes étapes de créations d'un chapitre, combien de temps cela vous prend ?

Entre 10 et 14 jours pour les nemu/le synopsis avec mon éditeur, environ 4 jours pour faire tous les crayonnés/croquis au crayon à papier, et à peu près 6 jours pour le travail numérique (encrage, etc) et le travail avec mes assistants.


Ensuite, Rie Aruga entama un dessin live des deux héros de Perfect World sous les applaudissements, tout en répondant à certaines questions du public.


Comment a évolué votre vision du handicap entre avant Perfect World et après Perfect World ? Et quelle est votre avis actuel sur le handicap aujourd'hui ?

Rie Aruga : Avant de commencer Perfect World, je n'avais personne de concerné dans mon entourage, donc forcément c'était quelque chose que je ne connaissais pas. C'est en commençant Perfect World que je me suis beaucoup documentée. Par exemple, dans le cas de quelqu'un en fauteuil roulant, j'ai compris que ce n'était pas juste le problème de pouvoir se lever ou pas, et qu'il y avait plein d'autres choses autour. Comme déjà dit, j'ai aussi pu rencontrer plein de personnes concernées qui sont devenues plus ou moins proches, et aujourd'hui le handicap est quelque chose qui m'est devenu très familier.


Avez-vous eu peur des retours des personnes handicapées ? Et avez-vous justement eu des retours ?

Trois choses pouvaient éventuellement m'inquiéter. Tout d'abord, la peur de ne pas réussir à maîtriser le sujet avec pertinence, mais pour ça les témoignages m'ont beaucoup aidée. Ensuite, le fait de concevoir ça en shôjo manga : est-ce que j'allais réussir à relier le genre shôjo et le thème du handicap ? Enfin, les retours, mais heureusement ils sont positifs, en me disant que je n'ai pas fait n'importe quoi, même si Perfect World n'est qu'un exemple.

  

Quelles sont vos inspirations pour le design des différents personnages ?

Plus que le design, pour moi c'est vraiment la personnalité des personnages qui les caractérise. A l'origine, les deux héros étaient complètement différents dans la première version du projet. Itsuki s'inquiétait moins de ce que font et ressentent les autres, était plus froid, plus distant, plus comme dans un shôjo classique. Et Kawana était peut-être plus « lumineuse », avait un côté plus héroïque en pouvant tout accepter sans réfléchir. Mais au bout d'un moment, on a bien compris que pour pouvoir faire une histoire réaliste, il fallait les transformer pour les rendre plus crédibles.


Avez-vous été impliquée dans les adaptations en film et en drama ? Qu'en avez-vous pensé ?

Les deux œuvres ont été des demandes assez spontanées des différents studios et sociétés de productions, et du coup, vu que ça vient d'eux, j'ai envie de leur faire confiance et de leur laisser leur vision artistique. Au final, les deux œuvres sont très différentes et complémentaires, ce que je trouve très positif. De mon côté, dans le processus, tout ce que j'ai fait a été de valider les chartes faites au début des projets, ainsi que le choix des acteurs.


Après Perfect World, aimeriez-vous continuer à aborder des sujets un peu sociaux/tabous, ou au contraire faire un manga un peu plus léger ?

A l'origine, en me fiant à mon caractère, ce serait peut-être plus facile au quotidien de dessiner une série un peu plus légère, car j'ai tendance à vivre aussi ce que traversent mes personnages, donc ce n'est pas toujours facile. Mais depuis que je dessine Perfect World je vois bien l'impact qu'un tel sujet peut avoir, donc je me dis que probablement, ce qu'il y a de mieux c'est de continuer à aller dans des choses assez sérieuses.


Avez-vous des assistants ?

Je travaille avec trois assistants. Par contre, par rapport à d'autres mangakas, ces assistants ne viennent pas chez moi, on fait tout par internet. Il y en a deux qui sont sur Tokyo, et un(e) à Nagasaki, du coup ont travail via le net, et on fait aussi des réunions via Skype.


Au sujet de Par-delà les étoiles : avec le succès de Perfect World, peut-être allez-vous pouvoir le continuer ?

De mon point de vue, ce qu'on a fait par le passé dans la vie, ce sont des choses achevées, et on essaie toujours d'avancer. Donc si jamais je dois refaire une histoire sur ce thème, je préfère en faire une nouvelle.

  

D'autres mangakas ont parlé aussi du handicap, comme Yoshitoki Oima avec A Silent Voice ou Takehiko Inoue avec Real. Est-ce que vous vous intéressez à ces autres mangas ?

Il y en certaines œuvres que j'ai lues et d'autres non. Après, je ne connais pas du tout les auteurs. Mais évidemment, je pense que c'est très bien qu'il y ait de plus en plus de mangas mettant en scène des personnes en situation de handicap.


Pouvez-vous décrire votre atelier ?

Mon atelier est très humble et très modeste. J'habite dans un petit appartement avec mon mari, et mon atelier est juste une pièce de cet appartement. Il y a ma table à dessin, mon ordinateur, et plusieurs livres. Essentiellement des mangas, puis quelques romans, et des livres sur le handicap.


Quels types de crayons utilisez-vous pour dessiner ?

Vu que je ne fais que mes croquis au crayon et que je fais les finitions par ordinateur, j'utilise principalement ce sont des stylos à bille premier prix que je vais acheter au convini du coin.


Sur tous les témoignages que vous avez recueillis pour Perfect World, y a-t-il une personne qui vous a marquée plus que les autres ?

C'est difficile de répondre, car chaque rencontre, chaque situation a été unique. A chaque fois, ce sont des choses qui sont fortes humainement. Après, c'est sûr que la rencontre de M. Abe, qui est devenu proche de moi, a été à part, d'autant qu'il est devenu consultant régulier sur la série. Et puis ces derniers temps, une chose qui m'a fait plaisir a été de rencontrer quelqu'un ayant à peu près le même âge qu'Itsuki, qui est en fauteuil roulant et qui a réussi à aller au-delà de ça en trouvant son équilibre et en étant hyper positif et lumineux.


C'est sur cette dernière question et sur la fin de son dessin live que la conférence s'est achevée, sous les remerciements et les applaudissements.

Compte-rendu effectué par Koiwai.

 
  


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Jeudi, 10 Décembre 2020

Présentes lors de Japan Expo, les éditions Akata ont brillé grâce à une invitée d'envergure : Rie Aruga, autrice du manga Perfect World et du one-shot Par-delà les étoiles.


Si le lectorat francophone apprécie énormément le premier titre, le second a aussi un statut particulier chez nous, car sa version physique est inédite à notre pays. Au Japon, il n'est disponible qu'en numérique.


L'artiste nous a fait l'honneur d'une interview, au cours de laquelle elle est revenue sur ses deux titres, leurs développements respectifs, et sa manière de découper son travail. A l'occasion de la sortie du tome 11 de Perfect World cette semaine, nous vous proposons enfin de la découvrir!




Comment êtes-vous devenue mangaka ? Y a-t-il eu un déclic dans votre jeunesse ? Avez-vous suivi une quelconque formation artistique ?



Rie Aruga : Devenir mangaka était mon rêve depuis toute petite. Mais, en grandissant, je me suis éloigné de ce rêve pour travailler dans une entreprise ordinaire.


Un jour, un manga a connu un énorme succès : Nodame Cantabile. Il était très à la mode, même dans l'entreprise où je travaillais. En le feuilletant, je me suis souvenue de mon rêve, et j'ai voulu tenter moi aussi de devenir mangaka. J'ai ensuite proposé une histoire courte au magazine Kiss, qui prépubliait justement Nodame Cantabile.


Le soir, après le boulot, je travaillais mes planches de mon côté. J'ai tout appris par moi-même, sans passer par une quelconque école d'art.



Votre première œuvre publiée en tant que professionnelle est Par-delà les étoiles. Pouvez-vous nous parler de la naissance de cette histoire ?


Rie Aruga : Depuis longtemps, j'aime écrire des histoires d'amour. Comme j'aime aussi beaucoup ce qui touche aux étoiles et à l'astronomie, j'ai voulu inscrire ces thèmes dans un récit romantique. C'est cette histoire que j'ai soumise au magazine Kiss, histoire que j'ai reprise et développé un peu plus longuement pour donner Par-delà les étoiles.


La série est courte, elle équivaut à un seul volume en ce qui concerne notre édition française. Cette courte durée était-elle prévue depuis le départ ?


Rie Aruga : C'est un manga qui est né grâce à un concours de jeunes talents. Mais par la suite, l'aventure ne s'est pas si bien passée. Après discussion avec mon éditeur, nous avons décidé de conclure la série après six chapitres.


L'édition physique est une exclusivité française. Cela a-t-il demandé un travail particulier avec les éditions Akata ?


Rie Aruga : J'ai fait totalement confiance aux édition Akata, et leur ai laissé carte blanche sur la manière de l'éditer physiquement en France. En contrepartie, j'ai écrit le commentaire pour le rabat de la jaquette de la version française.



Parlons maintenant de Perfect World. Le sujet de la série, le handicap physique, est peu commun dans le Manga. Ainsi, votre éditeur vous a-t-il posé quelques contraintes quand vous lui avez dit vouloir aborder ce thème ? Y avait-il des tabous à ne pas évoquer ?



Rie Aruga : Je suis finalement très libre sur ma série. Mon éditeur ne m'impose rien, au contraire même, il m'encourage à être la plus transparente et la plus réaliste possible.


Comme je me suis énormément documentée, je fais particulièrement attention au choix des mots, afin de ne pas avoir à modifier le récit. Le résultat sera suffisamment juste pour ne pas avoir à censurer le texte.


La question suivante comprend une information majeure sur la suite de la série, mais que nous ne pouvons omettre pour ne pas dénaturer les propos de l'autrice. Vous voilà prévenus...



La série ne se contente pas d'utiliser le handicap physique comme ressort dramatique, elle nous apprend aussi beaucoup de choses sur le sujet. Cela doit demander une grande documentation. Cette phase documentaire vous prend-elle beaucoup de temps ?


Rie Aruga : En effet, sans recherches, difficile pour moi de poursuivre la série. Même à ce stade, je continue de me documenter, surtout en ce moment avec l'histoire d'Itsuki et Tsugumi qui cherchent à avoir un enfant.


Je cherche surtout des témoignages. Je parle avec des personnes et pas seulement un seul cas de figure, je m'adresse à plusieurs couples. Chaque individu a une mentalité différente, je dois donc m'éparpiller le plus possible afin de collecter le plus grand nombre de visions différentes.


Par rapport à cette recherche documentaire, découpez-vous votre emploi du temps de manière spécifique ? Consacrez-vous une période précise de la semaine ou du mois pour vos recherches ?



Rie Aruga : Oui, cette phase de documentation a lieu en début de mois, lorsque je rencontre mon éditeur pour discuter du chapitre en cours. On parle du sujet abordé, et on met en place la phase documentaire avant que j'entame mon storyboard.


Cette étape a une durée variable car selon le chapitre, j'aurais besoin de plus ou moins de documentation. Je peux parfois puiser dans d'anciens témoignages quand le sujet a déjà été abordé, mais je dois interroger d'autres personnes quand il s'agit d'idées nouvelles à traiter.



On constate que dans la série, aucun personnage n'est fondamentalement tout noir ou tout blanc. Chacun est nuancé à sa manière. C'est une écriture remarquable car, étant donné le sujet de l’œuvre, celle-ci ne tombe pas dans des clichés. Est-ce que cette nuance est un point d'honneur que vous avez cherché à entretenir ?


Rie Aruga : Ce n'est pas un aspect que j'ai appuyé volontairement. Je pense que les humains sont complexes, et qu'ils ont aussi bien des bons côtés que des mauvais. D'ailleurs, dans la première version de la série, les personnages étaient un peu plus marqués dans ces clichés. Tsugumi était sur-positive et pouvait tout surmonter, tandis qu'Itsuki était un stéréotype de personnage masculin de manga shôjo. Avec mon éditeur, nous avons senti que ça n'était pas assez réaliste, et nous avons cherché à réorienter tout ça. Le Itsuki que l'on connait maintenant a des réactions négatives à propos de son handicap, mais aussi d'autres très positives. C'est ce genre de fluctuations qui me paraissaient naturelles.


Perfect World a été adapté par deux fois en version live : un film live l'année dernière, et une série en prise de vue réelle. Avez-vous contribué d'une quelconque manière à ces adaptations ?



Rie Aruga : Ma participation s'est limitée à de la validation d'éléments qui m'étaient soumis. Quand le projet global était finalisé, il m'était montré. Cela concernait les bibles d'adaptation mais aussi le choix des acteurs. Je me contentais vraiment des validations de ce genre.



Interview réalisée par Takato et Koiwai. Remerciements à Rie Aruga pour cette interview, et à Bruno Pham des éditions Akata pour la traduction et l'organisation de la rencontre.