Manga Interview de Zilo sur son manga DreaMaker
Début juillet, les éditions Ki-oon nous invitaient à découvrir le premier tome de leur nouvelle création originale DreaMaker. Une œuvre signée Zilo, artiste forte d’un one-shot publié sur le site en ligne de Shûeisha au japon, et qui n’est autre que la gagnante de la 3e édition du Tremplin Ki-oon, qu’elle a remporté en 2019 avec son histoire courte « Birds Children ». Evidemment, celle-ci fut l’invité d’honneur de Ki-oon lors de Japan Expo, et c’est à cette occasion que nous avons pu la rencontrer pour une interview. Le tome 2 de la série étant sorti cette semaine, le timing nous semblait idéale pour vous faire découvrir aujourd’hui cette rencontre !
DreaMaker nous plonge dans un univers fantastique où les hommes ont perdu depuis longtemps la capacité de rêver pendant leur sommeil, en perdant par la même occasion une partie de leur âme liée à l'imagination. C'est dans ce contexte que se sont développés les DreaMakers, des élus qui, avec leur magie, sont capables de créer artificiellement des rêves qu'ils vendent ensuite à leurs clients, et qui auraient même terrassé autrefois un démon avec l'aide de Marie, la sainte de ce monde. Habitant Condate, un village à proximité de la "ville des lumières" et de la gastronomie Lugdunum (au moins, les clins d'oeil à Lyon sont évidents), le jeune Kiio Nyx, 12 ans, ne fait malheureusement pas partie de ces élus, loin de là: enfant délaissé, courant les rues et volant les marchands parfois, il a pour plus grande passion ces fameux DreaMakers, si bien qu'il rend régulièrement visite à celui des environs, le Créateur, qu'il appelle affectueusement "grand-père" même si c'est a priori un vieillard acariâtre. Kiio rêve d'avoir un jour suffisamment de moyens pour acheter auprès de "grand-père" un vagus, un de ces êtres oniriques provoquant les rêves. Mais en cette journée presque comme les autres, il ne se doute pas, après avoir croisé la route d'un mystérieux garçon et avoir recueilli un étrange petit animal aux allures de chat noir, que son destin vient de faire un premier pas vers son basculement.
Zilo, merci d’avoir accepté cette interview ! Une question classique pour commencer. Qu'est-ce qui t'a attiré vers le manga ? Des œuvres ou auteurs en particulier ont-ils influencé ce choix ?
Zilo : La personne qui m’a donné envie de faire du manga n’a rien à voir avec le manga : c’est Tetsuya Nomura, le character designer de Final Fantasy. Voilà, rien à voir ! (rires)
Ses designs m’ont vraiment marquée, et c’est ce qui m’a donné envie d’en faire à mon tour. C’est pour ça que j’accorde beaucoup d’importance aux designs dans DreaMaker. Ils donnent d’emblée une certaine identité aux personnages.
Après l’obtention d’un bac L suivi d’un an de licence de japonais, tu t'es lancée dans des études d’art, qui t'ont menée à étudier au Japon pendant un an. Qu'est-ce que t'ont apporté ces expériences sur le plan artistique ?
L’école d’art que j’ai faite en France ne m’a rien apporté du tout, c’était catastrophique. Du coup, mon année au Japon m’a apporté le côté matériel que je n’avais pas dans l’école française.
Par exemple, j’ai pu m’entraîner au dessin sur une tablette graphique, matériel que l’on n’avait pas en France, ou alors que l’on avait mais sans les bons logiciels. Au Japon, j’avais vraiment tout sur place, c’était super d’un point de vue technique.
Tu as fait partie du groupe DreaMaker composé de trois artistes et amies : Bun, Momo, et toi sous le nom d’artiste Zilo. Peux-tu nous parler de ton expérience dans ce groupe ?
Le groupe n’existe plus depuis peut-être trois ans. Aujourd’hui je continue un peu avec mon amie Momo, mais la troisième personne a choisi de quitter l’aventure sans qu’on le veuille vraiment. Il y a peut-être eu des petites tensions suite à la signature de mon contrat avec les éditions Ki-oon.
D'ailleurs, d'où vient ton pseudonyme de Zilo ?
Il y a deux rappeurs coréens que j’aime beaucoup : Zico, et Zelo qui était membre du groupe B.A.P. Je voulais justement un pseudonyme où il y a un z car je trouvais ça peu commun, alors j’ai simplement mixé les noms des deux rappeurs. C’est tout bête ! (rires)
Peux-tu nous parler de ton one-shot publié sur le site en ligne de Shueisha ? Sa genèse, son histoire, son accueil…
C’était en quelque sorte la version bêta de DreaMaker, qui équivaut à peu près au premier chapitre de la série.
Il a été publié sur le site du Jump suite à un concours auquel j’ai participé lors du festival MAGIC de Monaco où je suis arrivée deuxième. J’ai alors rencontré les responsables éditoriaux du site Jump+. J’ai eu un bon accueil car j’ai pu les voir directement et leur poser des questions. En prime, j’ai eu une dédicace de Tite Kubo qui a aussi lu mon manga, et pour moi c’est classe !
C’était assez rapide dans le cadre du concours, mais ça a été assez formateur. J’étais arrivée à un point où je me demandais si je devais poursuivre dans la voie du manga ou pas, et ça m’a remotivée. Par la suite, j’ai aussi pu rencontrer des éditeurs de Square Enix.
Tu as remporté la 3e édition du Tremplin Ki-oon en 2019, avec ton histoire courte « Birds Children ». Là aussi, peux-tu nous parler de la conception de cette histoire ?
C’est une vieille histoire que j’avais faite il y a quelque temps et que je vendais en amatrice sur mon stand lors de salons. J’ai profité du tremplin pour en faire un reboot. D’habitude je n’aime pas redessiner des choses que j’ai déjà faites, mais cette histoire-ci me tenait à coeur de par certains thèmes qu’on retrouve dans DreaMaker, notamment la violence envers les enfants.
Arrive ensuite DreaMaker, ta première série longue. Comment te sont venues les grandes lignes, les concepts de cette histoire ? Les DreaMakers, les vagus avec leurs différents niveaux et catégories…
Concernant les DreaMakers, quand je vendais mes créations en amatrice, ça me soûlait que les gens aillent tout le temps acheter des fanarts et ne prennent pas le temps de découvrir les créations originales qu’on pouvait leur présenter. Du coup, j’étais un peu comme le personnage du Créateur dans DreaMaker : un peu aigrie. C’est là que je me suis dit que je devais retranscrire ça dans mon manga.
Concernant les vagus, c’est parce que j’aime beaucoup les créatures et le folklore. Mais j’en avais marre de toujours voir le folklore japonais dans les mangas, donc j’ai plutôt eu envie de fouiller dans le folklore européen et français, qui est super lui aussi.
Ton héros Kiio Nyx s'annonce intéressant : il s'agit d'un enfant de 12 ans délaissé, ayant même un contexte familial horrible, mais qui tâche de ne pas perdre sa jovialité et son énergie, et qui a pour plus grande passion les DreaMakers, ces êtres amenant des rêves dans un monde où il n'y en a plus de façon naturelle. Comment as-tu imaginé les différentes facettes de ce héros, et pourquoi l'avoir fait ainsi ?
Dans chacun de mes personnages, il y a un petit bout de moi. Je me dis que pour qu’une histoire touche les gens, il faut essayer de puiser un peu dans sa propre histoire pour que ça sonne plus vrai, plus juste.
Le lien entre Kiio et celui qu'il appelle affectueusement « grand-père », à savoir le Créateur, est aussi assez forte dès le tome 1, car derrière les pics d'agacement du vieil homme il sait aussi se montrer bon et protecteur envers le jeune garçon. En quoi ce type de lien te tenait à cœur ?
J’ai été ambassadrice du livre dans une école primaire, ce qui m’a permis de travailler pendant peu de temps au contact de jeunes enfants. C’était une mission d’un an sur mon service civique. J’avais tout le temps un peu peur car les enfants, quand ils viennent à l’école, oublient un peu ce qui se passe chez eux, et je voulais essayer d’en profiter pour leur faire comprendre qu’il avaient, à l’école, un espace pour parler où ils peuvent nous faire confiance, au cas où la situation serait peut heureuse chez eux. C’est en m’inspirant de ça que j’ai imaginé la relation entre le Créateur et Kiio. Au moins une personne qui nous écoute, ça peut nous sauver.
De son côté, Alya s'impose comme un personnage féminin bien badass et charismatique. Comment l'as tu créée ?
Alya est, à mes yeux, un cas intéressant. DreaMaker est un shônen, or la première bataille qui a lieu dans la série est portée par un personnage féminin, à savoir Alya. Souvent, dans la tête des gens, shônen égale garçon. Mais une femme aussi peut donner des grosses patates, et c’est quelque chose que j’ai vraiment voulu montrer avec ce premier combat. Je voulais présenter une femme forte et, surtout, de couleur, car je trouve que dans les mangas il n’y a généralement pas assez de diversité de couleurs.
Quand je regarde ma communauté sur Instagram, je vois des gens de tous les horizons, en âge comme en couleur de peau. Ca me semblait important de retranscrire ça dans DreaMaker, pour que tout le monde puisse s’identifier un peu à l’un des personnages.
A travers ta mise en avant des rêves, on ressent une déclaration d’amour au pouvoir de l’imaginaire. Quelle place l'imagination et les rêves ont pour toi ?
Je pense que si on m’enlevait ça, je baisserais les bras pour tout. Pour moi, c’est essentiel. Souvent, quand je parle de ça avec les gens, on me ressort le mot « atypique », et en fait je ne comprenais pas. Pourquoi ce mot ? Est-ce que ce sont les gens qui ont des rêves qui sont atypiques ? Mais les rêves, c’est l’essence de la vie pour moi. On en a tous besoin. Ce n’est pas que pour les enfants. Même quand on est adulte, voire surtout quand on est adulte, une vie sans rêve ce n’est pas très intéressant, c’est un peu comme un plat sans épices pour relever le goût.
Le tome 1 propose quelques clins d'oeil à la ville de Lyon. Pourquoi ? Parce que tu es lyonnaise ?
Bien sûr ! Et j’aime ma ville !
Très logiquement, la majorité des mangas viennent du Japon, et sont donc surtout faits pour parler aux Japonais. Sauf qu’aujourd’hui, le manga s’est répandu dans le monde entier, et que dans chaque pays il y a des artistes non-japonais qui s’essaient à créer du manga. Je me suis donc dit que ce serait bien d’ancrer DreaMaker en France, même si c’est une France fantaisiste.
Dans une histoire, je préfère commencer par ce que je connais pour ensuite avancer vers l’inconnu. Donc c’était naturel pour moi de commencer l’histoire à Lugdunum qui s’inspire de Lyon.
Visuellement, tu as à coeur d'offrir un rendu collant bien à l'imagination que tu veux véhiculer dans le concept des Dreamakers. Il y a un nombre important de planches recherchant des compositions soignées et des mises en scène originales, par exemple des bulles ou tuyauteries formant des cases, où encore une scène où "grand-père" arrache une bulle de dialogue. Tu te fais plaisir avec des trouvailles foisonnantes, pour un résultat généreux. Comment imagines-tu et peaufines-tu ce genre de petites trouvailles ?
En vrai, je ne sais pas (rires).
En fait, j’ai mes petites fiches à côté de moi quand je travaille sur DreaMaker, je fais pleins de petits croquis dessus pour voir les ambiances… Et il faut aussi savoir qu’un autre aspect que je compte développer dans la série est le steampunk. A partir de là, déjà, ça m’aide beaucoup à imaginer des petites choses. Et puis, disons que quand c’est trop classique côté découpage, etc, je n’y arrive pas. Je n’aime pas trop rester dans les codes, c’est quand j’en sors que je m’éclate le plus. Mais alors, comment ça me vient… c’est une bonne question. Probablement l’imagination, ce qui m’entoure sur le moment, une musique que je suis en train d’écouter… En fait, il y a toujours pleins d’idées qui me traversent la tête, et je peux en laisser s’écouler sur mes planches.
A contrario, la détresse familiale de Kiio est mise en images de façon très sombre et violente, avec certains découpages déstructurés et cauchemardesques. Pourquoi ce choix ?
Parce que je me mets à la place d’un enfant de cet âge-là qui est victime de parents indignes, qui sont censés le protéger et lui offrir un cocon rassurant. Ca fait encore plus mal de se faire trahir par ses parents. Je me dis que depuis les yeux d’un enfant, ça doit être vraiment monstrueux, surtout quand on est à un âge où on ne comprend pas.
Pour moi, il fallait donc que ça soit représenté avec force dans le tome 1, et surtout que la coupure vienne d’un coup. J’ai vraiment voulu insister d’abord sur le côté espiègle et joyeux de Kiio quand il n’est pas à la maison, avant que tout sombre dès qu’il rentre chez lui. Parce qu’un enfant qui est dans cette situation ne va, justement, pas forcément montrer aux autres que ça va mal chez lui.
Et en plus, j’adore tout ce qui est horrifique/cauchemardesque. Je suis fan de Junji Ito et de Guillermo Del Toro, entre autres. Alors tout ça, il fallait que je le mette quelque part dans mon manga !
Tu proposes également des designs soignés aussi bien dans les décors que dans les personnages (tous bien reconnaissables) et dans les vêtements. Comment as-tu imaginé ces différents designs ?
Comme je l’ai dit précédemment, j’adore la diversité. Même dans mes lectures je suis très diversifiée : je ne me cantonne pas au manga, et quel que soit mon type de lecture (mangas, comics, romans…) j’aime toujours explorer des horizons différents.
Du coup, je m’inspire d’un peu tout ce qui est à ma portée, même les gens qui passent dans la rue. En plus, j’ai la chance de faire partie d’une famille où il y a des origines différentes, donc j’ai toujours été bien entourée pour ça.
Par exemple, concernant les vêtements que porte mon personnage d’Alya, je me rappelle qu’il y avait des mariages maghrébins où on était invités et où il y avait des accessoires spécifiques pour la danse du ventre, accessoires qui m’ont inspirée.
Pour résumer, je m’inspire des gens.
Par rapport à tes précédents récits plutôt courts, quelles difficultés rencontres-tu sur ta première série longue ?
Mes plus grandes difficultés sont d’être isolée et d’éviter de me lasser. En fait, comme j’ai l’histoire de DreaMaker en tête jusqu’à la fin, je ressens déjà le besoin d’aller vers d’autres choses. Etant donné que je pense vite et que je dessine plutôt lentement, je suis un peu frustrée parce qu’il ne faut pas que je m’éparpille sur d’autres choses.
Du coup, tu as en tête toutes les grandes lignes de DreaMaker ?
Oui. Même si je ne pourrais pas dire sur quelle longueur ça va tenir, vu que rien que sur le début je me suis fait avoir en dessinant l’histoire sur plus de planches que ce que je pensais. Initialement j’imaginais que tout tiendrait en trois tomes, mais finalement ce sera un peu plus long.
Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Zilo, aux éditions Ki-oon, et à Japan Expo pour les locaux.
De Takato [1977 Pts], le 06 Novembre 2023 à 11h41
N'en déplaise aux spammeurs qui ne manquent pas de se faire remarquer sur chaque news autour d'une oeuvre française : DreaMaker est un manga, pour des raisons qui semblent assez évidentes et reconnues des éditeurs japonais. Il n'y aura aucune retouche des news et critiques à ce sujet.
De steph23, le 06 Novembre 2023 à 21h09
"DreaMaker est un manga, pour des raisons qui semblent assez évidentes et reconnues des éditeurs japonais" - Pas vraiment non, c'est tout au plus une décision éditoriale de votre part mais il n'y a rien d'évident dans le fait que Dreamaker soit un manga.
De JD, le 06 Novembre 2023 à 14h03
Merci ! Ca fait vraiment plaisir de voir que vous soutenez le manga Francophone en dépit des pseudos puristes élitistes FR 💪
De Heirn, le 04 Novembre 2023 à 22h38
Auteure non japonaise, c'est n'est donc pas un manga.
De Theodoryna [2494 Pts], le 04 Novembre 2023 à 13h48
Très intéressant. Je me demande où le tome 3 nous mènera.