Rencontre avec Antoine Dole et Vinhnyu pour la série 4LIFE- Actus manga
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Manga Rencontre avec Antoine Dole et Vinhnyu pour la série 4LIFE

Mardi, 30 Octobre 2018 à 18h00 - Source :Rubrique Interviews

Alors que les mangas français gagnent en popularité, Glénat a lancé quelques nouveautés. Parmi elles, nous retrouvons 4LIFE sorti au début du mois de Juillet. Les deux auteurs étaient présents à la Japan Expo 2018 et ce fut l’occasion pour nous d’aller, dans un premier temps à la rencontre d’Antoine Dole, le scénariste, avant d’aller poser quelques questions supplémentaires à Vinhnyu, l’illustrateur.
  
  
  
Antoine Dole
  
Qu’est-ce qui t’a attiré vers le manga, et quelles sont tes influences et inspirations ?
  
Moi à la base j’écris des romans. J’en écris depuis 10 ans et je me suis mis à faire de la bande dessinée il y a quelques années. C’était plutôt de la bande-dessinée franco-belge, avec une série pour enfant qui s’appelle Mortelle Adèle, plutôt basé sur l’humour.
  
J’avais l’impression d’être un peu schizophrène dans ce que je créais parce que j’ai d’un côté des romans qui sont des récits intimes que je publie chez Actes Sud et qui sont plutôt torturés et sensibles. De l’autre j’ai Mortelle Adèle qui est une espèce de bombe qui explose sans arrêt. C’était très étrange.
  
C’est vrai que le manga était une façon pour moi de réconcilier les deux casquettes, en ayant à la fois l’incarnation et la profondeur d’un roman, et la fulgurance du dessin que je trouve intéressant.
Ce que je trouve pesant dans le roman, comme je l’expliquais dans la conférence, c’est sa lenteur. On met déjà beaucoup de temps à l’écrire, 1 an ou plus. Après il y a tout le temps de travail avec l’éditeur qui ajoute aussi un an. Ensuite il y a le temps de lecture avant que les gens puissent vous en parler.
  
Tandis, que dès qu’il y a du dessin, je trouve qu’il y a quelque chose de très immédiat. Il y a quelque chose de vraiment intéressant, un peu comme la musique. Je pense que si je n’avais pas fait du dessin ou de l’écriture, j’aurais fait de la musique parce que je trouve qu’il y a quelque chose qui touche les gens immédiatement. On écoute des sons et d’un coup, on est ému, on est atteint et c’est ce que je trouve beau dans la bande dessinée. C’est pour cette raison que le manga était une évidence pour moi.
  
C’est aussi un retour à mes origines, parce que j’ai découvert la bande dessinée par le manga et pas par la bande-dessinée franco-belge. J’étais complètement fan des œuvres de Clamp, surtout X. C’est pas ce qu’il y a de plus bling-bling mais j’étais méga-fan et surtout je trouvais ça génial qu’il y ait des filles illustratrices qui créent des personnages aussi forts.
  
J’ai toujours eu envie de faire du manga et j’ai longtemps pensé que ce n’était pas possible en étant français. Déjà faire de la BD alors que je faisais de la littérature, c’était très étrange pour les éditeurs, donc faire du manga français pour moi c’était pas possible.
  
Puis il a des mangakas français qui nous ont montré que c’était possible… Y a VanRah comme elle l’a dit lors de la conférence des auteurs français. [Rire] Y a d’autres auteurs, autre qu’elle, qui nous l’ont montré. Sentai School c’est un livre qui a bercé mon adolescence. Donc j’ai décidé d’y aller franchement, il n’y a rien à perdre à proposer un projet et Glénat nous a répondu, 15 jours plus tard que c’était parti.
     
  
Ta façon d’écrire change-t-elle entre un roman et un manga ?
  
Non mais elle est plus visuelle, car il faut que je donne à Vinhnyu des pistes pour qu’il se projette dans mon récit.
Il va y avoir tout un travail de matérialisation de l’émotion. J’adore les récits intimes, je pourrais passer ma vie à écrire des journaux intimes qui n’intéresseraient personne mais moi ça m’apporterait plein d’énergie. C’est vrai que quand j’écris un roman, j’aime emmener le lecteur vers l’intime.
Pour 4Life, on va partir d’un récit qui est fantastique et le twister … Alors je ne peux pas vous en dire trop mais l’idée est de le twister pour le conduire vers un récit intime.
  
Chez Glénat il y a un manga que j’ai adoré, il s’appelle A lollypop or a bullet, l’histoire est magnifique. C’est une nouvelle qui arrive dans une école, elle a des tâches sur le corps et elle fait croire que c’est parce qu’elle est une sirène pour cacher le fait que son père la bat. Jusqu’au bout j’ai cru que c’était vraiment une sirène. Je trouve ça incroyable de partir sur un récit qui a, à la base, tous les codes du fantastique, pour emmener le lecteur sur quelque chose de plus profond, de plus dense et le faire réfléchir sur lui et sur la vie.
  
J’avais vraiment envie de travailler sur cette dynamique dans 4LIFE. Je voulais partir sur un manga qui a les codes d’un manga un peu Lollipop et d’amener les gens sur une réflexion plus grave et plus importante.
Dans 4LIFE c’est assumé, on n’a pas fait croire aux gens que ça allait être un shôjo avec plein de rubans et de fleurs. C’est vraiment classé Seinen pour le coup.
  
Le tome 1 va soulever des questions par rapport à ces codes. Elles ont des pouvoirs, ce sont des magicals girls. Que vont-elles faire ?  Il y a une menace qui arrive… Tout l’enjeu du tome 2 va être d’amener les gens à comprendre vers quoi ces codes les amènent et ce qui se trame vraiment.
  
  
  
Comment est né le projet 4LIFE ? Comment as-tu rencontré Vinhyu ?
  
C’est un projet que j’ai longtemps hésité à faire en roman. C’est une chance que j’ai, je peux choisir le média par lequel je vais m’exprimer. Du coup je travaille avec plusieurs éditeurs.
Mais je me suis dit que c’est une histoire qui peut être vachement visuelle, avec les pouvoirs déjà je trouve ça génial. Je suis fan des magical girls.
  
Un soir je parlais avec une amie à moi qui était community manager de la marque Good Smile Company, qui fait des figurines. Je lui ai dit que je voulais faire du manga mais que je ne connaissais pas d’illustrateur. Je connaissais d’autres illustrateurs mais je crois que quand on veut faire un manga c’est vraiment important d’être dans les codes du média. Il y a un public qui est exigeant, il y a des références, il y a un cahier des charges à respecter. Je trouvais que c’était important de me rapprocher de quelqu’un qui était du métier.
Cette amie m’a dit que Vinhyu lui avait fait des visuels pour son blog et elle nous a mis en contact. A l’époque il ne faisait que du fanzine, il ne travaillait pas avec un éditeur. Il m’a dit que ça le tentait et quand je lui ai présenté il a trouvé ça marrant.
  
On a fait quelques planches ensemble, j’ai écrit un synopsis, j’ai écrit le développement de ce que j’imaginais être les deux tomes, je l’ai envoyé à Glénat par la poste. Quinze jours après j’ai reçu un appel de celui qui est maintenant mon éditeur chez Glénat pour organiser une rencontre.
C’est assez incroyable parce que les envois par la poste c’est toujours très mystérieux, on ne sait jamais s’ils sont lus. Ça fait un peu légende urbaine en fait. Je travaille avec des éditeurs je sais très bien qu’ils ne lisent pas les envois par la poste en fait. Pour le coup, je n’avais pas de contact chez Glénat, je ne connaissais personne là-bas.
  
C’est assez dingue quand un éditeur à de l’appétit pour un projet. Il y a des éditeurs qui reçoivent les projets avec un ton un peu blasé en disant « ah oui c’est sympa, on a une place en septembre 2019 on va le sortir à ce moment-là ».
Mais là ce n’était pas ça et ça c’était cool.
  
  
Est-ce que Vinhnyu a participé à l’élaboration du scénario ?
  
J’ai écrit mon scénario complet, du tome entier chapitre par chapitre. C’est comme quand vous faites une course de 20km, quand vous avez des petits drapeaux tous les 3km, vous avez l’impression d’avoir checké une étape en fait.
Pour moi le chapitrage était vraiment important dans cette dynamique parce que je n’ai jamais fait quelque chose d’aussi long. Il y a les romans, mais c’est encore différent.
  
Donc j’écris le tome complet puis je le fais lire à l’éditeur et à Vinhnyu, tous les deux me font des remarques et j’intègre les remarques. Vinhnyu va me dire par exemple « là je trouve que la scène n’est pas assez visuelle, peut être que tu peux, au niveau des décors, que ça se passe plutôt dans la rue … »  ou il va me dire « ça fait longtemps qu’on n’a pas vu ce personnage ».
  
Il va me donner son ressenti, presque de lecteur finalement. En tant que personne lambda, il serait content de trouver ça.
  
C’est vraiment un couple en fait. On dit toujours que c’est un peu comme si on faisait un bébé ensemble mais c’est un peu ça en fait. Il faut que le bébé il lui ressemble et qu’il me ressemble. Il faut que ce soit quelque chose qu’on soit fier de défendre et qu’on soit fier de vivre avec, parce que finalement on le défendra peut-être pendant plusieurs années.
  
Moi j’ai aussi mon mot à dire sur les dessins, c’est vraiment un travail d’échange et de collaboration.
  
  
  
Pour ce qui est de l’éditeur, il te donne également son avis, t’a-t-il guidé sur certains points de l’histoire ?
  
Je pense qu’il m’a libéré de ma crainte d’aller vers quelque chose de trop violent. La première chose que m’a dit mon éditeur c’est « vas où tu veux aller ». Comme je n’avais jamais fait de manga et comme je ne connaissais pas vraiment ce public… Je fais partie de ce public là mais je ne savais pas vraiment ce qu’on pouvait faire ou ne pas faire. Il y a des petites règles un peu tacites et du coup le rôle de mon éditeur fut vraiment de me dire « c’est un espace de création pour toi et si tu fais un manga différent c’est bien aussi ».
  
On s’est vraiment mis à une table pour déconstruire les a priori et les préjugés que je pensais pouvoir faire et pour libérer les choses. C’est vraiment intéressant quand tu fais la rencontre d’un éditeur comme ça parce que ce n’est pas dans toutes les maisons d’éditions, c’est pour ça que c’est important de le dire quand c’est le cas.
  
Il faut dire qu’il y a des éditeurs qui ont un cœur et qui veulent vous faire accoucher de quelque chose. Vous leur apportez un projet qui a l’air bouclé, qui a l’air fini et eux arrivent à vous dire « bah non, on sait ce que tu as fait avant ».
  
Mon éditeur, avant qu’on commence à travailler ensemble, il a lu 4 romans que j’avais écrits. C’est génial parce que du coup il est entré dans ma tête un moment et il est revenu vers moi en me disant qu’il savait que j’étais capable de faire autre chose.
  
C’est plutôt chouette. [Rire]
  
  
Pour les personnages et les ombres, tu as donné des conseils à Vinhnyu ?
  
Alors, sur les personnages, pour les 4 filles, il a tout créé.
  
Pour le design des costumes, il nous a fait des propositions, on a ajusté, je crois que c’était important pour lui qu’il y ait une diversité dans les héroïnes.
  
Dans les séries de mangas il y a peu de filles métisses ou noires donc on avait Mina qui est comme ça. Tam qui est un peu plus enrobée que les héroïnes de mangas. C’était vraiment une volonté de Vin d’aller vers quelque chose, que graphiquement, la création française permet, là où les héroïnes japonaises sont un peu plus stéréotypées physiquement.
  
Pour les ombres ont a donné des idées. Je crois qu’il est parti sur carrément autre chose finalement. On avait parlé de faire éventuellement avec des formes animales, mais je n’étais pas pour. Il a trouvé ce compromis avec un crayonné plus brut que le dessin.
  
C’est vraiment sa vision des choses. C’est ça qui est chouette avec Vin, je crois qu’il n’a pas conscience du mangaka qu’il est et du talent qu’il a.
  
Vous l’avez vu à la conférence, quand on lui dit qu’il dessine bien il lève les yeux mais ce n’est pas une posture, il est vraiment comme ça. Il n’a vraiment pas conscience du talent qu’il a. Il a gagné le concours Magic (organisé par Shibuya International) et le Tremplin Ki-oon la même année. C’est vraiment génial d’assister à la naissance d’un univers sous la plume d’un artiste.
  
  
  
Votre série exploite de façon assez étonnante et sombre le concept de magical girl, avec notamment les costumes possédant les héroïnes. Pourquoi ce choix, et comment vous est venue cette idée ?
  
L’idée m’est venue à la Japan Expo. Ma première Japan Expo, c’était il y a 4 ou 5 ans et j’écrivais un roman qui s’appelait "Tout foutre en l’air", sur deux ados qui décident de se suicider ensemble et au dernier moment il y en a une qui décide de ne pas le faire car elle pense à tout ce qui la rend vivante.
  
Quand je suis venu à la Japan Expo j’ai été vachement touché par les cosplayers notamment et par l’intensité qu’il y avait dans leur passion, l’implication que ça représente de fabriquer un costume pendant des mois et d’incarner à ce point quelque chose qui te rend fier, fort et qui te rend capable d’affronter le RER et les gens quoi. Ça m’a donné envie d’écrire quelque chose là-dessus.
  
Durant deux tomes, le récit cherche à répondre à cette question : quelles sont les raisons qui nous donnent envie de combattre et qui nous rendent plus vivants ?
  
Pour moi l’idée est vraiment venue de cette communauté là que je trouve assez surprenante, qui témoigne de leur passion.
  
  
Sinon, tu as dit que tu étais fan des magical girls, qu’est ce qui t’attire tant dans ce registre ?
  
[Rire] Moi j’ai toujours été fan des héroïnes. C’est hyper intéressant. On s’en rend encore plus compte aujourd’hui quand on se dit que si on avait appris au petit garçon qu’il pouvait avoir des héroïnes, peut-être que les choses seraient différentes.
  
On apprend beaucoup au petit garçon que quand il doit idolâtrer quelqu’un c’est forcément un mec puissant, viril, un footballer, un chevalier … et je trouve que les héroïnes auraient pu changer beaucoup de chose dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui. Moi c’est ce qui me touche.
  
Les Lara Croft, les Sailor Moon, les Simone Veil… Enfin, pour moi ce sont des héroïnes qui ont des leviers pour faire bouger les choses et faire changer la façon dont les gens considèrent le monde.
  
  
  
Vinhnyu
  
Comment es-tu devenu mangaka ?
  
Je suis de la génération Club Dorothée et à la fin du Club Dorothée il n’y avait plus d’anime à la TV française, du coup je me suis rabattu sur les mangas pour avoir la suite des aventures soit de Dragon Ball soit de Ranma ½. Du coup, déjà quand j’étais petit j’étais un lecteur de comics et de bd et j’ai découvert un peu plus tard les mangas. Au début je faisais la comparaison avec les bd et les comics et donc je trouvais ça un peu moche puisque c’était en noir et blanc et que c’était dessiné avec un style un peu plus freestyle, avec un peu moins de base comme les comics.
  
Puis au fur et à mesure j’ai fini par préférer les mangas à cause de la narration, c’est pourquoi j’ai voulu en faire mon métier car j’adore la narration japonaise, j’adore comment ils racontent leurs histoires.
  
  
Quels sont tes projets actuellement ?
   
Je suis full focus pour finir le tome 2 de 4LIFE, et dès que c’est fini je pense que je vais encore rediscuter pour voir quel projet amener et démarrer. J’ai déjà proposé plusieurs projets et puis on verra où partir. Et comme j’avais gagné le concours Magic, il faut aussi que je vois ça avec la directrice de Shibuya International pour savoir où aller, sur quel pied danser.
  
  
Comment as-tu fait pour reprendre des éléments du décor parisien ?
  
J’ai pris deux jours pour prendre des photos. J’ai fait un petit voyage pour capturer les bâtiments vraiment parisiens. J’ai voulu retranscrire la ville de Paris comme la verrait un touriste ou même un parisien. Avec le métro et tout, l’Opéra.
  
  
Interview réalisée par Zebuline et Koiwai. Remerciements à Antoine Dole, à Vinhnyu, et aux éditions Glénat.
  

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