Manga Nouvelle interview de Reno Lemaire
Avec Dreamland, sa série phare, Reno Lemaire est devenu l'un des plus importants auteurs de manga made in France, et l'un des grands noms des éditions Pika. Sa série ayant dépassé la barre des quinze tomes, son succès est toujours plus grandissant. Outre sa popularité, Reno est un auteur passionnant par ses partis-pris artistiques et sa proximité avec ses lecteurs. Après l'avoir rencontré deux fois dans le passé, nous avons pu nous entretenir avec l'auteur au cours de l'édition 2016 d'Animasia, à Bordeaux. Au cours de ce nouvel entretien, Reno se livre sur les nouveautés de son récit, son quinzième opus atypique et les dix ans de Dreamland. En une fois encore, Reno n'est pas avare en anecdotes !
Bonjour Reno. C'est la troisième fois que nous te rencontrons, et ce sera l'occasion de parler des dix ans de Dreamland. Comment vis-tu cet anniversaire ? T'attendais-tu à un si long chemin pour Terrence et ses potes ?
Je ne me projetais pas dix ans plus tard. Je le dis souvent, j'ai déjà prévu la fin de Dreamland. Et en tant que créatif, tu te projettes loin avec tes personnages mais tu ne sais pas combien de temps ça va durer, ça peut être cinq ans, dix ans, quinze ans... La BD, c'est un milieu assez précaire. A l'époque, il m'était impossible d'imaginer passer les dix ans de parution.
En tout cas, c'est une bonne année pour Dreamland et Pika a joué le jeu. Au départ, je n'étais pas mis en avant, je me suis fait un peu tout seul. Avec l'essor de la "French Touch", Pika s'est dit qu'on perdrait la face si rien n'était fait pour les dix ans. Beaucoup de mangas français sortent et les éditeurs font pas mal de comm là-dessus. Pour Dreamland, le succès vient surtout du bouche à oreille, je le vois lorsque je demande aux lecteurs comment ils ont connu le titre, beaucoup d'entre-eux en ont entendu parler par un pote. Mais là, l'éditeur n'a pas raté le coche, ils ont fait ça super bien, notamment à Japan Expo avec beaucoup de séances de dédicaces, ou une superbe édition pour le tome quinze...
Revenons sur les festivités autour de Dreamland à Japan Expo. Pika a mise en place un stand imposant qui a attiré beaucoup de monde. Comment l'as-tu vécu ? Était-ce une édition de Japan Expo plus dense que d'habitude ?
Chaque année, le succès de l'espace Dreamland augmente. Cette année était particulière parce que Pika a organisé un stand fou autour de la série. Il y a eu gavé d'événements, beaucoup d'interviews et la rencontre avec Hiro Mashima. Finalement, c'est sur cette Japan Expo que j'ai le moins signé de dédicaces. J'étais tellement à droite à gauche le samedi après-midi que j'étais peu présent pour les rencontres, alors que c'est l'année où il y avait le plus de monde pour Dreamland. Ce fut une très bonne Japan Expo avec une bonne mise en avant, pas mal de personnes ont acheté les tomes parce qu'ils ont vu les conférences et aimaient l'état d'esprit de la série. Après, j'ai senti une certaine frustration en tant qu'auteur car j'ai eu moins de temps pour rencontrer les lecteurs.
Tu viens d'évoquer ta battle de dessin face à Hiro Mashima, l'auteur de Rave et Fairy Tail. Peux-tu nous en parler ?
Je ne suis pas quelqu'un d'anxieux à la base, j'ai eu une bonne appréhension de l'événement et j'en suis sorti avec ma petite morale. J'ai souvent les retours en off en ce qui concerne les invités japonais dont le staff est très exigeant. Vu qu'il y avait Hiro Mashima, je pensais que c'était fichu pour les dix ans de Dreamland car Pika n'allait pas gérer, j'étais motivé pour venir pour mes lecteurs et ne pas faire d'effort particulier pour les japonais. La battle de dessin avec Mashima, c'était pour le buzz, je le prenais avec un certain détachement, je préférais dédicacer deux heures de plus pour les lecteurs. Et j'ai justement pris ma morale dans la gueule lors du debriefing avant la battle : J'ai rencontré Mashima, c'est lui qui est venu à moi, m'a même serré dans ses bras. Il est très tactile ! J'y étais allé pour faire acte de présence et finalement, quand tu vois son aura, je me suis remis en question. J'étais en train de le prendre de haut alors que Hiro est hyper généreux ! J'ai donc joué le jeu à fond et on s'est beaucoup plu avec Hiro Mashima, c'est un gars en or. On a vécu un truc de malade lors de la battle, on a ensuite passé une soirée les yeux dans les yeux avec nos équipes. On a passé un excellent moment, c'est quelqu'un de génial.
Je ne lis pas Fairy Tail car ce n'est pas ma came mais quand tu rencontres un auteur dont tu apprécies l'humain ou la démarche, tu te dois d'avoir la série. Même si je n'ai pas trop le temps de les lire, j'ai les tomes du poto Mashima. C'était une grande rencontre et une belle morale pour un p'tit frenchy qui prenait de haut un auteur japonais. Finalement, les auteurs sont des gens tout à fait normaux, c'est davantage pour leurs équipes qu'on a tendance à les voir d'un mauvais œil. Par exemple, quelqu'un qui fait six heures de trajets pour me voir et qui ne peut pas avoir de ticket de dédicace auprès de Pika pourra l'avoir mauvaise. Du haut de mes 37 ans, j'apprends encore. On ne peut pas critiquer quelqu'un avant de l'avoir rencontré. J'ai rencontré Hiro et c'est un gars super. On ne peut pas dire qu'on est amis car on ne peut pas se faire un véritable ami en un seul week-end, mais quelque chose s'est créé. La preuve : je pars le mois prochain au Japon, et on se reverra (ndt : l'interview fut passée en octobre 2016).
Cette leçon de vie est arrivée aux dix ans de Dreamland, et c'est très bien.
Dreamland fut marqué par une absence de tomes entre juin 2014 et juin 2016. Après deux années d'absence, ta série revient avec deux volumes publiés en un court laps de temps, dont le quinzième qui est monumental par son épaisseur. Est-ce que ces deux années de battement t'ont simplement servies sur ces deux opus, ou est-ce que tu t'es aussi impliqué dans d'autres projets liés à Dreamland ?
Pas du tout ! Il n'y a pas eu d'autre projet, j'étais simplement sur ces deux tomes pendants deux ans. Tu l'as vu, le tome quinze est particulier, c'est une sorte de one-shot de 340 pages où la narration est plus dark que d'habitude, ce n'est pas un exercice auquel je suis habitué. Le storyboard, qui est ma force d'habitude, m'a pris beaucoup de temps. J'avais fini le tome quatorze, j'attaquais le storyboard du quinze mais je ne savais pas trop comment faire. Du coup, je commençais le tome seize à côté pour occuper mes journées.
Le volume 16 est la suite du 14, c'était donc plus simple et au bout de 15 jours, je me suis retrouvé avec le storyboard du seizième volume achevé, mais pas celui du quinze. Et vu que je ne suis pas encore une machine qui fait deux tomes en même temps, j'ai d'abord terminé le tome 16. Pika m'a suivi sur ce coup, et ce n'était pas simple pour eux. En janvier 2015, le seizième tome était fini à 80% et je suis parti au Japon. C'était la première fois que je restais un mois sans dessiner, mais ça a nourri ma rétine ! De retour en France, il me restait deux chapitres à faire pour le tome 16, le soucis était que je ne pouvais plus le voir, donc je l'ai refait entièrement. En gros, en deux ans, le mecs a fait deux fois le même tome plus un volume de 340 pages !
On dit que mon trait progresse mais ce n'est pas tout à fait vrai. Mon trait, je le connais mais c'est surtout mon œil qui a évolué, ce qui me permet de voir mes défauts. Quand tu fais un tome et que tu reviens dessus trois ou quatre mois après, tu vois tes lacunes. Ce n'est pas le geste qu'il faut entrainer, il faut surtout nourrir l’œil. C'est comme ça que plein de défauts m'ont sauté aux yeux à mon retour du Japon. J'ai donc refait le tome 16, au grand damne de ma femme et de Pika. J'ai vraiment fini le tome 16 en mai-juin 2015. Tout s'est débloqué sur le storyboard du volume quinze que j'ai fini en mars 2016. C'est mon délire en fait. J'aurais sorti le tome 16 initial, personne n'aurait fait de remarques. Mais pour ma part, désolé mais je grandis et je vois mes erreurs. Je remercie alors Pika et mon entourage pour me suivre. J'avais hâte d'expliquer cette étape, je voulais le faire seulement après sortie des deux tomes, pas pendant leur réalisation. Les gens n'auraient pas forcément compris, et c'est normal.
Le tome 15 a soulevé le grand nombre de personnages dans Dreamland, ce qui signifie beaucoup d'intrigues. As-tu des outils, comme des fiches personnages, qui te permettent de te retrouver dans tout ce puzzle qu'est Dreamland ?
Tout est dans ma tête, ça se voit ! (rires)
Plus sérieusement, j'ai quelques fiches mais je les paumes souvent, donc c'est super pratique... Je commence à me faire des recap, une frise chronologique notamment puisque je commence à parler du passé. Après, le lecteur attend six ou sept mois entre deux tomes, il a donc besoin de relire la série à chaque sortie. Pour ma part, je vis, je mange et je chie Dreamland. Les héros ne me quittent jamais, je connais les arcs et la fin de la série. Tout est dans ma tête, même s'il y a des précisions à noter. J'ai créé un univers mais je n'ai qu'un cerveau humain, il y a beaucoup de choses à emmagasiné., des choses auxquelles on ne pense pas tout le temps. Non pas que tu me poses une colle, je peux te donner les grandes lignes de ce qui va se passer, mais l'intrigue et la mythologie deviennent plus grands que moi.
Tu colorises de plus en plus de pages dans Dreamland, et tu as différents styles de mise en couleur. Par exemple, la fin du tome 15 arbore des tons plus pastels. Comment tu penses ces différents parti-pris artistiques ?
Je m’affranchis des codes, même ceux du mangas. Si un tome doit faire 340 pages, il fera 340 pages et on ne le divisera pas en deux. Concernant le style, tu l'as dit toi-même, les tons sont très pastels parce que quand tu vois l'ambiance du chapitre, c'était inévitable. On se fait tous nos films et quand tu lis la scènes, tu sais quelle ambiance tu veux apporter. Ce n'est pas que je change mon style, non, je me demande simplement quelle ambiance je veux donner. Si je suis capable techniquement de ce que je veux faire, je le fais. Ce n'est pas moi qui ait fait ces colorisations, c'est Salim. Tout est question d'ambiance, je ne me prends pas la tête là-dessus.
Les dix ans de Dreamland ont été célébrés par la sortie presque simultanée des tomes 15 et 16 ainsi que la figurine Savane par Tsume. Justement, est-ce que d'autres surprises attendent les fans de Dreamland ?
Pour 2016, non, les surprises sont terminées. D'autres auront lieu dans les années à venir car Dreamland, c'est l'évolution d'une série, d'un auteur mais aussi d'un public. C'est un gros "what the fuck" et j'avoue avoir hâte d'en arriver au bout pour qu'on se rende compte de tout ce qui a été fait. Pour cet anniversaire des dix ans, c'est déjà pas mal.
Une question plus personnelle : Selon toi, quel serait le projet le plus fou autour de Dreamland, pour célébrer un anniversaire ?
Le plus fou... On parle de ce que j'aime et je compte faire un artbook. Je sais exactement ce que je veux, et ce sera un truc de malade. Mais ça, c'est plus la partie créative de moi qui parle. En ce qui concerne la série, en produits dérivés, comme d'hab : un jeu-vidéo ou un anime serait cool... Je n'y tient pas particulièrement mais ça serait sympa pour les fans et, évidemment, pour mon porte-monnaie. Mais sur le plan créatif, je pense bouquin. Mon truc, c'est la BD, j'ai même déjà prévenu Pika quant au tome vingt. Mon but est qu'on se dise que Dreamland, c'est aussi l'histoire d'un mec qui n'a pas eu de limites créatives ni éditoriales.
Tu as déjà parlé de tes influences, des mangas dont tu étais assidu il y a des années. Mais depuis, d'autres titres sont sortis et les tendances ont évolué. Ainsi, est-ce que d'autres œuvres t'ont marqués et ont potentiellement influencé ton travail ?
Ça fait trois-quatre ans que je me détache de One Piece, ça se ressent peut-être même sur mon trait. C'était mon gros coup de cœur quand j'ai commencé Dreamland mais maintenant, je miserais plus sur One-Punch Man. J'adorais la narration de One à l'époque du webcomics, c'était prévu pour les écrans et ça passe mieux numériquement, surtout que, maintenant, Yûsuke Murata se lâche avec des effets de fou. Quand tu lis ça, tu vois One, un mec qui ne sait pas trop dessiner mais qui va raconter une histoire, un peu comme un Trondheim. La narration de One est géniale, il se permet de raconter une fraction de seconde dans sa narration. Seven Deadly Sins fait aussi ces pleines pages pour montrer les attaques. C'est ce que je me suis dit : si j'ai une scène qui se déroule sur peu de temps mais est importante, rien à faire que ça prenne six pages ! Tu te rappelles de ce genre de scènes mémorables, et cette narration me touche. Après, il y a Berserk pour la technique et le tramage. J'ai testé beaucoup de chose en trames mais je pense être arrivé à maturité. Je ne veux pas non plus revenir à mon style du tome dix ou j'en ai beaucoup trop mis. En ce sens, Berserk est le bon compromis. Comme il a peu de trames, il met ses noirs et blancs en évidence. Mais quand il faut faire de la texture, il sait les utiliser. Mais j'ai passé le cap One Piece. Eiichirô Oda a son propre style, tu le reconnais quand il fait ses doubles pages avec énormément de bulles, mais c'est son style à lui et il ne faut pas le copier. C'est son style, ses persos, je reste admiratif de son trait mais narrativement, ça ne peut marcher que pour lui.
Remerciements à Reno Lemaire, à Pika, à Mandora et à l'équipe d'Album Bordeaux.
Bonjour Reno. C'est la troisième fois que nous te rencontrons, et ce sera l'occasion de parler des dix ans de Dreamland. Comment vis-tu cet anniversaire ? T'attendais-tu à un si long chemin pour Terrence et ses potes ?
Je ne me projetais pas dix ans plus tard. Je le dis souvent, j'ai déjà prévu la fin de Dreamland. Et en tant que créatif, tu te projettes loin avec tes personnages mais tu ne sais pas combien de temps ça va durer, ça peut être cinq ans, dix ans, quinze ans... La BD, c'est un milieu assez précaire. A l'époque, il m'était impossible d'imaginer passer les dix ans de parution.
En tout cas, c'est une bonne année pour Dreamland et Pika a joué le jeu. Au départ, je n'étais pas mis en avant, je me suis fait un peu tout seul. Avec l'essor de la "French Touch", Pika s'est dit qu'on perdrait la face si rien n'était fait pour les dix ans. Beaucoup de mangas français sortent et les éditeurs font pas mal de comm là-dessus. Pour Dreamland, le succès vient surtout du bouche à oreille, je le vois lorsque je demande aux lecteurs comment ils ont connu le titre, beaucoup d'entre-eux en ont entendu parler par un pote. Mais là, l'éditeur n'a pas raté le coche, ils ont fait ça super bien, notamment à Japan Expo avec beaucoup de séances de dédicaces, ou une superbe édition pour le tome quinze...
Revenons sur les festivités autour de Dreamland à Japan Expo. Pika a mise en place un stand imposant qui a attiré beaucoup de monde. Comment l'as-tu vécu ? Était-ce une édition de Japan Expo plus dense que d'habitude ?
Chaque année, le succès de l'espace Dreamland augmente. Cette année était particulière parce que Pika a organisé un stand fou autour de la série. Il y a eu gavé d'événements, beaucoup d'interviews et la rencontre avec Hiro Mashima. Finalement, c'est sur cette Japan Expo que j'ai le moins signé de dédicaces. J'étais tellement à droite à gauche le samedi après-midi que j'étais peu présent pour les rencontres, alors que c'est l'année où il y avait le plus de monde pour Dreamland. Ce fut une très bonne Japan Expo avec une bonne mise en avant, pas mal de personnes ont acheté les tomes parce qu'ils ont vu les conférences et aimaient l'état d'esprit de la série. Après, j'ai senti une certaine frustration en tant qu'auteur car j'ai eu moins de temps pour rencontrer les lecteurs.
Tu viens d'évoquer ta battle de dessin face à Hiro Mashima, l'auteur de Rave et Fairy Tail. Peux-tu nous en parler ?
Je ne suis pas quelqu'un d'anxieux à la base, j'ai eu une bonne appréhension de l'événement et j'en suis sorti avec ma petite morale. J'ai souvent les retours en off en ce qui concerne les invités japonais dont le staff est très exigeant. Vu qu'il y avait Hiro Mashima, je pensais que c'était fichu pour les dix ans de Dreamland car Pika n'allait pas gérer, j'étais motivé pour venir pour mes lecteurs et ne pas faire d'effort particulier pour les japonais. La battle de dessin avec Mashima, c'était pour le buzz, je le prenais avec un certain détachement, je préférais dédicacer deux heures de plus pour les lecteurs. Et j'ai justement pris ma morale dans la gueule lors du debriefing avant la battle : J'ai rencontré Mashima, c'est lui qui est venu à moi, m'a même serré dans ses bras. Il est très tactile ! J'y étais allé pour faire acte de présence et finalement, quand tu vois son aura, je me suis remis en question. J'étais en train de le prendre de haut alors que Hiro est hyper généreux ! J'ai donc joué le jeu à fond et on s'est beaucoup plu avec Hiro Mashima, c'est un gars en or. On a vécu un truc de malade lors de la battle, on a ensuite passé une soirée les yeux dans les yeux avec nos équipes. On a passé un excellent moment, c'est quelqu'un de génial.
Je ne lis pas Fairy Tail car ce n'est pas ma came mais quand tu rencontres un auteur dont tu apprécies l'humain ou la démarche, tu te dois d'avoir la série. Même si je n'ai pas trop le temps de les lire, j'ai les tomes du poto Mashima. C'était une grande rencontre et une belle morale pour un p'tit frenchy qui prenait de haut un auteur japonais. Finalement, les auteurs sont des gens tout à fait normaux, c'est davantage pour leurs équipes qu'on a tendance à les voir d'un mauvais œil. Par exemple, quelqu'un qui fait six heures de trajets pour me voir et qui ne peut pas avoir de ticket de dédicace auprès de Pika pourra l'avoir mauvaise. Du haut de mes 37 ans, j'apprends encore. On ne peut pas critiquer quelqu'un avant de l'avoir rencontré. J'ai rencontré Hiro et c'est un gars super. On ne peut pas dire qu'on est amis car on ne peut pas se faire un véritable ami en un seul week-end, mais quelque chose s'est créé. La preuve : je pars le mois prochain au Japon, et on se reverra (ndt : l'interview fut passée en octobre 2016).
Cette leçon de vie est arrivée aux dix ans de Dreamland, et c'est très bien.
Dreamland fut marqué par une absence de tomes entre juin 2014 et juin 2016. Après deux années d'absence, ta série revient avec deux volumes publiés en un court laps de temps, dont le quinzième qui est monumental par son épaisseur. Est-ce que ces deux années de battement t'ont simplement servies sur ces deux opus, ou est-ce que tu t'es aussi impliqué dans d'autres projets liés à Dreamland ?
Pas du tout ! Il n'y a pas eu d'autre projet, j'étais simplement sur ces deux tomes pendants deux ans. Tu l'as vu, le tome quinze est particulier, c'est une sorte de one-shot de 340 pages où la narration est plus dark que d'habitude, ce n'est pas un exercice auquel je suis habitué. Le storyboard, qui est ma force d'habitude, m'a pris beaucoup de temps. J'avais fini le tome quatorze, j'attaquais le storyboard du quinze mais je ne savais pas trop comment faire. Du coup, je commençais le tome seize à côté pour occuper mes journées.
Le volume 16 est la suite du 14, c'était donc plus simple et au bout de 15 jours, je me suis retrouvé avec le storyboard du seizième volume achevé, mais pas celui du quinze. Et vu que je ne suis pas encore une machine qui fait deux tomes en même temps, j'ai d'abord terminé le tome 16. Pika m'a suivi sur ce coup, et ce n'était pas simple pour eux. En janvier 2015, le seizième tome était fini à 80% et je suis parti au Japon. C'était la première fois que je restais un mois sans dessiner, mais ça a nourri ma rétine ! De retour en France, il me restait deux chapitres à faire pour le tome 16, le soucis était que je ne pouvais plus le voir, donc je l'ai refait entièrement. En gros, en deux ans, le mecs a fait deux fois le même tome plus un volume de 340 pages !
On dit que mon trait progresse mais ce n'est pas tout à fait vrai. Mon trait, je le connais mais c'est surtout mon œil qui a évolué, ce qui me permet de voir mes défauts. Quand tu fais un tome et que tu reviens dessus trois ou quatre mois après, tu vois tes lacunes. Ce n'est pas le geste qu'il faut entrainer, il faut surtout nourrir l’œil. C'est comme ça que plein de défauts m'ont sauté aux yeux à mon retour du Japon. J'ai donc refait le tome 16, au grand damne de ma femme et de Pika. J'ai vraiment fini le tome 16 en mai-juin 2015. Tout s'est débloqué sur le storyboard du volume quinze que j'ai fini en mars 2016. C'est mon délire en fait. J'aurais sorti le tome 16 initial, personne n'aurait fait de remarques. Mais pour ma part, désolé mais je grandis et je vois mes erreurs. Je remercie alors Pika et mon entourage pour me suivre. J'avais hâte d'expliquer cette étape, je voulais le faire seulement après sortie des deux tomes, pas pendant leur réalisation. Les gens n'auraient pas forcément compris, et c'est normal.
Le tome 15 a soulevé le grand nombre de personnages dans Dreamland, ce qui signifie beaucoup d'intrigues. As-tu des outils, comme des fiches personnages, qui te permettent de te retrouver dans tout ce puzzle qu'est Dreamland ?
Tout est dans ma tête, ça se voit ! (rires)
Plus sérieusement, j'ai quelques fiches mais je les paumes souvent, donc c'est super pratique... Je commence à me faire des recap, une frise chronologique notamment puisque je commence à parler du passé. Après, le lecteur attend six ou sept mois entre deux tomes, il a donc besoin de relire la série à chaque sortie. Pour ma part, je vis, je mange et je chie Dreamland. Les héros ne me quittent jamais, je connais les arcs et la fin de la série. Tout est dans ma tête, même s'il y a des précisions à noter. J'ai créé un univers mais je n'ai qu'un cerveau humain, il y a beaucoup de choses à emmagasiné., des choses auxquelles on ne pense pas tout le temps. Non pas que tu me poses une colle, je peux te donner les grandes lignes de ce qui va se passer, mais l'intrigue et la mythologie deviennent plus grands que moi.
Tu colorises de plus en plus de pages dans Dreamland, et tu as différents styles de mise en couleur. Par exemple, la fin du tome 15 arbore des tons plus pastels. Comment tu penses ces différents parti-pris artistiques ?
Je m’affranchis des codes, même ceux du mangas. Si un tome doit faire 340 pages, il fera 340 pages et on ne le divisera pas en deux. Concernant le style, tu l'as dit toi-même, les tons sont très pastels parce que quand tu vois l'ambiance du chapitre, c'était inévitable. On se fait tous nos films et quand tu lis la scènes, tu sais quelle ambiance tu veux apporter. Ce n'est pas que je change mon style, non, je me demande simplement quelle ambiance je veux donner. Si je suis capable techniquement de ce que je veux faire, je le fais. Ce n'est pas moi qui ait fait ces colorisations, c'est Salim. Tout est question d'ambiance, je ne me prends pas la tête là-dessus.
Les dix ans de Dreamland ont été célébrés par la sortie presque simultanée des tomes 15 et 16 ainsi que la figurine Savane par Tsume. Justement, est-ce que d'autres surprises attendent les fans de Dreamland ?
Pour 2016, non, les surprises sont terminées. D'autres auront lieu dans les années à venir car Dreamland, c'est l'évolution d'une série, d'un auteur mais aussi d'un public. C'est un gros "what the fuck" et j'avoue avoir hâte d'en arriver au bout pour qu'on se rende compte de tout ce qui a été fait. Pour cet anniversaire des dix ans, c'est déjà pas mal.
Une question plus personnelle : Selon toi, quel serait le projet le plus fou autour de Dreamland, pour célébrer un anniversaire ?
Le plus fou... On parle de ce que j'aime et je compte faire un artbook. Je sais exactement ce que je veux, et ce sera un truc de malade. Mais ça, c'est plus la partie créative de moi qui parle. En ce qui concerne la série, en produits dérivés, comme d'hab : un jeu-vidéo ou un anime serait cool... Je n'y tient pas particulièrement mais ça serait sympa pour les fans et, évidemment, pour mon porte-monnaie. Mais sur le plan créatif, je pense bouquin. Mon truc, c'est la BD, j'ai même déjà prévenu Pika quant au tome vingt. Mon but est qu'on se dise que Dreamland, c'est aussi l'histoire d'un mec qui n'a pas eu de limites créatives ni éditoriales.
Tu as déjà parlé de tes influences, des mangas dont tu étais assidu il y a des années. Mais depuis, d'autres titres sont sortis et les tendances ont évolué. Ainsi, est-ce que d'autres œuvres t'ont marqués et ont potentiellement influencé ton travail ?
Ça fait trois-quatre ans que je me détache de One Piece, ça se ressent peut-être même sur mon trait. C'était mon gros coup de cœur quand j'ai commencé Dreamland mais maintenant, je miserais plus sur One-Punch Man. J'adorais la narration de One à l'époque du webcomics, c'était prévu pour les écrans et ça passe mieux numériquement, surtout que, maintenant, Yûsuke Murata se lâche avec des effets de fou. Quand tu lis ça, tu vois One, un mec qui ne sait pas trop dessiner mais qui va raconter une histoire, un peu comme un Trondheim. La narration de One est géniale, il se permet de raconter une fraction de seconde dans sa narration. Seven Deadly Sins fait aussi ces pleines pages pour montrer les attaques. C'est ce que je me suis dit : si j'ai une scène qui se déroule sur peu de temps mais est importante, rien à faire que ça prenne six pages ! Tu te rappelles de ce genre de scènes mémorables, et cette narration me touche. Après, il y a Berserk pour la technique et le tramage. J'ai testé beaucoup de chose en trames mais je pense être arrivé à maturité. Je ne veux pas non plus revenir à mon style du tome dix ou j'en ai beaucoup trop mis. En ce sens, Berserk est le bon compromis. Comme il a peu de trames, il met ses noirs et blancs en évidence. Mais quand il faut faire de la texture, il sait les utiliser. Mais j'ai passé le cap One Piece. Eiichirô Oda a son propre style, tu le reconnais quand il fait ses doubles pages avec énormément de bulles, mais c'est son style à lui et il ne faut pas le copier. C'est son style, ses persos, je reste admiratif de son trait mais narrativement, ça ne peut marcher que pour lui.
Remerciements à Reno Lemaire, à Pika, à Mandora et à l'équipe d'Album Bordeaux.
De Zeik [2187 Pts], le 16 Juillet 2017 à 17h17
Merci beaucoup pour cette super interview !