Chronique Manga - Le mari de mon frère- Actus manga
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Manga Chronique Manga - Le mari de mon frère

Dimanche, 29 Octobre 2017 à 17h00

Depuis le départ de son épouse avec qui il est malgré tout resté en bons termes, Yaichi élève seul sa fille, Kana, en troisième année à l’école primaire. Leur quotidien se déroule le plus naturellement du monde, Yaichi étant un père attentif qui fait de son mieux, et Kana une enfant adorable et forcément curieuse à son âge. Mais voici qu’un jour, ce quotidien est bousculé par l’arrivée de Mike Flanagan, un imposant Canadien qui, dans son pays, a épousé Ryôji. Ryôji ? Hé bien, il s‘agissait du frère jumeau de Yaichi. Dans leur enfance, tous deux étaient inséparables. Mais le jour où, à l’époque du lycée, Ryôji a avoué à son frère être gay, il n’y a certes eu aucune rixe, mais leurs chemins se sont petit à petit éloignés. Aujourd’hui, Ryôji est malheureusement décédé. Et tout comme ce fut le cas pour ses parents, Yaichi n’a pas réussi à verser de larmes en apprenant récemment la nouvelle de la disparition de ce frère qu’il n’a pas vu pendant plusieurs années. Mais au contact de Mike, il pourrait beaucoup gagner. Bien sûr, dans un premier temps, il ne sait absolument pas comment il doit réagir vis-à-vis de ce beau-frère homosexuel. Mais il pourrait bien être mis sur la voie par sa propre fille, qui, du haut de ses quelques années de vie, voit surtout en Mike son oncle canadien adoré.

Les éditions Akata ont toujours eu un profond désir de dénicher des œuvres qui ont quelque chose à transmettre sur notre société actuelle. Et dans ce cadre, l’éditeur a amené en France à partir de 2016 un manga qui est un parfait représentant de ce désir. S’offrant un nom français très bien trouvé car il laisse d’emblée deviner avec intelligence les principaux sujets, Le mari de mon frère se propose en premier lieu d’évoquer le regard que l’on peut avoir sur l’homosexualité. Bouclée en 4 volumes, la série a été conçue et dessinée de fin 2015 jusqu’au printemps 2017 par Gengoroh Tagame, artiste érotique gay qui ne se cache pas et à qui l’on doit plusieurs mangas bara (mangas gays pleinement adressés aux homosexuels) sortis en France aux éditions H&O, comme Virtus. Fort d’une carrière qui dure depuis déjà plus d’une vingtaine d’années, publié dans de nombreux pays, très présent à l’international notamment via des expositions, Tagame est un artiste reconnu et une voix importante pour l’expression de l’homosexualité dans son registre. Avec Le mari de mon frère, il s’éloigne du manga gay à strictement parler, pour offrir un récit réellement tout public et désireux de déconstruire des idées préconçues trop persistantes, en emballant le tout dans une tranche de vie poignante et bourrée de tendresse.



Tout commence pourtant de façon assez délicate, quand Mike débarque chez Yaichi et Kana. Mike apparaît d’emblée comme un gros nounours adorable, avec sa barbe fournie, son visage doux et sa façon de parler posée et altruiste. Face à ce tonton venu de l’étranger, la petite Kana sympathise très vite. Mais Yaichi, lui, ne sait d’abord absolument pas comment réagir. Pour cela, Tagame joue au départ sur quelque chose de très simple, en présentant dans sa mise en scène les pensées de Yaichi et juste en dessous sa réaction réelle. Par exemple, dès le départ, quand Mike lui dit bonjour à la façon occidentale, il pense « lâche-moi, sale homo ! » mais n’en dit pas un mot. Une excellente façon de montrer, sans s’écarter de la douceur qui sera la marque de fabrique de la série, que le père de Kana possède des préjugés qui ont besoin d’être brisés. Plus facile à dire qu’à faire ? Pas forcément. Car Yaichi n’est pas non plus quelqu’un d’obtus, et il a à ses côtés une petite fille qui risque fort d’apporter les bonnes réponses à ses interrogations.

Car pour Kana, Mike, c’est avant tout son tonton, qu’elle rencontre pour la première fois, qui vient d’un autre pays, et qu’elle ne peut qu’adorer ! Surtout, cette enfant, de par son jeune âge, ne possède encore aucun des préjugés que la société peut laisser entendre. Elle n’est pas encore influencée par tout ça, et donc accepte les choses tout simplement, avec toujours une volonté enfantine de simplement comprendre. Bien sûr, du coup, elle pose des questions naïves : par exemple, c’est qui le mari et qui l’épouse entre deux hommes mariés ? A cet exemple, la réponse de Mike est pleine de bon sens, il répond posément pour faire comprendre à la fillette. Plus tard, l’enfant s’interroge de plus belle suite aux réactions de son entourage comme ses deux amis Yuki et Tomo. Elle n’a pas sa langue dans sa poche, elle est curieuse, quand il y a quelque chose qu’elle ne comprend pas elle le dit avec le désir de comprendre. Et alors qu’elle n’est qu’une enfant, elle apporte une leçon d’humanité essentielle : l’importance de simplement communiquer, se parler pour se comprendre.



Et face à ça, Yaichi ne peut que se remettre en cause. Il apprend à reconsidérer sa vision du mariage qu’il collait systématiquement à ce qu’il connaît lui-même, il fait des efforts pour se sortir de ses idées préconçues, il effectue tout simplement un gros travail sur lui-même, et prend conscience bien vite qu’il était ignorant. Evidemment, surtout au début, il conserve de vieux réflexes qu’il regrette bien vite, comme quand il présente Mike comme un « ami » de son frère, et non comme son mari. Mais à partir de l’observation et des discussions avec Mike et Kana, il change et apprend à ouvrir son univers. Ce ne peut être que bénéfique pour lui, ne serait-ce que pour enfin retrouver devant lui l’image de son défunt frère. Face à Ryôji, il ne savait pas comment réagir, car auparavant il n’y avait personne comme ça dans son entourage, alors il a simplement évité toute discussion à ce sujet. Mais comment se comprendre sans se parler ?



L’essentiel de l’évolution de Yaichi se fait dans les premiers temps du manga. Bien sûr, il continue de remettre en cause nombre de choses par la suite, mais ensuite Gengoroh Tagame va surtout jouer sur différentes rencontres qui vont lui permettre d’évoquer les choses encore plus en profondeur, et pas uniquement sur l’homosexualité d’ailleurs. Ainsi, le statut même de père divorcé de Yaichi inscrit le récit dans une autre réalité tout à fait de notre époque, à savoir celle de la monoparentalité. Son rôle de père, l’homme le tient à cœur, on sent que l’adorable Kana est toute sa vie, et qu’il tient à une chose : l’élever dans un esprit de compréhension, pour que plus tard elle devienne quelqu’un ne faisant pas de mal aux autres. Et pour cela, ce sont évidemment ses idées préconçues d’adulte qu’il se doit de revoir. Les différentes rencontres faites vont alors avoir un rôle essentiel. L’arrivée de Natsuki, son ancienne épouse et donc la mère de Kana, va le pousser à se questionner sur la notion de famille, sur celle que son frère et Mike formaient, jusqu’à prendre conscience que penser qu’il n’y a qu’un seul modèle de famille correct peut être une forme de discrimination. Le cas de la mère de la petite Yuki, une amie de Kana à l’école, est très intéressant dans ce qu’il a à véhiculer sur certains a priori : elle ne veut pas que sa fille aille voir Mike chez Kana, car elle a peur d’une soi-disant « mauvaise influence ». Mais la mauvaise influence ne serait-elle pas plutôt de mettre en tête ce genre de chose à son enfant ? Il y a aussi le cas de Katô, camarade de lycée de Yaichi qui a choisi de ne pas faire son coming out, ou encore celui de Yokoyama, le professeur principal de Kana, qui est un exemple que certaines choses sont à revoir dans une éducation qui peine à aborder des choses plus que jamais de notre époque. Enfin, impossible de ne pas évoquer le cas de Kazuya Ogawa, collégien qui est en train de prendre conscience qu’il aime les hommes, mais qui ne sait pas comment réagir vis-à-vis des autres car il n’y a jamais eu personne comme ça dans son entourage. Il y a la peur et la souffrance de ne pas pouvoir en parler à ses parents, surtout si ceux-ci n’ont jamais parlé de ce genre de chose avant. Preuve que c’est quelque chose à inculquer aux enfants dès leur plus jeune âge. L’un des messages les plus essentiels du manga est d’ailleurs sans doute là : l’importance d’éduquer les enfants à ce genre de choses, de leur apprendre ces choses qu’ils ne connaissent pas forcément dans leur entourage. Un rôle qui doit être autant celui des parents que des enseignants à l’école, la mère de Yuki et M. Yokoyama le prouvent bien.



Si la place de l’homosexualité dans la société est le sujet principal de l’œuvre, il ne s’agit pas de son seul intérêt, car Le mari de mon frère regorge d’autres qualités.
En tête, son ambiance de tranche de vie vraiment pleine d’une tendresse qui fait du bien. En dehors des nombreuses interrogations sur l’homosexualité, le manga s’offre de nombreuses scènes de vie heureuse où l’on observe tout simplement le bonheur des personnages, surtout celui de la petite Kana qui est irrésistible avec son franc-parler, sa bonne bouille, sa joie au contact de Mike ou lors de sorties comme celle aux sources thermales. Un quotidien qui permet tout naturellement de rapprocher les personnages, comme le montrent Yaichi et Natsuki qui continuent de passer de bons moments ensemble. Les suivre dans ces moments de vie fait chaud au cœur et montre bien que oui, même en étant gay, divorcé, etc, on peut former ce qui s‘apparente à une famille, la toute dernière page de la série en est la plus jolie preuve.
Tagame, dans ce contexte quotidien, joue également bien sur les petites différences culturelles qui peuvent exister entre le Canada et le Japon, entre Mike et Yaichi. Il y a par exemple les câlins (c’est tout naturel en occident, alors qu’on n’en fait pas traditionnellement au Japon), les tatouages (au Japon, ils sont symboles des milieux yakuzas, et sont donc très mal perçus dans les lieux publics), la découverte des sources thermales par Mike… sans oublier la cuisine, très présente dans la série, et excellent moteur de partage et de convivialité !
Enfin, il y a le très léger fil conducteur autour de la raison pour laquelle Mike est venu au Japon : pour honorer une promesse faite à Ryôji… Un fil conducteur classique et sur lequel Tagame n’en fait pas trop, et qui au final est surtout là pour parfaire l’évolution de Yaichi, son lien amical bâti avec Mike, et surtout sa meilleure compréhension d’un frère qu’il n’a jamais vraiment oublié. On peut dire qu’entre les toutes premières pages en couleurs de la série et la fin, Yaichi a simplement gagné en humanité.



Toutes ces richesses, l’artiste a le mérite de les emballer dans un style non seulement très doux et tendre, mais aussi dans un ton pacifiste : les petits conflits se règlent toujours par le dialogue et par le besoin de comprendre.  A ce titre, Tagame, qui connaît forcément très bien son sujet, trouve toujours les bonnes répliques, celles qui disent tout ce qu’il faut sans avoir besoin d’en faire des tonnes et de se rallonger. Chaque chapitre apporte quelque chose, et la série se suffit donc parfaitement dans ses quatre volumes.

Entre certains chapitres, Gengoroh Tagame a eu l’excellente idée d’offrir des petits focus sur des éléments de culture gay (et pas uniquement). Le mariage gay, le « pink triangle », le « rainbow flag », les drapeaux des fiertés, l’origine de l’expression “coming out” et sa différence avec l’outing, les origines des marches des fiertés, la gay pride… Autant de choses qui ne sont pas toujours connues en profondeur ou que l’on peut confondre, et qu’il est toujours intéressant de mieux cerner.



Pour l’édition française, Akata, d’un bout à l’autre, a eu à cœur de porter cette série comme il se doit. Cela s’est ressenti dès l’annonce en 2016, s’est confirmé avec la venue au festival d’Angoulême en 2017 de Gengoroh Tagame. Et en cette toute fin d’année, pour marquer comme il se doit la conclusion de cette série qui a rencontre le succès qu’elle mérite (entre autre, elle a été dans la sélection officielle d’Angoulême 2017, et a remporté notre Tournoi Seinen 2016), les éditions Akata ont sorti, parallèlement au tome 4 unitaire, deux versions d’un coffret, une version contenant les 4 tomes soit l’intégrale, et l’autre version comprenant uniquement le tome 4 pour celles et ceux possédant déjà les trois premiers volumes (preuve que l’éditeur pense à tous les lecteurs). Ce coffret en carton rigide est magnifique, et est le fruit d’une collaboration directe entre Akata et Tagame puisque l’auteur a conçu pour celui-ci des illustrations inédites. Un très bel objet, en somme. Quant à l’édition en elle-même, elle profite d’un excellent travail : traduction impeccable de Bruno Pham qui fait ressortir toute l’intelligence et la tendresse du propos avec naturel, traduction des onomatopées convaincante avec un bel effort d’adaptation, papier bien épais tout en restant assez souple, excellente qualité d’impression, 4 premières pages en couleurs dans les trois premiers tomes et deux dans le dernier… Il n’y a rien à redire.



Au final, Le mari de mon frère est une série qui s’avère essentielle, tant elle est dans l’ère du temps et aborde les choses avec intelligence, dans une invitation à la compréhension et au dialogue, avec douceur et tendresse. Un titre beau et moderne, à faire lire à tous.
  
L'avis du chroniqueur
Koiwai

Dimanche, 29 Octobre 2017
18 20

commentaires

cicipouce

De cicipouce [3179 Pts], le 31 Octobre 2017 à 15h21

une note amplement mérité pour un manga de mon avis exceptionnel !

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