Dvd Interview de Brigitte Lecordier et Mark Lesser
Les 10 et 11 septembre derniers se tenaient, au Luxembourg, la nouvelle édition du Tsume Fan Days, événement où le fabriquant de figurines présente ses dernières nouveautés tout en proposant une multitude d'activités autour de l'animation japonaise. Parmi les invités, Brigitte Lecordier et Mark Lesser sont venus rencontrer leurs fans mais aussi parler du doublage récent de Dragon Ball Super. Tous deux comédiens qui ont fortement impacté la saga Dragon Ball en France, ils ont accepté de jouer le jeu de l'interview. Via une rencontre à l'esprit bon enfant, ils se sont livrés sur leur carrière mais aussi sur différentes anecdotes autour du doublage de Dragon Ball et ses suites...
Bonjour M. Lesser et Mme Lecordier. Dans un premier temps, comment êtes-vous devenus comédiens, et de quelle manière en êtes-vous venus au doublage ?
Mark Lesser : Ma mère était artiste et chanteuse, pas mon père. Nous nous sommes donc déplacés un peu partout en Europe, on est revenus en France à l'âge de 7 ans et je voulais alors faire de la musique tandis que ma grande-sœur voulait être danseuse. Nous avons alors été inscrits à l’École des enfants du spectacle, une école pour enfants d'artistes et de sportifs qui effectuaient un apprentissage artistique ou allaient au Conservatoire...
Pour ma part, j'étais inscrit au Conservatoire. Parfois, des metteurs en scène et réalisateurs venaient pour des casting, c'est comme ça que j'ai été sélectionné pour un tout petit rôle qui dura une journée. Quand tu te retrouves derrière les caméras, tu trouves ça génial, ça m'a vite donné envie.
Mon premier doublage fut le chat Berlioz dans les Aristochats, c'est étonnant car il n'y a jamais eu de redoublage pour le film. Cela s'est déroulé par le biais d'une famille habituée au doublage, et Disney cherchait une voix d'enfant. Je ne lisais alors pas bien le français mais je comprenais très bien l'anglais. On me tapait sur l'épaule au moment de lire mes phrases, j'étais hyper spontané et j'adorais ça ! J'ai aussi fait partie d'une troupe d'enfants, le Théâtre du Petit Monde, où on jouait des pièces comme le Petit Poucet. Depuis, je ne me suis jamais arrêté.
Brigitte Lecordier : J'ai un parcours un peu particulier puisque je suis entrée dans la Comédie après être passé par le Cirque, j'ai été clown. C'est original, c'était un rêve d'enfant. Vu que j'étais un p'tit truc un peu bizarre, une sorte de shtroumpf avant l'heure qui jouait des personnages lunaires, on m'a vite appelée au théâtre pour jouer des rôles d'enfants, j'ai d'ailleurs incarné beaucoup d'enfants.
Un jour, je jouais Louison dans Le Malade Imaginaire, au Théâtre de Paris, des gens cherchaient alors une voix de petite-fille pour une publicité d'Amnesty International. Vu que je portais des anglaises sur scènes, ils croyaient que j'étais une vraie petite-fille et se sont montrés intéressés, puis ils ont vu que j'étais adulte... (rires)
Ils m'ont alors recruté mais c'était assez dur, l'idée était de parler des 10 ans de l'invasion russe en Afghanistan. Dans la publicité, la petite-fille amenait un gâteau d'anniversaire et tombait sous le bruit des bombes... Ils ont essayé de donner le rôle à des gamins mais c'était juste pas possible ! Après doublage, on a trouvé ma voix géniale, on m'a alors fait venir dans la série Côte Ouest - Knots Landing. On m'a ensuite dirigée vers des petits-garçons, j'ai beaucoup de mal à revenir vers des petites-filles. (rires)
Mark, tu as doublé beaucoup de personnages hauts en couleur dans les séries des années 90 : Alex dans Buffy contre les vampires, Cody dans Notre Belle Famille, Joey dans Friends... Est-ce que tu es toi-même assez déjanté ?
Mark Lesser : Non, je suis quelqu'un de sombre, pénible, un peu triste et assez chiant... (rires)
Plus sérieusement, on ne va pas dire qu'on ressemble tout le temps aux personnages qu'on double parce qu'on incarne parfois de drôles de trucs. Mais en ce qui concerne les personnages marquants, il y a certainement un petit lien car on ne pense pas à toi pour rien. Je le disais hier lors de la conférence Tsume, Cody Lambert est l'un des premiers personnages déjantés que j'ai fait, et c'était juste un régal de pouvoir enregistrer une partie des bêtises que je disais dans le couloir ! Du coup, il s'est passé un peu la même chose qu'avec Brigitte au niveau de ma voix, on m'a repéré et on a bien vu que je savais jouer les gogols... ou les psychopathes, parce qu'ils sont un peu liés.
Mais est-ce qu'il y a une voix qui a tendance à reprendre le dessus ? Une voix, parmi d'autres, que tu aurais tendance à employer plus spontanément ?
Mark Lesser : C'est très curieux parce qu'il y a une différence dans les dessins-animés car tu composes un personnages, tu vas chercher une voix. Car il n'y a pas que ça, il y a aussi une énergie à trouver. Par exemple, je ne prends pas une voix particulière quand j'enregistre Dragon Ball, mais l'énergie que j'emploie est différente. Ça induit un phrasé différent... Bien-sûr, il y aura aussi les voix trafiquée où tu devras t'adapter. Après, pour le doublage d'acteurs en chair et en os, ça se modifie naturellement : tu le vois à son corps et à ses yeux, tu fais en sorte que ta voix corresponde à ce que l'acteur d'origine fait, il y a alors comme un truc qui vient.
C'est ça pour Joey de Friends qui ressemblent beaucoup à Cody Lambert. Joey, c'est moi en pire, je l'ai vu arriver avec sa manière de faire les gros yeux et ses autres mimiques. Je l'ai un peu chargé au niveau du rire, ce n'est pas aussi important en anglais, mais à sa manière de faire les gros yeux et mettre sa gorge en avant, ça donne ça. (Mark Lesser refait alors son rire de Joey de la série Friends).
Brigitte, tu es très connue pour avoir doublé Son Gokû enfant. Est-ce qu'en entamant Dragon Ball, tu t'attendais à une si longue aventure ?
Brigitte Lecordier : Mais pas du tout ! On ne savait pas du tout ce qu'on faisait. D'ailleurs, quand on entre en studio, on ne sait même pas sur quel produit on va travailler. A chaque fois, sur Son Gokû et Oui-Oui notamment, j'ai fait des essais et j'ai eu la chance d'être sélectionnée. Mais au départ, on ne sait pas si la série va marcher ou non et à l'époque, personne n'aurait miser sur Dragon Ball puisque tout le monde trouvait ça bizarre, voire nul... Nous n'avions pas du tout l'habitude de ce genre de dessins-animés.
Est-ce que Dragon Ball était le premier dessin-animé que tu enregistrais ?
Brigitte Lecordier : Non, je crois que j'avais déjà enregistré Bouli, le bonhomme de neige qui ne fond jamais. Aussi, je me demande si nous n'avions pas déjà interprété Mazinger Z avec Patrick Borg, avant la sortie de Dragon Ball... Avec Patrick, il y avait beaucoup de connivences. Il jouait mon frère donc en coulisse, je l'appelait "mon frère", je continue même aujourd'hui parce qu'on est contents de se retrouver. (rires)
Pour revenir à Dragon Ball, tu ne sais pas si ça va durer vingt ou trente ans. J'ai une chance incroyable dans ma carrière, j'ai par exemple fait Bonne Nuit les Petits et trente ans après... c'est pareil ! Pour Oui-Oui, trente ans après, une nouvelle série arrive. Il y a aussi Babar mais on a tous été remplacés dessus... J'ai fait beaucoup de séries qui ont énormément fonctionné. Pourquoi ? Je n'en sais rien, mais c'est une chance inouïe. J'ai tiré le bon numéro.
Vous avez récemment débuté Dragon Ball Super. Par exemple, Mark, tu as repris le rôle de Son Gohan. Peut-on s'attendre à ce que vous doubliez d'autres personnages ?
Brigitte Lecordier : J'aimerais moi !
Mark Lesser : Non, en dehors de Gohan je ne double pas beaucoup de personnages secondaires. Mais a priori, je vais reprendre Trunks du futur quand il reviendra... Je ne sais pas comment je vais faire pour Gohan et Trunks car ils sont très proches en âge, mais pas en caractère. Visiblement, ils se croisent très peu, mais je vais devoir jouer de manière sombre pour Trunks, c'est très dur d'être le fils de Vegeta...
Surtout que Trunks du futur est l'un des personnages préférés des fans...
Mark Lesser : Je m'en rends compte maintenant car on me parle pratiquement que de lui en convention ! Gohan est sympa et marrant, j'aime bien l'interpréter. Mais pour Trunks, il y a quelque chose et je me rends compte qu'il a énormément marqué.
Concernant Son Gohan, il est un peu en retrait et affaibli par rapport à Dragon Ball Z. Est-ce que tu l'as ressenti ?
Mark Lesser : Oui, il disparaît un peu de l'intrigue, il ne participe pas au tournoi (des univers 6 et 7, ndlr). Il rentre chez lui et est amoureux, donc il s'occupe de sa femme. Néanmoins, il se rend compte qu'il faut qu'il s'entraine donc il va revenir encore plus fort !
Parlons maintenant de Dragon Ball GT. Brigitte, tu es l'une des rares à être au casting. Est-ce que tu gardes des souvenirs particuliers de ce doublage ?
Brigitte Lecordier : Oui, parce que c'est l'une des rares fois, dans mon histoire dans le doublage, où j'ai enregistré seule. J'ai fait 64 épisodes toute seule, je ne comprenais pas pourquoi, et on ne m'avait pas donné les raisons du remplacement de mes camarades.
Mark Lesser : Pour ma part, j'ai incarné Gohan et Oob sur les deux premiers épisodes puis on ne m'a plus jamais rappelé, je n'ai jamais su pourquoi...
Brigitte Lecordier : A cette époque, il y a eu une grosse grève. Juste après ils ont remplacé tout le casting, ils voulaient même me virer au début. Une nouvelle équipe est alors arrivée, certains sont même restés sur Dragon Ball Super.
Oui, on se souvient aussi du remplacement sur le casting de Friends...
Mark Lesser : C'était un peu différent pour Friends. Avec Emmanuel Curtil (interprète français de Chandler, ndt), on est partis parce que pour la dernière saison, on voulait changer les conditions de travail qui nous concernaient. On était au départ d'accords tous les six, puis nos camarades ont accepté les conditions proposées. Emmanuel et moi avons tenus car Friends est une série que nous avons beaucoup défendue et sur laquelle il y a eu des hauts et des bas. Et, surtout, nos employeurs trouvaient qu'on nous entendait trop, ils commençaient à nous remplacer. Friends a eu un succès énorme et continue d'être diffusé mais pour nous deux, une saison ne représentait que douze jours de boulot dans l'année. Ce n'était donc pas par rapport à la grève, mais je n'étais pas au courant pour Dragon Ball GT...
Brigitte Lecordier : Du coup, je me suis retrouvée seule sur GT, ce n'était pas drôle. Aussi, mon petit chouchou Pierre Trabaud (directeur artistique sur Dragon Ball et Dragon Ball Z, aussi voix de Kamé Sennin et beaucoup de personnages secondaires, ndlr) venait de décéder. De toute façon, Pierro n'aurait pas accepté de diriger Dragon Ball GT dans ces conditions là, il aurait voulu enregistrer avec toute son équipe.
Mark, vous avez doublé dans certains films Disney dont Pinocchio.
Mark Lesser : Attention, je n'ai pas fait la version originale ! (rires) J'ai incarné Pinocchio dans le redoublage de 1974, j'avais dix ou onze ans.
Brigitte Lecordier : Il faut dire que tu étais tellement mignon dans ce rôle...
Du coup, est-ce différent de doubler un film Disney ?
Mark Lesser : Pour un Disney, on a plus de temps, c'est chouette ! On oublie parfois qu'il faut du temps pour savoir jouer la comédie, ça ne vient pas comme ça. Il y a plus de budget donc on est moins pressés, et ça joue beaucoup.
Il y a une tendance depuis quelques temps consistant à faire doubler des gens connus tandis qu'avant, on ne comptait que des comédiens de profession dans le doublage de Disney...
Mark Lesser : D'abord, il n'y a pas de comédiens de doublage, tous sont comédiens. Tu regardes Dominique Paturel qui était, quand j'étais petit, LA voix Disney, il a tout joué. Nous ne faisons pas cette distinction de doublage entre nous. A côté de ça il y a effectivement une démarche marketing, la production veut mettre quelqu'un de célèbre dans le doublage pour faire de la pub. Aux États-Unis, de plus en plus de comédiens connus font des voix. Tant que l'individu est un acteur, ça ne me dérange pas. En revanche, ça devient gênant si c'est quelqu'un qui fait de la F1 ou du football... Parce que pour ma part, ils n'ont pas voulu que je fasse la coupe du monde, j'ai essayé pourtant... (rires)
Brigitte Lecordier : Maintenant, ils vont beaucoup chercher les gens sur le web.
Mark Lesser : La démarche est entièrement marketing. Ça peut être très chouette si c'est des acteurs, certains peuvent se révéler être très bons en doublage. Le doublage n'est que l'une des disciplines qu'un acteur doit savoir maîtriser. On le disait tout à l'heure, c'est comme être musicien de studio : tu as ton instrument et un cadre, mais tu dois savoir jouer. Et ça c'est un boulot de comédien.
Brigitte, tu as participé à des projets étonnants comme la série de canulars "Allo c'est Ninou", peux-tu nous en parler ?
Brigitte Lecordier : C'est un projet qui est sorti de ma tête, j'ai tout écrit et inventé. Quand je réponds au téléphone, des choses parfois étranges se produisent. Par exemple, la fois où j'ai voulu inscrire mon fils à l'école, j'ai dû appeler la mairie mais je suis toujours un peu timide pour les démarches administratives. On m'a répondu que mon papa devrait appeler pour faire l'inscription... ils étaient persuadés que c'était le gamin qui appelait ! (rires) Ma timidité a amené cette petite voix que je maîtrise maintenant.
J'ai eu l'idée des canulars téléphoniques et suis allée voir les grandes radios qui étaient toutes dingues du concept, mais ils n'ont pas su où les placer vu que c'est un format court qui ne se fait plus aujourd'hui. Je suis ensuite allée voir un producteur de dessins-animés qui travaillait pour des radios suisses et belges, dans le but me faire connaître là-bas, mais il a voulu me faire un dessin-animé. J'avais peur que ce soit nul et redondant. Il m'a présenté un jeune réalisateur, Guilloteau, nous sommes ainsi partis de mes canulars pour qu'il fasse des dessins diffusés ensuite sur Canal +. J'ai aussi des décorateurs extraordinaires, qui travaillent sur la taille d'une feuille de papier canson et entièrement en volume.
Travailler pour la télé est chouette mais intense car on te dit que dans trois mois, quarante sketchs doivent être prêts. Si certains des lecteurs du site ne connaissent pas Allo c'est Ninou, il faut aller sur la page facebook et "liker" car aujourd'hui, on n'existe que par ces likes, on me demande même combien de likes je vaux ! (rires) Quand je fais un "Nuage magique !", je vaut 2 800 000 vues mais pour un p'tit Ninou, c'est plus modeste. Il faut le faire connaître parce que tout le monde n'a pas Canal +. J'ai eu le droit de diffuser quatre vidéos sur quarante, sur facebook. C'est donc difficile de faire connaître mon produit.
Pour finir, quels sont vos projets actuellement ? Dans l'animation, notamment...
Brigitte Lecordier : Dans l'animation, je vais diriger Petit Ours Brun pour Bayard, il va y avoir une nouvelle série. Je vais faire ça avec un réalisateur que j'estime énormément et qui ne bêtifie pas l'enfance. Je vais aussi faire les Minijusticiers pour TF1, avec 70 enfants, puis on est repartis sur les Cartooners pour Martin Matin en 3D que je dirige tout en doublant Gromo, le copain de Martin Matin.
Mark Lesser : En ce moment, je fais de la direction artistique de jeux. Je peux en parler, je viens de finir Batman Arkham Knight, je dirige toute la série des Arkham depuis huit ans. Je fais aussi d'autres doublages de jeux mais je ne peux pas en parler tant qu'ils ne sont pas finis. Pour le doublage de jeu, la technique est différente et on fait très peu de rythmo. Il peut aussi y avoir un côté répétitif car c'est comme si on faisait une série en une fois : on doit enregistrer 70 heures de jouabilité. L'histoire n'est pas linéaire non plus, il y a plein d'embranchements. J'ai été joueur dans le temps, ça me permet de bien comprendre l'architecture des jeux-vidéo, mais je n'ai plus trop le temps de jouer. J'ai une vieille Playstation qui traîne quelque part mais plus rien ne tournerait dessus... (rires)
Brigitte Lecordier : Ce qu'il y a de bien, c'est que tu es aussi bilingue.
Mark Lesser : C'est vrai que ça m'aide beaucoup pour comprendre. Ensuite, je dois doubler de nouveau Matt Leblanc, il a une série à succès très discrète, Episodes, mais que je vous conseille et même en anglais. C'est une mini-série, il y a sept à neuf épisodes par an. C'est génial et très drôle, on va faire la dernière saison bientôt.
Remerciements à Brigitte Lecordier et Mark Lesser pour leur participation.
Bonjour M. Lesser et Mme Lecordier. Dans un premier temps, comment êtes-vous devenus comédiens, et de quelle manière en êtes-vous venus au doublage ?
Mark Lesser : Ma mère était artiste et chanteuse, pas mon père. Nous nous sommes donc déplacés un peu partout en Europe, on est revenus en France à l'âge de 7 ans et je voulais alors faire de la musique tandis que ma grande-sœur voulait être danseuse. Nous avons alors été inscrits à l’École des enfants du spectacle, une école pour enfants d'artistes et de sportifs qui effectuaient un apprentissage artistique ou allaient au Conservatoire...
Pour ma part, j'étais inscrit au Conservatoire. Parfois, des metteurs en scène et réalisateurs venaient pour des casting, c'est comme ça que j'ai été sélectionné pour un tout petit rôle qui dura une journée. Quand tu te retrouves derrière les caméras, tu trouves ça génial, ça m'a vite donné envie.
Mon premier doublage fut le chat Berlioz dans les Aristochats, c'est étonnant car il n'y a jamais eu de redoublage pour le film. Cela s'est déroulé par le biais d'une famille habituée au doublage, et Disney cherchait une voix d'enfant. Je ne lisais alors pas bien le français mais je comprenais très bien l'anglais. On me tapait sur l'épaule au moment de lire mes phrases, j'étais hyper spontané et j'adorais ça ! J'ai aussi fait partie d'une troupe d'enfants, le Théâtre du Petit Monde, où on jouait des pièces comme le Petit Poucet. Depuis, je ne me suis jamais arrêté.
Brigitte Lecordier : J'ai un parcours un peu particulier puisque je suis entrée dans la Comédie après être passé par le Cirque, j'ai été clown. C'est original, c'était un rêve d'enfant. Vu que j'étais un p'tit truc un peu bizarre, une sorte de shtroumpf avant l'heure qui jouait des personnages lunaires, on m'a vite appelée au théâtre pour jouer des rôles d'enfants, j'ai d'ailleurs incarné beaucoup d'enfants.
Un jour, je jouais Louison dans Le Malade Imaginaire, au Théâtre de Paris, des gens cherchaient alors une voix de petite-fille pour une publicité d'Amnesty International. Vu que je portais des anglaises sur scènes, ils croyaient que j'étais une vraie petite-fille et se sont montrés intéressés, puis ils ont vu que j'étais adulte... (rires)
Ils m'ont alors recruté mais c'était assez dur, l'idée était de parler des 10 ans de l'invasion russe en Afghanistan. Dans la publicité, la petite-fille amenait un gâteau d'anniversaire et tombait sous le bruit des bombes... Ils ont essayé de donner le rôle à des gamins mais c'était juste pas possible ! Après doublage, on a trouvé ma voix géniale, on m'a alors fait venir dans la série Côte Ouest - Knots Landing. On m'a ensuite dirigée vers des petits-garçons, j'ai beaucoup de mal à revenir vers des petites-filles. (rires)
Mark, tu as doublé beaucoup de personnages hauts en couleur dans les séries des années 90 : Alex dans Buffy contre les vampires, Cody dans Notre Belle Famille, Joey dans Friends... Est-ce que tu es toi-même assez déjanté ?
Mark Lesser : Non, je suis quelqu'un de sombre, pénible, un peu triste et assez chiant... (rires)
Plus sérieusement, on ne va pas dire qu'on ressemble tout le temps aux personnages qu'on double parce qu'on incarne parfois de drôles de trucs. Mais en ce qui concerne les personnages marquants, il y a certainement un petit lien car on ne pense pas à toi pour rien. Je le disais hier lors de la conférence Tsume, Cody Lambert est l'un des premiers personnages déjantés que j'ai fait, et c'était juste un régal de pouvoir enregistrer une partie des bêtises que je disais dans le couloir ! Du coup, il s'est passé un peu la même chose qu'avec Brigitte au niveau de ma voix, on m'a repéré et on a bien vu que je savais jouer les gogols... ou les psychopathes, parce qu'ils sont un peu liés.
Mais est-ce qu'il y a une voix qui a tendance à reprendre le dessus ? Une voix, parmi d'autres, que tu aurais tendance à employer plus spontanément ?
Mark Lesser : C'est très curieux parce qu'il y a une différence dans les dessins-animés car tu composes un personnages, tu vas chercher une voix. Car il n'y a pas que ça, il y a aussi une énergie à trouver. Par exemple, je ne prends pas une voix particulière quand j'enregistre Dragon Ball, mais l'énergie que j'emploie est différente. Ça induit un phrasé différent... Bien-sûr, il y aura aussi les voix trafiquée où tu devras t'adapter. Après, pour le doublage d'acteurs en chair et en os, ça se modifie naturellement : tu le vois à son corps et à ses yeux, tu fais en sorte que ta voix corresponde à ce que l'acteur d'origine fait, il y a alors comme un truc qui vient.
C'est ça pour Joey de Friends qui ressemblent beaucoup à Cody Lambert. Joey, c'est moi en pire, je l'ai vu arriver avec sa manière de faire les gros yeux et ses autres mimiques. Je l'ai un peu chargé au niveau du rire, ce n'est pas aussi important en anglais, mais à sa manière de faire les gros yeux et mettre sa gorge en avant, ça donne ça. (Mark Lesser refait alors son rire de Joey de la série Friends).
Brigitte, tu es très connue pour avoir doublé Son Gokû enfant. Est-ce qu'en entamant Dragon Ball, tu t'attendais à une si longue aventure ?
Brigitte Lecordier : Mais pas du tout ! On ne savait pas du tout ce qu'on faisait. D'ailleurs, quand on entre en studio, on ne sait même pas sur quel produit on va travailler. A chaque fois, sur Son Gokû et Oui-Oui notamment, j'ai fait des essais et j'ai eu la chance d'être sélectionnée. Mais au départ, on ne sait pas si la série va marcher ou non et à l'époque, personne n'aurait miser sur Dragon Ball puisque tout le monde trouvait ça bizarre, voire nul... Nous n'avions pas du tout l'habitude de ce genre de dessins-animés.
Est-ce que Dragon Ball était le premier dessin-animé que tu enregistrais ?
Brigitte Lecordier : Non, je crois que j'avais déjà enregistré Bouli, le bonhomme de neige qui ne fond jamais. Aussi, je me demande si nous n'avions pas déjà interprété Mazinger Z avec Patrick Borg, avant la sortie de Dragon Ball... Avec Patrick, il y avait beaucoup de connivences. Il jouait mon frère donc en coulisse, je l'appelait "mon frère", je continue même aujourd'hui parce qu'on est contents de se retrouver. (rires)
Pour revenir à Dragon Ball, tu ne sais pas si ça va durer vingt ou trente ans. J'ai une chance incroyable dans ma carrière, j'ai par exemple fait Bonne Nuit les Petits et trente ans après... c'est pareil ! Pour Oui-Oui, trente ans après, une nouvelle série arrive. Il y a aussi Babar mais on a tous été remplacés dessus... J'ai fait beaucoup de séries qui ont énormément fonctionné. Pourquoi ? Je n'en sais rien, mais c'est une chance inouïe. J'ai tiré le bon numéro.
Vous avez récemment débuté Dragon Ball Super. Par exemple, Mark, tu as repris le rôle de Son Gohan. Peut-on s'attendre à ce que vous doubliez d'autres personnages ?
Brigitte Lecordier : J'aimerais moi !
Mark Lesser : Non, en dehors de Gohan je ne double pas beaucoup de personnages secondaires. Mais a priori, je vais reprendre Trunks du futur quand il reviendra... Je ne sais pas comment je vais faire pour Gohan et Trunks car ils sont très proches en âge, mais pas en caractère. Visiblement, ils se croisent très peu, mais je vais devoir jouer de manière sombre pour Trunks, c'est très dur d'être le fils de Vegeta...
Surtout que Trunks du futur est l'un des personnages préférés des fans...
Mark Lesser : Je m'en rends compte maintenant car on me parle pratiquement que de lui en convention ! Gohan est sympa et marrant, j'aime bien l'interpréter. Mais pour Trunks, il y a quelque chose et je me rends compte qu'il a énormément marqué.
Concernant Son Gohan, il est un peu en retrait et affaibli par rapport à Dragon Ball Z. Est-ce que tu l'as ressenti ?
Mark Lesser : Oui, il disparaît un peu de l'intrigue, il ne participe pas au tournoi (des univers 6 et 7, ndlr). Il rentre chez lui et est amoureux, donc il s'occupe de sa femme. Néanmoins, il se rend compte qu'il faut qu'il s'entraine donc il va revenir encore plus fort !
Parlons maintenant de Dragon Ball GT. Brigitte, tu es l'une des rares à être au casting. Est-ce que tu gardes des souvenirs particuliers de ce doublage ?
Brigitte Lecordier : Oui, parce que c'est l'une des rares fois, dans mon histoire dans le doublage, où j'ai enregistré seule. J'ai fait 64 épisodes toute seule, je ne comprenais pas pourquoi, et on ne m'avait pas donné les raisons du remplacement de mes camarades.
Mark Lesser : Pour ma part, j'ai incarné Gohan et Oob sur les deux premiers épisodes puis on ne m'a plus jamais rappelé, je n'ai jamais su pourquoi...
Brigitte Lecordier : A cette époque, il y a eu une grosse grève. Juste après ils ont remplacé tout le casting, ils voulaient même me virer au début. Une nouvelle équipe est alors arrivée, certains sont même restés sur Dragon Ball Super.
Oui, on se souvient aussi du remplacement sur le casting de Friends...
Mark Lesser : C'était un peu différent pour Friends. Avec Emmanuel Curtil (interprète français de Chandler, ndt), on est partis parce que pour la dernière saison, on voulait changer les conditions de travail qui nous concernaient. On était au départ d'accords tous les six, puis nos camarades ont accepté les conditions proposées. Emmanuel et moi avons tenus car Friends est une série que nous avons beaucoup défendue et sur laquelle il y a eu des hauts et des bas. Et, surtout, nos employeurs trouvaient qu'on nous entendait trop, ils commençaient à nous remplacer. Friends a eu un succès énorme et continue d'être diffusé mais pour nous deux, une saison ne représentait que douze jours de boulot dans l'année. Ce n'était donc pas par rapport à la grève, mais je n'étais pas au courant pour Dragon Ball GT...
Brigitte Lecordier : Du coup, je me suis retrouvée seule sur GT, ce n'était pas drôle. Aussi, mon petit chouchou Pierre Trabaud (directeur artistique sur Dragon Ball et Dragon Ball Z, aussi voix de Kamé Sennin et beaucoup de personnages secondaires, ndlr) venait de décéder. De toute façon, Pierro n'aurait pas accepté de diriger Dragon Ball GT dans ces conditions là, il aurait voulu enregistrer avec toute son équipe.
Mark, vous avez doublé dans certains films Disney dont Pinocchio.
Mark Lesser : Attention, je n'ai pas fait la version originale ! (rires) J'ai incarné Pinocchio dans le redoublage de 1974, j'avais dix ou onze ans.
Brigitte Lecordier : Il faut dire que tu étais tellement mignon dans ce rôle...
Du coup, est-ce différent de doubler un film Disney ?
Mark Lesser : Pour un Disney, on a plus de temps, c'est chouette ! On oublie parfois qu'il faut du temps pour savoir jouer la comédie, ça ne vient pas comme ça. Il y a plus de budget donc on est moins pressés, et ça joue beaucoup.
Il y a une tendance depuis quelques temps consistant à faire doubler des gens connus tandis qu'avant, on ne comptait que des comédiens de profession dans le doublage de Disney...
Mark Lesser : D'abord, il n'y a pas de comédiens de doublage, tous sont comédiens. Tu regardes Dominique Paturel qui était, quand j'étais petit, LA voix Disney, il a tout joué. Nous ne faisons pas cette distinction de doublage entre nous. A côté de ça il y a effectivement une démarche marketing, la production veut mettre quelqu'un de célèbre dans le doublage pour faire de la pub. Aux États-Unis, de plus en plus de comédiens connus font des voix. Tant que l'individu est un acteur, ça ne me dérange pas. En revanche, ça devient gênant si c'est quelqu'un qui fait de la F1 ou du football... Parce que pour ma part, ils n'ont pas voulu que je fasse la coupe du monde, j'ai essayé pourtant... (rires)
Brigitte Lecordier : Maintenant, ils vont beaucoup chercher les gens sur le web.
Mark Lesser : La démarche est entièrement marketing. Ça peut être très chouette si c'est des acteurs, certains peuvent se révéler être très bons en doublage. Le doublage n'est que l'une des disciplines qu'un acteur doit savoir maîtriser. On le disait tout à l'heure, c'est comme être musicien de studio : tu as ton instrument et un cadre, mais tu dois savoir jouer. Et ça c'est un boulot de comédien.
Brigitte, tu as participé à des projets étonnants comme la série de canulars "Allo c'est Ninou", peux-tu nous en parler ?
Brigitte Lecordier : C'est un projet qui est sorti de ma tête, j'ai tout écrit et inventé. Quand je réponds au téléphone, des choses parfois étranges se produisent. Par exemple, la fois où j'ai voulu inscrire mon fils à l'école, j'ai dû appeler la mairie mais je suis toujours un peu timide pour les démarches administratives. On m'a répondu que mon papa devrait appeler pour faire l'inscription... ils étaient persuadés que c'était le gamin qui appelait ! (rires) Ma timidité a amené cette petite voix que je maîtrise maintenant.
J'ai eu l'idée des canulars téléphoniques et suis allée voir les grandes radios qui étaient toutes dingues du concept, mais ils n'ont pas su où les placer vu que c'est un format court qui ne se fait plus aujourd'hui. Je suis ensuite allée voir un producteur de dessins-animés qui travaillait pour des radios suisses et belges, dans le but me faire connaître là-bas, mais il a voulu me faire un dessin-animé. J'avais peur que ce soit nul et redondant. Il m'a présenté un jeune réalisateur, Guilloteau, nous sommes ainsi partis de mes canulars pour qu'il fasse des dessins diffusés ensuite sur Canal +. J'ai aussi des décorateurs extraordinaires, qui travaillent sur la taille d'une feuille de papier canson et entièrement en volume.
Travailler pour la télé est chouette mais intense car on te dit que dans trois mois, quarante sketchs doivent être prêts. Si certains des lecteurs du site ne connaissent pas Allo c'est Ninou, il faut aller sur la page facebook et "liker" car aujourd'hui, on n'existe que par ces likes, on me demande même combien de likes je vaux ! (rires) Quand je fais un "Nuage magique !", je vaut 2 800 000 vues mais pour un p'tit Ninou, c'est plus modeste. Il faut le faire connaître parce que tout le monde n'a pas Canal +. J'ai eu le droit de diffuser quatre vidéos sur quarante, sur facebook. C'est donc difficile de faire connaître mon produit.
Pour finir, quels sont vos projets actuellement ? Dans l'animation, notamment...
Brigitte Lecordier : Dans l'animation, je vais diriger Petit Ours Brun pour Bayard, il va y avoir une nouvelle série. Je vais faire ça avec un réalisateur que j'estime énormément et qui ne bêtifie pas l'enfance. Je vais aussi faire les Minijusticiers pour TF1, avec 70 enfants, puis on est repartis sur les Cartooners pour Martin Matin en 3D que je dirige tout en doublant Gromo, le copain de Martin Matin.
Mark Lesser : En ce moment, je fais de la direction artistique de jeux. Je peux en parler, je viens de finir Batman Arkham Knight, je dirige toute la série des Arkham depuis huit ans. Je fais aussi d'autres doublages de jeux mais je ne peux pas en parler tant qu'ils ne sont pas finis. Pour le doublage de jeu, la technique est différente et on fait très peu de rythmo. Il peut aussi y avoir un côté répétitif car c'est comme si on faisait une série en une fois : on doit enregistrer 70 heures de jouabilité. L'histoire n'est pas linéaire non plus, il y a plein d'embranchements. J'ai été joueur dans le temps, ça me permet de bien comprendre l'architecture des jeux-vidéo, mais je n'ai plus trop le temps de jouer. J'ai une vieille Playstation qui traîne quelque part mais plus rien ne tournerait dessus... (rires)
Brigitte Lecordier : Ce qu'il y a de bien, c'est que tu es aussi bilingue.
Mark Lesser : C'est vrai que ça m'aide beaucoup pour comprendre. Ensuite, je dois doubler de nouveau Matt Leblanc, il a une série à succès très discrète, Episodes, mais que je vous conseille et même en anglais. C'est une mini-série, il y a sept à neuf épisodes par an. C'est génial et très drôle, on va faire la dernière saison bientôt.
Remerciements à Brigitte Lecordier et Mark Lesser pour leur participation.
De Bizdou, le 07 Novembre 2016 à 14h22
Merci pour cette super interview et aux comédiens d'avoir accepté de jouer le jeu! La conclusion est qu'il n'y a pas de frontière entre Oui-Oui et Goku! lol