Dvd Rencontre avec Yasuhiro Yoshiura
Après s'être fait connaître avec Pale Cocoon et Time of Eve, le réalisateur Yasuhiro Yoshiura est revenu le 12 mars en France avec son premier long-métrage, Patéma et le Monde Inversé, une œuvre diffusée en avant-première lors du Festival d'Annecy de 2013, et que l'auteur vint présenter en personne en février dernier à Paris. Ce fut l'occasion pour nous de partir à la rencontre de ce jeune artiste plein de promesses, qui revint volontiers sur de nombreux aspects de son film. De l'histoire elle-même jusqu'aux détails visuels et sonores, en passant par l'intérêt de l'artiste pour la science-fiction et le cinéma en prises de vue réelles, nous vous invitons aujourd'hui à découvrir un peu plus les dessous de Patéma & le Monde inversé et ce qui fait l'intérêt du cinéma de Mr Yoshiura !
Yasuhiro Yoshiura, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview. Vous vous êtes fait connaître avec le court-métrage Pale Cocoon. Comment est né ce projet ?
Yasuhiro Yoshiura : Après avoir réalisé quelques courts-métrages amateurs pendant mes études, j'ai choisi, notamment par manque de budget, de rester sur ce format de moins de 30 minutes quand j'ai décidé de faire une œuvre plus ambitieuse. Adorant la science-fiction classique, j'ai décidé de donner dans ce thème, en essayant toutefois de ne pas faire une histoire basée uniquement sur la SF. J'y ai donc ajouté un élément qui n'a rien à voir avec la SF et que j'adore également : la comédie musicale.
C'est à partir de ce concept de base que j'ai écrit l'histoire. Dans un univers futuriste lointain et sombre, débarque un style de comédie musicale : c'est de là qu'est venue l'idée de chercheurs archéologues retrouvant un clip musical du passé. Je me suis ensuite imaginé la réaction des archéologues face à cette découverte détonnante.
Votre œuvre suivante, Eve no Jikan/Time of Eve, a marqué les esprits en jouissant d'une forte notoriété et en confirmant votre statut de nouveau nom de l'animation à suivre de près. Quelles ont été vos influences pour sa création ?
Au départ, j'ai demandé à l'un des producteurs de Pale Cocoon la possibilité de faire une oeuvre plus importante, plus longue, avec une vraie équipe derrière. Il m'a répondu oui, à condition que ce soit une série de courts métrages, avec un budget un peu limité. Je me suis alors demandé ce que j'allais pouvoir faire avec ce format, puis je me suis souvenu de mon court-métrage Aquatic Language (ou Mizu no Kotoba, disponible dans les bonus de l'édition française de Pale Cocoon, ndlr) qui se déroule dans un café. Je me suis dit alors que je pouvais reprendre cette idée, en focalisant les choses dans un café afin de travailler la mise en scène sans trop de difficulté.
Ensuite, j'ai commencé à écrire les histoires un peu étranges qui se déroulent dans ce café, et cette étape fut assez délicate. J'ai rencontré des difficultés pour conserver un tout cohérent, j'ai dû laisser tomber beaucoup d'idées, c'était un peu frustrant. Pour éviter ces problèmes, j'ai alors décidé de mêler les intrigues de ce café à des histoires de robots, parce qu'à l'époque j'adorais tout ce qui concernait la robotique. C'est ainsi qu'est venu petit à petit ce thème des relations entre des robots domestiques et leur propriétaires. Ca m'a permis de contourner certains soucis, mais ça en a apporté d'autres (rires). En tout cas, c'est comme ça que s'est déroulée la conception de Time of Eve.
Passons à Patéma & le Monde Inversé. Le thème de l'histoire d'amour dans un monde inversé est un sujet très prisé par les auteurs de science-fiction, encore récemment on a eu le film Upside Down de Juan Solanas sur ce thème. Certaines oeuvres cultes de ce domaine vous ont-elles servi de références pour Patéma ?
Si on parle d'expérience à proprement parler, les principales idées de Patéma & le Monde Inversé viennent plutôt de mon expérience personnelle, surtout de mon enfance. Quand j'étais petit, chaque fois que je regardais le ciel, j'avais l'impression de tomber dans cette vaste étendue bleue, et c'est ce qui m'a fourni la première base du film : un personnage qui tombe dans le ciel.
D'un autre côté, je fais partie de la génération jeux vidéo, et dans certains jeux il y a beaucoup d'histoires où les lois de la gravité sont chamboulées. Je pense que ces jeux auxquels j'ai joué m'ont conforté dans ce concept de base pour Patéma & le Monde Inversé.
Toutefois, j'ai voulu apporter à mon film un élément bien différent, en me focalisant sur le point de vue de celle qui vit apparemment à l'envers, les pieds dans le vide.
Et pour les autres thèmes importants, y a-t-il eu des influences marquantes ? Je pense notamment au régime totalitaire d'Aiga, qui rappelle de nombreux univers vus dans un domaine qu'on sait que vous aimez beaucoup : celui de la science-fiction, avec par exemple des auteurs comme Philip K. Dick ou Isaac Asimov...
Si l'histoire en elle-même est née de mon expérience personnelle, il est vrai que de nombreux éléments constituant l'univers du film, Aiga en tête, m'ont été inspirés par des œuvres de science-fiction considérées comme des classiques, et peut-être plus encore par certains films qui les adaptent ou en reprennent des idées.
Y a-t-il des noms en particulier ?
Il y a évidemment 1984, incontournable du genre. Ensuite, il y a le film Brazil de Terry Gilliam.
Oh, mon film préféré...
C'est le mien aussi ! (rires) Du coup, je suppose que vous attendez avec impatience son nouveau film qui doit sortir cette année ?
J'allais vous poser la même question (rires). Et donc, oui, le Théorème Zéro est le film que j'attends le plus impatiemment en 2014.
Tout comme moi. Il a déjà été diffusé dans certains pays mais malheureusement il n'a toujours pas de date précise au Japon... Pour revenir aux films qui m'ont influencé, il y a aussi Bienvenue à Gattaca.
Pour le character design, on a des personnages physiquement assez simples mais néanmoins maîtrisés, hormis Patéma, avec sa couleur de cheveux unique, sa petite tresse et ses vêtements plus travaillés. Comment est né le design de cette héroïne ?
Vous faites bien de le signaler, parce que tous les personnages ont été créés assez facilement, sauf Patéma.
En ce qui concerne la couleur de ses cheveux, vous aurez constaté que toutes les personnes qui vivent dans le monde souterrain ont des couleurs de cheveux un peu étranges, mais dans cet univers il fallait que Patéma se dégage du lot pour que le spectateur fasse bien attention à elle. J'ai donc choisi cette couleur encore plus originale, qui a été assez délicate à retranscrire.
Ses vêtements constituent une combinaison de protection, puisqu'elle vit dans un monde souterrain. Seulement, quand on fait des combinaisons de ce type, on a tendance à faire des choses assez masculines, et j'ai donc chercher à apporter une touche plus féminine. Ainsi, tous les costumes des autres personnages ont été dessinés par un homme, mais la combinaison de Patéma, elle, a été dessinée par une femme.
On a en Patéma une héroïne très attachante. Une jeune fille très vive qui découvre le monde avec une certaine curiosité, mais chez qui on voit aussi beaucoup de fragilité, puisqu'elle se retrouve mise en danger par sa gravité inversée avec les pieds dans le vide, et est poursuivie par les leader d'Aïga... Que représente Patéma pour vous ?
Patéma & le Monde Inversé étant en premier lieu un film d'aventure, il fallait une héroïne très active et qui n'a pas peur de vivre des choses folles et d'aller de l'avant. Mais la chose à laquelle j'ai fait le plus attention, c'est que je voulais que Patéma plaise aux spectateurs, que ceux-ci s'attachent à elle.
Quand on regarde bien le monde souterrain d'où vient Patéma, on constate que tous les habitants sont très chaleureux, gentils, mais tout ça vient du fait que Patéma est elle-même séduisante : dans son monde, tout le monde adore cette jeune fille pleine de vie. Le côté chaleureux du monde souterrain vient avant tout d'elle.
Ce qui marque beaucoup dans le film, c'est tout ce qui est du registre de l'ambiance, de la mise en scène et du visuel. Il y a tout d'abord les nombreux jeux de caméra : inversions de vue, zooms/dezooms, effets saccadés, petit effets de tremblements sous l'effet du vent, ralentis, vues vertigineuses dans les airs... On devine un énorme travail là-dessus.
Effectivement, il y a eu un énorme travail sur les effet de caméra, et cela s'explique dans mon propre intérêt pour le cinéma en prises de vue réelles. Sur ce point-là, beaucoup de films m'ont influencé. J'ai beaucoup travaillé les mouvements de la caméra, et surtout le compositing. Normalement, sur un film il y a une équipe chargée du compositing, mais là c'est moi qui m'en suis chargé. J'adore ça.
Et puis, s'il m'apparaissait difficile de décrire ce monde inversé avec les textes des dialogues, je trouvais qu'il était très intéressant de le faire avec le visuel. Faire basculer la caméra à l'envers suffit à inverser le haut et le bas, à bousculer les décors, à chambouler le spectateur, à lui faire ressentir la même sensation de vertige que celle que peut connaître Patéma. J'espère être parvenu à faire ressentir au spectateur la peur de Patéma quand, par exemple, elle baisse la tête pour voir le vide sous ses pieds.
Les musiques ont également un impact très important dans le film. Elles peuvent être très lyriques dans les passages avec Patéma et Age, plus froides dans la cité d'Aïga, voire menaçantes... Aviez-vous donné des consignes précises à Michiru Oshima dans l'élaboration des musiques ?
Pour moi, la musique est très importante dans un film, et ici je voulais avant tout qu'elle soit très cinématographique. Je voulais qu'elle colle parfaitement au contenu des séquences. Lors de l'élaboration du film, j'ai donc créé une petite vidéo de storyboard contenant dans des petites cases les esquisses de toutes les images du film, esquisses que j'ai annotées très précisément pour les musiques. Par exemple, à quel moment telle sorte de musique devait apparaître, à quel moment elle devait disparaître... Puis j'ai fait parvenir la vidéo à Michiru Oshima.
Y compris pour le fameux thème inversé de Patéma et d'Age ? Le thème d'Age reprenant les notes de celui de Patéma de façon inversée...
(Yasuhiro Yoshiura rejoue les deux thèmes à la bouche)
Ah, vous l'avez remarqué ! Ca, c'est une idée qui vient de Michiru Oshima, et j'ai adoré. J'ai trouvé ça très bien trouvé, c'était une jolie manière de souligner encore un peu plus l'aspect inversé des mondes de Patéma et d'Age.
Ensuite, vous disiez être fasciné par le ciel depuis l'enfance, et on retrouve effectivement dans le film une forte mise en valeur du ciel, avec un gros souci du détail, une gestion des couleurs subtile et beaucoup de jeux de lumière. Cela a-t-il demandé beaucoup de travail ? Comment avez-vous procédé pour retranscrire le ciel de cette manière ?
Tout a été très calculé. Sur ma demande, le directeur artistique Yuji Kaneko a énormément travaillé dessus.
Pour l'ensemble du film, c'est moi-même qui, au tout début de l'élaboration, ai défini les angles de caméra et ai créé tout l'univers avec les images de synthèse et la 3D. Par exemple, c'est au tout début que j'ai défini les distances entre le sol et les nuages, puis c'est avec les images de synthèse que j'ai faites là-dessus que j'ai ensuite expliqué à mon équipe l'architecture de l'espace.
Il y a aussi un gros travail sur les sonorités d'ambiance : le souffle du vent, la mécanique assourdissante des machines... comment s'est déroulée l'élaboration de cette ambiance sonore ?
L'ambiance sonore autre que les musiques était également très importante. Là-dessus, nous avons travaillé assez étroitement, avec le directeur du son, Akira Yamaoka, que vous connaissez sûrement pour ses travaux sur Silent Hill.
Le son du vent fut un élément très important à retranscrire, car c'était l'un des meilleurs moyens de faire ressentir la hauteur où se situent les personnages.
Et quand on est dans le monde d'Aiga, il n'y a aucun son laissant deviner la présence d'êtres vivants. Cette absence de son était aussi voulue, car elle permettait de faire ressortir toute la froideur du monde d'Aiga.
L'objectif était de bien faire ressentir au spectateur l'univers dans lequel on se situe.
Au final, comment aimeriez-vous que les spectateurs voient votre film avant tout ?
En premier lieu, comme un simple divertissement doté d'une histoire et d'une héroïne un peu étranges mais attachantes, que l'on prend plaisir à voir d'un bout à l'autre même si l'on se doute de la fin.
J'ai aussi eu envie de faire de ce film une œuvre intéressante à revoir, même si on la connaît déjà. Il y a quelques détails et histoires secondaires qui ne captent pas forcément l'attention au premier visionnage, et je serai enchanté si les spectateurs revoient avec le même plaisir le film en faisant attention à ça. Je dis même qu'il peut être intéressant de voir le film à l'envers, car c'est aussi une chose à laquelle j'ai prêté attention !
Ce que j'ai voulu avant tout, c'est un film qui peut être vu de manière simple comme un divertissement universel, mais aussi de manière un peu plus complexe avec le régime totalitaire d'Aiga, la situation triste de cette fille qui vit à l'envers, et l'idée qu'on voit tous le monde différemment mais qu'on est tous ensemble malgré tout.
On sait que vous êtes très friand de la 3D, et l'on retrouve donc une omniprésence de celle-ci dans le film. Pour vous, qu'apporte la 3D à l'animation, et quelles sont ses limites ?
Comme vous le dîtes, la 3D dans l'animation a des avantages mais aussi des inconvénients.
Du côté des avantages, j'aime beaucoup la 3D dans la mesure où elle permet de moduler l'espace. Elle permet de faire ressentir les distances et les volumes, ce que la 2D permet beaucoup plus difficilement. Sur ces points, la 2D sonne souvent faux. L'espace ne peut pas être créé de manière réaliste en 2D.
Mais d'un autre côté, si l'on met trop en avant la 3D, il y a une impression de froideur. Du coup, j'ai crée une structure de l'espace en 3D, et j'ai ensuite retravaillé ça en analogique.
Etant donné que vous adorez les techniques du cinéma non-animé tels que les effets de caméra, aimeriez-vous, un jour, réaliser un film en prises de vue réelles ?
Oui, j'adorerais. Quand on fait des films d'animation, on se rend quand même compte de ce que l'on ne peut pas faire ou de ce que l'on peut faire de façon limitée, alors qu'on pourrait le faire plus facilement avec des prises de vue réelles.
Actuellement, avez-vous déjà un nouveau projet en tête ?
Juste avant de venir à Paris pour présenter Patema & le Monde Inversé, j'ai terminé un court-métrage de 25 minutes, très différent de ce que j'ai fait avant. Pour la première fois, ça n'a rien à voir avec de la science-fiction et ça s'inscrit dans un monde réaliste.
Ce court-métrage aborde le rapport de force entre élèves au sein de l'école. Ce que j'appelle un système de castes scolaires. C'est peu visible dans la réalité, mais ça existe. Chacun se situe dans une caste sociale au sein de l'école, et à partir de là chacun se comporte, souvent inconsciemment, de différentes manières avec les autres élèves : position de leadership, de soumission...
Remerciements au Dernier Bar avant la fin du monde pour avoir accueilli cette entrevue, à Aurélie Lebrun pour sa mise en place, à l'interprète pour la qualité de sa traduction, et à Mr Yasuhiro Yoshiura pour ses réponses et sa grande sympathie !
Yasuhiro Yoshiura, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview. Vous vous êtes fait connaître avec le court-métrage Pale Cocoon. Comment est né ce projet ?
Yasuhiro Yoshiura : Après avoir réalisé quelques courts-métrages amateurs pendant mes études, j'ai choisi, notamment par manque de budget, de rester sur ce format de moins de 30 minutes quand j'ai décidé de faire une œuvre plus ambitieuse. Adorant la science-fiction classique, j'ai décidé de donner dans ce thème, en essayant toutefois de ne pas faire une histoire basée uniquement sur la SF. J'y ai donc ajouté un élément qui n'a rien à voir avec la SF et que j'adore également : la comédie musicale.
C'est à partir de ce concept de base que j'ai écrit l'histoire. Dans un univers futuriste lointain et sombre, débarque un style de comédie musicale : c'est de là qu'est venue l'idée de chercheurs archéologues retrouvant un clip musical du passé. Je me suis ensuite imaginé la réaction des archéologues face à cette découverte détonnante.
Votre œuvre suivante, Eve no Jikan/Time of Eve, a marqué les esprits en jouissant d'une forte notoriété et en confirmant votre statut de nouveau nom de l'animation à suivre de près. Quelles ont été vos influences pour sa création ?
Au départ, j'ai demandé à l'un des producteurs de Pale Cocoon la possibilité de faire une oeuvre plus importante, plus longue, avec une vraie équipe derrière. Il m'a répondu oui, à condition que ce soit une série de courts métrages, avec un budget un peu limité. Je me suis alors demandé ce que j'allais pouvoir faire avec ce format, puis je me suis souvenu de mon court-métrage Aquatic Language (ou Mizu no Kotoba, disponible dans les bonus de l'édition française de Pale Cocoon, ndlr) qui se déroule dans un café. Je me suis dit alors que je pouvais reprendre cette idée, en focalisant les choses dans un café afin de travailler la mise en scène sans trop de difficulté.
Ensuite, j'ai commencé à écrire les histoires un peu étranges qui se déroulent dans ce café, et cette étape fut assez délicate. J'ai rencontré des difficultés pour conserver un tout cohérent, j'ai dû laisser tomber beaucoup d'idées, c'était un peu frustrant. Pour éviter ces problèmes, j'ai alors décidé de mêler les intrigues de ce café à des histoires de robots, parce qu'à l'époque j'adorais tout ce qui concernait la robotique. C'est ainsi qu'est venu petit à petit ce thème des relations entre des robots domestiques et leur propriétaires. Ca m'a permis de contourner certains soucis, mais ça en a apporté d'autres (rires). En tout cas, c'est comme ça que s'est déroulée la conception de Time of Eve.
Passons à Patéma & le Monde Inversé. Le thème de l'histoire d'amour dans un monde inversé est un sujet très prisé par les auteurs de science-fiction, encore récemment on a eu le film Upside Down de Juan Solanas sur ce thème. Certaines oeuvres cultes de ce domaine vous ont-elles servi de références pour Patéma ?
Si on parle d'expérience à proprement parler, les principales idées de Patéma & le Monde Inversé viennent plutôt de mon expérience personnelle, surtout de mon enfance. Quand j'étais petit, chaque fois que je regardais le ciel, j'avais l'impression de tomber dans cette vaste étendue bleue, et c'est ce qui m'a fourni la première base du film : un personnage qui tombe dans le ciel.
D'un autre côté, je fais partie de la génération jeux vidéo, et dans certains jeux il y a beaucoup d'histoires où les lois de la gravité sont chamboulées. Je pense que ces jeux auxquels j'ai joué m'ont conforté dans ce concept de base pour Patéma & le Monde Inversé.
Toutefois, j'ai voulu apporter à mon film un élément bien différent, en me focalisant sur le point de vue de celle qui vit apparemment à l'envers, les pieds dans le vide.
Et pour les autres thèmes importants, y a-t-il eu des influences marquantes ? Je pense notamment au régime totalitaire d'Aiga, qui rappelle de nombreux univers vus dans un domaine qu'on sait que vous aimez beaucoup : celui de la science-fiction, avec par exemple des auteurs comme Philip K. Dick ou Isaac Asimov...
Si l'histoire en elle-même est née de mon expérience personnelle, il est vrai que de nombreux éléments constituant l'univers du film, Aiga en tête, m'ont été inspirés par des œuvres de science-fiction considérées comme des classiques, et peut-être plus encore par certains films qui les adaptent ou en reprennent des idées.
Y a-t-il des noms en particulier ?
Il y a évidemment 1984, incontournable du genre. Ensuite, il y a le film Brazil de Terry Gilliam.
Oh, mon film préféré...
C'est le mien aussi ! (rires) Du coup, je suppose que vous attendez avec impatience son nouveau film qui doit sortir cette année ?
J'allais vous poser la même question (rires). Et donc, oui, le Théorème Zéro est le film que j'attends le plus impatiemment en 2014.
Tout comme moi. Il a déjà été diffusé dans certains pays mais malheureusement il n'a toujours pas de date précise au Japon... Pour revenir aux films qui m'ont influencé, il y a aussi Bienvenue à Gattaca.
Pour le character design, on a des personnages physiquement assez simples mais néanmoins maîtrisés, hormis Patéma, avec sa couleur de cheveux unique, sa petite tresse et ses vêtements plus travaillés. Comment est né le design de cette héroïne ?
Vous faites bien de le signaler, parce que tous les personnages ont été créés assez facilement, sauf Patéma.
En ce qui concerne la couleur de ses cheveux, vous aurez constaté que toutes les personnes qui vivent dans le monde souterrain ont des couleurs de cheveux un peu étranges, mais dans cet univers il fallait que Patéma se dégage du lot pour que le spectateur fasse bien attention à elle. J'ai donc choisi cette couleur encore plus originale, qui a été assez délicate à retranscrire.
Ses vêtements constituent une combinaison de protection, puisqu'elle vit dans un monde souterrain. Seulement, quand on fait des combinaisons de ce type, on a tendance à faire des choses assez masculines, et j'ai donc chercher à apporter une touche plus féminine. Ainsi, tous les costumes des autres personnages ont été dessinés par un homme, mais la combinaison de Patéma, elle, a été dessinée par une femme.
On a en Patéma une héroïne très attachante. Une jeune fille très vive qui découvre le monde avec une certaine curiosité, mais chez qui on voit aussi beaucoup de fragilité, puisqu'elle se retrouve mise en danger par sa gravité inversée avec les pieds dans le vide, et est poursuivie par les leader d'Aïga... Que représente Patéma pour vous ?
Patéma & le Monde Inversé étant en premier lieu un film d'aventure, il fallait une héroïne très active et qui n'a pas peur de vivre des choses folles et d'aller de l'avant. Mais la chose à laquelle j'ai fait le plus attention, c'est que je voulais que Patéma plaise aux spectateurs, que ceux-ci s'attachent à elle.
Quand on regarde bien le monde souterrain d'où vient Patéma, on constate que tous les habitants sont très chaleureux, gentils, mais tout ça vient du fait que Patéma est elle-même séduisante : dans son monde, tout le monde adore cette jeune fille pleine de vie. Le côté chaleureux du monde souterrain vient avant tout d'elle.
Ce qui marque beaucoup dans le film, c'est tout ce qui est du registre de l'ambiance, de la mise en scène et du visuel. Il y a tout d'abord les nombreux jeux de caméra : inversions de vue, zooms/dezooms, effets saccadés, petit effets de tremblements sous l'effet du vent, ralentis, vues vertigineuses dans les airs... On devine un énorme travail là-dessus.
Effectivement, il y a eu un énorme travail sur les effet de caméra, et cela s'explique dans mon propre intérêt pour le cinéma en prises de vue réelles. Sur ce point-là, beaucoup de films m'ont influencé. J'ai beaucoup travaillé les mouvements de la caméra, et surtout le compositing. Normalement, sur un film il y a une équipe chargée du compositing, mais là c'est moi qui m'en suis chargé. J'adore ça.
Et puis, s'il m'apparaissait difficile de décrire ce monde inversé avec les textes des dialogues, je trouvais qu'il était très intéressant de le faire avec le visuel. Faire basculer la caméra à l'envers suffit à inverser le haut et le bas, à bousculer les décors, à chambouler le spectateur, à lui faire ressentir la même sensation de vertige que celle que peut connaître Patéma. J'espère être parvenu à faire ressentir au spectateur la peur de Patéma quand, par exemple, elle baisse la tête pour voir le vide sous ses pieds.
Les musiques ont également un impact très important dans le film. Elles peuvent être très lyriques dans les passages avec Patéma et Age, plus froides dans la cité d'Aïga, voire menaçantes... Aviez-vous donné des consignes précises à Michiru Oshima dans l'élaboration des musiques ?
Pour moi, la musique est très importante dans un film, et ici je voulais avant tout qu'elle soit très cinématographique. Je voulais qu'elle colle parfaitement au contenu des séquences. Lors de l'élaboration du film, j'ai donc créé une petite vidéo de storyboard contenant dans des petites cases les esquisses de toutes les images du film, esquisses que j'ai annotées très précisément pour les musiques. Par exemple, à quel moment telle sorte de musique devait apparaître, à quel moment elle devait disparaître... Puis j'ai fait parvenir la vidéo à Michiru Oshima.
Y compris pour le fameux thème inversé de Patéma et d'Age ? Le thème d'Age reprenant les notes de celui de Patéma de façon inversée...
(Yasuhiro Yoshiura rejoue les deux thèmes à la bouche)
Ah, vous l'avez remarqué ! Ca, c'est une idée qui vient de Michiru Oshima, et j'ai adoré. J'ai trouvé ça très bien trouvé, c'était une jolie manière de souligner encore un peu plus l'aspect inversé des mondes de Patéma et d'Age.
Ensuite, vous disiez être fasciné par le ciel depuis l'enfance, et on retrouve effectivement dans le film une forte mise en valeur du ciel, avec un gros souci du détail, une gestion des couleurs subtile et beaucoup de jeux de lumière. Cela a-t-il demandé beaucoup de travail ? Comment avez-vous procédé pour retranscrire le ciel de cette manière ?
Tout a été très calculé. Sur ma demande, le directeur artistique Yuji Kaneko a énormément travaillé dessus.
Pour l'ensemble du film, c'est moi-même qui, au tout début de l'élaboration, ai défini les angles de caméra et ai créé tout l'univers avec les images de synthèse et la 3D. Par exemple, c'est au tout début que j'ai défini les distances entre le sol et les nuages, puis c'est avec les images de synthèse que j'ai faites là-dessus que j'ai ensuite expliqué à mon équipe l'architecture de l'espace.
Il y a aussi un gros travail sur les sonorités d'ambiance : le souffle du vent, la mécanique assourdissante des machines... comment s'est déroulée l'élaboration de cette ambiance sonore ?
L'ambiance sonore autre que les musiques était également très importante. Là-dessus, nous avons travaillé assez étroitement, avec le directeur du son, Akira Yamaoka, que vous connaissez sûrement pour ses travaux sur Silent Hill.
Le son du vent fut un élément très important à retranscrire, car c'était l'un des meilleurs moyens de faire ressentir la hauteur où se situent les personnages.
Et quand on est dans le monde d'Aiga, il n'y a aucun son laissant deviner la présence d'êtres vivants. Cette absence de son était aussi voulue, car elle permettait de faire ressortir toute la froideur du monde d'Aiga.
L'objectif était de bien faire ressentir au spectateur l'univers dans lequel on se situe.
Au final, comment aimeriez-vous que les spectateurs voient votre film avant tout ?
En premier lieu, comme un simple divertissement doté d'une histoire et d'une héroïne un peu étranges mais attachantes, que l'on prend plaisir à voir d'un bout à l'autre même si l'on se doute de la fin.
J'ai aussi eu envie de faire de ce film une œuvre intéressante à revoir, même si on la connaît déjà. Il y a quelques détails et histoires secondaires qui ne captent pas forcément l'attention au premier visionnage, et je serai enchanté si les spectateurs revoient avec le même plaisir le film en faisant attention à ça. Je dis même qu'il peut être intéressant de voir le film à l'envers, car c'est aussi une chose à laquelle j'ai prêté attention !
Ce que j'ai voulu avant tout, c'est un film qui peut être vu de manière simple comme un divertissement universel, mais aussi de manière un peu plus complexe avec le régime totalitaire d'Aiga, la situation triste de cette fille qui vit à l'envers, et l'idée qu'on voit tous le monde différemment mais qu'on est tous ensemble malgré tout.
On sait que vous êtes très friand de la 3D, et l'on retrouve donc une omniprésence de celle-ci dans le film. Pour vous, qu'apporte la 3D à l'animation, et quelles sont ses limites ?
Comme vous le dîtes, la 3D dans l'animation a des avantages mais aussi des inconvénients.
Du côté des avantages, j'aime beaucoup la 3D dans la mesure où elle permet de moduler l'espace. Elle permet de faire ressentir les distances et les volumes, ce que la 2D permet beaucoup plus difficilement. Sur ces points, la 2D sonne souvent faux. L'espace ne peut pas être créé de manière réaliste en 2D.
Mais d'un autre côté, si l'on met trop en avant la 3D, il y a une impression de froideur. Du coup, j'ai crée une structure de l'espace en 3D, et j'ai ensuite retravaillé ça en analogique.
Etant donné que vous adorez les techniques du cinéma non-animé tels que les effets de caméra, aimeriez-vous, un jour, réaliser un film en prises de vue réelles ?
Oui, j'adorerais. Quand on fait des films d'animation, on se rend quand même compte de ce que l'on ne peut pas faire ou de ce que l'on peut faire de façon limitée, alors qu'on pourrait le faire plus facilement avec des prises de vue réelles.
Actuellement, avez-vous déjà un nouveau projet en tête ?
Juste avant de venir à Paris pour présenter Patema & le Monde Inversé, j'ai terminé un court-métrage de 25 minutes, très différent de ce que j'ai fait avant. Pour la première fois, ça n'a rien à voir avec de la science-fiction et ça s'inscrit dans un monde réaliste.
Ce court-métrage aborde le rapport de force entre élèves au sein de l'école. Ce que j'appelle un système de castes scolaires. C'est peu visible dans la réalité, mais ça existe. Chacun se situe dans une caste sociale au sein de l'école, et à partir de là chacun se comporte, souvent inconsciemment, de différentes manières avec les autres élèves : position de leadership, de soumission...
Remerciements au Dernier Bar avant la fin du monde pour avoir accueilli cette entrevue, à Aurélie Lebrun pour sa mise en place, à l'interprète pour la qualité de sa traduction, et à Mr Yasuhiro Yoshiura pour ses réponses et sa grande sympathie !
De Sanashiya, le 21 Mars 2014 à 13h21
Haha, fanboy ! En tout cas le monsieur a l'air très sympathique ! Merci pour cette interview !
De Maxouu [819 Pts], le 19 Mars 2014 à 14h36
Très intéressant :3
De kintaro [346 Pts], le 18 Mars 2014 à 23h09
Nice! j'espère avoir la chance d'aller au polymanga pour le rencontrer ^^