Manga A la rencontre des auteurs de Kinnikuman
En marge des invités officiels de la SEFA et des éditeurs (qui sont de moins en moins nombreux chaque année), Japan Expo nous permet également de retrouver d'autres auteurs à la carrière tout aussi prolifique, mais venus par leurs propres moyens. Pour cette édition 2013, ce fut le cas du tandem Yudetamago, duo d'auteurs d'un shônen fleuve qui fit les beaux jours du Shônen Jump dans les années 80 : Kinnikuman. Si cette série ne vous dit rien, elle parlera peut-être au plus anciens d'entre vous via son adaptation animée, connue à l'Internationale sous le nom de Muscleman. Elle fit un passage éclair en France, rapidement interrompu par la censure (à cause d'un personnage arborant des emblèmes du IIIème Reich). Mais au Japon, cette série est restée très populaire, au point d'avoir connu moult spin-offs et même une retour en force après une pause de vingt-deux ans !
Il était impensable que nous passions à côté de cette visite surprise, et Takashi Shimada, le scénariste du tandem, a bien voulu se prêter au jeu des questions de la presse française spécialisée, réunie pour une table ronde improvisée. Voici donc le compte-rendu de cet entretien !
Vous travaillez sous le pseudonyme commun de Yudetamago avec Yoshinori Nakai, que vous connaissez depuis l'école primaire. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Qu'est-ce qui vous a réunis ? Une série, un magazine en particulier ?
Takashi Shimada : En effet, Yoshinori et moi nous connaissons depuis l'âge de dix ans. A l'époque, nous habitions dans le même immeuble et nous prenions le même bus pour nous rendre à l'école, ce qui nous a naturellement poussé à discuter ensemble. A cet âge-là, je m'amusais déjà à dessiner des mangas sous forme de yonkoma (séries de gags en quatre cases, ndlr), que je distribuais à mes petits camarades. Je les ai montré un jour à Yoshinori, qui ne connaissait alors rien au manga. Cela l'a beaucoup intéressé, et à partir de là, il s'est mis à me souffler quelques idées. Et c'est ainsi que nous avons commencé à inventer des histoires ensemble...
Comment avez-vous créé le personnage de Kinnikuman ? Avez-vous suivi des influences particulières ?
C'est un personnage qui me suit depuis l'enfance, je l'ai créé alors que j'étais encore à l'école primaire. Je me rappelle même que je le dessinais au dos de mes copies d'examens ! Petit à petit, il est ainsi devenu populaire auprès de mes amis, c'est ainsi que j'ai commencé à lui inventer des histoires.
Pouvez-vous nous raconter les débuts de la série dans le Shônen Jump ? Quelle était l'ambiance, à l'époque ? Le succès a-t-il été immédiat ?
A la fin des années 70, nous avons plusieurs fois participé à des concours de jeunes auteurs, et nous avons fini par remporter en 1978 le prix Akatsuka (prix destiné aux mangas humoristiques, en référence à Fujio Akatsuka, auteur de Himitsu no Akko-chan et considéré comme l'un des pères du manga comique, ndlr). Et c'est le chapitre pilote de Kinnikuman qui nous a permis de remporter ce prix. Ainsi, immédiatement après être sortis du lycée, nous avons été engagés par la Shûeisha pour poursuivre cette aventure. Et le succès a en effet assez rapide, nous n'avons pas vraiment connu de période difficile.
Dans votre duo, comment vous répartissez-vous le travail ?
Nos deux rôles sont bien distincts, je m'occupe uniquement du scénario tandis que Yoshinori s'occupe des dessins.
Comment se déroule l'élaboration d'un chapitre ?
Lorsque je réalise mon storyboard, je ne m'intéresse qu'à l'instant présent, au chapitre en cours, sans réfléchir à la suite des évènements. Ainsi, chaque semaine, j'essaie d'intégrer toutes les idées qui me viennent, sachant que je peux ensuite penser à tout autre chose la semaine suivante. Et cela fonctionne ainsi depuis le tout début de la série ! D'ailleurs, il me semble que Tetsuo Hara et Buronson travaillaient de la même manière pour Hokuto no Ken.
Quel regard portez-vous sur l'évolution du genre shônen ? Y a-t-il des séries récentes que vous suivez plus particulièrement ?
Quand nous nous sommes lancés dans Kinnikuman, les magazines shônen visaient principalement un public très jeune. En sachant que nous nous adressions à des enfants ou aux pré-adolescents, nous ne réfléchissions pas trop au déroulement de l'histoire. Nous réalisions notre manga en se laissant porter par le courant, et sans avoir de conclusion en tête. Aujourd'hui, il serait impensable de travailler comme ça : le public est devenu beaucoup plus exigeant, et les mangakas actuels se doivent de réfléchir d'entrée de jeu à leur histoire jusqu'à la scène finale. Et si par malheur ils s'en détournent au fil de la publication, ils sont susceptibles de recevoir des plaintes de leurs lecteurs. A notre époque, nous étions beaucoup plus libres, ce qui nous permettait d'oser bien plus de choses.
Parmi les séries actuelles, je suis assidûment l'Attaque des Titans et Terra Formars.
Au travers de Kinnikuman, on ressent votre passion pour les sports de combats. Lesquels pratiquez-vous ?
Je fais du ju-jitsu brésilien. Mais en ce moment je ne peux pas, je me suis blessé ! (rires)
Etiez-vous un enfant bagarreur ?
Oui, tout à fait ! (rires)
Quels sont vos catcheurs préférés ?
Mon catcheur préféré est Terry Funk, à qui j'ai fait un clin d’œil dans la série au travers du personnage de Terryman. Parmi les japonais, je citerais Giant Baba et Antonio Inoki.
Outre Terryman, vous êtes-vous inspiré d'autres catcheurs dans la conception des personnages ?
Il y a aussi Baffaloman qui m'a été inspiré par le catcheur américain Bruiser Brody. Mais en général, je préfère m'inspirer de concepts, d'objets, de certains stéréotypes... qui me sont souvent soufflés par les fans. Par exemple, nous avons ainsi créé un homme-"téléphone portable", un homme-"montre", et ainsi de suite...
On ressent souvent dans votre série votre passion pour le cinéma, en particulier pour les kaiju eiga (films de monstres géants, type Godzilla). Quelles sont vos influences au niveau de la création des monstres ?
Une fois encore, le design de la plupart des monstres proviennent de l'imagination de nos fans ! En effet, nous recevons beaucoup de courrier des lecteurs et, malheureusement, nous n'avons pas le temps de répondre a tout le monde. Aussi, nous leur avons proposé de nous envoyer des dessins de monstres, que nous pouvons être amenés à réutiliser dans la série. C'est une manière de les remercier de leur soutien. D'ailleurs, nous avons aussi reçu des images venant de fans français ou américains !
Est-ce que cela continue toujours aujourd'hui ?
Lorsque nous avons décidé de conclure la série, en 1988, nous avons voulu mettre un terme à cette initiative. Mais nous avons été étonnés de voir que les dessins de fans continuaient à affluer ! Cela fait d'ailleurs sans doute partie des motivations qui nous ont poussé à repartir de plus belle.
Ce qui est aussi amusant, c'est que certains fans ont grandi avec la série, ils ont donc aujourd'hui dépassé les trente-cinq ans, mais nous en envoient encore ! (rires)
La série s'est en effet arrêté dans un premier temps au tome 36, puis vous avez conçu deux spin-off avant de revenir enfin dessus en 2010. Pourquoi l'avoir stoppée pendant vingt-deux ans ?
A l'origine, nous étions publiés dans le Shônen Jump puis la série a été transférée dans le Weekly Playboy, magazine où elle s'est arrêtée en 1988. Nous pensions en rester là, en nous concentrant sur nos spin-off. Puis, la Shûeisha a décidé de créer en 2009 une version numérique du magazine, le site Playboy web. Nous avons donc été recontacté afin de dynamiser le lancement de cette plateforme, et c'est ainsi que nous avons décidé de relancer l'aventure originale.
L'idée du spin-off autour de Ramenman est-elle également issue des fans ?
En effet, Tatakae!! Ramenman est une idée qui nous a été soufflée par nos lecteurs. A l'origine, lorsque j'avais créé ce personnage, il ne devait être présent que pour quelques chapitres. Mais face à sa popularité, nous lui avons donné un rôle plus important. Et ce spin-off nous a poussé à le développer en profondeur. Au final, il a même fini par devenir mon personnage préféré !
La série est également connue pour son côté humoristique. D'où vous viennent toutes vos blagues ?
En fait, je n'y suis pas pour grand-chose, c'est mon confrère qui rajoute à l'improviste des touches d'humour dans ses planches !
En France, la version animée de Kinnikuman, alias Muscleman, a été diffusée à la télévision mais a été rapidement arrêtée, du fait de la présence du symbole de la svatsika, lié au nazisme en Occident. Êtes-vous au courant de cette histoire, et qu'en pensez-vous ?
Oui, nous en avons été informés. Lorsque j'ai créé le personnage de Brocken Jr, qui est un stéréotype de l'officier nazi, j'étais encore assez jeune et je n'ai pas réfléchi aux répercussions que sa présence pourrait susciter.
Mais lors de la séance de dédicace que j'ai réalisé il y a quelques heures, bon nombre de personnes m'ont avoué que Brocken Jr était leur personnage préféré ! (rires)
Remerciements à Takashi Shimada pour cet entretien, ainsi qu'à son interprète.
De Soccaboulba, le 22 Octobre 2013 à 11h47
Merci pour l'interview de ces auteurs rares par chez nous...
Pourvu qu'un jour un éditeur se décide à publier cette série cultissime...
De Detroa [475 Pts], le 12 Octobre 2013 à 10h36
Kinnikuman fait aussi partie des manga que je rêve de voir débarquer chez un bon éditeur franco, hélas, même si cela se produisait, je suis à peu près sûr que ça se casserait la pipe rapidement, le public actuel n'est pas très axé vieillerie, encore moins vieillerie fleuve et assez hors norme comme celle-ci. :(
De ShiroiRyu [635 Pts], le 11 Octobre 2013 à 20h43
Il ne faut pas trop rêver de voir Kinnikuman chez nous ...
Trop vieux, trop ancien ...
Mais je serai l'un des premiers à acheter !
Et bien entendu, Kinnikuman Girl, etc aussi ! :D
De setsunafseiei, le 10 Octobre 2013 à 21h05
En attente d'une sortie de Kinnikuman en France depuis mon enfance, c'est un grand plaisir d'avoir des nouvelles de cet auteur. Bonne continuation a son oeuvre et merci a manga-news.
De Blood [2541 Pts], le 10 Octobre 2013 à 17h32
Un de mes rêves ultimes, en tant que fan de manga et de catch devant l'Eternel, est de voir publiée en France l'intégralité de Kinnikuman... Glénat avait évoqué cette possibilité il y a un moment, mais depuis rien de nouveau.
Au passage, merci à Manga News pour cet entretien (c'est assez marrant de lire les noms de Terry Funk et Bruiser Brody sur MN) :-)