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Ciné-Asie Critique - A scene at the sea

Mercredi, 17 Juillet 2013 à 16h00

Sur Manga-news, un objectif a été fixé : chroniquer tous les films de Takeshi Kitano, réalisateur que l'on adore. Aujourd'hui, place à la chronique de Rogue Aerith sur le superbe troisième film du cinéaste japonais, sorti en 1991 : A scene at the sea. Plus que deux, et le tour sera joué !



Shigeru (Claude Maki) est éboueur. Mais surtout, il est sourd et muet. Difficile de se faire une place dans la société japonaise et d'avoir des rêves dans ces conditions. En plein travail, il tombe un jour sur une planche de surf cassée. Il décide de la réparer et d'aller l'essayer sur l'océan. Très vite, Shigeru devient passionné de surf et améliore progressivement ses performances. Au départ moqué par les autres surfeurs, il finit par s'intégrer malgré son handicap. Il est soutenu par sa petite amie Takako (Hiroko Oshima), sourde et muette elle-aussi, qui l'accompagne partout, et plus encore.


« Plus on est expérimenté, plus on risque de perdre sa fraîcheur » (« Le Bleu Kitano », making-of de A scene at the sea). Kitano n'aurait sans doute pas imaginé que sa remarque s'appliquerait autant à sa filmographie récente. Alors que le réalisateur nippon s'est engagé depuis quelques années dans son diptyque Outrage/Outrage beyond, la critique n'est pas tendre avec lui. C'est que le cinéaste nippon, véritable touche-à-tout dans son pays d'origine (comédien à la télévision, présentateur, chanteur, peintre...), a été consacré pour ses films de la fin des années 1990 (Sonatine et Hana-bi, surtout), tandis que ses oeuvres parues depuis quelques années peinent à enthousiasmer. Avec « A scene at the sea », son troisième film sorti en 1991, Kitano reconnaît qu'il n'était pas encore expérimenté, mais que sa naïveté lui permettait alors de tenter beaucoup de choses. On ne peut que lui donner raison, et plus encore, car son abnégation cache en fait un petit bijou de simplicité, tranche-de-vie superbe portant bien son nom, dont la traduction la plus juste serait : « une séance devant la mer ».


De prime abord, il y a les deux jeunes personnages principaux : sourds et muets, ils contribuent à installer un film quasi-silencieux au rythme calme. Calme... mais certainement pas plat comme la mer, et bien plutôt ondulant comme les vagues de l'océan ! Contemplatif, « A scene at the sea » l'est assurément, dans la tradition des premiers films de Kitano. Mais on ne s'ennuie jamais, grâce à deux personnages extrêmement attachants, un humour simple et touchant (marque de fabrique du réalisateur) et à une mise en scène qui s'appuie sur des procédés simples mais tellement efficaces quand c'est bien fait : travellings le long de la mer ou caméras fixes sur les personnages, nombreux champs/contre-champs entre Shigeru et Takako, caméra qui traîne après la sortie des personnages, nous permettant le plus souvent de contempler l'océan. Les amoureux de tranches-de-vie seront aux anges : « A scene at the sea » est sur ce point le film le plus doux et le plus poétique de Kitano, d'une simplicité confondante d'efficacité. Peut-être le plus cruel aussi sur sa fin, mais on n'en dira pas plus.


Les personnages, on l'a dit, sont excellents. Claude Maki, mannequin et champion de surf, est parfait dans le rôle d'un Shigeru sourd-muet. Son interprétation est à la fois discrète et forte, et Maki reste totalement dans le cadre de son personnage, avec de rares sourires silencieux pour exprimer sa joie, ou des gestes maladroits pour exprimer ce qu'il veut. Hiroko Oshima, dont l'innocence n'a d'égale que la simplicité de son jeu, le complète parfaitement. « A scene at the sea » se fonde donc sur ces deux personnages, peu démonstratifs, dont les sentiments sont intériorisés en permanence. A ce titre, les jeux de regards revêtent, vous vous en doutez, une importance particulière. Et bien Maki et Oshima sont plus à l'aise que la majorité de comédiens professionnels : ou comment voir que simplicité rime avec réussite. Quel défi, quelle performance, quelle leçon !
Mais « A scene at the sea » propose bien d'autres choses que ses personnages principaux si touchants.


Ce troisième film de Kitano signe en effet sa première collaboration avec le compositeur Joe Hisaishi... qu'il ne quittera plus ensuite, et c'est en regardant « A scene at the sea » que l'on comprend pourquoi ! Hisaishi, qui a eu carte libre, livre une bande-son sur mesure absolument MA-GNI-FIQUE. Tout simplement l'une des plus belles que j'aie pu entendre à ce jour. La musique de Hisaishi accompagne idéalement (c'est plus qu'un euphémisme) l'ambiance calme et mélancolique qui irrigue le film. Du piano mâtiné de synthé', que l'on retrouvera dans les autres films de Kitano tant ce mélange semble être fait pour eux ! « A scene at the sea » étant silencieux à cause de ses personnages, le rôle de ces mélodies superbes n'en est que renforcé, les dialogues laissant place aux bruits des vagues ou à la musique, selon un équilibre parfait.
Soulignons également la « patte Kitano », déjà bien présente. Ce sont d'abord les gags simples, et un comique de situation et de conversation, avec notamment la traditionnelle dispute entre un homme aux manières de yakuza et les forces de l'ordre (une scène jouée par... Susumu Terajima, premier ami et complice de Kitano, évidemment !). C'est ensuite une image travaillée, notamment au niveau des couleurs. Kitano en a voulu des ternes : un beige-béton pour les digues et la ville, et un bleu gris pour la mer, travaillant donc sur des plages polluées au nord de Tokyo. Kitano voulait montrer que la beauté de l'océan dépassait l'idée toute faite des plages turquoises paradisiaques d'Okinawa. Et cela fonctionne, grâce à une mise en scène intelligente et des personnages amoureux de cette mer permettant la pratique d'une passion.


Ne pas craindre le silence des personnages, une mise en scène contemplative, légère, simple, ce que beaucoup qualifient trop souvent de film dépouillé, permet au spectateur de ressentir différemment et profondément les rêves, l'accomplissement, les passions « selon Kitano », qui précise dans le making-of avoir voulu illustrer le droit au bonheur pour les personnes handicapées, marginalisées au Japon. De plus, ce film sonne comme une volonté de prise de conscience, un pied de nez à la société nippone. Dans « A scene at the sea », le travail n'est que labeur, la passion largement prépondérante. Les surfeurs contemplent la mer, attendent les vagues, surfent, participent à quelques compétitions de temps à autres... et ne font que ça. Kitano montre que deux personnes soumises à un handicap prennent davantage conscience de ce qu'est la vie : en profiter en trouvant sa passion et en la pratiquant à fond, accompagné de ceux qu'on aime, plutôt qu'obéir à un patron et/ou servir la société. Les moqueries gentillettes subies par les deux protagonistes au début de leur « aventure » en témoignent : les autres jeunes, les collègues de travail de Shigeru, les patrons des boutiques, n'ont que peu conscience des enjeux symboliques et intérieurs de l'accomplissement de soi pour Shigeru, préférant des loisirs plus communs ou un travail chronophage. L'économie de moyens de « A scene at the sea » est très souvent à l'origine de messages forts comme celui-là : on a perdu l'habitude de ces films à petits budgets, simples, avec quelques idées çà et là, mais qui provoquent tant d'émotions !


Tout n'est évidemment pas parfait dans cette tranche-de-vie, qui souffre notamment de quelques longueurs dans sa deuxième partie, lors de séquences de surf qui auraient gagné à suivre un rythme plus enlevé. Néanmoins, Kitano évite de très nombreux écueils, comme la lourdeur qu'aurait pu revêtir la petite amourette entre les deux personnages principaux, qui, au contraire, demeure touchante par sa simplicité et grâce au jeu des acteurs. De plus, la fin, empreinte d'un petit message philosophique plein de légèreté, ne déçoit pas. Le film se permet même d'être extrêmement généreux, avec des dernières images en forme d'hommages aux acteurs, des séquences qui se perdent dans les films d'aujourd'hui, et qui trouvent ici un écho tout particulier.


Généreuse, l'édition DVD de HK Video l'est également. Une interview de Kitano de 20 minutes environ, un très beau petit livret rempli d'images et d'infos, le tout dans un boîtier cartonné. Il ne manque que les pistes de l'OST de Hisaishi, que l'on aurait aimée présente sur le DVD.

« A scene at the sea » est une tranche-de-vie douce, une merveille de sensibilité surfant sur une mélodie parfaite de Joe Hisaishi et une mise en scène montrant que la simplicité et des moyens limités conjugués au talent peuvent faire des miracles. Tout cela donne un des meilleurs films de Kitano, qui montrait dès ses débuts sa propension à exceller dans des récits délicats et poétiques. « Hana-Bi », « Kikujiro » et « Dolls » ne feront que le confirmer haut la main.
  
 

commentaires

Manga-News

De Manga-News [3732 Pts], le 18 Juillet 2013 à 10h30

un grand grand film

kokitolous

De kokitolous [2243 Pts], le 17 Juillet 2013 à 22h36

Un des seuls films de Kitano que je n'ai pas encore vu! Superbe critique de Rogue.

Fred

De Fred [4223 Pts], le 17 Juillet 2013 à 20h19

ce film a l'air génial , je ne suis pas très film ou anim mais là j'accroche

Daigo

De Daigo [917 Pts], le 17 Juillet 2013 à 19h30

Merci pour cette chronique! Je ne connaissais pas le réalisateur par contre, j'avoue...

saramei

De saramei [885 Pts], le 17 Juillet 2013 à 17h21

Merci pour cette chronique! j'ai adoré ce film! j'ai pu me le procurer beaucoup plus facilement en DVD que "L'été de Kikujiro" bizaremment...

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