Manga Entretien avec Migiwa Kamimura
A l'occasion du Salon du livre 2012, Manga-News est allé à la rencontre de la charmante Migiwa Kamimura, qui est revenue sur la carrière de son défunt père, l'illustre Kazuo Kamimura, auteur d'oeuvres cultes telles que Lady Snowblood ou Lorsque nous vivions ensemble.
Bonjour, et merci de prendre le temps de nous accorder cet entretien !
Migiwa Kamimura: Bonjour, c'est moi qui suis honorée par le fait d'être interviewée !
Ce n'est pas votre première visite en France, n'est-ce pas ? A quelle occasion étiez-vous déjà venue ?
J'étais déjà venue représenter les œuvres de mon père en 2008, à l'occasion du festival d'Angoulême. Cette année là, le salon avait organisé une exposition autour de Lady Snowblood, au sein du Manga Building. Je suis également revenue en 2009 pour découvrir la Japan Expo, ainsi que pour une exposition dédiée aux mangas et à l'art contemporain, qui s'est tenue à la Maison Rouge. J'ai également profité de ce séjour pour visiter le musée de la bande-dessinée, en Belgique.
Qu'aviez-vous pensé de la Japan Expo ?
J'ai été surtout très impressionnée par la foule ! C'est là que j'ai vraiment réalisé l'étendue de la passion des français pour le manga.
Pouvez-vous nous relater le parcours de mangaka qu'a suivi votre père ?
Au départ, il voulait travailler dans la publicité, et il est allé vers le manga par hasard, d'abord en faisant simplement des illustrations. Son premier manga remonte à 1969, et il connut vraiment le succès en 1972 grâce à Lorsque nous vivions ensemble. Ce fut quelque chose d'assez inattendu pour lui : son rythme de vie a alors profondément changé, car il devait soudainement produire entre quatre cents et cinq cents pages par mois ! A partir de là, mon père n'a jamais cessé de travailler, jusqu'à son décès, à l'âge de 45 ans.
Comment viviez-vous le succès de votre père, dans votre jeunesse ? Cela n'était-il pas trop dur à supporter ?
J'étais encore très petite lorsqu'il a commencé à devenir célèbre. Comme il avait beaucoup de travail, il ne rentrait que très rarement à la maison. C'était d'ailleurs un sujet récurrent de disputes entre eux, ma mère étant souvent fâchée de le voir absent trop souvent. Cela dit, ce n'était pas le seul mangaka à travailler ainsi, à cette époque-là.
En réalité, comme il réalisait des œuvres à destination des adultes, comportant beaucoup d'érotisme, le sujet de ses activités était tabou à la maison. Ni ma mère ni moi ne parlions de son travail, et lorsque j'étais à l'école, mes camarades se moquaient de mon père en disant qu'il faisait des mangas obscènes. Cela m'a beaucoup gêné, et je n'ai finalement lu ses histoires qu'après sa mort.
Votre père a grandi dans un milieu féminin, entourée de sa mère et de ses sœurs. Pensez-vous que cela ait pu influencer ses œuvres ?
Mon grand-père était beaucoup plus âgé que ma grand-mère, et il est décédé alors que mon père n'était encore qu'un collégien. Sa mère l'a donc élevée seule, en travaillant en parallèle dans un bar pendant la nuit. Il a donc vécu aux côtés d'une femme à deux visages : la mère douce et attentionnée et la femme active, se démenant pour nourrir sa famille, quitte à être plus sévère. C'est à mon avis ce qui l'a beaucoup marqué.
Avez-vous vous-même connu votre grand-mère ? Si oui, quel regard aviez-vous sur elle ?
Oui, je l'ai connue. C'était une femme qui adorait mon père et qui était très protectrice et affective envers lui, du fait qu'il soit le cadet de la famille. La célébrité qu'il a acquise au cours des années n'a rien changé pour elle, et il allait souvent la voir au bar où elle travaillait. Elle m'a également beaucoup aimé, et je me rappelle d'elle comme d'une femme qui souriait tout le temps.
Vous et votre père aviez des ressentiments différents envers elle ?
Je pense que, comme tous les hommes, mon père a ressenti pour elle une forme de complexe d'Oedipe. Pour moi, c'était avant tout une grand-mère adorable, comme tous les petits enfants aimeraient en avoir !
Pour vous, quels étaient la plus grande qualité et le plus grand défaut de votre père ?
C'est difficile de trouver une qualité ! (rires) En tous cas, je crois que je lui ressemble beaucoup, physiquement comme dans le caractère, et j'ai les mêmes goûts que lui. Hélas, je n'ai pas eu beaucoup d'occasions de partager avec lui, mais j'appréciais la liberté qu'il me laissait. En réalité, c'était un homme très timide: quand je suis devenue une lycéenne, il n'arrivait même plus à me regarder dans les yeux ! Je n'avais que vingt ans lorsqu'il est parti, et aujourd'hui j'ai l'impression de le connaitre d'avantage grâce à ses œuvres que par les échanges que nous avions.
Du côté de ses défauts, je dirais qu'il faisait trop souvent pleurer ma mère, du fait de ses absences répétées. Il n'était pas vraiment un bon mari...
Qu'est-ce qui vous a amené à vous occuper des œuvres de votre père ? En quoi consiste précisément votre travail ?
Ma mère est l'ayant-droit de mon père, mais comme elle est à la retraite aujourd'hui, j'ai pris sa succession. Je m'occupe donc de la gestion des droits des histoires et des planches qu'il a réalisées, et je suis en relation avec les différentes maisons d'édition pour la réédition de ces séries. Le but est que l'œuvre de mon père ne soit pas oubliée, et qu'elle puisse être découverte par les générations futures.
Comment décidez-vous des éditeurs avec qui vous voulez travailler ? Vous est-il arrivé de refuser une publication ?
Il faut tout d'abord que l'éditeur intéressé soit lui-même fan des séries qu'il a écrites, sans oublier un rapport de confiance qui peut s'instaurer ou non. Après, je n'ai pas de préférences particulières, je laisse faire le hasard des rencontres. Je reste très ouverte, mais il peut m'arriver de refuser lorsque le prix de vente proposé aux lecteurs est trop élevé, ou que la qualité du papier soit trop mauvaise.
Avec quel(s) éditeur(s) travaillez-vous en priorité ?
En ce moment, je travaille beaucoup avec Mandarake, avec qui j'ai de très bons rapports. Mais j'ai été en collaboration avec de nombreuses maisons d'édition, sans véritables préférences.
Reste-t-il des œuvres qui n'ont jamais été publiées ? Si oui, pensez-vous qu'elles le seront toutes un jour ?
En réalité, il reste plus d'œuvres inédites que d'œuvres déjà publiées ! (rires)
Mon père a écrit de très nombreuses histoires courtes pour des magazines de prépublication, mais seule une petite partie d'entre elles a vu le jour en volumes reliés. Mais j'ai aussi pour objectif que ces récits oubliés ressurgissent tous un jour où l'autre.
Parmi les séries réalisées par votre père, laquelle est votre préférée ?
Je suis sa fille avant d'être une adepte de son travail, aussi je regarde ses œuvres de manière très objective. A vrai dire, je ne suis pas une grande lectrice de mangas, et ça me demande beaucoup d'effort pour apprécier ses œuvres. Mais si je dois choisir, je dirais La Plaine du Kanto, Folles Passions ou encore Potaruko (inédit en France).
Comment s'est faite votre rencontre avec les éditions Kana ?
Avant que je reprenne le flambeau, ma mère était déjà en discussion avec une agence de diffusion des droits à l'international. Lorsque j'ai pris le relais, cet agent m'a parlé de cette maison d'édition belge qui souhaitait sortir les œuvres de mon père, en particulier Lady Snowblood.
Avant cela, y a-t-il eu d'autres éditions étrangères ?
Lady Snowblood fut publié d'abord aux États-Unis, chez Dark Horse. Le titre est ensuite sorti au Brésil, en Allemagne, en Espagne, et enfin en France. Mais les éditions Kana ont été les premiers à vouloir publier la série sans utiliser l'imagerie autour du film Kill Bill, ce que j'ai beaucoup apprécié !
Lady Snowblood est-elle l'oeuvre la plus marquante de votre père ?
Oui, d'une part parce qu'elle est issue de la collaboration avec le grand Kazuo Koike, et parce que c'est une fresque d'histoire extraordinaire ! C'est du moins l'un des titres les plus représentatifs de son art. Cette série a également inspiré de nombreux films, avec l'actrice Meiko Kase dans le rôle principal, qui ont eu un franc succès.
Pensez-vous qu'il existe des œuvres de son cru impubliables à l'étranger ?
Oui, beaucoup même ! (rires)
Lorsque je suis allé à Angoulême en 2008, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui sont revenus sur les aspects violents et érotiques de Lady Snowblood... alors qu'en réalité, c'est une de ses œuvres les plus "soft" sur le sujet ! Cela m'a un peu refroidi sur le moment, mais maintenant je vais essayer de présenter d'autres titres au fur et à mesure, en surveillant les réactions...
Vous est-il arrivé de mettre en avant certains titres plus que d'autres, durant vos négociations avec l'Europe ?
Après La Plaine du Kanto, je suis déjà assez satisfaite de la représentativité des œuvres de mon père en langue française, mais Kana continue cependant de me solliciter pour en publier de nouvelles. Nous sommes actuellement en négociations pour de nouveaux titres. J'aimerais en particulier voir un jour publiée à l'étranger son autobiographie, "Lyricisme", sorti au Japon l'an dernier chez Mandarake.
Du fait de vos activités actuelles, avez-vous été poussée à vous intéresser au marché du manga, au Japon comme à l'International ?
Venant d'une famille comptant un auteur de manga, je sais à quel point être mangaka peut être un métier difficile ! Aussi, cela m'a un peu refroidi quant au fait d'en lire... Mais maintenant que je travaille dans ce milieu, j'essaie de me motiver à en lire.
Pouvez-vous citer un titre lu récemment qui vous ait plu ?
Je dirais I de Mikio Igarashi. C'est un titre assez philosophique, j'espère que vous pourrez le découvrir un jour en français.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Je suis en train de négocier avec Mandarake pour trois nouveaux titres. J'organise également chaque année une exposition autour de l'œuvre de mon père, dont je prépare actuellement deux nouvelles éditions.
Pensez-vous qu'il existera un jour un musée Kazuo Kamimura ?
Ce serait en effet une bonne idée d'avoir un lieu fixe, qui permettrait de conserver ses travaux, et bien sûr de les exposer.
Comment sont-ils conservés actuellement ? Avez-vous envisagé d'en céder une partie au musée du Manga, à Kyoto ?
Tout est stocké dans la demeure de ma mère. Après le décès de mon père, nous avons créé une salle spécifique avec plusieurs bibliothèques, à l'abri de l'humidité et de la luminosité. Quand j'aurais dépassé les cinquante ans, je pense que la gestion de cette quantité d'archives va devenir un problème, et je contacterais les musées à ce moment-là ! (rires)
Pour revenir vers quelque chose de plus sérieux, comment avez-vous vécu la catastrophe de mars 2011 ?
Cela ne fait qu'une année, mais beaucoup de choses ont changé pour moi depuis ce moment-là. Je réside à Tokyo et je n'étais pas en zone sinistrée, mais j'ai quand même été bouleversée sur le plan psychologique. Je suis allé voir une amie qui habite dans le département de Miyagi, où j'ai constaté de mes yeux les dégâts produits par la force de la Nature. Pour la première fois de ma vie, je me suis demandé comment je pouvais être utile aux autres, en me sentant paradoxalement très impuissante.
Comment envisagez-vous le futur après ces évènements ? Craignez-vous des problèmes de santé ?
C'est une question assez difficile... Il y a déjà beaucoup de victimes dues aux radiations, notamment parmi les enfants, et je ne sais pas vraiment combien de temps cela prendra pour que le pays se remette.
Pensez-vous que le gouvernement a agi comme il fallait ? N'a-t-il rien caché à la population ?
C'est sans doute l'une des premières fois que le mutisme du gouvernement a été aussi évident. Je pense qu'aujourd'hui encore, il tait encore bien des choses, et la population se tourne vers d'autres sources d'informations, sur internet par exemple.
Comment votre père aurait réagi devant ces évènements ? Aurait-il pu y trouver une certaine inspiration ?
Je ne pense pas, mon père était quelqu'un de très pacifiste. Il en aurait été très affecté, mais pas au point de critiquer les maladresses du système dans une de ses œuvres.
Merci beaucoup!
Remerciements à l'auteure eu aux éditions Kana.
Bonjour, et merci de prendre le temps de nous accorder cet entretien !
Migiwa Kamimura: Bonjour, c'est moi qui suis honorée par le fait d'être interviewée !
Ce n'est pas votre première visite en France, n'est-ce pas ? A quelle occasion étiez-vous déjà venue ?
J'étais déjà venue représenter les œuvres de mon père en 2008, à l'occasion du festival d'Angoulême. Cette année là, le salon avait organisé une exposition autour de Lady Snowblood, au sein du Manga Building. Je suis également revenue en 2009 pour découvrir la Japan Expo, ainsi que pour une exposition dédiée aux mangas et à l'art contemporain, qui s'est tenue à la Maison Rouge. J'ai également profité de ce séjour pour visiter le musée de la bande-dessinée, en Belgique.
Qu'aviez-vous pensé de la Japan Expo ?
J'ai été surtout très impressionnée par la foule ! C'est là que j'ai vraiment réalisé l'étendue de la passion des français pour le manga.
Pouvez-vous nous relater le parcours de mangaka qu'a suivi votre père ?
Au départ, il voulait travailler dans la publicité, et il est allé vers le manga par hasard, d'abord en faisant simplement des illustrations. Son premier manga remonte à 1969, et il connut vraiment le succès en 1972 grâce à Lorsque nous vivions ensemble. Ce fut quelque chose d'assez inattendu pour lui : son rythme de vie a alors profondément changé, car il devait soudainement produire entre quatre cents et cinq cents pages par mois ! A partir de là, mon père n'a jamais cessé de travailler, jusqu'à son décès, à l'âge de 45 ans.
Comment viviez-vous le succès de votre père, dans votre jeunesse ? Cela n'était-il pas trop dur à supporter ?
J'étais encore très petite lorsqu'il a commencé à devenir célèbre. Comme il avait beaucoup de travail, il ne rentrait que très rarement à la maison. C'était d'ailleurs un sujet récurrent de disputes entre eux, ma mère étant souvent fâchée de le voir absent trop souvent. Cela dit, ce n'était pas le seul mangaka à travailler ainsi, à cette époque-là.
En réalité, comme il réalisait des œuvres à destination des adultes, comportant beaucoup d'érotisme, le sujet de ses activités était tabou à la maison. Ni ma mère ni moi ne parlions de son travail, et lorsque j'étais à l'école, mes camarades se moquaient de mon père en disant qu'il faisait des mangas obscènes. Cela m'a beaucoup gêné, et je n'ai finalement lu ses histoires qu'après sa mort.
Votre père a grandi dans un milieu féminin, entourée de sa mère et de ses sœurs. Pensez-vous que cela ait pu influencer ses œuvres ?
Mon grand-père était beaucoup plus âgé que ma grand-mère, et il est décédé alors que mon père n'était encore qu'un collégien. Sa mère l'a donc élevée seule, en travaillant en parallèle dans un bar pendant la nuit. Il a donc vécu aux côtés d'une femme à deux visages : la mère douce et attentionnée et la femme active, se démenant pour nourrir sa famille, quitte à être plus sévère. C'est à mon avis ce qui l'a beaucoup marqué.
Avez-vous vous-même connu votre grand-mère ? Si oui, quel regard aviez-vous sur elle ?
Oui, je l'ai connue. C'était une femme qui adorait mon père et qui était très protectrice et affective envers lui, du fait qu'il soit le cadet de la famille. La célébrité qu'il a acquise au cours des années n'a rien changé pour elle, et il allait souvent la voir au bar où elle travaillait. Elle m'a également beaucoup aimé, et je me rappelle d'elle comme d'une femme qui souriait tout le temps.
Vous et votre père aviez des ressentiments différents envers elle ?
Je pense que, comme tous les hommes, mon père a ressenti pour elle une forme de complexe d'Oedipe. Pour moi, c'était avant tout une grand-mère adorable, comme tous les petits enfants aimeraient en avoir !
Pour vous, quels étaient la plus grande qualité et le plus grand défaut de votre père ?
C'est difficile de trouver une qualité ! (rires) En tous cas, je crois que je lui ressemble beaucoup, physiquement comme dans le caractère, et j'ai les mêmes goûts que lui. Hélas, je n'ai pas eu beaucoup d'occasions de partager avec lui, mais j'appréciais la liberté qu'il me laissait. En réalité, c'était un homme très timide: quand je suis devenue une lycéenne, il n'arrivait même plus à me regarder dans les yeux ! Je n'avais que vingt ans lorsqu'il est parti, et aujourd'hui j'ai l'impression de le connaitre d'avantage grâce à ses œuvres que par les échanges que nous avions.
Du côté de ses défauts, je dirais qu'il faisait trop souvent pleurer ma mère, du fait de ses absences répétées. Il n'était pas vraiment un bon mari...
Qu'est-ce qui vous a amené à vous occuper des œuvres de votre père ? En quoi consiste précisément votre travail ?
Ma mère est l'ayant-droit de mon père, mais comme elle est à la retraite aujourd'hui, j'ai pris sa succession. Je m'occupe donc de la gestion des droits des histoires et des planches qu'il a réalisées, et je suis en relation avec les différentes maisons d'édition pour la réédition de ces séries. Le but est que l'œuvre de mon père ne soit pas oubliée, et qu'elle puisse être découverte par les générations futures.
Comment décidez-vous des éditeurs avec qui vous voulez travailler ? Vous est-il arrivé de refuser une publication ?
Il faut tout d'abord que l'éditeur intéressé soit lui-même fan des séries qu'il a écrites, sans oublier un rapport de confiance qui peut s'instaurer ou non. Après, je n'ai pas de préférences particulières, je laisse faire le hasard des rencontres. Je reste très ouverte, mais il peut m'arriver de refuser lorsque le prix de vente proposé aux lecteurs est trop élevé, ou que la qualité du papier soit trop mauvaise.
Avec quel(s) éditeur(s) travaillez-vous en priorité ?
En ce moment, je travaille beaucoup avec Mandarake, avec qui j'ai de très bons rapports. Mais j'ai été en collaboration avec de nombreuses maisons d'édition, sans véritables préférences.
Reste-t-il des œuvres qui n'ont jamais été publiées ? Si oui, pensez-vous qu'elles le seront toutes un jour ?
En réalité, il reste plus d'œuvres inédites que d'œuvres déjà publiées ! (rires)
Mon père a écrit de très nombreuses histoires courtes pour des magazines de prépublication, mais seule une petite partie d'entre elles a vu le jour en volumes reliés. Mais j'ai aussi pour objectif que ces récits oubliés ressurgissent tous un jour où l'autre.
Parmi les séries réalisées par votre père, laquelle est votre préférée ?
Je suis sa fille avant d'être une adepte de son travail, aussi je regarde ses œuvres de manière très objective. A vrai dire, je ne suis pas une grande lectrice de mangas, et ça me demande beaucoup d'effort pour apprécier ses œuvres. Mais si je dois choisir, je dirais La Plaine du Kanto, Folles Passions ou encore Potaruko (inédit en France).
Comment s'est faite votre rencontre avec les éditions Kana ?
Avant que je reprenne le flambeau, ma mère était déjà en discussion avec une agence de diffusion des droits à l'international. Lorsque j'ai pris le relais, cet agent m'a parlé de cette maison d'édition belge qui souhaitait sortir les œuvres de mon père, en particulier Lady Snowblood.
Avant cela, y a-t-il eu d'autres éditions étrangères ?
Lady Snowblood fut publié d'abord aux États-Unis, chez Dark Horse. Le titre est ensuite sorti au Brésil, en Allemagne, en Espagne, et enfin en France. Mais les éditions Kana ont été les premiers à vouloir publier la série sans utiliser l'imagerie autour du film Kill Bill, ce que j'ai beaucoup apprécié !
Lady Snowblood est-elle l'oeuvre la plus marquante de votre père ?
Oui, d'une part parce qu'elle est issue de la collaboration avec le grand Kazuo Koike, et parce que c'est une fresque d'histoire extraordinaire ! C'est du moins l'un des titres les plus représentatifs de son art. Cette série a également inspiré de nombreux films, avec l'actrice Meiko Kase dans le rôle principal, qui ont eu un franc succès.
Pensez-vous qu'il existe des œuvres de son cru impubliables à l'étranger ?
Oui, beaucoup même ! (rires)
Lorsque je suis allé à Angoulême en 2008, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui sont revenus sur les aspects violents et érotiques de Lady Snowblood... alors qu'en réalité, c'est une de ses œuvres les plus "soft" sur le sujet ! Cela m'a un peu refroidi sur le moment, mais maintenant je vais essayer de présenter d'autres titres au fur et à mesure, en surveillant les réactions...
Vous est-il arrivé de mettre en avant certains titres plus que d'autres, durant vos négociations avec l'Europe ?
Après La Plaine du Kanto, je suis déjà assez satisfaite de la représentativité des œuvres de mon père en langue française, mais Kana continue cependant de me solliciter pour en publier de nouvelles. Nous sommes actuellement en négociations pour de nouveaux titres. J'aimerais en particulier voir un jour publiée à l'étranger son autobiographie, "Lyricisme", sorti au Japon l'an dernier chez Mandarake.
Du fait de vos activités actuelles, avez-vous été poussée à vous intéresser au marché du manga, au Japon comme à l'International ?
Venant d'une famille comptant un auteur de manga, je sais à quel point être mangaka peut être un métier difficile ! Aussi, cela m'a un peu refroidi quant au fait d'en lire... Mais maintenant que je travaille dans ce milieu, j'essaie de me motiver à en lire.
Pouvez-vous citer un titre lu récemment qui vous ait plu ?
Je dirais I de Mikio Igarashi. C'est un titre assez philosophique, j'espère que vous pourrez le découvrir un jour en français.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Je suis en train de négocier avec Mandarake pour trois nouveaux titres. J'organise également chaque année une exposition autour de l'œuvre de mon père, dont je prépare actuellement deux nouvelles éditions.
Pensez-vous qu'il existera un jour un musée Kazuo Kamimura ?
Ce serait en effet une bonne idée d'avoir un lieu fixe, qui permettrait de conserver ses travaux, et bien sûr de les exposer.
Comment sont-ils conservés actuellement ? Avez-vous envisagé d'en céder une partie au musée du Manga, à Kyoto ?
Tout est stocké dans la demeure de ma mère. Après le décès de mon père, nous avons créé une salle spécifique avec plusieurs bibliothèques, à l'abri de l'humidité et de la luminosité. Quand j'aurais dépassé les cinquante ans, je pense que la gestion de cette quantité d'archives va devenir un problème, et je contacterais les musées à ce moment-là ! (rires)
Pour revenir vers quelque chose de plus sérieux, comment avez-vous vécu la catastrophe de mars 2011 ?
Cela ne fait qu'une année, mais beaucoup de choses ont changé pour moi depuis ce moment-là. Je réside à Tokyo et je n'étais pas en zone sinistrée, mais j'ai quand même été bouleversée sur le plan psychologique. Je suis allé voir une amie qui habite dans le département de Miyagi, où j'ai constaté de mes yeux les dégâts produits par la force de la Nature. Pour la première fois de ma vie, je me suis demandé comment je pouvais être utile aux autres, en me sentant paradoxalement très impuissante.
Comment envisagez-vous le futur après ces évènements ? Craignez-vous des problèmes de santé ?
C'est une question assez difficile... Il y a déjà beaucoup de victimes dues aux radiations, notamment parmi les enfants, et je ne sais pas vraiment combien de temps cela prendra pour que le pays se remette.
Pensez-vous que le gouvernement a agi comme il fallait ? N'a-t-il rien caché à la population ?
C'est sans doute l'une des premières fois que le mutisme du gouvernement a été aussi évident. Je pense qu'aujourd'hui encore, il tait encore bien des choses, et la population se tourne vers d'autres sources d'informations, sur internet par exemple.
Comment votre père aurait réagi devant ces évènements ? Aurait-il pu y trouver une certaine inspiration ?
Je ne pense pas, mon père était quelqu'un de très pacifiste. Il en aurait été très affecté, mais pas au point de critiquer les maladresses du système dans une de ses œuvres.
Merci beaucoup!
Remerciements à l'auteure eu aux éditions Kana.
De IchigoSan [998 Pts], le 23 Juillet 2012 à 19h03
Très bonne interview ^^
De Darkjuju, le 19 Juillet 2012 à 14h12
Merci pour cette interview enrichissante, et aussi au éditions Kana de continuer à publié cet auteur maitre du Gekiga